Mission 69 : vaincre la haine
Dans l'ascenseur, Mika, Daniel et Cathy sont soudain secoués par de forts soubresauts. Ils s'accrochent à ce qu'ils peuvent, ou à celui qu'il peut dans le cas du manager. Lorsque la cabine cesse de trembler, les lumières se coupent.
La terreur les gagne tous les trois, attendant le pire... qui ne vient pas. Ils sont bloqués quelque part autour du 10e étage.
— Putain ! C'est quoi encore ce bordel ? peste, Mika.
— Rien de grave j'espère, lâche Daniel en serrant la mâchoire.
Cathy ne dit rien, allume son téléphone et appelle Vincent. Ce dernier la rassure en lui apprenant que l'évacuation est pratiquement terminée. Toutefois, il lui fait remarquer que le gratte-ciel est... « bizarre » dans une ambiance menaçante : la même sensation que lors d'un couvre-feu.
Dans le noir, ses amis ne voient pas sa mine déconfite.
Elle raccroche, tremblante. Il faut s'attendre à tout maintenant : ils sont aveugles sur la situation réelle dans la tour, littéralement. Cathy ignore ce qui se passe, mais la sensation rampante que quelque chose d'horrible se trame autour de la faille saisit son esprit dans un frisson glacial.
« On doit sortir de là ! On doit sauver Corporate ! » prie-t-elle.
Une lueur s'illumine doucement dans un coin de la cabine. Par réflexe, les trois amis reculent. Spectrale, une forme se dessine avant de ressembler vaguement à une femme.
Le cœur de Cathy s'emballe en la reconnaissant.
Mika se met devant eux prêt à en découdre, quand elle l'apaise en retenant son bras. Daniel ne comprend pas non plus ce qu'il se passe, mais, ne ressentant aucune agressivité provenant de l'apparition, reste calme.
Le fantôme tend une main vers les portes de l'ascenseur qui s'ouvrent dans un claquement brusque. La sortie ressemble à un couloir plongé dans le noir. À l'autre bout, une lueur bleutée, qui se rapproche, de plus en plus : le chemin vient à eux.
Daniel reconnaît le –0.5 où reposent les ruines de la maison, et au milieu la petite silhouette de Gehlal qui ne semble pas être seul. L'ange se met à courir, suivi de Mika qui le poursuit. Cathy lance un regard au fantôme qui lui effleure le visage.
Avant de disparaitre, Cathy à l'impression que la mère lui offre un dernier et doux sourire. Puis, sans attendre, elle part rejoindre ses amis.
Gehlal tourne la tête et voit Daniel arriver et se jeter à son cou. C'est probablement la chose qui le surprend le plus dans cet univers. Oui, plus même que ce qui se passe à quelques mètres de lui : Carl est à genoux au milieu des ruines, le visage entre les mains, semblant souffrir le martyre.
Mika bondit sur lui, tenant fermement sa batte, quand une étrange vague noire et poisseuse jaillit de l'avocat pour le rejeter avec une force surhumaine. Gehlal soupire en secourant la tête de dépit tandis que Daniel se précipite vers son compagnon.
— Ne vous approchez pas ! hurle Carl.
« Tu souhaites que je sorte ? Tu veux être libre ? »
Carl ne répond pas à cette voix insidieuse, trop occupée à ressentir ces vrilles mentales, telles des lames, qu'on entre et extirpe de son cerveau. Le tourment est atroce : cauchemardesque.
« Alors, désire le plus FORT ! »
— SORS DE MA TÊTE !
Cathy n'a pas le temps d'arriver qu'une fumée charbonneuse s'échappe de Carl qui lâche un cri de douleur faisant frémir tous les témoins. Gehlal prend des notes malgré le souffle brusque qui émane de la scène et empêche quiconque d'approcher. Des ombres émergent des ruines, jaillissant de l'Immensité, et plongent la pièce dans la pénombre.
La tour se met à trembler dans une violente secousse. Gehlal inspecte son application pour voir que tous ses calculs perdent totalement la boule, ou le nord : le résultat reste le même.
Les ténèbres se résorbent sur une silhouette formée par la fumée de Carl : elle s'en nourrit, et prend corps dans cette tempête de noirceurs, pour adopter l'aspect d'un homme que tous reconnaissent ici : Al.
Où tout du moins une version cauchemardesque avec un sourire sardonique, des yeux d'une obscurité abyssale où aucune galaxie ne brille. Sa chevelure, ébène, flotte légèrement et le bout de ses doigts est griffu.
