Grâce aux explications de Sean et de Shirley, Sirius réussit à se repérer dans Londres les jours suivants. Il écuma tous les squares mais dut se rendre à l'évidence : il n'existait pas de square Grimmaurd. Un instant, il s'était demandé s'il ne se trompait pas et si le square ne portait pas ici un autre nom. Au gré de ses recherches, il dénicha une place qui ressemblait au lieu où il avait grandi. Mêmes bâtiments, même petit jardinet un peu mité au centre. Il fit le tour des portes à côté desquelles étaient suspendues des chiffres. Il remarqua que l'endroit avait dû être plus reluisant ; ça et là, la peinture s'écaillait, les numéros pendaient de guingois, parfois. Des vitres semblaient fêlées. Et surtout : aucun numéro douze. Bien entendu, il savait que les Moldus ne pouvaient pas deviner l'habitation de sa famille, celée par une magie puissante. Cela pouvait signifier qu'il n'était plus un sorcier et que la maison existait pourtant...

Il passa et repassa devant les édifices mais, finalement, s'avoua vaincu.

Pas plus que les pirates de Sean, ces habitations n'avaient de sens pour lui.

Tout de même, il devait se poser la question essentielle : avait-il encore une once de magie en lui? Il ne la sentait plus. Depuis son réveil dans cet hôpital, il ne lui avait pas semblé être en mesure d'effectuer un quelconque sortilège. Même sans baguette, il aurait dû, pourtant. Il pensait que cette incapacité était due à son long sommeil – le coma. Mais il en doutait de plus en plus.

Il jeta un regard ; personne n'était en vue. Les lieux lui paraissaient déserts. Il respira un grand coup, visa son esprit, pensa à un sort basique et esquissa un geste.

Rien. Recommença.

Toujours rien, même pas ce frémissement qui annonçait le début de quelque chose, quand il ne maîtrisait pas encore la magie, étant enfant. 

Oh, par Merlin ! Qu'était-il donc devenu ? Un Moldu ?

Il se mit en marche, perturbé par cette pensée, reprit le métro, machinalement. Il fit les mêmes gestes que les autres Moldus sans même réfléchir. Il pensait à ce que Sean lui avait expliqué, au sujet des recherches, du « monde virtuel », de l'Internet et toutes ces choses fascinantes.

Alors qu'il remontait les marches de la sortie du métro,  la sensation de froid le saisit à nouveau.

Glacé , il eut la sensation de gouttelettes sur sa peau. La vision terrifiante d'une mer démontée surmontée par des ombres titanesques envahit son champ de vision. Il se raccrocha à la rampe de l'escalier du métro pour reprendre son souffle. 

— Vous allez bien, monsieur ? Lui demanda une passante.

--- Oui... Il se tut, reprit son souffle avant de repartir. Il hésitait à poursuivre sa chasse aux souvenirs. Allons, il percevait quelque chose; là,  sous-jacent. Une autre pensée. D'autres paroles. D'autres sentiments. Tellement plus agréable, chaleureux. Cette fichue mémoire abîmée!

On  l'invitait à intégrer un... groupe. L'Ordre de ...quelque chose. On comptait sur lui. C'était ... Dumbledore ? Sirius s'arrêta net, les tempes en feu. Albus Dumbledore, le vieux directeur ? Deux images se superposaient dans son esprit : l'une était celle d'un sorcier malin mais honnête, ouvert d'esprit, cachottier mais se positionnant en faveur des Moldus. L'autre était nettement plus sombre, celle d'un fourbe qui s'était très tôt rallié à la magie noire, un sorcier avide de pouvoir qui avait basculé dans l'outrage, qui avait trahi et causé bien des pertes. Il avait mené un double-jeu pendant très longtemps, ralliant des partisans parmi ses propres élèves et semant la terreur par la suite.

Quel était ce micmac ? Il ne pouvait pas y avoir deux Dumbledore ? Il ne comprenait rien. La nausée menaçait. 

Marcher dans les rues de Londres aurait dû lui remettre les idées en place mais non, c'était tout le contraire qui se produisait.

 Sirius refit une halte. Il espérait qu'il ne s'était pas perdu. Il entendit alors les bribes d'une chanson que diffusait un petit magasin non loin : « London calling to the faraway towns/Now war is declared and battle come down/London calling to the underworld/Come out of the cupboard, you boys and girls ».

Il connaissait cet air sans savoir ce que c'était ni quel en était le titre.  Il devait se rappeler mieux que ça !
Il leva la tête. Un homme d'une bonne soixantaine d'années sortit de la petite échoppe. Il tira un étrange ustensile de la poche de sa chemise en jean. Sirius le regarda faire tandis qu'il le portait à ses lèvres. L'autre finit par le regarder.

— Ouais, je sais, dit-il en secouant ses nattes argent avec une sorte de dégoût dans la voix tout en brandissant l'accessoire. C'est pas fun, le vapotage ! Mais j'tiens pas à crever du cancer non plus, mec ! Avec c'truc-là, j'limite les dégâts, pas vrai ?

Il le fixa de ses yeux perçants, d'un brun profond. Sirius recula en hochant la tête. Il avisa les planètes en pendentif autour du cou du type.

Un air de Dumbedore, décidément. Et les deux visions du directeur se remirent à flirter à la limite de sa mémoire. Il s'enfuit quasiment dans la rue.

— Et bah, fit le type. C'est bien la première fois que je fais cet effet-là...

A moitié en courant, Sirius arriva au pied de l'immeuble, de retour chez Shirley. Il grimpa les étages et frappa à la porte de l'appartement, la tête brouillée. Le soir allait tomber.

— Tu es de retour ? Lui lança Shirley en lui ouvrant, sans paraître étonnée de le voir haleter comme s'il avait couru le marathon.

Il faillit tourner les talons, se reprit. L'appartement l'accueillit de son air douillet. Pour un peu, il allait s'écrouler de bien-être.

— Désolé, je n'ai rien rapporté, si tu avais besoin, pour le repas, marmonna-t'il.

Il se fit l'effet d'être un parfait salaud, de ne pas aider. Et il réalisa que ce n'était sûrement pas la première fois qu'il agissait ainsi. Il se dit qu' il avait fait pire, bien pire ! Un tourbillon le saisit. Il se retint au linteau de la porte, pris de vertiges.

— Mais, chéri, ce n'est pas grave ! Je t'ai dit qu'on allait t'aider, Sean et moi ! et le dîner, je... Oh, ça ne va pas ?

Des paroles sifflèrent alors dans l'esprit de Sirius. Terribles. Accusatrices.

" File, va-t'en, dégage, Sirius Black, c'est ça, fuis donc comme le lâche que tu as toujours été ! C'est la dernière fois que je te fais entrer chez moi, dans mon lit, dans ma vie ! Fous le camp ! J'ai mieux à faire avec... » 

Un cri. Un long sanglot suivait dans sa tête.

La nausée monta en lui. Il se précipita dans la pièce, égaré puis gagna la chambre de Sean. Il vacilla et s'écroula sur le lit. Shirley poussa un cri et se précipita vers son téléphone.

12, Square Grimmaurd