Lyra

Avec l'aide de Maddie, je place les plats et les ustensiles dans le lave-vaisselle, puis sors les gâteaux lorsqu'ils sont prêts.

— Qu'est-ce que tu veux faire maintenant ? lui demandé-je lorsque nous avons terminé.

— De la peinture !

— D'accord. Où est ton matériel ?

— Dans ma chambre. Tu veux la voir ?

— Ta chambre ?

Elle hoche la tête, tout sourire. Ses tresses commencent à se défaire et elle a de la farine dans le cuir chevelu.

— Je veux bien !

Elle me prend la main et me guide en haut des escaliers. Au même moment, Jake sort de la salle de bain, une serviette autour de la taille. De la fumée s'échappe de la pièce alors qu'il secoue ses cheveux pour les sécher. De fines gouttelettes d'eau glissent de ses mèches sur son torse nu. La vision qu'il m'offre est idyllique. Je bave. Littéralement.

Le temps, qui semblait suspendu, reprend du service. Tout autour de moi se remet en mouvement. Maddie tire sur mon bras pour que je la suive et son père lève la tête, un rictus amusé au coin de la bouche.

— Ma puce, laisse-lui le temps de reprendre ses esprits. Elle est sur le point de faire un malaise.

La petite pince les lèvres et se tourne vers moi sans comprendre.

— Tu ne te sens pas bien ?

Jake rit dans sa barbe tandis que je roule des yeux. Il finit par poursuivre son chemin vers sa chambre et ferme la porte, non sans m'adresser un clin d'œil coquin. Il fait chaud tout à coup.

— Je vais mieux, on peut y aller, dis-je à l'enfant.

Elle ouvre la porte. J'ai l'impression d'être dans un véritable conte de fées. Un petit lit à baldaquin se trouve au centre de la pièce, la tête de lit contre le mur du fond. Une cabane en forme de château figure à l'extrémité gauche et des dizaines de jouets y sont éparpillés. À droite, il y a une immense maison de poupées en bois. Les murs sont peints en rose pâle et les rideaux sont blancs.

— Wow ! soufflé-je. C'est magnifique !

— C'est papa et tonton Aiden qui ont décoré.

Elle a des étoiles plein les yeux en observant la pièce.

— Tu l'aimes beaucoup, ton papa, n'est-ce pas ?

— Je l'adore ! J'aimerais être avec lui tout le temps, mais il dit que je ne peux pas, sinon il aura des problèmes avec Mamie et Papi.

Elle s'assied sur le bord de son lit, les pieds dans le vide.

Je voudrais lui poser plein de questions, cependant je réfléchis avant de poursuivre, ne voulant pas la contrarier.

— Ils sont gentils avec toi, tes grands-parents ?

Elle hoche la tête tout en serrant un ours en peluche qui se trouvait prêt des oreillers. Quant à moi, je suis toujours debout dans le cadre de la porte.

— Ils sont gentils, mais ils ne jouent pas avec moi. Papa dit que c'est parce qu'ils sont trop vieux.

Je pouffe.

— Moi, je crois que c'est parce qu'ils pensent à maman et que ça les rend tristes. Mamie pleure souvent en regardant sa photo.

Mon cœur se serre.

— Elle te manque, ta maman ?

Un bruit provient du couloir. Il est si subtil que Maddie ne l'entend pas, or je sens le regard de Jake sur moi. Il se cache, attendant la réponse de sa fille.

— Oui.

Ses iris se voilent de tristesse. Malgré son jeune âge, elle comprend que sa mère est partie pour toujours.

— Je lui parle parfois, tu sais.

En biais, je remarque que Jake se raidit.

— Comment ça ? demandé-je, confuse.

— Dans mon lit, le soir, je lui raconte ma journée.

— Au téléphone ?

Je croyais qu'elle n'avait plus de contact avec elle.

— Non, je lui parle, c'est tout, répond-elle en haussant les épaules.

Je comprends qu'elle lui parle comme elle le ferait avec un ami imaginaire. Ça semble soulager son père, dont le corps se détend immédiatement. Quand je me tourne vers lui, je lis toutefois de l'inquiétude sur son visage. Ça ne dure qu'une seconde avant qu'il ne remette son masque d'impassibilité pour entrer dans la chambre.

— Et si on regardait un film tous les trois ? propose-t-il en me sondant du regard.

L'ambiance lourde de la pièce devient plus légère. Jake s'approche de sa fille pour la chatouiller et des éclats de rire se répercutent dans mes oreilles.

— Lyra, aide-moi ! crie Maddie.

Joueuse, je marche vers le brun et pose mes doigts sous ses aisselles pour le chatouiller à mon tour. Il se tourne sur le dos, permettant à Maddie de se libérer de son emprise et de se joindre à moi. À nous deux, nous réussissons à reprendre le dessus jusqu'à ce qu'il s'avoue vaincu.

— Ça va, ça va, vous avez gagné ! se plaint-il, les bras levés en signe de défaite.

— Oui ! s'exclame la petite sur un ton vainqueur.

