chapitre 6 - Simon
Cette fois, je n'avais même plus le courage de retourner à l'école, et mes parents ne me forçaient pas à y aller. Je ne répondais même plus aux messages ni aux appels de mes amis. Je passais toutes mes journées dans la chambre d'Elwin, pour essayer de le comprendre, c'était la seule chose que j'avais faite en une semaine. Si j'avais eu une théorie sur son ami imaginaire, je devais admettre que c'était impossible. En quoi ce serait son ancien ami imaginaire qui aurait tué Suzie ? Au moins, ça me permettait de me raccrocher à un dernier espoir, mais maintenant, c'était un deuxième meurtre, et dans la prison, en plus. Entouré de gardien, de policier... s'il disait que c'était Elwin qui avait tué ce Jimmy, alors il fallait admettre qu'ils savaient de quoi ils parlaient.
Couché dans le lit d'Elwin, je vis ma mère passer devant la porte et s'arrêter devant celle de ma chambre et cogner.
- Simon ? Je peux entrer ? demanda-t-elle.
- Je suis ici.
Ma mère revint sur ses pas et s'arrêta devant la chambre d'Elwin. Quand elle me vit, elle poussa un soupir, baissa la tête et la secoua de gauche à droite.
- Je t'ai déjà dit de ne pas aller dans sa chambre.
- Et ensuite tu vas m'interdire de mentionner son nom ?
Il y eut un silence, pendant que ma mère me fusillait du regard. C'était à croire qu'elle ne voulait réellement plus entendre son nom, mais qu'elle ne voulait pas l'admettre.
- Allez, sort, j'ai à te parler.
- Tu veux que je sorte de la chambre d'Elwin, pour me parler d'Elwin ? C'est quelque chose qu'Elwin a fait, ou seulement par rapport à Elwin ?
- Simon ! s'énerva-t-elle, le visage virant au rouge. Arrête...
- Tu veux vraiment que j'arrête de mentionner le nom d'Elwin ? Tu veux que je fasse comme si Elwin n'avait jamais existé ? Tu préfèrerais que je l'appelle Elvis, peut-être ? Ou Elkatraz ?
- Tu vas la fermer ?! s'écria-t-elle, les poings serrés. Tu vas sortir d'ici et tu vas retourner à l'école, maintenant, ça fait une semaine que tu n'y es pas allé.
- Je crois que t'as raison. Si c'est comme ça, je préfère être n'importe où, tant que t'y es pas !
Je sortis de la chambre d'Elwin en furie, bousculant ma mère au passage. Aussitôt que je fus sortie, ma mère verrouilla la porte et la ferma, m'empêchant d'y retourner. Si c'était comme ça qu'elle voulait la jouer, tant mieux pour elle, mais moi, je n'avais vraiment pas besoin de ça. Je préférais encore partir d'ici. J'allai dans ma chambre prendre mes affaires, puis allai directement à l'école. À pied, sans courir, c'était à près de trente minutes de distance. J'aurais aussi bien pu prendre la voiture, sans même demander à ma mère si elle en avait besoin, mais maintenant que j'avais passé la porte, j'avais envie de tout sauf de revenir sur mes pas.
Arrivé à l'école, c'était déjà l'heure du diner. Je voyais, à la limite de la propriété, les fumeurs, accoudé l'un à l'autre comme un troupeau de moutons. Je n'avais jamais fumé, mais j'avais une furieuse envie de leur demander une cigarette. Je repensais à mon frère, que je n'avais pas revu depuis cinq semaines, à ma mère qui ne voulait même plus entendre son nom, à mon père qui faisait de son mieux pour prétendre qu'il n'avait jamais eu de deuxième fils, et allait droit vers eux, décidé. Il fallait que je décompresse, peu importe comment. J'avais besoin de pouvoir m'accrocher à quelque chose.
