― Je sais que quelque chose ne va pas, Felicia.

Walter Hardy fixe intensément sa fille. Installé sur le canapé, le père de famille a préparé deux chocolats chauds pour compenser la fraîcheur de la maison. Felicia s'emmitoufle dans une couverture marron comme lorsqu'elle était encore sous la protection de son père. Cela lui rappelle les soirées d'enfance passées en famille, lorsqu'elle se trouvait avec ses deux parents vivants. Ils s'asseyaient sur le canapé et jouaient à des jeux de société, ou alors ils regardaient un film, généralement une bonne comédie. Mais ce bonheur familial s'est écroulé lorsque Walter est parti en prison.

Certes, elle lui en a beaucoup voulu. Tandis que Walter voulait se rattraper, se faire pardonner l'enfance gâchée de sa petite fille, Felicia l'a quelques temps repoussé. Son adolescence a été la période la plus compliquée. Alors qu'il revenait de prison, la famille a été touchée de plein fouet par la disparition de Madame Hardy. Le manque de sa mère a été très douloureux - et l'est toujours autant. La petite famille était sur le point de s'écrouler entièrement, avant que Walter ne reprenne les choses en main et prouve à sa fille son amour.

― Tu as beaucoup changé depuis ta disparition.

― C'est si évident ? ricane-t-elle.

― Felicia... Tu me caches des choses, tu viens moins souvent me voir. Sans compter que tu ne commets plus aucun vol et que tu es accusée de meurtre...

La jeune femme cache son visage derrière sa tasse en buvant sa boisson lorsqu'il nomme ses crimes. Un meurtre ? Jamais elle n'en aurait commit avant sa rencontre avec Wilson Fisk, jamais elle n'aurait poussé cet homme de cette fenêtre, jamais elle ne se sentit capable de tuer quelqu'un. Oui, elle vole pour se sentir meilleure, supérieure, mais voler la vie d'une personne, qu'elle soit innocente ou non, est loin d'être jouissif selon elle. Ce sont des horreurs, rien de plus. Ce n'est pas elle, le patron de la pègre l'a totalement métamorphosé...

Devenant légèrement pâle, elle ne veut pas montrer à son père ce qu'ils ont changé en elle, ce que le Caïd l'oblige à faire et lui avouer que ses agissements sont pour le bien de sa dernière famille. C'est bien trop difficile d'admettre la vérité, surtout à Walter qui a toujours voulu le bonheur de sa fille. Cela pourrait lui faire beaucoup de mal, alors qu'il a déjà vécu bien trop d'épreuves dans sa vie.

― Parle moi, je t'en supplie... Je ne veux pas te perdre non plus...

Le cœur de Felicia se serre à ses paroles. Elle tourne la tête, ne voulant pas affronter le regard insistant de son paternel, et tombe sur la photographie de famille sur la commode. Ses yeux s'arrêtent quelques secondes sur le visage de sa mère défunte dans un silence attristant. Alors qu'elle retient ses larmes qui montent, son père pose une main sur les siennes pour la réconforter. Elle repose alors sa tasse et lui fait un sourire forcé pour montrer que tout va bien, alors qu'au fond, la jeune femme est brisée.

― Tout ce que je fais c'est pour ton bien, papa. Fais moi confiance.

― Comment puis-je me sentir bien et en sécurité alors que les hommes du Caïd me surveillent jour et nuit ?

Le regard de Felicia se tourne instinctivement vers la fenêtre. À l'extérieur, elle aperçoit au loin un véhicule assez bien cachée dans une allée, mais tout de même évident pour ses yeux de lynx. La brune fronce les sourcils alors que la colère monte, se promettant qu'ils seront les prochaines personnes sur qui elle fera jouer sa malchance.

― J'étais aussi un criminel, Felicia, je sais reconnaître ce qui est suspect...

À nouveau triste, la jeune femme baisse la tête, penaude. Elle était venue chez son père pour avoir des nouvelles et un peu de réconfort, mais cela part presque en leçon de vie. Même à vingt ans, il continue à lui donner des leçons, comme à ses dix ans.

― Je t'en pris, laisse tomber ces hommes, oublie le Caïd. Ne travaille plus pour lui !

― Ce n'est pas ma faute, j'y suis obligée, avoue-t-elle.

Felicia évite le regard de son père comme si elle était la cause de ses soucis, comme si c'était sa faute à elle et non au Caïd. Elle se sent terriblement coupable, mais de quoi ? Voler ? Tuer ? Agir pour le Caïd ? Mentir à son père ? Ne pas pouvoir le protéger ? Elle énumère toutes ses fautes qui sont pour la plupart dû à Fisk, mais qu'elle croit en être la cause.

