six
Yelena se faufile parmi la foule venue rendre hommage aux jeunes orphelins décédés il y a deux jours. Dès lors, toute la ville s'est révoltée contre cet acte d'horreur qui marque déjà l'histoire. Ils ont été des milliers d'inconnus à manifester ensemble dans les rues pour dénoncer les violences dues aux gangs qui mènent une guerre acharnée pour obtenir le pouvoir, ils se soulèvent contre la police corrompue et les médias qui camouflent toute cette violence. Pourtant, tout le monde est au courant de ce qu'il se passe secrètement dans les rues. Les trafics deviennent trop courants, même un enfant a déjà vu quelqu'un se faire tirer dessus ou a lui-même déjà tenu une arme entre ses mains innocents. Des centaines de vies oubliées qui remontent à la surface suite à ces morts qui ont été de trop. Des adultes tués, des vieillards assassinés, des personnes devenus handicapés, mais des enfants massacrés, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
Jamais Yelena n'a vu une telle solidarité. Elle ne pourrait estimer le nombre de personnes mobilisées en un temps record pour cette cérémonie commémorative. Elle doit encore traverser deux bons cent mètres avant d'arriver devant la scène installée pour l'occasion en face de l'orphelinat en ruine. Pour que tout le monde puisse écouter le maire et des prêtres célébrer la mémoire des défunts, des hauts parleurs ont été installés un peu partout ainsi que quelques grands écrans dont Yelena arrive à peine à distinguer malgré sa grande taille et sa bonne vue.
Après avoir avancé difficilement entre toutes ses personnes qui se poussent pour mieux voir, Yelena arrive devant le bâtiment quelques minutes avant que ça ne commence. Pourtant, elle est sortie de chez elle en avance pour être sûre de ne rien rater - ça lui tient bien trop à cœur pour ne pas assister du début à la fin à cette commémoration. Elle est même passée acheter un bouquet de roses blanches avec la seule monnaie qui lui restait à la place de son petit-déjeuner, bien que son corps nécessite un repas consistant. Elle se fiche totalement de son bien-être, tout ce qui lui importe en ce moment est de venger ces orphelins.
Yelena se baisse pour déposer le bouquet de fleurs devant les barrières de l'orphelinat détruit. Des centaines de cadeaux sont déposés devant, allant des photographies des enfants décédés, des fleurs, peluches, cartes, aux messages de soutien et banderoles dénonçant les violences meurtrières. Des activistes soulèvent des slogans en hurlant entre les citoyens qui pleurent déjà.
― Dénonçons ensemble ce que les médias ne font pas ! cri-t-ils. Luttons contre les violences urbaines !
Yelena aurait fortement aimé se révolter avec eux, mais elle sait que ce n'est pas le moment de se montrer à découvert. Avec le KGB qui revient, elle doit faire profit bas. La discrétion est son seul atout avec Alexei dans les parages, même si son cœur la pousserai à défendre les causes qu'elle juge justes.
Sans compter Natasha qui désapprouverait ses actions. Ce n'est pas le moment de la décevoir, elle qui s'est donnée tant de mal à la faire venir en Amérique.
― Allons-nous continuer à les laisser tuer nos enfants ou détruire leur enfance ? Ils méritent de vivre heureux, de garder leur innocence, non pas de vivre où la peur de se faire abattre en pleine rue est omniprésente !
Les manifestants continuent d'avancer en parallèle de la cérémonie qui commence. Lorsque la blonde se relève, elle aperçoit le maire de la ville monter sur scène et se placer devant le pupitre afin de débuter son discours. Automatiquement, les exclamations s'achèvent et tout le monde se tourne vers lui.
Dans un lourd silence, le maire dépose ses feuilles devant lui, les mains tremblantes. Dès qu'il prononce ses premières paroles, Yelena ressent une profonde tristesse dans sa voix. Toute la ville a été touchée par cet attentat, encore plus lui qui se sent à présent coupable de n'avoir pu rien faire pour prévenir l'attaque. À présent, il doit gérer cette crise avant qu'elle ne dégénère par les manifestants en colère.
― En ce jour spécial, nous sommes tous présents pour commémorer la mémoire de ces pauvres enfants qui ont péris dans cet acte d'une violence extrême...
Après avoir placé quelques mots sur la cruauté de l'événement, il poursuit son discours en invitant sur scène un prêtre en charge de s'occuper des funérailles religieuses. Yelena, tout comme les centaines de personnes autour d'elle, écoutent attentivement ses paroles et respectent la minute de silence collective. Pas une parole, pas un cri, aucun bruit n'est perceptible à part les quelques voitures lointaines sur le boulevard périphérique. Le silence presque complet dans cette ville toujours en mouvement.