Arrivé au gang de fumeurs, je restais légèrement en retrait, ne savant pas vraiment comment les aborder, mais l'un d'entre eux me vis et pivota légèrement, faisant un trou dans leur cercle.
- Hé, salut. T'es Simon, toi, pas vrai ?
- Oui. Et toi, tu es...
- Maxime.
- Salut.
Maxime mit sa cigarette dans sa bouche, puis la retira en même temps de souffler un nuage de fumé, tournant la tête pour ne pas l'envoyer sur moi.
- Je peux en avoir une ?
La demande était sortie malgré moi, et du coup, je me sentis mal. J'avais cette voix qui me disait : maman va me tuer ! mais en même temps, elle était déjà en train de le faire, en reniant totalement Elwin.
Maxime me présenta son paquet, et je pigeai une cigarette, mettant le bout jaune dans ma bouche. Maxime sortit un briquet de sa poche et l'alluma pour moi – c'était drôle qu'un gars dont je ne connaissais que le prénom fût si serviable avec moi. Il était surement commis quelque part.
J'inhalai la première bouffée, puis retirai la cigarette de ma bouche en hâte et recrachai la fumée en toussant. Les cinq ou six autres autour de moi se mirent à rire, et Maxime me donna une tape dans le dos pour m'aider à reprendre mon souffle.
- C'était ta première, en dirait, dit-il, un sourire aux lèvres.
J'essayai de répondre oui, mais j'en étais encore à tousser, alors je me contentais de hocher la tête. Même après avoir fini de hocher, j'avais l'impression que ma tête partait toujours dans tous les sens.
- Eh bien, Simon, bienvenu parmi nous !
Tous les autres se mirent à applaudirent, comme si je venais de sauter dans un lac au mois de janvier pour sauver un chien en train de se noyer. Je souriais, les trouvant plutôt sympathiques. Je m'essayai à prendre une autre bouffée, je toussais encore, mais moins. Je sentais que j'allais en avoir un grand mal de tête, mais je n'y fis pas attention. Puis, un peu tard, je réalisais que Samuel faisait partie du cercle. Lui, contrairement aux autres, ne souriait pas.
- T'as eu ton oral, finalement ? lui demandais-je.
- Non.
Je n'aurais pas dû, mais j'éclatais de rire. Très fort. Beaucoup plus fort qu'à mon habitude, mais c'était peut-être à cause de cette cigarette. D'autres se mirent à rire avec moi, ou de moi, c'était un peu difficile à dire. Puis Samuel se détacha du groupe pour me foncer dessus, m'empoignant l'épaule et m'entrainant assez loin pour que les autre ne nous entendent pas.
- Tu me piques ma copine, et maintenant mes amis ? T'as rien de mieux à faire, Simon ?
- Hé, je t'ai pas piqué ta copine ! m'écriais-je. On s'est parlé une fois, il y a une semaine, je l'ai jamais revue depuis.
- Eh bien, depuis ce jour-là, elle ne me parle pratiquement plus ! C'est de ta faute.
- Et en quoi ?
- Je sais pas, mais c'est quand même ta faute.
Samuel prit une bouffée de sa cigarette, puis me la renvoya au visage. Je fermais les yeux et détournai la tête, et quand j'ouvris à nouveau les yeux, Samuel était retourné à sa place dans son groupe d'amis. Et j'étais, encore une fois, seul dans mon coin. La cloche annonçant le prochain cours dans cinq minutes sonna, les fumeurs finirent leur cigarette et les écrasèrent sous leurs pieds, puis allèrent vers l'école en riant. Moi, je restais dehors, essayant de terminer ma cigarette qui me faisait tousser et tourner de la tête un peu plus à chaque bouffée.