Walter, qui se doutait de la vérité mais qui ne voulait pas y croire, vient serrer sa fille dans ses bras. Il la berce, tel une enfant, ce qui fait monter les larmes aux yeux de la brune. Elle renifle silencieusement pour ravaler ses larmes, mais quelques-unes viennent envahir ses joues.

― Ta mère serait fière de toi, sincèrement. Elle t'aimait de tout son cœur.

Ses paroles déchirent un léger sourire sur le visage de la jeune femme. Elle ferme doucement les yeux, pensant à sa mère - et à son manque dans sa vie. Si elle était là, tout aurait été différent. Walter n'aurait sûrement pas ses problèmes d'argent, Felicia ne serait pas devenue Black Cat, ils seraient heureux, sans artifices. Ils auraient réussi à garder la tête haute, tous les trois, bien qu'ils auraient perdu de belles choses arrivées dans leur vie. Elle n'aurait peut-être jamais rencontré Spider-Man, et donc partager cette relation si particulière, mais elle s'en ficherait. La vie de sa mère passe avant tout.

― Tout va s'arranger, promet-elle.

Encore un mensonge.

Elle quitte plus tard son père, le cœur battant. Passant pas très loin des hommes du Caïd, Felicia grogne en leur jetant un regard noir. Sa tentative de les impressionner s'inverse lorsqu'ils lui montrent leurs armes en pointant du doigt la maison de son père, ce qui dissuade la jeune femme rapidement. Je vous jure que je vais vous tuer, se retient-elle de leur lancer. Si vous le touchez, je ferais en sorte que tous vos proches ne vous revoient plus !

Felicia fait un rapide détour chez elle pour manger un sandwich et enfiler sa tenue de Black Cat. Aucune nouvelle de Fisk, elle peut faire tout ce qu'elle désire pour l'instant. C'est ainsi qu'elle ressent sa liberté, oubliée depuis de longues semaines, en traversant les toits de New York. C'est un sentiment de bonheur absolu, de supériorité, le vent dans ses cheveux, le sol des dizaines de mètres plus bas, la ville à perte de vue. Tout le monde souhaiterai être aussi libre que cela, elle en profite donc au maximum pour se changer les idées et oublier tous les soucis qu'elle a.

La brune secoue la chevelure blonde platine de sa perruque. Ses mèches se balancent avec le vent plus fort à cette hauteur qu'en bas. Soudainement, la jeune femme se retourne brusquement vers une silhouette qui vient d'arriver sur le même toit.

― Tu veux encore que je tombe de si haut ?

Felicia sourit au jeune héros qui vient la rejoindre. Il s'approche d'elle, gardant une distance de prudence qu'elle remarque immédiatement. Son cœur se serre légèrement mais elle ne montre pas ses vraies émotions en lui adressant un sourire. N'ayant pas l'habitude de cette distance entre eux-deux, alors qu'elle souhaite toujours être au plus près de lui, cela la trouble. La jeune femme hésite à avancer d'un pas vers lui, mais elle se fige au dernier moment pour ne pas le brusquer. Leur dernière rencontre à son appartement a dû le troubler...

― Je suis désolée, souffle-t-elle.

― Je sais.

Felicia reste quelques instants à le fixer droit dans les yeux. Ainsi, elle se sent à découvert, comme un livre ouvert. Spider-Man peut ressentir ce qu'elle ressent intérieurement, lire ses pensées ou comprendre tout ce qu'il se passe dans sa vie. Cette sensation dérange la jeune femme qui lui tourne le dos. Le héros baisse tristement la tête, brisant le silence qui s'est imposé entre eux.

― Je sais que tu as peur du Caïd.

À ses paroles, Felicia laisse échapper un léger rire. Évidemment, il effraie tout le monde... songe-t-elle. Il la menace en utilisant son père, lui qui a su se racheter et qui est à présent encore en danger à cause de sa fille... Black Cat est sous son emprise, et elle ne sait pas comment s'en défaire, ni comment sauver son pauvre père.

― Parce que toi il ne te fais pas peur ? ironise-t-elle.

― Il ne m'a pas fait subir ce qu'il t'a fait alors oui, il me fait moins peur.

