Les rideaux tirés, dans une pièce reculée du château, Jaemin patientait. Il était mort depuis trois jours et cette sensation étrange ne le quittait pas, pire elle s'intensifiait alors que ses propres funérailles se déroulaient dans la cour royale. Il avait entendu les gens arriver, pleurer et crier. Il les avait entendus prier aussi et le regretter. Le jeune oméga n'avait jamais imaginé qu'un jour il vivrait son propre enterrement, caché aux yeux de tous mais pourtant bien vivant.

Jaemin vérifia une dernière fois que son sac était prêt, il n'avait emmené que le strict nécessaire avec une seule exception : son coussin préféré que Chittaphon lui avait offert. C'était la seule chose non essentielle pour laquelle il avait insisté et Jeno avait cédé. Jaemin croisa son reflet et il tritura l'ourlet de sa capuche. Il était prêt à voyager, comme lorsqu'il avait quitté le monastère une éternité plus tôt. Le jeune homme avait le ventre noué et la gorge serrée, il allait encore une fois perdre tout ce qu'il avait ou presque, parce que son protecteur au moins serait avec lui.

L'oméga entendit la foule se calmer, puis la voix claire de Taeyong s'éleva. Il lui avait déjà fait ses adieux plus tôt, ils n'avaient plus rien à se dire si ce n'était se souhaiter d'être heureux dans leur vie future. Jaemin lui avait demandé de prendre soin de Chittaphon, le seul ami qu'il avait jamais eu, et le prince lui avait assuré qu'il en ferait le plus heureux des hommes. Le noiraud était rassuré.

Jaemin cessa de marcher et retourna s'asseoir sur son siège, il avait encore mal s'il faisait de grands mouvements mais n'avait pas le choix que de prendre sur lui, une longue chevauchée l'attendait. Ses doigts tapotèrent sur la vaisselle présente sur la petite table et il eut un tout petit sourire. Il avait dû disparaître à l'annonce de sa mort et Jisung avait été chargé de lui apporter de la nourriture, il s'en voulait un peu d'être incapable de la manger alors que le jeune alpha faisait de son mieux mais il était trop nerveux pour avaler quoi que ce soit. Surtout qu'il avait failli mourir par empoisonnement quelques jours plus tôt.

— Comment tu te sens ?

Le jeune oméga sursauta. Perdu dans ses pensées il n'avait pas entendu son ami entrer et le rejoindre. Chittaphon s'excusa avec sa douceur naturelle avant de s'installer dans le siège face à lui. Jaemin eut aussitôt envie de pleurer, il était celui qui allait le plus lui manquer et rien que pour ça il hésitait à partir.

— Je suis nerveux et je me sens bizarre... Je veux dire, les gens sont en train de m'enterrer et de prier pour mon âme et moi je me cache juste en attendant de m'enfuir et de les abandonner.

— J'imagine ta confusion, sourit doucement Chittaphon, mais je suis sûr que tu iras mieux une fois que tu te seras éloigné de tout ça.

— J'espère que tu as raison...

Jaemin fronça le nez pour s'empêcher de pleurer.

— Dis, Chittaphon, est-ce qu'on se reverra un jour ou c'est la dernière fois qu'on se voit ?

— Oh Jaemin, bien sûr qu'on se reverra un jour ! Déjà parce qu'on prendra des nouvelles l'un de l'autre. Tu devras être celui envoyant une lettre en premier puisque je ne sais pas où tu seras mais on communiquera, et une fois que bébé sera né et un peu plus grand alors on viendra te voir. Je t'en fais la promesse, sourit tendrement le plus âgé.

Le noiraud cessa de résister et fondit en sanglots dans les bras de son ami, terrifié à l'idée de le perdre sans pouvoir le dire tout haut. Il était soulagé de savoir que l'autre ne comptait pas l'oublier et qu'ils pourraient se revoir plus tard, même si lui ne pourrait plus venir au château.

Chittaphon essuya ses larmes puis lui tendit une enveloppe que Jaemin ouvrit. A l'intérieur il découvrit une fine bande de tissu coloré avec d'étranges motifs dessus.

— C'est un talisman qui vient de mon île natale, c'est pour souhaiter le bonheur, expliqua le jeune homme. J'ai demandé à mes sœurs de me montrer comment en faire un pour te l'offrir et que tu ne m'oublies pas.

Les larmes qui s'étaient calmées coulèrent de plus belle alors que Jaemin serrait son ami contre lui. Chittaphon était comme un autre grand-frère, si différent de Jaehyun et pourtant il ressentait la même sensation d'être bien avec lui, de pouvoir être lui-même et en confiance.

— Je vais devoir te laisser Jaemin, il va être l'heure.

— Tu m'accompagnes ?

— D'accord, comme le jour de notre rencontre.

Le noiraud sourit en se souvenant de ce fameux jour, il n'aurait jamais cru que les choses tourneraient de cette façon et qu'il tournerait le dos à ce que sa famille lui avait inculqué. Tout ça pour l'amour d'un homme.

Jaemin fit attention à ce que sa capuche couvre bien ses yeux et remonta le tissu de son haut jusqu'à son nez. Il n'était censé croiser personne, tous étant à ses funérailles, mais il préférait ne prendre aucun risque. Chittaphon l'accompagna jusqu'à l'arrière du château où ils virent Jeno terminer de sangler les chevaux. Jaemin s'approcha et se greffa au dos de l'alpha qui se moqua gentiment de lui.

— Ce n'est pas très pratique tu sais ?

L'oméga marmonna pour la forme, le cœur empli d'un mélange d'excitation et de peur. C'était le grand moment, il partait pour une vie totalement inconnue. Il se détacha de son protecteur et courut enlacer Chittaphon une dernière fois, c'était le dernier au revoir.

— Prends-soin de toi, murmura son ami, et fais confiance à Jeno. Arrête de le repousser, il est trop tard pour ça maintenant, tu dois être honnête avec lui.

— Je vais faire de mon mieux, promis, sourit presque timidement le noiraud.

— Alors vas-y, ton compagnon n'attend que toi.

Jaemin se recula lentement puis finalement se détourna et monta sur son cheval, le dos droit. Jeno récupéra son sac et l'attacha puis enfourcha également sa monture. Ils ne parlèrent pas vraiment, son protecteur était concentré sur leur fuite et Jaemin avait conscience que ce n'était pas le moment pour poser des questions ou se faire remarquer alors il prit sur lui. Des larmes coulèrent silencieusement sur ses joues alors qu'il s'éloignait d'une partie importante de sa vie.

Jeno les guida sur un chemin désert que Jaemin devina naturellement peu fréquenté, l'herbe avait poussé un peu partout rendant la route presque invisible si on ne la cherchait pas. Le jeune homme se rapprocha naturellement de l'alpha et glissa sa main dans la sienne, innocemment.

— Je suis désolé.

— Pourquoi ? s'inquiéta le noiraud.

— Parce que je ne t'ai même pas demandé comment tu te sentais, expliqua Jeno. Je sais que ce doit être très difficile pour toi et je ne t'ai même pas parlé depuis notre départ.

— Oh.

Jaemin rougit, touché par l'attention. Il resserra ses doigts sur ceux de son protecteur.

— J'ai peur mais je sais que je peux compter sur toi, avoua l'oméga du bout des lèvres, alors ça va aller. Et toi ? Tu ne me dis jamais comment tu vas.

— Tu ne me demandes jamais non plus, je crois que c'est la première fois que tu poses la question, fit remarquer le brun.

Jaemin pinça les lèvres, vexé, mais il ne put nier cette vérité. Ce n'était pas comme s'il ne s'était jamais inquiété de la santé de son protecteur, juste son orgueil qui l'avait empêché de le manifester. En y repensant il songea que sa fierté l'avait privé de plein de choses.

— Ce n'était pas un reproche Jaemin, je sais comment tu es, sourit doucement Jeno.

Il caressa le dos de la main de l'oméga qui se sentit instantanément fondre, sa bouderie oubliée.

— Je vais bien, il y a des gens qui vont me manquer c'est sûr, mais tant que je suis avec toi alors ça me convient, je survivrai sans peine.

Jaemin rougit immédiatement, le visage en feu. Jeno était tellement plus direct, plus honnête avec ses sentiments que lui. C'était déroutant sans être désagréable, au contraire il aimait cette chaleur sur ses joues et les papillons qui batifolaient dans son ventre à chaque fois.

— Qu'est-ce qui va se passer pour eux ? demanda-t-il pour changer de sujet.

— Le ministre a été arrêté et sera jugé prochainement donc ils n'auront plus rien à craindre de ce côté-là. Quant à savoir ce qu'ils feront et bien j'imagine que seuls eux le savent. Ce qui est sûr c'est que Taeyong ne compte pas cacher Chittaphon, mais il devra quand même attendre quelques semaines, il est censé être en deuil pour le moment et je ne sais pas comment son peuple accueillera la nouvelle. C'est délicat.

— Oui...

Jeno lui embrassa le poignet et mordilla légèrement la peau ce qui fit rire l'oméga.

— Ne fais pas cette tête, ils iront bien tous les deux, enfin tous les trois. Taeyong ne fera pas deux fois la même erreur.

— J'espère...

Il n'avait pas envie que son ami continue à vivre dans l'ombre. De sa main libre il joua avec le cuir du harnachement de son cheval, hésitant. Il n'avait posé aucune question sur leur destination, il ne savait rien et il ne tenait plus. Il devait se renseigner, même les discussions sur d'autres sujets ne parvenaient à apaiser ses craintes.

— Jeno, appela faiblement le jeune homme.

— Oui ?

— Qu'est-ce qu'on va devenir ? Où on va ?

L'alpha lui sourit avec douceur et se pencha sur sa selle pour pouvoir l'embrasser sur la joue. Jaemin ferma les yeux un court instant.

— Sur les terres de ma sœur, personne ne nous trouvera là-bas je t'en fais la promesse.

— Ta sœur ne m'aime pas, pas vrai ? Je ne veux pas qu'elle soit forcée à m'accueillir, surtout qu'elle aura des problèmes si ça se sait.

— Ne t'en fais pas pour ça, le territoire de mes parents était très très vaste. Ma sœur et sa famille sont parties vivre au domaine principal mais nous avons également plusieurs manoirs, l'un d'eux se trouve à l'opposé du territoire de ton père, il lui faudrait des semaines pour l'atteindre et c'est une zone presque déserte, il n'y a aucune raison pour que des gens y viennent.

Jaemin baissa les yeux sur le sol, toujours inquiet, et il se mura dans le silence pour les heures qui suivirent. Il ne regrettait pas sa décision de partir avec son protecteur mais il avait toujours peur et l'avenir lui semblait bien flou. Il ne savait toujours pas ce qu'ils allaient faire, ce qu'il allait devenir, leurs conditions de vie et autres. Jeno avait conscience de ses tourments, alors l'alpha indiqua une halte après s'être enfoncé un peu dans une zone boisée. Ils avaient chevauché toute la journée, il était temps pour eux de prendre une pause. Le brun aida le jeune noble à descendre de sa monture, mais refusa de le lâcher même une fois au sol.

— Qu'est-ce que tu fais ? marmonna l'oméga.

— Je te montre que je suis là, que je serai toujours avec toi à partir de maintenant, chuchota Jeno à son oreille. Je ferai toujours en sorte que tu ailles bien, que tu aies tout le nécessaire alors, s'il te plait Jaemin, ne fais pas une tête aussi triste. J'ai l'impression que tu ne veux pas être avec moi et c'est vraiment douloureux.

Le cadet se figea, choqué. Il ne pensait pas que son mutisme allait être pris pour un rejet, il était en pleine réflexion, il n'avait pas imaginé blesser Jeno par son attitude. Il referma les bras dans le dos de son protecteur et posa sa joue contre sa poitrine.

— Si ça n'avait pas été toi je serais encore là-bas, souffla Jaemin.

Il ne pouvais pas lui dire plus, pas encore, mais il espérait que ses sentiments et sa volonté transparaissent quand même à travers ces quelques mots.

Nda :

C'est très étrange de me dire qu'aujourd'hui c'était le dernier chapitre de Blasphème ^^" Je vous retrouverai une dernière fois la semaine prochaine pour l'épilogue et après ce sera réellement fini, je veux pas quitter cette fic ToT

Ps : j'aurais une petite surprise pour vous à l'occasion, en espérant qu'elle vous plaise :)

Dalion~ Kiss :3