Les caméras qui filmaient la scène s'éteignent. À leur place, les photographies des jeunes victimes s'affichent sur les écrans géants. Le maire, qui a repris la parole, énumère chaque nom à la même vitesse que le diaporama. Soudain, le cœur de Yelena se brise. Sur l'écran en face d'elle s'affiche la photographie de l'adolescent qu'elle a découvert, agonisant, et qu'elle a achevé pour atténuer sa douleur. Le souvenir de cette scène traumatisante revit sous ses yeux.
Tout le sang s'écoule sur l'estrade, suivi du poison vert qui glisse lentement sur le sol jusqu'aux pieds de Yelena, rongeant le béton comme la chaire des orphelins. Tout à coup, elle se retrouve à nouveau dans l'orphelinat, la fumée l'empêchant de respirer correctement. L'air ne parvient plus à ses poumons, seul l'odeur acide du poison caresse sa peau avant d'être chassé par le dernier souffle de l'adolescent. En un battement de cœur, elle se retrouve au dessus de son corps sans vie, le couteau à la main, ensanglanté. Elle ne voit plus que du sang. Du sang partout. Par terre. Sur la gorge du garçon. Sur ses mains.
Est-elle coupable de sa mort, même si c'était la dernière volonté du garçon ?
― Noah Phillips...
Sa gorge se serre encore plus à l'entente de son nom prononcé par le maire. Le garçon n'avait même pas eu la force de lui dire comment il se nommait. Aucun mot n'est sorti de sa bouche, ses yeux remplis de larmes parlaient pour lui.
Yelena ne se rend même pas compte que ses yeux se remplissent de larmes, jusqu'à même couler sur ses joues. Elle s'était retenue de pleurer jusque là, elle a chassé ces souvenirs de sa mémoire pour éviter toute démonstration de ses émotions. Même sur le coup, elle n'avait pas la force de verser la moindre larme à tel point qu'elle était perturbée par ce qu'elle a vu. Si elle-même est traumatisée par leurs morts, alors qu'elle a grandi sous la violence et la terreur transmise par la Chambre Rouge, comment peut-on qualifier cet acte ?
Le regard que lui porte la femme à côté d'elle lui met la puce à l'oreille. Reprenant ses esprits, elle sent les larmes sur ses joues et les essuie du revers de la main, tournant le regard. Elle déteste être dévisagée, encore plus qu'on ait pitié d'elle. Quelques minutes plus tard, le temps que ses yeux rouges aient séchés, le maire de la ville termine d'énoncer les noms et poursuit son discours.
― Pour rendre justice à ces enfants innocents, j'ai chargé la police de retrouver les coupables coûte que coûte. La justice va venger leur mort.
La phrase de trop.
Aussitôt, les manifestants reprennent leurs protestations. Quelle justice ? songe Yelena. Une vague de haine rempli son cœur. Ce n'est pas les médias qui manquent de dénoncer les nombreux groupes mafieux qui achètent les policiers ou même des commissariats entiers. En seulement quelques jours à New York, Yelena a bien compris qui fait vraiment la justice.
― Mais votre justice est corrompue ! s'écrit un manifestant.
― Comment pouvez-vous faire confiance à vos services de police qui couvrent les actes de violences ?
Autour d'elle, le monde tente de se rapprocher de la scène protégée par une dizaine de policiers. Ceux-ci se protègent en formant une barrière humaine, mais ce ne suffit pas pour calmer les manifestants.
Yelena trouve une sortie pour ne pas faire partie de l'émeute. Poussant quelques personnes sur son passage, elle se dirige vers le fond de la foule de plus en plus dense. Toutes les personnes, manifestantes ou non, prennent part au mouvement. Yelena s'en dégage en allant sur les côtés, où d'autres personnes tentent aussi de fuir la foule. Parmi eux, la blonde aperçoit un jeune photographe à lunettes qui capture ces instants. Lorsque son flash l'éblouie, elle cache son visage de sa main avant de poursuivre son chemin. Le jeune homme aux cheveux bruns l'observe, intrigué, avant de reporter son attention sur la scène.
La foule devient de moins en moins dense, Yelena peut enfin souffler. Elle continue son chemin avec un pas plus lent mais elle reste attentive à ce qui l'entoure.
