Mission 60 : résister
Cathy se réveille, et par réflexe saisit un petit carnet, à côté de la peluche que lui avait offert Al. La tête encore engourdie, son crayon note ce dont elle se souvient de sa nuit, avant de s'arrêter en réalisant qu'il n'est toujours pas réapparu.
Est-ce que ses tentatives de faire des rêves "lucides", pour essayer de l'inviter à chaque nuit, ne fonctionnent pas ? Est-ce qu'il la fuit ? Est-ce qu'il va bien ?
Bientôt le juge passera le voir, se dit-elle pour se motiver à se lever et se préparer pour se rendre au travail.
C'est tout de même morose qu'elle entre dans le tramway, en poussant le banc de sardines dans ses retranchements. Malgré sa bulle, musique sur les oreilles, l'environnement arrive à l'atteindre et rend le trajet désagréable. Sans aucune pitié elle sort au terminus en jouant de coudes et écrasant quelques orteils : elle a besoin de vite sortir de la rame.
Dehors, elle lève les yeux sur la tour. Si grande, massive et noire. Avec toujours cette sensation de se faire toiser de haut par un angle improbable. Non, elle ne laissera pas l'anxiété gagner son cœur, et c'est déterminée qu'elle rejoint l'entrepôt des archives.
À peine fait elle quelques pas pour rejoindre son bureau, qu'une paire de mains lui attrape le bras pour la tirer dans un rayonnage. C'est Luan.
D'un geste elle lui dit de se taire, et de la suivre ensuite. En catimini, les deux amies se retrouvent à espionner leur manager. Cathy ne comprend rien quand elle remarque l'objet du trouble : Mika, à son bureau, chantonne. Pire : il y a une tasse de café sur son bureau, avec une pastille Arc-en-ciel.
Cathy regarde Luan, Luan regarde Cathy.
— Il a pu se faire un café auprès de MCC006 non ?
— Nan, Luan secoue la tête, c'est un gobelet de Kitt.
Elles le regardent en silence, tellement peu habituées à ce que leur manager soit d'aussi bonne humeur le matin. Surtout en ce moment, alors que le navire prend l'eau de toutes parts.
— Les girls, je sens que vous me fixez depuis le rayon B3, dit-il en lançant une préparation de cookie depuis la machine sur son bureau.
Un peu honteuses elles sortent de leur cachette en se mordant la lèvre.
— C'est quoi le problème ? Le café arc-en-ciel ? Il dévore le biscuit tout chaud sorti de la machine.
Elles hochent la tête.
— Vous pensez vraiment que je suis incapable d'être poli le matin ?
Faisant mine d'être vexé, il les invite à cesser leur espionnage ridicule, sans pour autant leur donner la raison de sa bonne humeur. Plus tard dans la matinée, plusieurs fois elles le surprennent à agripper à son téléphone avec un sourire niai. L'inspectrice du love n'a plus de doute, et étire un sourire sur ses lèvres. Cathy elle, se contente d'envier Mika semblant si amoureux, et heureux.
Un désagréable sentiment remue à l'intérieur de son corps. La jeune femme détourne les yeux de son manager pour se reconcentrer sur ses tâches.
Dans l'après-midi elle se rend à la remise, pour trouver une recharge d'agrafe, se tend pour attraper une boîte quand quelque chose de chaud se pose sur sa fesse. Ni une, ni deux, l'auteur de l'attouchement se retrouve immédiatement la tête placardée contre la photocopieuse, le bras tordu dans une prise de soumission, et pousse des petits cris de surmulot asthmatique.
— Donne-moi une bonne raison pour ne pas enfoncer suffisamment ta tête dans la carlingue pour en faire un moule ! Un moule que j'utiliserais pour faire des gaufres à ton effigie que je boufferais chaque matin à mon petit déjeuner !
Oui en ce moment il ne faut vraiment pas énerver Cathy.
— Fé bon ! Fé bon ! Pardon ! gesticule le petit homme.
Attendez... Cette voix dégoulinante... Cette chemise à carreaux, à l'hygiène douteuse, ces cheveux gras, cette peau jaunâtre et transpirante. Impossible ! Cathy le relâche et essuie ses mains sur son jean. Plusieurs fois.
Il se retourne et remet droit ses lunettes, triple foyer, sur son nez.
Pas de doute possible : c'est Jean-Kevin.
Et depuis l'open space, Mika et Luan entendent un cri entre la stupeur et la rage.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Le responsable SAV interne réalise que les petites attentions matinales de Al lui manquent. Les notes de frais illisibles, les papiers importants détrempés, des rapports mal rédigés : autant de choses qui appuient sur son absence flagrante.
Vincent compile les plaintes, assis à son bureau, pour la nouvelle brigade qui remplace le SPF. Pas moins de 6 personnes pour réaliser son travail qu'il abattait seul, rien que ça. Mais si cette équipe arrive à fonctionner, cela pourrait grandement faire gagner du temps à Al. Il pourra enfin passer plus de temps avec Cathy et ses amis.
D'un froncement de sourcil il fait peur à ses pensées pessimistes, prête à lui dire "s'il revient un jour", non il ne peut pas l'accepter : Al va revenir. Il doit revenir.
À ce moment-là on toque à sa porte, et après avoir autorisé qu'on entre dans son repaire il le regrette aussitôt : c'est Carl qui entre, tout sourire. Vincent se raidit, le dévisageant froidement avec ses yeux d'acier.
— Mr Farer, dit-il pour être poli en se levant, que puis-je faire pour vous ?
Carl regarde autour de lui pour juger de l'environnement de travail de son employé.
— C'est bien une sorte de "bureau des plaintes" ?
— En quelque sorte, oui. Café ?
— Si cela ne met pas plus de cinq minutes, car vous devez chanter pour en obtenir un : oui, soupire Carl en s'installant sur une chaise.
Vincent tire sa botte secrète de sous la table : un thermos, et sert deux tasses. L'envie de cracher dans le café de son nouveau PDG est très tentante, mais il n'en fera rien : il est bien au dessus des enfantillages.
— Vous êtes un homme organisé, vous ne trahissez pas votre réputation, Carl sourit.
— Qui est ...? demande-t-il en se rasseyant.
— D'être l'homme le plus efficace de cette entreprise, Carl le toise du regard, même si cela ne vous dispense pas de participer aux réunions.
— Je n'ai pas beaucoup de temps à accorder à des heures de bavardages Mr Farer. Depuis que mon SPF est enfermé dans un centre psychiatrique : j'ai des problèmes plus importants à résoudre. Des problèmes qui dépassent votre compréhension de cet endroit.
Le ton et la froideur de Vincent sont clairement un acte de provocation envers Carl, qui ne perd pas son sourire de façade.
— Je vois, il apprécie lentement le café qu'on lui a servi, si vous êtes encore à Corporate c'est pour deux raisons : la première est bien entendue liée à vos compétences indispensables, la deuxième c'est par mon bon vouloir, après tout : vous m'avez rendu un précieux service.
Vincent à conscience qu'il s'agit là d'un rappel à l'ordre, mais ne compte pas se laisser démonter pour si peu :
— Au lieu de me menacer, si nous en venions au fait : que faites-vous dans mon bureau ?
— Vous n'avez pas changé : toujours aussi froid ! Il rit en reposant sa tasse sur le bureau. Je viens pour me plaindre de dysfonctionnements divers dans cette entreprise. J'ai toute une liste d'actions à réaliser, je crois que vous aimez ça non ? Les listes.
Carl sort un papier, le pose sur le bureau pour le glisse vers Vincent avant de poursuivre :
— Évidement je compte sur vous pour appliquer tout ceci. Corporate aurait beaucoup à gagner sans toutes ces... distractions, dit-il d'un ton dédaigneux.
Vincent consulte la liste, beaucoup trop propre et lisible à son goût, puis lève ses yeux sur lui :
— Je vais être honnête avec vous : si je fais ça l'entreprise ne tournera pas correctement. Nos employés sont habitués à un cadre de travail particulier, vouloir "normaliser" Corporate comme les entreprises classiques ne fera que créer de la confusion, et baissera leurs performances.
Carl réprime un spasme d'agacement.
— Vous n'avez pas l'air de comprendre : je ne demande pas vôtre avis Mr Lelouarn. Et si vous n'y mettez pas du votre : j'ai d'autres personnes pour le faire à votre place. Je respecte "vos règles" en venant vous voir, ne me le faites pas regretter.
Le responsable se fige et ravale une envie de l'envoyer balader. Carl poursuit :
— Autre chose : je sais très bien ce qu'il se trouve dans les fondations de cette tour, Vincent blêmit soudain, comment accède-t-on à "la maison" ?
Le malaise est palpable. Pourquoi Carl veut-il s'y rendre ? Le silence s'éternise et Vincent voit une ombre voiler le regard du PDG : quelque chose qui le fait frissonner sans vraiment pouvoir poser de mots dessus.
— Je ne sais pas où elle se trouve : c'est un secret de Gehlal, dit-il sans mentir, et je ne vous aiderais pas.
Carl lève un sourcil, le responsable SAV continue :
—Selon le règlement des documents confidentiels sous tutelle du directeur Gehlal Edward, ni moi, ni vous "PDG", ne sommes autorisés à accéder à ces informations. Et, puis-je me permettre de vous citer l'article B-45, ligne 58, verset 2 : "Si jamais vous me virez, je fais péter les fondations de cette tour, et ceci n'est pas un exercice de style".
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Jean-Kevin se retrouve enroulé dans un drap, assis sur un fauteuil devant l'assemblée des archivistes. Il est terrorisé mais son remarquable ego l'aide à ne pas fondre devant le regard inquisiteur du trio. Mais les larmes aux coins de ses yeux le trahissent.
— Bon, soupire Mika, on va commencer par la base : excuses-toi.
— Pardon ? F'est elle qui m'a menafé ! Elle est danvereuve !
— J'crois que t'as pas bien compris, le manager se penche au-dessus pour l'écraser de son ombre menaçante, ici la personne la plus dangereuse que tu dois craindre : c'est moi.
Le regard glacial de Mika fait trembler Jean-Kevin.
— P-P-Pardon Cathy, dit-il enfin.
— Voilààà c'est bien, tu vois ce n'était pas si dur. Maintenant dis-nous ce que tu fous ici ?
— Ve suis... Ve suis le nouveau DDOC, ou "Directeur des obvets clavvifiés", un sourire maladroit se dessine sur son visage.
Un silence beaucoup trop long s'installe dans la pièce. Les archivistes se regardent. Mika serre les poings pour ne pas fracasser ce petit con en face de lui.
— Et le gardien du musée ? C'est lui le directeur de notre service.
— Vustement, f'est moi qui le remplafe, il sourit avec ses dents tordues.
Un rire maladif secoue les trois archivistes.
— Les filles, je crois qu'il est temps de faire comprendre à notre nouveau PDG qu'il n'est pas en territoire conquis ici. Qu'en dites-vous ?
Elles hochent la tête sous le regard terrifié de Jean-Kevin.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Ses yeux balayent la ville. Ces sentiments de domination et de toute-puissance qui l'habitent le grisent. Douce ivresse que d'avoir accompli sa vengeance, mais ce vin a un arrière-goût amer. Son ombre sur le sol lisse s'étire dans son dos.
Une silhouette ténébreuse prend corps lentement. Elle regarde ses mains qui prennent consistance, puis ses jambes. Ses traits se dessinent, des vêtements. Aucun reflet dans la vitre, par laquelle Carl regarde le paysage, ne l'alerte sur ce qui s'approche de lui.
— " Quelle douce odeur de défaite derrière cette sensation de supériorité. "
Carl se retourne : cette voix il la connaît, mais habituellement elle résonne dans sa tête. Son expression d'accomplissement qu'il ressentait il y a quelques secondes, se décompose dans la peur.
Un adolescent ressemblant trait pour trait à Al, lorsqu'il avait une quinzaine d'années, lui sourit comme un diable. Mais ses yeux ne sont que deux fentes vertes sur fond noir. Carl fait quelque pas en arrière, terrifié par cette apparition beaucoup trop réelle.
— "Tu pensais que réaliser ta vengeance te débarrasserait de moi ? "
Carl ne répond pas et retrouve son calme à travers une respiration maitrisée. Oui c'est bien lui, ce cauchemar qui le hante depuis des années.
— "Alors dis-moi, grand frère, maintenant que tu m'as tout prit est-ce que les gens t'aiment ?" il n'attend pas de réponse et affiche un sourire mesquin "bien sûr que non Carl, tu restes inférieur de toute évidence, une sombre merde, et tu le sais", il fait quelques pas vers Carl.
— Comment ... es-tu sortit de ma tête ?!
— "Mais j'y suis toujours..." un sourire sardonique s'étire sur sa bouche.
Pour illustrer ces mots, Carl voit sa vue troublée par des images du passée, toutes plus horribles les unes que les autres.
— Arrêtes ! Cri Carl en se saisissant la tête entre les mains.
Les souvenirs s'étalent davantage dans son esprit, lui faisant ressentir les sentiments du passé : colère, terreur, jalousie, aversion. Le cauchemar s'en nourrit et se moque de lui.
— " Personne ne veut de toi. Le costume de PDG ne changera rien " lui susurre le cauchemar " Dès ta naissance ta mère biologique savait que tu étais une raclure. Elle t'a abandonné à un père absent à une autre mère qui ne t'a jamais regardé."
Carl attrape un presse papier en métal sur son bureau et le lance de toute ses forces vers son tourmenteur. Un miroir éclate : l'objet n'a fait que traverser la créature qui n'a aucun reflet.
— Disparaît !
On toque à la porte et il tourne la tête pour voir entrer la petite silhouette de Jean-Kevin se glisser dans le bureau.
— Vatron... tout va bien ? Ve vous ai entendu crier...
Carl regarde face à lui : l'ombre n'est plus là. Son souffle court trahit l'intensité de la peur qu'il a ressentit.
— Vous êtes qui déjà ? demande-t-il en prenant une posture plus confiante.
— Vean-Kevin monfieur, Leffieur.
Le regarde du PDG toise l'employé des pieds à la tête, et résume en un mot ce qu'il lui inspire : répugnant.
— Ah oui. Le fils de madame la maire. Et bien ?
Ne l'invitant pas à s'installer, Carl réajuste le col de sa chemise puis se souvient pourquoi cette énergumène est ici : il devait l'embaucher à un poste haut-gradé en échange du soutien médiatique de la maire de la ville. Bon, il ne fera pas de vieux os de toute façon, se dit-il.
— Fé que... l'équipe que ve dois gérer est... particulière...
Il fait quelques pas timide et Carl observe que ses vêtements sont troués de toute part. Mais il reste insensible à la détresse de Jean-Truc.
— Ils m'ont veté en pâture aux aggraffeuves, avec un meffave : "La profaine fois, f'est Marfel".
Carl sent que cette journée va être longue. Trop longue.
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Lorsqu'un infirmier entre dans la chambre pour apporter les médicaments sur un plateau, il a l'impression de voir le corps assoupit du patient être translucide. Cela ne dure qu'un battement de cils, avant de croire que ce fut une illusion dû à sa fatigue. Inquiet de voir qu'il dort toujours à une heure aussi tardive, il pose le plateau à proximité et s'approche pour prendre son pouls.
Le visage du patient est très pâle, diaphane : ses veines sont apparentes. Même ses cheveux semblent ternir. Son cœur bat très lentement. L'infirmier le secoue et obtient une réaction : Al ouvre des yeux dont les iris sont devenus opalescents. L'homme à ses côtés blêmit.
— Mr Farer ...? questionne l'infirmier en posant une main sur son épaule.
Lentement, Al se redresse dans le lit. Jamais il ne s'est senti aussi faible. Faible au point de ne pas arriver à parler.
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Il ne se passe pas grand chose dans ce Chapitre, mais je voulais illustrer comment nos amis se défendent face aux changements imposés par Carl, ce n'était pas trop ennuyeux ?
Carl et son cauchemar, qu'en pensez-vous ?
Enfin Jean-Kevin ! Vous l'attendiez ? XD
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