chapitre 4 - Elwin
Cette fois, c’était dit, j’étais trop dangereux pour être en prison.
Malgré que le psy m’avait avertie, hier, que j’étais coincé ici et que je n’irais pas dans un hôpital psychiatrique, c’était pourtant ma prochaine destination, après qu’on m’ait mis des menottes et aidé à grimper à l’arrière d’un camion de police. Deux à l’avant, et deux autre à l’arrière avec moi, armé, prêt à se défendre si je me prenais d’essayer de les tuer. J’avais envie de faire une fausse tentative, pour qu’ils paniquent et me tirent dessus. Je le voulais vraiment.
Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez moi ? Pourquoi j’ai tué Jimmy, cette nuit, comme j’avais tué Suzie ? Et comment j’avais fait, aussi ? Son lit était en dessous du mien, et pour le tuer, il aurait premièrement fallu que je sorte du mien. Mais je m’étais réveillé dans l’exacte position que je m’étais endormie. Et il n’y avait aucune tache de sang sur moi. Pourtant, il n’y avait pas vraiment de choix, j’étais le seul responsable possible. Nous avions été, Jimmy et moi, enfermés dans la même pièce pendant toute la nuit. À moins que son corps n’ait explosé de lui-même...
Le reste de ma vie allait se résumer aux électrochocs et aux camisoles de force.
Ça devait faire près de vingt minutes qu’on était partie de la prison quand le véhicule roula dans un nid de poule apparemment énorme, et n’ayant ni ceinture de sécurité ni possibilité de me retenir à quoi que ce soit à cause de mes menottes, je butais contre le policier assis à côté de moi. Il me repoussa pour m’aider à m’assoir, et en même temps, je sentis quelque chose me piquer. C’était peut-être quelque chose dans son uniforme, mais ça me démangeait, maintenant, et je ne pouvais pas me gratter. Je grimaçais devant le mal, et le policier s’en aperçut aussitôt :
- Un peu moins de deux heures avant d’être arrivé. Prends ton mal en patience. Ferme les yeux, un peu, y parait que t’as pas fait que dormir, cette nuit.
Je ne répondis rien, d’abord parce que je n’avais pas envie de parler, mais aussi parce que, justement, j’avais dormi comme une buche, cette nuit. À ma connaissance, du moins.
Mais, étrangement, je me laissais aller à fermer les yeux. Peut-être que j’étais fatigué, en fin de compte. Peut-être que je n’avais pas fait que dormir.
À mon réveil, je fus soulagé de constater que les deux policiers qui m’accompagnaient étaient toujours sains et saufs. Puis, passé quelques secondes, je réalisais que ce qui m’avait réveillé était un bruit assourdissant, qui se répétait tout les dix secondes, et qui semblait s’approcher, s’éloigner, et s’approcher encore de nous. Peut-être ces histoires de troisièmes guerres mondiales qui influençait mon jugement, mais c’était vraiment à croire qu’il y avait des missiles qui tombaient du ciel. Je lançais des regards paniqués vers les policiers, qui s’échangeaient déjà entre eux le même regard. Clairement, ce qui se passait dehors, ils n’avaient pas été formés pour ça.
- Qu’est-ce qui se passe ?
Le policier qui était en face de moi répéta ma question plus fort en s’approchant du fond du van. Le conducteur, ou peut-être l’autre assis à côté, lui répondit exactement ce que je m’étais imaginé. On se faisait bombarder.
Le véhicule prit de la vitesse, alors que j’entendais de vraies sirènes de polices nous dépasser, et d’autres sons pouvant parfaitement être les pales d’un hélicoptère.
Mon monde devenait plus fou de jour en jour ! Sérieux, il doit y avoir une erreur... j’étais tombé dans une réalité virtuelle, ou... n’importe quoi, mais tout ça, c’est trop pour moi.
Puis, sans prévenir, le véhicule fonça dans quelque chose – pas moyen de savoir dans quoi, il n’y avait pas de fenêtre, où j’étais -, et je m’assommais contre le mur et perdis connaissance, alors que je sentais l’un des policiers qui me tombait dessus.