― J'attendais ton coup de fil.
L'interpellation ne la surprend pas - Yelena avait entendu des pas dans son dos -, elle se retourne même pas pour poser ses yeux sur cette personne. Cette voix familière la réconforte, elle comptait les heures depuis lesquelles elle n'avait pas vu sa sauveuse.
― Tu avais peur que je m'enfuis des Etats-Unis ?
― Pour Cuba, ça ne m'étonnerait pas de toi, plaisante Natasha.
La rousse vient se poster à ses côtés et adopte l'allure de la jeune femme. Elles marchent côte à côte, tel de vieilles amies, sans but précis.
― Je savais que je te trouverais ici. Les enfants sont ton point faible.
Yelena hausse un sourcil.
― Est-ce une provocation ?
― Une simple remarque.
Natasha tourne la tête et pose ses yeux sur le regard figé de son amie. Cette dernière se force à observer en face d'elle, garder une attitude neutre, mais ses convictions se traduisent dans son regard. Une certaine tristesse mêlée à de la colère sont contenus au fond d'elle, mais elle est un livre ouvert pour Natasha. Son ton plaisantin prend alors une tournure plus sérieuse.
― Je sais à quoi tu penses, déclare Natasha. Ce combat n'est pas pour toi.
Yelena cesse soudain d'éviter son regard. Son impulsivité répond d'elle et ses yeux se remplissent de haine - non pas envers son amie, mais envers les responsable de cet acte odieux. Ce combat est pour moi, en est-elle persuadée.
― Ce n'est pas pour Spider-Man non plus. Ni pour toi. Vous êtes trop importants et occupés pour vous intéresser à une affaire comme celle-ci.
― Ne t'y mêle pas, demande Natasha sur un ton posé. Je te demande juste ça.
Demander, non. Ordonner, oui.
Le manque d'intérêt que fait preuve Natasha l'agace profondément. Ce ton hautain, elle l'a toujours détesté. Le même qu'elle utilisait quand elle sortait victorieuse de leurs nombreuses confrontations à la Chambre Rouge, ou quand elle l'appelait petite fille pour se moquer d'elle. Cette personne-là, ce n'est pas son amie. Il s'agit juste d'une prétentieuse qui aime rabaisser les autres pour se prouver elle-même - c'est ce qu'a pensé Yelena durant son enfance et adolescence.
Autant Natasha a changé, mais la femme qu'elle a connu en Russie est toujours cachée en elle. Elle peut l'enfouir au plus profond d'elle-même, faire croire qu'elle a changé, mais Yelena verra à jamais cette personne - autant que Natasha lit en Yelena.
― Ce sont des enfants ! se plaint-elle.
― Je ne t'aide pas à changer de vie pour qu'au premier vilain venu, tu fonces tête baissée dedans.
Encore ce ton. Yelena serre du poing pour ne pas fulminer en public. Pour cela, elle détourne le regard et fait semblant de regarder les voitures passer.
― Et c'est toi qui me dis ça. Tu es toujours une Black Widow à ce que je sache.
Yelena veut prouver de quoi elle est capable et qui elle est, aussi bien que Natasha a fait quelques années plus tôt. Elle ne peut pas rester les bras croisés face à ce tueur d'enfant. Ce serait contre ses principes et elle se sentirai coupable de ne pas s'être impliquée s'il y a encore des victimes. Peut-être qu'il s'agit de l'occasion rêvé pour découvrir sa véritable identité ?
― Là n'est pas la question. Tu m'as demandé de changer de vie, et cela en oubliant le combat.
― Je t'ai simplement demandé de m'aider à m'installer en Amérique, rectifie la blonde.
Et Natasha a tenu sa promesse. Elle la fait sortir de la Chambre Rouge, lui a trouvé un appartement, jusqu'à même subvenir à ses besoins si elle le nécessite. Sa mission est presque accomplie, mais Natasha se sent obligée de veiller sur la jeune femme qu'elle perçoit encore comme une enfant brisée.
Certes, en arrivant en Amérique, elle est devenue Black Widow aux yeux du monde. Pas une entre autres, mais bien la Veuve Noire. Contrairement à Yelena, elle était seule pour se construire une identité. C'est pourquoi elle a usé du nom que la Chambre Rouge a donné à ces filles entraînées, mais elle ne veut pas que Yelena fasse le même choix. Elle peut devenir qui elle le souhaite, apprendre à se connaître, pas se rattacher à cette vie passée à chaque fois qu'elle enfile ce costume. C'est avec ce nom que Natasha a été marquée au fer rouge, elle ne pourra jamais s'en débarrasser. Yelena en a l'occasion, et elle ne veut pas qu'elle fasse la même erreur qu'elle.