Adonis prend une profonde inspiration, tel un nouveau-né arrivant en ce monde.
— C'est donc ça exister ? murmure-t-il regardant ses mains puis le corps inerte de Carl au sol, Brave garçon.
Il se sent grisé par la sensation d'être entier, tangible. Respirer, bouger, où il le veut, aller tourmenter qui il veut pour se « nourrir ». Ne plus être coincé dans un seul esprit : la vraie liberté.
Tous sont troublés, sauf Gehlal qui compulse encore des notes en l'inspectant des pieds à la tête. Adonis se tourne vers l'assistance et voit une jambe de métal arriver droit sur sa mâchoire. Il tombe à la renverse.
Jamais il n'a ressenti la douleur physique. La sensation est forte, ça le fait rire. Un rire si macabre qu'il résonne sur chaque mur de l'étage. La jeune femme se jette sur lui pour l'assaillir au sol.
— Disparais ! crie-t-elle.
Déjà par le passé, Cathy s'était défendue contre une image démoniaque de Al. C'est donc sans aucun remords qu'elle n'hésite pas à le frapper à nouveau. Mais tout ce qu'elle obtient c'est un rire macabre.
— Comme si c'était possible ma chère, il agrippe ses poings, mais vous devriez cessez : sinon je crains fort que vos amis ne soient victimes de quelques désagréments.
La lueur des vestiges vacille quelques instants.
— Il puise dans la faille ! crie Gehlal.
Mais sa mise en garde arrive trop tard : d'une force qui la surpasse, Cathy est repoussée d'un geste et sa tête heurte un rebord des fondations. Etourdie, les alentours se mettent à tourner avec des étoiles devant ses yeux.
Soudain, le sol se transforme en sable mouvant à l'extérieur du carré de ruines de la maison : le cauchemar en a assez de ces vermines.
— Ce fut fort divertissant, dit le monstre en se relevant, mais je pense que le monde extérieur le sera davantage.
Daniel, Gehlal et Mika sentent leur corps sombrer dans la boue noirâtre que sont devenues les dalles. Le manageur, peste, se rapproche de son compagnon en lui tendant un bras. Mais ils s'enlisent désespérément.
Le cauchemar lève une main, et Cathy s'élève dans les airs accompagnés de volutes de fumée. L'impuissance saisit les tripes de chacun. La jeune femme, encore étourdie, flotte ensuite vers la créature. Adonis sourit comme un démon affamé en imaginant tous les tourments qu'il peut lui faire vivre, et revivre, en boucle en plongeant ses yeux dans les siens.
Mais c'est sans compter sur l'intervention inespérée d'un individu, qu'on ne s'attend pas forcément à voir réagir autrement que pour lui-même.
Non pas Gehlal, ce dernier barbotte dans la boue noire en tenant son carnet le plus haut possible.
Quelqu'un plaque Adonis depuis le flanc, comme le ferait un bon rugbyman de 1re ligne, lui faisant relâcher Cathy. Surpris, le cauchemar sent sa tête écrasée au sol par une main.
— Ce n'est pas parce que je t'ai donné la vie que tu dois tout te permettre comme lui ! vocifère Carl.
Adonis se met à rire, mais d'irritation cette fois. Il est agacé par ces cafards et puise à nouveau dans la faille pour prendre une apparence plus effrayante.
Carl recule en observant la peau de son monstre devenir un cuir épais et gris. Des cornes lui poussent sur le haut du crâne, et ses yeux infernaux le toisent depuis des pupilles vertes fendues.
— C'est comme ça que tu considères ton frère n'est-ce pas ? Un démon !
L'homme est tétanisé par cette vision qu'il voyait souvent dans ses cauchemars. D'une immense main, Adonis saisit la tête de Cathy à ses pieds, et se lèche les lèvres.
— Je me demande ce que ça fait de dévorer quelqu'un, littéralement, dit-il en ouvrant une gueule béante qui décroche sa mâchoire.
Alors que rien ne semble pouvoir l'arrêter, l'impuissance rongeant leurs entrailles, tous entendent un bruit sourd. Venant du plafond, à l'aide d'une corde et d'un harnais rose, Al lui tombe dessus.
S'ensuit une rixe à mains nues où Adonis a clairement l'avantage. Daniel, Mika et Gehlal tentent désespérément de sortir de leur bourbier. Mais le manager, qui bouge sans cesse, se retrouve déjà pris jusqu'au cou sous l'œil terrorisé de son compagnon. Gehlal soupire, il aurait adoré déchiffrer tous les mystères de l'Immensité avant de disparaitre de cette façon.
Carl rampe le plus loin possible en tirant Cathy avec lui sur la terre battue des fondations. Elle se débat, voulant participer et aider son compagnon.
— C'est entre lui, et moi ! lui dit Al entre deux violents heurts.
Il prend coup sur coup, chacun d'eux est guidé par la rage que possédait Carl envers lui. Sa carrure est peut-être grande et solide, mais qu'est-il face à un monstre à la force démesurée par la haine ?
L'immeuble tremble de plus belle, et ses murs se mettent à briller. Les vrombissements de l'édifice menacent d'écrouler toute la structure. Gehlal à peur, pour une fois, que sa précieuse tour ne tienne pas le choc.
Le temps presse : Corporate risque d'éclater, et ses amis sont presque engloutis. Daniel est en larmes de ne plus voir Mika à la surface.
Carl retient Cathy qui se débat. Mais l'évidence que ce combat n'est pas le leur saute aux yeux.
— C'est ça que vous vouliez ? lui dit Cathy qui abandonne en pleurant.
— Non ! Je... il balbutie.
— Il ne partira pas tant que vous détesterez votre frère !
— Vous me demandez l'impossible Cathy... j'ai trop souffert par sa faute, dit-il en fronçant le nez.
— Il est peut être temps de vous demander si ce n'est pas vous en réalité, le responsable de votre propre souffrance, vous ne croyez pas ? demande-t-elle sur un coup de colère.
Carl est confus dans ses sentiments, même si en réalité il n'a jamais eu l'esprit aussi clair : la sensation oppressante du cauchemar sur lui n'est plus présente. Ses pensées sombres qui l'ont habité toute sa vie ne sont plus là. Il ressent même de la culpabilité.
— Alors Al ? Ça fait quoi d'être en face de son reflet horrifique ? dit Adonis après avoir réussi à frapper dans une côte de son adversaire.
— Tu n'es... pas à ta place ici Adonis, Al reprend son souffle.
Mais il essuie un nouveau coup dans la mâchoire. Chaque impact d'Adonis fait trembler la tour et le revêtement des murs s'effrite. Rêve et cauchemar s'affrontent avec des énergies qui dépassent celle de ce monde.
Le corps de Al porte des traces de griffures, de bleus et d'éraflures. Il prend conscience que la violence est sa faiblesse, alors il décide de puiser dans son essence : constituée de l'amour de ses proches, l'amour de Cathy. Ça le rend flamboyant, et une force ardente se diffuse dans ses muscles comme un soleil. Sa peau constelle d'éclats d'or et de jade. Adonis est surpris par ce regain d'énergie et se fait déborder, trouvant ridicule d'être vaincu par « le pouvoir de l'amour » : ça le débecte.
Mais il n'a aucun allié, personne qui croit en lui, même Carl hésite et ne croit plus en sa vengeance. Bientôt il est terrassé jusqu'à l'épuisement, et s'effondre à bout de souffle. Il ne pensait pas que ressentir la douleur allait lui être aussi insupportable.
— Je ne peux pas disparaitre ! Et tu le sais ! Adonis rit, ton frère te détestera toujours : j'aurais constamment une place dans sa tête, et je reviendrais encore et encore !
— Il n'a jamais pu m'aimer à cause de toi, répond froidement le rêve.
— C'est ta faute ! Tu es le responsable ! Sa mère adoptive, Danielle, Cathy : tu lui as tout pris ! Le monstre ici c'est toi !
Carl sait bien que ces mots, craché par son cauchemar, sont les siens. Ceux qu'il n'a jamais osé dire à son petit frère. Lui avouer sa souffrance, ce qu'il lui reproche, tout à cause d'un égo mal placé, et de cette voix dans sa tête qui nourrissait son mal être depuis l'enfance.
— Ce n'était pas ce que je voulais... j'aurais préféré qu'il soit heureux.
Des larmes glissent sur ses joues, secoué par ces vérités qu'il n'a jamais pu lui dire. Mais il sait une chose grâce à Cathy : il est un rêve, un rêve d'amour, et n'a rien d'un monstre.
Al tourne la tête vers Carl.
— J'aime mon grand frère.
Adonis ressent soudain son essence s'étioler dans l'espace. Il jette un regard sur Carl qui observe, touché par l'aveu de celui qu'il a toujours détesté. Le cauchemar panique et se met à ramper vers Carl. Al le saisit par le col, le relève au niveau de sa figure et le dévisage.
