five
Les paupières lourdes, Yelena se réveille lentement. Encore fatiguée, les rayons du soleil qui traversent les volets l'empêchent de se rendormir. Elle se retient alors de râler en s'imaginant qu'il ne doit être encore que vers les huit heures à tout casser, ce qui ne lui a pas permis de dormir très longtemps après être rentrée très tard du club, ou plutôt tôt dans la matinée. Une douleur au crâne la surprend alors qu'elle se redresse dans le lit. Peut-être aurait-elle dû faire plus attention à sa consommation d'alcool hier soir, elle n'a fait qu'enchaîner les cocktails et les shots de vodka entre deux pas de danse. C'est un miracle qu'elle n'ait pas tout vomit pour soulager son estomac.
Elle prend son mal en patience et se découvre du fin drap blanc dans l'optique d'aller soulager sa soif et ensuite se rassasier. Son ventre commence à gargouiller, cela fait depuis hier midi qu'elle n'a rien avalé. Si elle continue de manger si peu et de dépenser autant d'énergie, elle ne tiendra pas très longtemps en aussi bonne forme. Cependant, au moment de se lever et descendre du lit, elle ressent quelque chose bouger à côté d'elle - ou plutôt quelqu'un.
En frottant ses paupières pour humidifier ces yeux, elle reconnaît le visage de Felicia enfouit dans ses longs cheveux bruns. Allongée sur le ventre, celle-ci est encore endormie profondément et ne réagit pas aux mouvements de Yelena. Le drap ne recouvre que le bas de son corps, laissant son dos dénudé tourné vers la blonde. Cette dernière ne peut retenir un léger sourire avant de se rappeler de la soirée passée ensemble. Elles se sont embrassées puis sont rentrées pour poursuivre leur soirée dans le lit de Felicia. Pour sa défense, c'est Felicia qui l'a embrassé en première. Yelena ne l'a pourtant pas repoussé, observant qu'elle était trop alcoolisée et trop naïve pour se douter que la seule chose qu'elle voulait d'elle, c'était fouiller dans ses affaires.
Fière d'elle, Felicia passe au crible le logement. Ce n'est qu'un studio identique au sien mais bien plus bordélique. Effectivement, c'est bien l'appartement de Black Cat. Sa tactique pour s'introduire chez l'anti-héroïne semble avoir porté ses fruits. Si elle ne devait que se baser sur son studio pour savoir si elle est bien cette femme qui a causé l'attentat à l'orphelinat, et bien plus de crimes d'après ce qu'elle a comprit par les policiers, elle penserait que non. Un membre important de groupe mafieux, voire la chef elle-même, ne vivrait pas dans un taudis pareil. Elle ne semble même pas prendre le temps de l'entretenir.
Souhaitant descendre du lit, Yelena manque de tomber alors qu'elle ne se souvenait pas qu'elles étaient dans un lit superposé - un peu petit mais parfait pour faire des câlins. Atterrissant agilement sur ses deux pieds, elle lève les yeux vers Felicia qui bouge pour tirer la couverture sur son corps mais qui ne s'occupe pas du bruit causé par la blonde. Aussitôt, Yelena commence ses recherches avant qu'elle ne se réveille, ce qui ne devrait pas prendre trop de temps car l'appartement est très petit.
Ce n'est sans difficulté qu'elle trouve le costume noir de Black Cat sous une pile de vêtements par terre. Vérifiant toujours que Felicia dort, elle inspecte la tenue dans tous ses recoins. Pas de sang, pas de déchirure, même pas froissé. Elle s'arrête alors sur ses gants où les griffes rétractables sont sorties. Elle les compare aux entailles sur les corps des enfants qui resteront à jamais dans sa mémoire et elles semblent correspondre. Pointues, elles pourraient trancher n'importe quoi avec une grande facilité, Yelena est même à deux doigts de se couper rien qu'en frôlant la pointe.