― J'avais confiance en toi. Je pensais que tu décrocherais de l'espionnage. Mais il faut croire que c'est encore trop tôt, conclue Natasha.
― Je vois juste le monde autrement que toi.
Le regard de Natasha prend une tournure plus empathique. Elle est attristée que Yelena ne prenne pas conscience de toutes les répercussions, son désir de vengeance est bien trop vivace.
― Tu n'es pas prête pour affronter ces personnes.
― Je le suis. Je l'ai toujours été. Si tu es venue ici pour me faire la morale, je n'en ai plus besoin, merci.
Natasha opine. Un léger soupir s'échappe de sa bouche.
― Je le sais, mais la Chambre Rouge est encore une période trop récente pour toi.
La gorge de Yelena se noue à l'entente du service russe qui les a élevé. Natasha a raison, je ne m'en suis pas encore remise, songe-t-elle, mais ce n'est pas pour autant qu'elle l'avoue à haute voix. Ses souvenirs la ramènent à la veille et elle s'arrête brusquement de marcher.
― Alexei est à New York.
Natasha s'arrête à son tour. Stupéfaite, elle se place en face de la blonde et ne peut s'empêcher de regarder autour d'elle si personne ne peut les entendre. Un vieux toc dont elle n'arrive pas à s'en débarrasser. Si le KGB est présent aux Etats-Unis, raison de plus de vérifier qu'elles ne sont pas surveillées
― Quoi ?
― Il est venu me voir à mon appartement. Il m'a menacé de me pourchasser si je ne revenais pas en Russie.
La colère de Yelena est remplacée par de l'effroi. Sa voix tremblante, elle évite une nouvelle fois le regard soutenu de Natasha mais par honte. Elles auraient dues être plus prudente, quitter une organisation d'état n'est pas si facile, songent-elles. Natasha se sent davantage coupable, elle devait se douter qu'ils enverraient Alexei en premier. Sa détermination et son amour pour Yelena sont un atout, en plus du fait qu'il la connaît comme s'ils avaient grandi ensemble. Face à une Yelena perdue dans un nouveau pays, sans repères, et apeurée, elle ne fera pas long feu face à ce qu'il représente.
― Calme toi. Je vais t'aider à régler la situation, lui promet Natasha.
Yelena cache sa main prise de tremblements dans sa poche.
― Ne te force pas à être si attentionnée envers moi.
― Je suis passée par là aussi, je sais ce que tu ressens.
Son changement d'attitude touche Yelena. Ses mots sont un énorme réconfort pour elle qui n'a jamais connu d'affection. Rassurée, elle se retient de ne pas la remercier d'avoir changé, d'être si bienveillante, et de ne plus se comporter comme une garce avec elle comme durant leur adolescence.
― Essaie déjà de ne pas te mêler de l'affaire de l'orphelinat. Avec Alexei, on ne sait pas à quoi s'attendre.
― Que vas-tu faire ? s'informe Yelena.
― Attendre. Alexei a reçu un entraînement similaire au nôtre, il ne se montrera pas. Il est trop malin pour laisser des traces afin qu'on le retrouve.
― Merci, Nat.
Cette dernière lui répond d'un sourire amicale.
― Tu veux qu'on aille dîner ensemble ?
Les pensées de la blonde se dirigent soudainement vers Felicia. Vérifiant l'heure, elle souffle en voyant qu'elle a encore le temps avant de la rejoindre, comme elles avaient prévu la veille.
― Non, désolé, ce soir je ne peux pas... Je rejoins ma voisine pour la soirée.
Un sourire malicieux se dessine sur les lèvres de Natasha. Elle contrôle néanmoins son rictus, ne pensant pas qu'il soit acceptable après sa discussion avec la jeune femme. Cependant, elle ne peut s'empêcher de se réjouir pour son amie. C'est la première fois dans sa voix qu'elle ressent de l'intérêt pour une personne. De plus, passer du temps avec quelqu'un en ce moment pour oublier ses problèmes est tout ce qu'il lui faut.
― Bonne soirée alors, Yelena.
Natasha lui fait un signe de la main avant de la traverser le trottoir et de disparaître dans une ruelle. De son côté, Yelena s'apaise en s'imaginant sa soirée avec sa voisine.
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