Pour la première fois depuis très longtemps, je ne pensais plus à Elwin. Je pensais à Mélissa. Pourquoi elle ne parlait plus à Samuel, si c'était son petit ami ? Depuis le moment exact où on s'était parlé dans les toilettes ? Entre le temps qu'il me fallut pour terminer ma cigarette, en partie parce qu'elle s'était consumé d'elle-même, je me décidais d'entrer à l'école et d'aller à mon cours, ce qui me prit étrangement trois fois plus de temps que d'habitude pour faire le trajet. Je n'arrivais plus à aligner trois pas correctement, à croire que j'étais soul. Il me fallut un moment pour trouver quel était le cours présentement, et je fus heureux de constater que c'était le français. Peut-être que je verrais Mélissa. Mais si je la vois, je verrais aussi, pour sur, Samuel, qui ne sera surement pas très contant de me voir parler à Mélissa.
Mais en entrant dans la classe, la première chose que je vis, c'était sa place vide. Puis, ce que j'entendis ; le silence. Tout le monde me dévisageait, même la prof. Ils étaient surement très étonnés de me voir, et je les comprenais ; j'étais moi-même étonné d'avoir trouvé la force d'entrer ici. Je baissais la tête et continuais mon chemin - aussi droit que possible, m'appuyant subtilement sur les pupitres sur mon chemin - non pas vers ma place, mais vers celle de Mélissa, me laissant tomber sur la chaise. Samuel était juste à côté de moi, me fusillant du regard. Je l'ignorais, ayant maintenant assez mal à la tête, et je commençais même, de plus en plus, à avoir mal au cœur.
- Rebienvenu en classe, Simon, dit la prof.
- Va te faire foutre, madame.
Encore une fois, il y eut un long silence. Mon mal de cœur augmentait, j'avais toujours le gout dégueulasse de la cigarette dans ma bouche. Mais je restai toujours assis à ma place, ou plutôt celle de Mélissa. Mon premier cours depuis une semaine, j'aurais l'air bien s'il fallait que je fonce aux toilettes pour vomir.
Pour mon plus grand bonheur, la prof ignora mon commentaire et continua le cours, alors qu'elle expliquait le COD. Elle devait surement penser la même chose que moi ; premier cours en une semaine, il valait mieux ne pas me faire sortir de la classe parce que j'aurais dit un mauvais mot. Avant, j'étais un bon élève, peut-être y avait-il espoir que je le redevienne.
Je tournais la tête vers Samuel, qui me regardait aussi, sourcils froncés. Je fronçais également les sourcils, mais m'arrêtais rapidement, mon mal de tête maintenant trop fort pour tout faux semblant.
- À quoi tu joues, sérieux ? me demanda-t-il.
- Je cherchai Mélissa.
- Va te faire foutre, toi aussi !
- J'aimerais bien !
Samuel perdit tout semblant de patience qu'il avait à mon égard, se levant de sa chaise pour m'approcher, il m'empoigna par les cheveux et m'enfonça la tête sur le pupitre. Il me frappa tellement fort que je ne le sentis même pas. Mais en relevant la tête, je vis mes lunettes qui y étaient restées, les deux verres éclatés, la monture pliée.
- Retourne dans ton trou, Simon.
- Samuel ! s'écria la prof.
- Ça va, je sais ! Je sors ! (Puis, après s'être penché à mon oreille pour que personne n'entende :) Touche à un cheveu de Mélissa, et t'es mort.
- Pire que maintenant ?
Sans y répondre, Samuel sortit de la classe, et la prof fonça vers moi pour voir si je n'étais pas trop gravement blessé. Je voyais tout en double, et ce n'était pas parce que je n'avais plus mes lunettes.
- Tu veux aller à l'infirmerie ?
- Mouais...
Je me levais de ma chaise, mais ne put faire un pas sans chanceler dangereusement et je me laissais retomber sur la chaise. Maintenant, j'étais vraiment à deux doigts de vomir.
- Je vais t'aider, viens là.
Sans même savoir de qui venait cette aide, je me levais à nouveau, et quelqu'un fit passer mon bras autour de ses épaules et m'entraina hors de la classe.
- Tu empestes la cigarette. T'as fumé, ou quoi ?