Je me réveillais à nouveau, couché dans un lit aux couvertures blanches, dans une pièce qui semblait faite en métal. Il y avait une petite table basse au côté du lit, une armoire de rangement contre le mur d’en face, une grande lampe au côté de la porte, une autre porte plus loin, probablement une salle de bain personnelle, et puis c’était tout. Je m’asseyais dans le lit, remarquant au passage que je n’avais plus les mêmes vêtements, autrefois bleu, maintenant tout aussi blanc que les draps. Puis, sans trop savoir quoi faire, je me recouchais dans le lit. Quelqu’un allait surement venir, me disant qu’il était docteur, que j’étais arrivé sain et sauf à l’hôpital – quoique ma tête me lançait -, et que justement, une séance d’électrochoc m’attendait. À quoi bon presser les choses, je préférais encore attendre sagement ici, dans mon lit, même si j’étais conscient d’en avoir grandement besoin, de ses électrochocs.
Et enfin, comme prévu, un homme entra dans la chambre au bout de cinq minutes, portant une blouse blanche de médecins, cheveu cour et petite barbe grise, allant dans le bien blanc par endroit. D. Finlah, disait son badge. Il portait, pressé contre lui, une planche à papier.
- Salut, Elwin ! s’exclama-t-il en s’approchant de moi, toujours allongé dans le lit. Tu dois surement avoir tout un tas de questions, et je vais t’éclaircir tout de suite ! Le van qui te transportait à fait un face à face avec un petit camion. Les policiers s’en sortent bien, l’un s’est cassé le poignet, mais pas bien grave. Toi, t’as été assommé durement, mais là encore, rien de grave, t’as eu de la chance, t’as évité une commotion. Elle doit surement te faire mal un peu, mais tu n’as pas à t’inquiéter. Si le mal devient trop fort, t’as juste à le dire, je te donnerais des antidouleurs. Ici, on est à l’hôpital, comme t’as pu le deviner, mais détrompe-toi tout de suite, tu ne trouveras aucun ami parmi les patients. Tu n’auras pas le droit de te mêler à eux, et à moins d’être étroitement surveillé, tu ne sortiras jamais de cette pièce. Je serais, en règne général, la seule personne que tu verras et à qui tu auras le droit de parler. Et aucune communication avec l’extérieur. Des questions ?
- C’est pour quand, les électrochocs ?
Il y eut un moment de silence, puis le docteur Finlah éclata d’un grand rire de père Noël.
- Des électrochocs ? Oh, bien sûr que non ! Ton cerveau est parfaitement sain ! Sauf peut-être...
Il jeta un coup d’œil à la planche à papier qu’il tenait contre lui, fronçant les sourcils. Je l’imaginais lire les notes de mon psy, disant schizophrène et dépressif. Puis, pour ma surprise, retira la première feuille du paquet, la roula en boule et la lança à l’autre bout de la pièce.
- Moi, je sais où il est, ton problème, et il ne vient pas de ton cerveau. Mais tout de même, tant qu’il ne sera pas réglé, tu ne sortiras pas d’ici. D’autre question ?
Un peu soulagé par ce que le docteur disait, je me mis assis dans le lit, adossé au mur derrière moi. Alors donc, le problème n’était pas dans ma tête... il était où, alors ? Physique ? De ce que j’en sais, je n’ai aucun problème physique, mon corps est en parfaite santé. Sauf peut-être ma petite mutation... mais on m’avait dit qu’elle était inoffensive...
- Y’a vraiment la guerre, dehors ? demandais-je à la place de tout le reste.
- Tout dépendamment qu’est-ce que tu veux dire par « dehors ».
- Bah, le Canada.
- Oh, oui, c’est vrai... tu es Canadien. J’avais oublié, je croyais que tu étais Américain.
Finlah lança un regard vers la boulle de papier qu’il avait lancé, près du tiroir de rangement.
- Mais on est toujours au Canada, non ? demandais-je avec appréhension. De toute façon, je n’ai même pas de passeport.
J’avais comme un gout amer dans la bouche, songeant qu’on m’avait amené aux États-Unis sans même que je ne m’en rende compte. Ici, il y avait encore la peine de mort. C’est certain, j’allais y passer.
- Est-ce qu’on est aux États-Unis ?
- Non, tu n’es pas sortie de ton pays.
- Alors pourquoi tu me croyais Américain ?