Yelena redouble de vitesse pour tenter de trouver une moindre trace de la substance verte, ce poison qui a tué très lentement les pauvres innocents. Si jamais elle en trouve, elle pourrait en finir avec elle pour soulager la police et éviter d'autres massacres. Elle verserait quelques gouttes de ce poison dans la bouche de Felicia pour qu'elle souffre autant que les orphelins, maintenant qu'elle dort paisiblement. De plus, c'est propre et elle ne laisserai aucune trace. Il lui suffira juste de trouver un autre appartement et s'enfuir à cause des témoins qui auraient pu les voir ensemble hier soir. Mais ça, elle sait le faire.
Cependant, aucune trace de poison. Juste des vêtements éparpillés au sol et dont les étiquettes encore présentes laissent penser qu'elle les a volé dans des boutiques de luxe. Même la tenue de Black Cat laisse croire qu'il ne s'agit que d'un costume d'Halloween. Il n'y a aucun indice ici qui pourrait l'inculper comme étant la femme qu'elle recherche.
― Salut.
Aussitôt, Yelena se retourne vers le lit en lâchant le costume sur le tas de vêtements. Felicia vient de se réveiller et baille, elle aussi encore fatiguée suite à leur soirée riche en émotions. Elle adresse un sourire à sa voisine, celle-ci mal à l'aise alors qu'elle pensait qu'elle était encore endormie, mais Felicia semble ne pas se préoccuper du fait qu'elle ait trouvé son costume.
― Excuse moi, je... bafouille Yelena.
― Ne t'en fais pas. Tout le monde connaît Black Cat, mais peu de gens savent que c'est Felicia Hardy.
Elle se penche vers le bord du lit pour récupérer un tee-shirt et l'enfiler, toujours recouverte par la couverture bien qu'elle ne soit pas pudique.
Yelena est soulagée en voyant qu'elle ne remarque pas qu'elle fouillait dans ses affaires, elle croit juste qu'elle est tombée par hasard dessus. Après, ce n'est pas compliqué à cause du bazar.
― Si tu veux partir en courant, ne te gêne pas.
Felicia poursuit par un petit rire, ce qui fait décrocher un sourire à Yelena. Celle-ci se redresse, l'air désolé.
― Par contre, si tu veux déménager parce que j'habite juste en face de chez toi, je me sentirais mal car tu viens juste d'arriver.
Si elle le dit, c'est qu'elle l'a déjà vécu. Ce n'est pas simplement dans les boîtes de nuit ou dans la rue que les gens la fuient. Avant l'arrivée de la russe, elle a eu au moins cinq personnes qui ont loué l'appartement et qui, finalement, sont partis, de peur de se faire cambrioler ou agressés. Ça arrange la jeune femme, comme ça son pallier reste calme, elle n'a personne pour l'embêter.
Elle ne s'est jamais occupée de ses voisins. Néanmoins, elle doit dire que Yelena attire son attention. Et puis après une aussi bonne nuit que celle-là, ça lui donne encore moins envie de voir sa jolie tête blonde s'en aller.
― Ce n'est pas des griffes qui me feront peur... avoue Yelena, non sans une pensée à celles qui ont causé la mort aux orphelins.
― Tant mieux. Les gens ont tendance à avoir peur de moi pour je ne sais quelle raison valable.
A présent habillée, Felicia descend du lit superposé en sautant, n'utilisant pas les quelques marches qu'elle n'emprunte d'ailleurs que pour monter ou lorsqu'elle est fatiguée. Maintenant que Yelena a apprit sa double identité, pourquoi cacher ses capacités ?
Elle reste debout à une certaine distance de sa voisine pour ne pas l'effrayer, même si elle ne semble pas en avoir l'air. Felicia préfère prendre ses précautions, surtout maintenant que Black Cat est perçue comme un assassin et non plus comme une simple voleuse.
― Je ne suis pas méchante au fond, tu sais. C'est juste Jameson qui a créé cette réputation de voleuse sans coeur, avoue-t-elle en riant avec autodérision.