- Ouais, c'est dégueulasse. Va falloir que j'aille m'en acheter.
La personne me lâcha et je m'adossais contre les casiers derrière moi. Je le regardais attentivement, mais sans mes lunettes, et tout en double, je ne pouvais que me baser sur le son de sa voix pour le replacer ; c'était Fred, l'un de mes autrefois si nombreux amis, maintenant l'un des rares restants.
- Tu vas pas te mettre à fumer ? s'exclama-t-il. Tu sais, on se fait beaucoup de soucis, pour toi. Mais tu ne réponds même plus à ton téléphone, et t'es jamais à l'école... et quand t'y es, c'est pas pour le mieux !
- Elwin me manque, j'y peux rien... tu te rends compte qu'ils l'ont transféré, et qu'on n'a même pas le droit de savoir où ? On n'a même pas le droit de l'appeler, aucune heure de visite, y'a même aucun moyen de savoir s'il est encore en vie !
- Il est forcément en vie et en bonne santé, sinon tu le saurais...
- Aux dernières nouvelles, il serait en pleine dépression...
- Santé physique, je voulais dire, marmonna-t-il.
Il y eut un long silence, pendant que je sentais le restant d'amitié que j'éprouvais pour Fred partir en fumée. Lui, comme tous les autres, était convaincu qu'Elwin était totalement cinglé.
- Moi aussi, Elwin me manque, tu sais ? dit Fred, une main sur mon épaule. Je le voyais presque aussi souvent que je te voyais, il te suivait comme ton ombre, ce schtroumpf. Ça fait bizarre de ne plus voir sa tête bleue partout. Mais il faut que t'arrêtes de penser à lui... je te dis pas de l'oublier totalement, là, seulement de penser à toi, un peu. Décompresse. T'as encore ta place dans la bande. T'es pas obligé d'arrêter de vivre parce que t'as plus ton frère derrière ton dos...
- Mais il me reste quoi, moi, si j'ai plus mon frère ?
Fred ne répondit rien à ça. Je le perçus hausser les épaules et détourner la tête, mais pour ce qui est du langage corporel plus subtil, j'étais trop myope pour le percevoir. Je m'éloignais des casiers dans l'espoir d'aller aux toilettes, mais je ne parvins qu'à faire deux pas ; j'avais apparemment perdu mon équilibre. Fred me rattrapa avant que je ne m'effondre au sol, et continua à me trainer vers l'infirmerie.
- J'ai encore le droit de te demander un service ? marmonnais-je.
- Bien sûr !
- Je peux passer la nuit chez toi ? Je me suis disputé avec ma mère, j'ai pas le cœur de la voir...
- Ouais, bien sûr, j'ai de la place. Mais tu devrais pas te mettre tout le monde à dos comme ça, surtout pas ta mère. Elle a déjà perdu un fils, quand même, s'il faut en plus que tu ne veuilles plus lui parler...
- Je sais...
Il y eut un autre long silence, alors que nous parcourions les corridors de l'école. J'avais la vision tellement floutée que je n'arrivais même pas à reconnaitre dans quel corridor nous étions exactement.
- Encore un autre service...
- Tout ce que tu veux.
- Il faut que je retrouve Mélissa.
- Mélissa la pute ?
- Ouais.
- Tu peux trouver mieux pour moins cher !
- C'est pas pour coucher avec elle, soupirais-je. Enfin, peut-être un peu, mais le dis pas à Samuel.
- Eh bien, je sais déjà comment me procurer son numéro. Dans les toilettes du bloc B.
- C'est là qu'il faut aller.
- Non, non ! Toi, tu vas à l'infirmerie. Laisse-moi faire ce coup-là. Je suis capable de recopier un numéro par moi-même, OK ? Promit, je toucherais pas à sa culotte, ni ce qui a en dessous.
- Et ?
- Oh, d'accord, ses seins non plus.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro