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Chapitre 8

Dimanche, Ben est toujours sur les rotules, donc c'est encore Jake qui assure le service. Celui-ci connaît très bien l'équipe parce qu'il a travaillé ici avant de devenir entraîneur chez Cardio Max. Danika m'a révélé qu'il a dû abandonner ses études très tôt pour subvenir aux besoins de sa famille. Un père mourant ? Une mère malade ? Je ne suis pas au courant de tous les détails, en revanche, je suppose que c'est la raison pour laquelle il enchaîne les petits boulots.

La soirée étant plus calme que celle d'hier, je termine à l'heure convenue. Dehors, la pluie s'abat sur moi. J'enfile la capuche de mon sweat pour protéger mes cheveux, or, je doute que ce soit efficace. L'arrêt de bus est à quelques mètres d'ici, je serai trempée de toute façon. Je soupire avant de me mettre à courir, puis m'immobilise brusquement lorsqu'un vieux mustang noir s'avance dans la ruelle perpendiculaire à la mienne. Ses phares m'aveuglent. Je tremble de tout mon être à cause de la pluie, mais pas que. Les battements de mon cœur s'accélèrent, je me sens comme dans un film d'horreur. La voiture roule vers moi tranquillement, comme pour me faire peur, et freine à quelques centimètres de moi. La fenêtre côté conducteur s'abaisse, alors que je suis toujours pétrifiée.

— Ça va ?

Jake. Mes épaules se relâchent, le nœud dans mon estomac se dénoue et je respire à nouveau.

— Qu'est-ce que tu fais là ? l'interrogé-je à mon tour, parvenant enfin à distinguer son visage.

— Je rentrais. Ne reste pas sous cette pluie, dit-il en ouvrant la porte côté passager pour m'inviter à entrer.

J'hésite une seconde, puis finis par abdiquer. Mes vêtements sont trempés et mes membres gelés. La chaleur de la voiture me fera le plus grand bien.

Pendant que je prends place sur le siège, Jake monte la température et se penche vers l'arrière pour récupérer une couverture qu'il me tend.

— Merci.

— Ce n'est rien.

Son sourire a quelque chose de réconfortant.

— Où est-ce que je te dépose ? me demande-t-il après avoir repris la route.

— Euh... Il y a un petit restaurant ouvert la nuit, près de chez moi. J'attendrai que la pluie s'arrête pour rentrer.

Jake me lance un regard suspicieux. Je conçois qu'il trouve étrange que je ne veuille pas lui donner mon adresse, cependant c'est une façon de nous protéger tous les deux. Moins il en sait, mieux ce sera.

— D'accord, mais seulement si tu acceptes de manger avec moi. J'ai la dalle.

Un nouveau sourire balaie l'inquiétude sur ses traits. Je réfléchis à sa proposition une seconde avant que le grognement de mon ventre ne brise le silence.

— Je prends ça pour un oui !

— Ce n'est pas un rencard, précisé-je.

— Pas encore, mais ça viendra.

Le clin d'œil qu'il m'adresse me fait lever les yeux au ciel. Il est si sûr de lui. À moi de lui prouver qu'il a tort.

Quelques minutes plus tard, Jake se gare devant le dîner.

Nous nous installons sur une banquette près de la fenêtre et une serveuse nous sert à boire après nous avoir tendu les menus. Un silence gênant s'immisce entre nous alors qu'on se retrouve seuls de nouveau.

— Ils font les meilleurs burgers que j'ai jamais mangés ! m'exclamé-je, voyant la serveuse revenir tandis que mon compagnon a toujours les yeux rivés sur la feuille devant lui.

— Dans ce cas, deux burgers, ce sera !

La grande brune repart avec nos commandes. Je m'apprête à parler quand son téléphone sonne. Ses sourcils se froncent.

— Désolé, je dois répondre, annonce-t-il en se levant pour mettre de la distance entre nous et prendre l'appel.

D'ici, je remarque un sourire chaleureux se dessiner sur son visage. Ses épaules se relâchent, Jake a désormais l'air plus détendu. Il discute, rit. Je me demande à qui il parle. Je crois lire les mots « Je t'aime » sur ses lèvres juste avant qu'il ne raccroche. Un certain malaise s'empare de moi. Est-ce qu'il a une copine ? Est-ce qu'il joue avec moi simplement parce qu'il sait que je vais le rembarrer de toute façon ?

Mon cerveau me répète que je n'ai aucune preuve de ce que j'avance, puis un seul sourire de sa part suffit pour apaiser ma conscience.

— Alors, où en étions-nous ? me questionne-t-il en s'asseyant.

— La serveuse ne tardera pas à revenir avec nos commandes, réponds-je sur un ton neutre.

— Et si on discutait en attendant ?

Tous les muscles de mon corps se crispent. Je n'ai pas envie de subir un interrogatoire du genre : « d'où tu viens et qu'est-ce que tu fais ici ? ».

— Relaxe, je ne cherche pas à savoir tous tes petits secrets.

J'affiche un sourire crispé. Le fait que Jake sache que j'ai des secrets ne me rassure pas du tout, pourtant, je le crois quand il affirme vouloir respecter mon intimité.

— Et si on parlait de toi ?

— Il n'y a pas grand-chose à raconter. Je suis né à Charleston. Mes parents habitent toujours la maison de mon enfance alors que je vis en colocation avec mes meilleurs amis.

— Tu m'as dit qu'ils allaient à l'université, c'est bien ça ?

Il opine du chef.

— Et toi, pourquoi est-ce que tu n'étudies pas avec eux ?

Ses traits se tendent, ses épaules s'affaissent. Je peux lire l'embarras sur son visage. Il n'a pas envie d'en parler.

— Ça, c'est une longue histoire, répond-il, les yeux baissés. Et toi, ça fait longtemps que tu habites dans le coin ?

Il relève la tête alors qu'un nouveau sourire ourle ses lèvres. Son changement d'attitude me laisse perplexe.

— Environ deux ans. Mes parents sont décédés, alors je n'ai plus vraiment de famille sur qui compter.

Mon ton est monotone. J'ai raconté cette histoire tellement de fois que les mots franchissent ma bouche de façon presque automatique.

— Ça ne doit pas être facile de se retrouver seule, dit-il sur un ton désolé.

Sauf que je ne suis pas seule. En tout cas, pas vraiment...

— J'ai Kyle, mon meilleur ami. Ça me suffit, ajouté-je en haussant les épaules.

— Le mec de l'autre soir ?

Je hoche la tête.

— On s'est rencontrés lors des auditions l'année dernière et, depuis, on ne s'est jamais lâché.

— Je comprends, réplique-t-il les bras croisés en reposant son dos contre le dossier de la banquette. C'est pareil avec mes potes, on se serre les coudes.

— Ils m'ont paru plutôt...j'hésite. Charmants.

— Je sais qu'ils ne t'ont pas fait bonne impression au début, mais ce sont des mecs bien, les défend-il. Ils ont été là pour moi alors que ma propre famille m'a tourné le dos. Et lorsque le père d'Aiden a acheté la maison, il m'a permis d'y habiter sans payer de loyer.

Je suis attendrie par son histoire. Je les ai probablement jugés trop vite. Jake n'est pas non plus le macho que je m'étais imaginé. Ça devrait me servir de leçon. En revanche, il y a un détail qui me chicote. Toujours cette question d'argent. Il a deux emplois, peut-être même trois, et il n'a pas besoin de payer le loyer, alors pourquoi ?

Durant l'heure qui suit, on discute de tout et de rien. On apprend à se connaître sans jamais trop en dévoiler. Si j'ai des secrets bien gardés, il y a des choses que le jeune homme n'est pas prêt à révéler non plus.

— La pluie s'est arrêtée, déclaré-je, regardant par la fenêtre à ma gauche. Je ferais mieux de rentrer.

Pendant un instant, je crois l'entendre soupirer. Je n'ai pas envie de partir, moi non plus. Pourtant, il le faut. Il se fait tard et j'ai cours demain.

— Tu es sûre que tu ne veux pas que je te dépose ?

Serait-ce une façon détournée de passer plus de temps avec moi ?

Quoi qu'il en soit, je ne peux pas me permettre cet écart de conduite. Je tiens à ce que mon domicile demeure secret.

— Certaine. Merci pour le repas. À un de ces jours ! lancé-je en enfilant mon manteau.

— À bientôt.

Son ton est énigmatique. Pendant que je regagne la sortie, il reste debout près de la table, sa veste sur le dos. Je peux sentir le poids de son regard jusqu'à ce que je sois complètement hors de sa vue.

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