La jeune femme pense à son ami de longue date, Spider-Man, qui, lui, a gagné le coeur des habitants de cette ville, bien que Jameson ne dise que des horreurs sur lui aussi. Felicia ne saura jamais expliqué pourquoi il est autant aimé. Il a juste des capacités surhumaines, comme elle. C'est peut-être à cause du costume ? Le rouge et le bleu doit mieux passé auprès des enfants que le noir complet de Black Cat...
Yelena baisse légèrement la tête, évitant le regard insistant de sa voisine qui guette ses réactions par rapport à son identité d'anti-héroïne. Elle prend un air moins sûr d'elle, toujours dans l'espoir de tromper Felicia pour plus d'aveux.
― Tu as tué Wilson Fisk... souffle-t-elle.
― Ouais. Je sais. J'en étais obligée, que tu veuilles le croire ou non.
Fisk. L'homme qui a transformé sa vie en cauchemar. Tout allait bien - enfin, plutôt - avant qu'il n'intervienne lorsqu'elle était en train de voler une toile, La Maria, d'une grande fortune au Metropolitain Museum of Art. Ce n'était que pour revendre l'oeuvre et aider son père avec ses lourds problèmes d'argent, mais le patron de la pègre l'a prise entre ses griffes. Elle a passé de longs jours enfermée et torturée par les hommes de Fisk, sans savoir si Spider-Man était encore en vie, lui qui avait tenté de l'empêcher de voler ce riche tableau dont le nom résonne encore dans leurs esprits. Aucun des deux se doutait de ce qu'il allait arriver.
Elle était juste au mauvais endroit au mauvais moment. Elle s'est fourrée dans une dangereuse bataille entre des groupes mafieux sans s'en rendre compte. Pour une action bienveillante en plus, ce qui est surprenant pour elle, mais dont personne n'est au courant à part son père et son ami Spider-Man. Et ça lui a failli coûter la vie, à elle, à Spider-Man et à son père qu'elle a mit en danger.
Mais ça a coûté la vie à cet homme qu'elle a dû assassiner pour protéger son père.
Pire encore. Fisk a transformé sa vie, son être profond. Il l'a transformé elle-même en quelque chose d'autre.
― Tu sais quoi ? ajoute-elle. Ce n'est pas moi qui l'ai vraiment assassiné, pas de mes propres mains en réalité. Spider-Man était avec moi sur ce coup, mais c'est moi qui ait voulu le faire.
Le choix le plus dur de sa vie, mais qui a sauvé ses proches et indirectement des centaines d'innocents. Elle se fiche de la reconnaissance, du fait que son acte soit métamorphosé en un attentat pour la population et qu'ils la haïssent encore plus qu'avant. Certes, ils sont heureux que le Caïd ne soit plus de ce monde, mais ils ne voient que le fait que Black ait assassiné - sans même savoir qu'elle avait déjà dû tuer quelqu'un à contre coeur avant. Si elle commence à tuer aujourd'hui, qu'en sera-t-il demain ?
Son esprit est soulagé maintenant que plus personne ne souffrira des mains du Caïd, mais elle est loin de se douter que son acte héroïque a entraîner d'autres souffrances et de nouveaux conflits entre les gangs de la ville. Si elle avait été au courant des conséquences, elle aurait moins agit avec ses sentiments, par ce besoin de vengeance qui l'avait envahi et cette peur qu'elle avait jamais connu auparavant.
― J'ai de lourdes séquelles depuis cette période. Je me reconstruis peu à peu... parce que tuer quelqu'un, même une personne qui le méritait, ça marque énormément.
La voix de Felicia se brise, mais elle garde la tête haute et l'air confiance devant sa voisine. Yelena comprend ce qu'elle ressent, même si ça fait depuis bien trop longtemps qu'elle ne ressent elle-même plus rien quand elle ôte la vie à quelqu'un. Elle se souviendrait toujours de sa première mission avec le KGB où on l'a forcé à tuer pour la première fois. Une balle entre les deux yeux, c'est rapide, mais l'image reste gravée dans la mémoire.
Continuant à parler, la jeune femme refoule ses larmes qui montent à force de se remémorer de cette période difficile.