— Tu es là à cause de moi, dit-il lentement, mais je n'ai jamais souhaité que Carl souffre. Ni maman. Tu t'es infiltré dans ce monde à travers ses mauvais rêves.
— NON ! hurle la créature. Pourquoi tu aurais le droit d'exister et pas moi ? Tu n'imagines pas une seule seconde les souffrances qu'il a endurées par ta faute ! Je lui ai donné une raison de vivre !
Adonis n'a plus l'énergie de se débattre, il suffoque et perd toute sa force, signifiant que Carl se laisse de plus en plus porter par les sentiments de son jeune frère à son égard.
Al le relâche, son adversaire lui fait pitié, tandis que son cœur s'ouvre :
— Je voulais tellement qu'on pleure main dans la main le départ de maman. Qu'on joue ensemble, qu'il me protège des autres qui ont abusé de moi. J'avais besoin de lui... Al sanglote à chaudes larmes, je suis désolé de l'avoir fait tant souffrir !
Soudain, de grands bras l'étreignent et le serrent.
Al éprouve l'enlacement de Carl. Bercé par cette étreinte fraternelle qu'il avait toujours rêvé de sentir. Carl n'avait pas imaginé une seule seconde que son petit frère l'aimait sincèrement, malgré tout ce qu'il lui a fait subir.
— J'ai été le pire des grands frères... Je pensais que tu te fichais de tout ce qui t'entourait. De mère, de moi, il prend la tête de Al entre ses mains, C'est moi qui dois te demander pardon.
À ce moment-là, Adonis pousse un cri terrifiant qui déchire l'espace. Son corps se dépouille de sa forme de démon, jusqu'à le faire redevenir un jeune garçon. Il relève la tête, les yeux remplis de larmes, vers Carl et le fixe d'une haine profonde, avant de se disperser sur le sol dans des cendres noires.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Dehors, suffisamment éloigné de la tour, le personnel observait à l'instant la tour Corporate qui tremblait comme un colosse pris dans une tempête de neige. Justement, des phénomènes météo s'étaient manifestés sous leurs yeux ébahis : grêle, pluie, arc-en-ciel, en l'espace de quelques minutes. Sans parler des murs de l'édifice qui ont changé cinq ou six fois de couleur.
Tout est calme maintenant.
Luan cache sous son air flegmatique une grande inquiétude. Ses yeux fixent la tour, comme ceux de Vincent qui l'enlace par la taille. Le calme et le silence qui règnent ne les rassurent guère.
Ce n'est que lorsqu'ils perçoivent les silhouettes de leurs amis que leur respiration se libère du poids de l'anxiété. Luan court, se jette dans les bras de Cathy et se met à échapper un hoquet de crainte en voyant un peu de sang couler sur sa tempe. Sa collègue l'apaise, lui expliquant qu'elle est tombée, mais que sa tête est dure.
À ses côtés, Mika et Daniel se soutiennent. Encore blême de leur mésaventure, tous deux ne pensaient pas pouvoir revenir des sables abyssaux quand lesquels ils étouffaient il y a peu. La main secourable de Al les avait tirés de là, en modifiant la réalité autour d'eux pour les sauver.
Vincent s'approche à son tour, avec un calme qui veut masquer tout le sang d'encre qu'il s'est fait pendant ces interminables minutes. La silhouette de Gehlal arrive ensuite. Le scientifique lit ses notes.
— Que s'est-il passé ? lui demande le responsable SAV.
— Il s'est passé que nous avons attendus exactement 20 minutes et 46 secondes, entre, le moment où j'ai envoyé un message, et que monsieur Al veuille bien se pointer pour sauver l'Univers, dit-il en soupirant. Ce n'est pas "Alriel" que vous devriez le surnommer, mais "Désiré".
Tout le monde se met à rire. Le scientifique ne comprend pas pourquoi : il est sérieux. Au moment où Vincent s'apprête à demander si le principal concerné va bien, ce dernier sort de la tour, accompagné de Carl.
Les deux frères se tiennent côte à côte. Le visage de Al est apaisé, tandis que celui de Carl exprime une confusion de sentiments : entre le soulagement, la méfiance, et la honte. Son égo est en conflit avec son besoin de pardon. Il lui reste du chemin à parcourir pour se racheter, et trouver un nouveau sens à sa vie.
Peut-être commencer, en prenant le temps, par accepter son amour fraternel.
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Chapitre très difficile à écrire. Je n'en suis pas des masses satisfaite, dans la forme, car le fond c'est ce que je voulais raconter. Vous avez aimé ?
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