- Moi, je ne suis pas d’ici. Je suis Américain. Et tu connais les Américains, ils pensent toujours que tout le monde est d’ici. Je veux dire là-bas. Mais je suis sûr que c’est la même chose pour toi, parce que je suis sûr que tu croyais que j’étais Canadien.
Je haussais les épaules, ne sachant pas vraiment quoi répondre à ça.
- Et là guerre, alors ?
- Oublie la guerre, un peu. Tu es en sécurité, ici.
- OK, mais les autres ? Ma famille ? Mon frère ?
- Oublie ta famille, aussi. Elle n’en a plus rien à faire, de toi.
Cette fois, je ne répondis rien. Parce que je savais qu’il avait raison. Il y eut un long silence, pendant que je me sentais sur le point de me mettre à pleurer.
- D’autres questions ?
Je secouai la tête, m’essuyant les yeux que je sentais gonfler.
- Bien, passons aux choses sérieuses. Toi. (Il y eu un autre silence, mais encore une fois, je ne répondis rien.) Parle-moi de toi, Elwin. De toi, de tes amis, tes hobbies, ta famille... même si je t’ai dit de l’oublier. Tu l’oublieras après, seulement.
Je me pliais à ces volontés, puisque je n’avais rien d’autre à faire. Je m’appelle Elwin Bowan, quatorze ans, j’avais un frère qui en a seize, un peu envahisseur sur les bords, des parents aimants – du moins, avant, ils m’aimaient -, j’avais un chien-saucisse qui s’appelait Roquet, mais qui aurait très bien pu s’appeler Satan parce qu’il ne m’écoutait jamais. J’avais quelques amis, une petite amie - plus maintenant, de toute évidence... J’aimais bien faire du vélo, parfois, et j’étais assez doué au soccer, mais d’autres étaient meilleurs que moi et je n’avais pas pu entrer dans l’équipe de l’école... Mes notes à l’école étaient pourries, et le fait que je n’y sois plus était surement le seul point passablement positif de cette histoire. J’aimais aussi jouer au jeu vidéo contre mon frère, généralement Mario Kart. On ne pouvait jamais prédire qui allait gagner, ce qui ajouter un peu d’action, et en prime, ont gageaient les corvées. Le perdant faisait la vaisselle, le gagnant avait le dernier morceau de gâteau...
Merde, ce que mon frère me manque...
- J’ai cru remarquer que tu utilisais beaucoup l’imparfait, dit le docteur après un certain moment de silence. Pourquoi ?
- Parce que c’était avant, dis-je en haussant les épaules. Je n’ai plus de frère, plus de chiens, plus d’amis, plus de Suzie, plus de vélo, plus de Mario Kart... Tout ça, c’est parti en fumée. Je suis plus personne, rien qu’un... un meurtrier.
- Je ne crois pas que tu sois un meurtrier.
Je levais les yeux vers lui, sans trop savoir quoi penser. Tout le monde, à ce que j’en sais, était convaincu que j’avais réellement tué Suzie et Jimmy. J’en étais rendu à le croire moi-même.
- Avec un frère, tu devais être assez rarement seul, non ?
- C’est vrai, dis-je sans trop savoir où il voulait en venir. Quand j’étais plus jeune, c’était lui qui me gardait... il avait pas vraiment l’âge de garder, mais puisqu’il était le plus vieux et qu’une gardienne n’en valait pas vraiment la peine... d’un coup qu’il a eu douze ans, je veux dire, avant ça, on en avait une... Mais c’était souvent la sœur de maman... Après ça, on était que tous les deux... et si Simon voulait sortir, aller voir ses amis, il ne se gênait pas à m’emmener avec lui. Ces amis étaient cool avec moi, je les aimais bien.
- Alors, tu n’étais jamais seul ?
- Pas assez longtemps pour que ça compte vraiment...
- Alors voilà ce que je vais faire. Te laissez seul. Si t’as besoin de moi, tu n’as qu’à appuyer sur ce bouton, et je viendrais aussi vite que possible.
Puis, sans ajouter un mot de plus, le docteur Finlah sorti de la chambre, me laissant totalement seul, avec pour seule compagnie le bouton en question, sur une petite télécommande posée sur la table de chevet à côté de mon lit.
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