― J'essaie même d'arrêter les vols depuis, c'est pour te dire, ajoute-elle avec un petit rire, mais je t'avouerai que ce n'est pas gagné ! Je crois que quand on vit dans quelque chose comme ça depuis trop longtemps, on ne peut jamais vraiment s'en débarrasser. C'est en nous.
Yelena, restée silencieuse jusque là, n'ose pas lui répondre. L'empathie, on ne lui a jamais apprit ce que c'était - même si a senti son coeur se briser en écoutant ses paroles.
C'est vrai, pense-t-elle par rapport à sa dernière phrase. Elle le voit elle-même alors qu'elle est venue à New York pour se débarrasser de ses démons du passé, mais, dès le premier jour, replonge dans l'espionnage. C'est en elle, elle ne peut le nier. Elle a été élevée dans le seul but d'assassiner pour le KGB, rien d'autre.
Soudain, elle se sent coupable d'avoir pensé que Felicia pouvait être cette femme qu'elle cherchait. Son but n'est clairement pas de tuer. Sa passion à elle, c'est le vol. Rien d'autre. Si elle a dû mal avec le fait d'avoir assassiné Fisk, elle est totalement incapable d'orchestrer un tel attentat. Se sentant mal d'avoir pu croire cela, elle baisse la tête puis recule de quelques pas vers la porte d'entrée.
― Excuse moi, je dois m'en aller...
Felicia ne réagit même pas le temps qu'elle passe la porte, se disant que le mieux est de lui laisser le temps, mais pas par rapport à la même chose.
La jeune blonde se mord la lèvre inférieure. A-t-elle vraiment cru pendant un moment que Felicia pouvait être la femme derrière cette histoire ? Maintenant, elle est sûre qu'elle peut avoir confiance en elle, Felicia ne lui a rien caché. Elle est bien plus ouverte que moi... songe Yelena. Elle n'a pas su contenir ses émotions, c'est sa profonde tristesse et colère qui ont parlé à sa place et l'ont fait croire ceci. En tout cas, cela lui a permit de s'amuser la veille dans le club, elle a passé une des meilleures nuits de sa vie.
Il ne lui faut que cinq pas pour traverser le couloir et se rendre chez elle. A cette heure matinale, personne n'est debout, à part les jeunes enfants qui doivent aller à l'école et qui braillent à l'étage du dessus. Leurs cris se font facilement entendre à cause de la mauvaise isolation, et, bien qu'elle adore les enfants, elle ne pourra pas longtemps supporter ce raffut si elle se fait réveiller tous les jours à cette heure.
La porte de son appartement grince après qu'elle ait introduit la clé dans la serrure. A ses souvenirs, elle était plus dure à manier, mais tant mieux pour elle, elle n'aura pas à aller chez un voisin demander un dégrippant. Les yeux baissés sur ses clés, elle ferme délicatement la porte derrière elle et jette son trousseau sur la petite table en bois à l'entrée, juste à côté du pistolet et de son chargeur laissé en évidence. Peut-être imprudent si le propriétaire du logement souhaite venir pour réparer le robinet qui fuit ou le coin de la fenêtre cassé - ce qui est très peu probable. Cependant, à cet instant, cela l'arrange énormément.
Elle le brandit à une vitesse fulgurante et charge son arme en seulement une petite seconde - une vitesse affolante même pour les meilleurs agents de la planète. En deux secondes, elle est tournée vers l'homme qui se tient au plein milieu de son appartement, le visant et prête à lui tirer dessus.
― Yelena, quel plaisir de te revoir, intervient-il avec un léger accent.
N'ayant aperçu qu'une silhouette en entrant, elle prend le temps d'inspecter son visage pour voir à qui elle a à faire. Il lui faut bien plus de temps pour être sûre de bien reconnaître la personne que pour charger son arme. Elle reçoit alors comme un coup de poing dans le ventre. Une peur incommensurable l'empêche de contrôler ses émotions, elle ressent même ses poils se hérisser sur sa nuque. Jamais elle n'a connu une telle frayeur.