Je lui tape dans la main, puis Jake nous attrape pour un câlin collectif, me faisant tomber à la renverse d'un côté tandis que Maddie est de l'autre. Il nous offre à chacune un baiser sur le front. Je me sens comblée. J'aimerais que le temps s'arrête ici et maintenant afin d'être dans ses bras pour toujours.

***

En fin d'après-midi, au moment où le film se termine, la porte s'ouvre à la volée. Jake, Maddie et moi nous tournons, surpris, pour trouver les amis de Jake dans l'entrée.

— Si ce n'est pas ma nièce favorite ! s'exclame Aiden en déposant son sac de hockey sur le sol et en écartant les bras afin que Maddie s'y blottisse.

Elle ne se fait pas prier et accourt aussitôt vers lui.

— Tonton Julian ! s'exclame-t-elle en se dirigeant vers ce dernier par la suite.

Elle fait de même avec Dominique et Mason alors que les garçons se réjouissent de la voir. Je me souviens que la dernière fois que Jake a eu sa fille pour le week-end, ils étaient en déplacement. Visiblement, ils se sont tous ennuyés de la petite.

— Bonjour, Lyra ! me salue Aiden.

— Hey ! Ça va ?

— Ça pourrait aller mieux. On a perdu 3-2 en prolongation, m'explique-t-il avec une moue déçue.

— Je suis désolée.

— Ça fait partie du jeu.

— C'est bien beau tout ça, mais moi j'ai la dalle ! On commande une pizza ? propose Julian.

Tout le monde acquiesce. Il s'occupe de passer commande tandis que Aiden se rend à la cuisine.

— Les mecs, il y a du gâteau ! s'exclame-t-il.

— Pas touche, rétorque Jake, c'est pour le dessert. C'est Maddie qui les a faits, alors c'est à elle de décider qui peut en manger.

— Tu ne dirais tout de même pas non à ton oncle préféré ? demande-t-il en nous rejoignant dans le salon.

Maddie pouffe, mais il ne s'arrête pas là ; il lui fait des yeux suppliants dignes du chat potté. Elle chuchote à l'oreille de son père, qui lui répond à voix basse. Je n'entends pas leur conversation, en revanche, j'en devine le sujet quand la petite enchaîne :

— Et qu'est-ce que j'obtiens en échange ?

Alors là, ça devient intéressant !

Jake m'adresse un rictus amusé. Je pince les lèvres pour ne pas rire.

Aiden semble décontenancé par sa question.

— Les gars, la petite me fait du chantage, j'ai besoin d'aide !

Ils rappliquent aussitôt et se consultent pour trouver la meilleure monnaie d'échange. L'enfant arbore un sourire fier et son père lui offre un clin d'œil moqueur. Une fois qu'ils se sont tous entendus, la sentence tombe.

— En échange, on accepte de se faire peindre les ongles d'orteils.

— C'est trop peu, renchérit Jake. Je suis sûr que vous pouvez faire mieux !

— Bon, O.K, ceux des doigts aussi, abdique Dom.

— Et...? poursuit Jake.

— On accepte de se faire coiffer et maquiller. Tu es content ? réplique Mason.

Satisfaite, Maddie tape dans la main de son père, puis déclare :

— O.K. Vous pouvez manger du gâteau !

Les garçons se réjouissent intensément, ce qui fait rire la petite.

— Mais ! intervient Jake en levant l'index alors que les garçons se dirigent vers l'objet de leur convoitise. Ce sera seulement après la pizza ! En attendant, vous devriez aller vous doucher, je peux sentir vos pieds d'ici ! N'est-ce pas, Maddie ?

Elle fait semblant de renifler et pousse un cri :

— Beurk ! C'est vrai que ça sent mauvais !

Tout le monde rit de bon cœur avant que les amis de Jake ne s'éclipsent à l'étage.

— Tu veux rester pour le souper ? me demande Jake alors que nous sommes toujours dans le salon.

— Je ne veux pas abuser de ton hospitalité.

— Tu peux abuser de moi tant que tu veux ! déclare-t-il en bougeant ses sourcils.

Son jeu de mots fait mouche : j'éclate de rire.

— Blague à part, je ferais mieux de rentrer avant que la nuit tombe.

— Tu peux dormir ici, si tu veux.

Mes yeux passent de lui à la petite.

— Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. Merci quand même pour l'invitation, je me suis bien amusée !

— Moi aussi, admet-il, joignant subtilement ses doigts aux miens tandis que Maddie est obnubilée par la télé.

J'attends que les garçons reviennent dans le salon pour partir, profitant du fait que nous sommes seuls dans l'entrée pour embrasser Jake. Ses lèvres m'avaient manqué.

— Je n'ai pas envie que tu partes, me glisse-t-il à l'oreille après s'être éloigné.

— Pourtant, il le faut.

— Peut-être qu'un jour, ce ne sera plus nécessaire...

Je rêve ou il entrevoit la possibilité de vivre avec moi ?

Mon cœur fait des saltos dans ma poitrine. Je suis si heureuse avec lui que j'en oublie tous mes soucis. Malheureusement, je déchante vite lorsque j'arrive chez moi et que je trouve mon appartement sens dessus dessous.