Tout à coup, le héros s'approche d'elle d'un pas décidé et attrape la main de la jeune femme. Cette dernière la retire, ne s'attendant pas à ce geste, mais il la serre fortement pour la retenir. Felicia est surprise de ce contact, lui qui veut rester à un distance raisonnable d'elle, comme s'il ne voulait passer une autre étape dans leur relation.

― Je t'en pris, laisse moi t'aider, la supplie-t-il. Je ne supporte pas te voir comme ça, toute seule...

― J'ai toujours été seule, Spidey.

― Oui mais pas pour supporter des situations si compliquées que maintenant.

Il avait raison. Felicia baisse la tête, se répétant intérieurement qu'elle se débrouille bien seule, mais elle sait pertinemment qu'elle nécessite au plus vite de son aide.

― Je ne sais même pas exactement ce qu'il m'arrive, alors comment toi tu peux m'aider ?

― Par tous les moyens possibles.

Felicia lève son regard vers le jeune homme. Attendrie par ses douces paroles, elle se mord la lèvre en réfléchissant, mais elle ne peut refuser sa proposition. Elle manque cruellement d'aide, ne serait-ce que pour savoir comment contrôler ses pouvoirs, cette mutation qui lui a été offerte sans souhait...

Finalement, elle hoche positivement la tête avant de la laisse glisser vers le jeune homme qui s'est rapproché. Elle pose délicatement son front contre le sien, en fermant les yeux pour se calmer quelques instants. Ils se serrent de plus en plus fort la main, pour ne pas se quitter à nouveau. Peter ressent avec le comportement de son amie le manque d'affection qu'elle éprouve. Il voit très bien qu'elle souffre moralement d'être seule, de devoir supporter cela. C'est un soulagement autant pour Felicia que pour Peter de se retrouver si proches, ne serait-ce quelques secondes. La blonde voudrait rester ainsi toute la journée, alors elle tente de l'enlacer pour plus de proximité - et aussi prouver sa reconnaissance envers lui.

― Merci... Merci pour tout... murmure la jeune femme.

Peter passe ses bras autour d'elle, heureux de voir qu'elle se dévoile un peu plus avec lui et qu'elle lui fait confiance. Après tout le temps qu'on se connaît, il était peut-être temps, remarque silencieusement Peter.

― Alors tu acceptes ?

― Oui...

Spider-Man retient de sauter de joie. Enfin, la première fois qu'elle accepte son aide, après tant d'années. Il s'agit d'un nouveau cap, comme dans un réel couple.

― Explique moi ce qu'ils t'ont fait.

Felicia prend une grande inspiration avant de commencer son récit. Elle débute par l'opération lorsqu'elle a été enlevée par le Caïd, l'homme qui s'est tué dans la cellule - ou qu'elle a tué ? - quand elle s'est réveillée, jusqu'au jour où ses pouvoirs ont malencontreusement touchés Spider-Man. Ses explications font remémorer des souvenirs à la jeune femme qu'elle aurait préféré oublié. Cela se ressent avec sa voix fébrile et son chuchotements par moments, pour éviter de ne pas éclater en sanglots. Devant elle, le héros écoute attentivement les moindres détails, même les plus inutiles. Elle ne s'est jamais sentie aussi en confiance avec quelqu'un d'autre que son père qu'à cet instant.

― Le contrôle des probabilités en ta faveur, donc... réfléchit Peter.

― Tu penses que ça se contrôle, ce genre de capacité ?

― Comme toute mutation.

Spider-Man se lève d'un bond après s'être assit pour écouter le récit de son amie. Il se met face à Felicia, celle-ci qui voit bien qu'il a une idée derrière la tête. Elle comprend immédiatement où il veut en venir lorsqu'il lui fait signe de s'approcher.

― Non, fait-elle. Je ne veux pas faire ça !

― Pourquoi ? Le meilleur moyen de savoir est de s'entraîner !

Felicia bascule la tête en arrière, soupirant longuement. Alors qu'elle allait lui répondre "non", elle ressent une pression sur son épaule qui la fait tituber d'un pas en arrière. Se rattrapant agilement, la jeune femme fronce les sourcils. Elle remarque une toile lancée par le héros, qu'elle déchire avec les griffes de son costume.

― Bas toi, allez, s'exclame-t-il. Montre ce que tu as dans le ventre !

Felicia serait prête à parier que le jeune homme sourit sous son masque. Cela ne la dérange pas, car elle aussi esquisse un sourire, légèrement amusée. Sans prendre d'élan, elle s'élance alors sur son ami afin de le plaquer au sol. Ses talons cognant le sol activent le sixième sens de l'araignée, prévenant Peter qui a le temps d'esquiver, malgré la vitesse de la jeune femme. Cette dernière le rattrape avec ses griffes, évitant tout de même de déchirer son costume. D'après leurs nombreuses aventures passées ensemble, Felicia a bien remarqué les nombreuses fois où le tissu de son costume rouge et bleu a été arraché.

Peter profite qu'elle tente de le rattraper pour empoigner le bras de la jeune femme. Ainsi, il serre fortement son bras droit en posant sa seconde main sur l'épaule de la blonde. De cette manière, il arrive à bloquer son membre, mais ce n'est pas ça qui va arrêter Felicia. Celle-ci se serre de ses membres inférieurs afin de faire basculer le jeune homme - et ainsi se libérer de son emprise. Il la lâche bien, mais il ne tombe pas et en profite pour tisser des fils vers son amie. Elle se retrouve à nouveau bloquée, avec son pied entouré de toiles d'araignées au sol.

― Tu ne sais faire que ça ? rajoute Peter en plaisantant.

Felicia commence à s'agacer alors qu'elle déchire les toiles collées autour de son pied. Lorsqu'elle est enfin libérée, elle se jette avec un sourire sur Peter. Dans la vitesse de son saut, elle ressent son agacement monter en flèche, suivi d'une puissance indicible. Connaissant ce sentiment - celui qu'elle a lorsqu'elle utilise ses nouvelles mutations -, Felicia se bloque immédiatement. Tentant de s'arrêter avant de toucher le héros, afin de lui faire aucun mal, elle essaie de dévier son corps en une fraction de seconde. Cependant, cela est trop tard et elle tombe sur Spider-Man, avec cette onde de puissance qui ne demande qu'à sortir et tourner les probabilités en sa faveur, contre le héros.

Felicia grimace en serrant du poing, voulant retenir ce sentiment incontrôlable. Elle en vient même à oublier Peter qui ne réagit pas à ses réactions. Pour lui, ils sont toujours dans leur petit combat. Alors, il tisse de nouvelles toiles vers elle, qu'elle déchire avec ses griffes ou qu'elle esquive agilement. Souhaitant simplement se concentrer sur ses pouvoirs qui veulent apparaître, elle s'arrête une seule seconde.

Cependant, Spider-Man poursuit et tisse une nouvelle toile en direction de la jeune femme. Celle-ci vient la bloquer au niveau de son ventre, et avec la puissance, Felicia est propulsée en arrière, cognant le rebord du toit. Ce mouvement lui fait perdre le minimum de contrôle qu'elle avait sur ses pouvoirs, la permettant de les garder en elle. Une onde invisible, mais lui procurant un sentiment de puissance intense en elle, s'échappe de la jeune femme pour se diriger vers Peter. Ce dernier n'a pas le temps de comprendre d'où vient l'alerte de son spider-sens qu'il est touché par la malchance de Black Cat.

― Spidey ! hurle Felicia pour le prévenir.

Le jeune homme ressent une chaleur soudaine à ses poignets. En levant ses mains devant lui, il remarque quelques étincelles sur les appareils qui lui permettent de fabriquer et jeter ses toiles si importantes pour le super-héros. Il ne lui faut pas plus d'une seconde pour les enlever et les balancer au sol. La seconde qui suit, les appareils se détruisent dans une petite explosion, comme un problème du mécanisme banal, mais qui aurait pu coûter de sacrés dégâts aux mains de l'Homme Araignée.

― Waouh... souffle Peter en reprenant les appareils grillés et inutilisables.

De son côté, Felicia se délivre des dernières toiles, perturbée par la dangerosité de ses mutations, et de ce qu'elle aurait pu faire au jeune homme. S'il n'avait pas été aussi réactif, il aurait pu perdre ses mains de sa faute... Voyant la peur sur son visage, Peter se rapproche d'elle et pose ses main sur ses épaules, afin de la rassurer.

― Tu vois, c'est pour ça que je vais t'aider à contrôler tes pouvoirs.

Il relève la tête de la jeune femme avec le bout de ses doigts. Elle lui adresse un léger sourire, reprenant peu à peu confiance en elle. Elle sait qu'elle peut avoir confiance en lui, qu'elle ne peut rien lui cacher. Ils seront toujours là l'un pour l'autre, quoi qu'il arrive.

― Merci pour tout, Spidey.

Ils restent quelques minutes sur le toit, avant de partir à nouveau vivre leur vie, chacun de leur côté.