Bien qu'il ne soit pas armé, la russe ne baisse pas son pistolet. Elle a dix balles, suffisamment pour le toucher au moindre mouvement. Etant lui aussi un agent du KGB, il est tout autant entraîné qu'elle. Dans un combat face à face, elle n'a pas sa chance face à sa forte carrure. Yelena ne peut compter que sur sa vitesse.
― Alexei... qu'est-ce que tu fais ici ?
Son coeur bat de plus en plus fort. Elle sait ce qu'il vient faire ici, elle veut simplement l'entendre de sa propre bouche. S'il est là, c'est que le KGB sait où la trouver. Elle n'est plus en sécurité, elle est en sécurité nul part sur Terre. Même morte, ils viendront chercher son cadavre pour l'enterrer en Russie.
Comment a fait Natasha pour se débarrasser d'eux ? Cela avait l'air si facile. Pourtant, Yelena est terrifiée.
― Baisse ton arme, voyons.
Yelena ne bouge pas d'un centimètre. Gardant son arme pointé devant elle, elle tente de dissimuler ses tremblements ainsi que sa voix moins confiante de ce qu'il connaissait d'elle. Si Alexei la découvre si apeurée que ça, alors qu'elle a grandi en apprenant d'avoir peur de rien, il profiterait pour s'en prendre à sa faiblesse. Et voici que Yelena a encore plus peur de ce qui peut arriver. La dernière fois qu'elle a eu aussi peur, c'était lors de son séjour de quatre mois au cachot avec sa claustrophobie.
Le jeune homme semble calme, voire même très calme pour la situation. Il a les bras croisés, loin d'avoir peur du fait qu'elle pourrait appuyer sur la détente à n'importe quel moment et le tuer. Il connaît bien la blonde, ils ont travaillé ensemble sur de nombreuses missions depuis des années. Bien qu'ils ne sont pas jusqu'à être amis, il a assez confiance en elle. Yelena devine tout de même le type d'arme qu'il cache sous son tee-shirt par la légère bosse sur son ventre. Il ne lui faudra pas plus de deux secondes aussi pour la sortir mais il n'en faudra qu'une à Yelena pour tirer.
― Je ne la baisserai pas avant que tu me dises qu'est-ce que tu viens foutre chez moi !
― Chez toi ? répète-il avec un rire. Ta maison est en Russie, tu le sais bien.
A l'époque, Yelena s'arrangeait plutôt bien avec lui - en tout cas, plus qu'avec Natasha. Elle n'a jamais voulu le tuer ou même le blesser, mais elle n'allait pour autant pas vers lui pour se confier. Elle le trouvait gentil, un peu trop innocent et sensible malgré sa grande maîtrise en arts martiaux et en maniement d'armes. Elle l'a déjà vu tuer de sang froid mais elle ressentait en lui une certaine blessure qu'elle n'a jamais su vraiment distinguer.
Le seul grand défaut qu'elle peut faire ressortir de sa personnalité, est son grand attachement à la patrie et au KGB. Ceux-ci ont d'ailleurs usé de sa naïveté pour le faire intégrer leurs rangs et en faire une machine à tuer, sachant qu'il croirait à leurs mensonges et les obéirait à tout moment. Autrement dit, un parfait soldat. Yelena s'est toujours dit qu'il tuait pour les rendre fiers - même si ça le brise intérieurement -, comme elle-même voulait rendre fière Madame B, mais elle n'en a jamais été certaine. Jamais elle n'a osé lui en parlé.
Au KGB, c'est chacun pour soi. Les attachements sentimentaux, c'est pour les faibles.
― Non, ça c'est ce que le KGB veut nous faire croire, répond-elle. C'est eux qui t'envoient, c'est ça ?
― Pas totalement. Je suis ici pour te ramener.
― Je vais devoir refuser.
Il avance avec prudence de quelques pas en avant. Yelena continue de le menacer avec son arme bien que cela ne fonctionne pas vraiment. Elle recule elle aussi de quelques pas jusqu'à sentir la porte dans son dos.
― Arrête ton charabia. Nous devons continuer ce que nous avons commencé, poursuit-il.
― Continuer quoi au juste ? Quelque chose à laquelle nous avions été forcés tous les deux ?
― Ne fais pas ton innocente. Tu es partie juste au moment où le KGB a officialisé notre mariage.
Les battements de coeur de Yelena frappent ses côtes, à tel point qu'elle croit tomber dans les pommes d'une seconde à l'autre.
Elle avait tenté d'oublier ça. Leur mariage arrangé, ou plutôt forcé, devait se tenir le mois prochain. Heureusement pour elle, sa fuite a fait changé les plans du KGB. Ils doivent mettre les bouchées doubles pour la retrouver et la ramener en Russie à temps pour qu'elle épouse Alexei Shostakov.
― Je n'ai jamais voulu ça.
Le jeune homme poursuit son avancée vers elle et s'arrête juste en face. Baissant légèrement son arme mais pas sa garde, Yelena ne le quitte pas des yeux. Une des règles les plus importantes qu'elle a apprit à la Chambre Rouge, est qu'il ne faut pas jamais perdre de vue son adversaire, encore moins lorsqu'il s'agit d'un agent des services secrets sur-entraîné.
Lorsqu'il lève sa main pour la poser sur le bras de la blonde, celle-ci pose le bout de son pistolet sur son ventre, qui n'est même pas protégé par un gilet par-balles.
― Ne bouge pas, menace-t-elle en détachant ses mots.
Dissuadé d'effectuer le moindre geste, Alexei hausse un sourcil et recule d'un pas.
― On est obligé de le faire, renchérit le russe. Et ce n'est pas ton départ qui va l'empêcher.
― C'est juste un mariage pour créer une alliance entre les services secrets russes. On se croirait au Moyen-Age, c'est juste une question de pouvoir ! Il n'y a aucun amour là-dedans !
Pour elle, c'est clair. Elle ne l'a jamais aimé comme cela.
Pour lui, c'est plus compliqué. Il a développé quelques sentiments pour elle au fur et à mesure des années, et ceux-ci ont augmenté exponentiellement lorsqu'il a su qu'il allait devoir l'épouser. Après tout, comment ne pas succomber au charme de la blonde ? Sa chevelure blonde s'accorde parfaitement avec son teint et ses yeux bleus sont hypnotisant.
Il a toujours eu une certaine faiblesse mentale, et le KGB l'a bien cerné. C'était le candidat parfait pour épouser la meilleure Black Widow. Ils ont façonné ses sentiments envers elle, les ont envoyé ensemble sur des missions, les ont rapproché petit et à petit. Leur relation a été déterminée du début jusqu'à la fin. Leurs supérieurs ont tenté de faire la même chose pour elle, mais Yelena est plus difficile à atteindre. Ça n'a jamais aboutit. Ils ne pouvaient alors compter que sur sa capacité à obéir pour que ce mariage s'effectue sans encombres. Malheureusement, le côté rebelle de la blonde s'est réveillé et elle s'est enfuie avant. Elle ne s'imagine pas dans quelle pagaille elle a mit le KGB à son départ.
― Et alors ? réplique Alexei. On est tous les deux les meilleurs agents russes, tu ne peux pas nier que c'est une bonne idée !
― Il t'ont mit cette idée dans le crâne...
― C'est à quoi on était destinés ! Et tu le savais en ayant grandi à la Chambre Rouge, tu savais ce qui allait se passer ! La patrie avant tout, dois-je te rappeler ?
La patrie avant tout, lui répétait-on à la Chambre Rouge. La patrie avant tout. La patrie avant tout.
Et le bonheur dans tout ça ?
― Putain, on parle d'un mariage, là ! Si jamais on doit suivre leurs ordres, on n'en aura jamais finit avec le KGB ! Ils contrôleront nos faits et gestes jusqu'à notre mort !
― Mais c'est notre boulot, Yelena !
Ton boulot, rectifie-t-elle. Elle a abandonné le KGB, elle a sacrifié son ancienne vie d'espionne, tout ce dont elle a connu pour avoir sa propre vie à elle. Même son nom appartient au KGB, Yelena Belova restera à jamais l'espionne russe, une Black Widow, et cela parce que les services secrets le veulent. Là-bas, ils ont le droit de vie et de mort sur chaque personne. Ce mariage, c'est le pacte signé avec le Diable. Après, ils n'auront plus aucune chance de pouvoir se défaire du KGB - déjà qu'ils n'en ont aucun dès lors qu'ils ont commencé à travailler avec eux.
Alors qu'ils ont haussé leurs voix, Yelena décide de répondre plus calmement pour ne pas attirer l'attention de ses voisins par cette dispute.
― Tu ne veux pas de libertés, toi ?
― Je suis libre. Contrairement à toi. Regarde, tu es enfermée entre quatre murs.
Alexei tend ses bras pour lui montrer son studio. Quatre pauvres murs dont le papier peint se détache par endroit et où l'humidité s'attaque. En préparant son départ pour les Etats-Unis, elle était loin de s'imaginer une vie si pitoyable en arrivant dans ce pays qui fait tant rêver. Elle s'imaginait une villa, pouvoir se faire de l'argent facilement, vivre paisiblement, sans quiétude, et elle se retrouve dans un appartement de même pas vingt mètres carré. Et encore, elle a de la chance d'avoir un appartement contrairement à d'autres immigrés.
― Si tu ne me rejoins pas, toute ta vie tu nous fuiras. Tu crois que c'est une vie libre, ça ? Le KGB sera toujours derrière chacun de tes pas, même à l'autre bout de la Terre. Et moi je ne cesserai jamais de te chercher. Alors rejoins moi, ou la prochaine fois qu'on se verra, ça ne se passera pas aussi gentiment.
Le regard insistant de Alexei pèse sur elle. Baissant son arme le long de son corps, elle se décale de la porte d'entrée pour qu'il sorte.
― Je prends le risque.
Le jeune homme hoche la tête de bas en haut, acceptant sa décision même s'il ne comprend pas pourquoi elle veut partir du KGB. Il se dirige vers la porte d'entrée et l'ouvre pour se rendre sur le pallier, mais il s'arrête une dernière fois face à la russe.
― Tu peux toujours me rejoindre, je n'ai pas envie de te combattre.
Sa main tendue vers Yelena, cette dernière ne réagit pas. Elle n'ajoute rien de plus, sa décision est prise et ce n'est pas lui qui la dissuadera de quitter sa nouvelle vie à New York. Lorsqu'il passe la porte, elle la referme immédiatement. Puis, elle regarde à travers le judas pour vérifier qu'il s'en va, comme si elle avait peur qu'il restait sur le pas de sa porte.
La panique prend à nouveau Yelena bien qu'il soit à présent parti. Elle se laisse glisser au sol contre la porte et met ses mains sur son visage. Des sanglots montent mais elle se retient en frottant ses yeux avant que ses joues soient inondées de larmes. Pourquoi cet effroi soudain ? Changer d'environnement a aussi apporté la découverte de ses émotions, qu'elle a été obligée d'effacer toute sa vie. La peur, la colère, la tristesse, elle ne les avaient aperçues que vaguement ces dernières années. Sa froideur disparaît peu à peu, la rendant plus humaine qu'elle pensait pouvoir l'être, mais ce changement dans sa vie l'angoisse au plus profond de son être.
Elle reste ainsi que longues minutes à méditer sur sa vie passée. Elle s'est toute sa vie raccrochée à son passé, à ses parents, à son enfance arrachée. Son futur semblait flou pour elle, elle ne savait pas où le lendemain allait l'emmener, vers quoi elle se dirigeait pour les prochaines années. Maintenant qu'elle a un avenir prometteur et qu'elle se concentre sur lui, voici que ses démons du passé resurgissent. Tous ses projets de vie s'effondrent à cause du retour du KGB.
― Merde ! s'exclame-t-elle.
De colère, Yelena balance son arme à feu à travers la pièce après avoir enclenché la sécurité. L'objet percute le plancher dans un bruit sourd. La jeune femme prend une grande inspiration et expire lentement, ressentant l'air qui passe à travers tout son corps et s'expulse. Natasha lui a apprit à faire ça pour canaliser ses émotions, elle qui n'arrive pas à contrôler son impulsivité.
Après quelques inspirations, le calme revient. Son envie de pleurer a disparu, sa peur s'apaise pour l'instant. Yelena se relève et ouvre sa porte d'entrée pour aller appeler Natasha. Vaut mieux la prévenir de la situation, songe-t-elle, elle saura que faire et comment m'aider. Bien sûr, elle préférerait ne pas la prévenir et gérer ses problèmes toute seule, comme une grande fille, mais elle a un mauvais pressentiment si elle ne la contacte pas. Pourtant, ce n'est pas le courage qui lui manque. Elle veut lui prouver qu'elle est capable de changer de vie, mais elle n'est pas encore habituée à cet environnement.
Yelena se relève et sort sur le pallier. Elle a remarqué un téléphone en libre service à côté des escaliers, comme dans les anciens immeubles. Peut-être ferait-elle mieux de s'acheter un téléphone portable, ce qui serait bien plus pratique que sortir une pièce de sa poche à chaque fois qu'elle doit passer un coup de fil. Elle se remémorise alors du numéro de Natasha pour l'appeler, bien que sa main tremble lorsqu'elle va insérer sa monnaie dans la borne.
Un claquement de porte la fait sursauter en même temps. Lâchant sa pièce par surprise, elle est rassurée en voyant que ce n'est que Felicia qui sort de chez elle. Cette dernière se baisse pour récupérer la pièce qui a roulé jusqu'à ses pieds, puis la tend à sa voisine, silencieuse. Yelena ne la quitte pas une seule seconde du regard. Est-elle en colère contre moi ? J'ai mal agis, aussi...
― Merci... répond en récupérant sa monnaie.
La brune lui répond d'un brève sourire avant de se diriger vers les escaliers en marche rapide. Le coeur de Yelena manque un battement. Elle s'en veut encore pour son attitude, pour être partie sans rien dire alors que sa voisine a été franche avec elle - ce qui n'a pas été son cas.
Au dernier moment, la blonde s'élance vers la rampe d'escaliers et se baisse légèrement pour regarder Felicia qui a descendu à peine un étage.
― Felicia, attends !
Cette dernière s'arrête et lève la tête vers Yelena qui la rejoint en moins de deux avant qu'elle ne continue son chemin.
― Oui ?
― Je suis désolée pour tout à l'heure, d'être partie comme ça.
Touchée par ses excuses tandis qu'elle ne lui en voulait pas, un sourire s'affiche sur son visage.
― Non, ce n'est pas grave. C'est moi qui suis désolée, je n'aurais pas dû te parler de tout ça. Ça se comprend que tu as été apeurée sur le coup.
Felicia monte à son tour de quelques marches vers Yelena. Avec toujours son sourire aux lèvres, sa réaction rassure Yelena qui s'attendait à être rejetée. Un soulagement réchauffe son coeur affaibli depuis le retour de Alexei.
― Pour repartir sur de bonnes bases, je serais sûrement demain soir aux fêtes foraines au nord de la ville, poursuit Felicia. Tu pourras m'y trouver, si tu veux. Enfin, seulement si tu veux traîner avec Black Cat.
― Je verrais en temps voulu.
Son sourire trahit sa réponse. Yelena baisse la tête et se mord la lèvre inférieure pour dissimuler sa joie naissante, tandis que Felicia ne prend pas la peine de le cacher.
― Parfait. A plus tard, alors !
Adressant un salut de la main à sa voisine, Felicia descend les marches aussi rapidement que précédent, mais d'une façon guillerette.
À nouveau seule, la peur de Yelena s'est évanoui. Elle oublie l'idée que le KGB la recherche quelques instants en regardant Felicia s'en aller. Un nouveau sentiment de joie, mêlé à du réconfort et de l'enthousiasme se réveille en elle.
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