Mission 56 : pour être honnête
Les fesses dans ce moelleux canapé qu'elle n'a pas revu depuis un moment, les doigts serrés sur un verre de lait, une boîte à Cookies et une légère odeur de fleurs : le bureau de Daniel est toujours aussi agréable.
— Comment tu te sens ? Demande l'ange en venant s'assoir à côté d'elle, un cookie à la main.
— Pas très bien pour être honnête.
De toute façon, lui mentir est impossible, autant vider son sac. L'homme affiche un sourire triste.
— Et bien nous sommes deux...
Dans un silence, les deux adultes mordent dans leur cookie, puis boivent une gorgée de lait. Daniel reprend la discussion :
— Je vais entrer dans le vif du sujet, tu es prête ?
Elle hoche puis secoue la tête : personne n'est prêt pour une question franche de Daniel. Par sécurité il attend qu'elle n'ait plus rien dans la bouche avant de lui demander :
— Qu'elle est ta relation avec Carl ?
Le hoquet de surprise est déjà un élément de réponse, elle ne s'attendait pas à ce qu'il souhaite lui parler de Carl.
— Je l'apprécie, mais... j'ignorais qu'il était le frère de Al.
— Comment l'as-tu rencontré ?
Tout le film y passe : entre le moment où ils se rencontre grâce à Cerbère, se croisent souvent au parc, puis les rendez-vous au Lovely Chic. Daniel serre la mâchoire en reconnaissant les manières de Carl pour séduire. Puis elle termine par son aide avec l'art thérapie, sans les détails.
Cathy décide de regarder la réalité en face :
— Je crois qu'au fond, je voulais plus que simplement l'apprécier... mais... ça n'a pas marché, elle termine son verre, j'espérais inconsciemment tomber amoureuse de lui.
— Pourquoi ? demande Daniel en cachant sa surprise.
— Je pensais naïvement que ça sauverait mon "amitié" avec Al.
Son honnêteté soudaine par rapport à sa relation avec Al le mouche. Voyant l'étonnement de Daniel, elle poursuit :
— Je m'en suis rendue compte récemment, elle baisse la tête.
— Comment ? Il est suspendu à ses lèvres et trépigne d'impatience.
Cathy lui raconte alors le shooting photo en détail, le baiser, qu'elle a faillit se laisser tenter, avant de réaliser ce qu'elle voulait vraiment. Daniel a enfin les réponses qu'il attendait, et même plus. Il se retient d'exploser son enthousiasme à la figure de sa voisine.
— J'ai réalisée que je faisais semblant d'être l'amie de Al, dit-elle en retenant un sanglot de culpabilité, et je continue de le faire...
Daniel pose son verre, il doit d'abord impérativement savoir si Carl a abusé d'elle ou non.
— Carl n'a rien tenté de plus lors du shooting photo ? Il t'a touché ? Forcé à ... faire quelque chose ?
Lorsqu'elle secoue la tête pour dire non, le soulagement de Daniel la trouble :
— Pourquoi ? Il n'a jamais eu de geste déplacé envers moi.
— Cathy tu dois savoir qu'il n'est pas... quelqu'un de bien, elle est tout ouïe, il y a longtemps nous étions ensemble lui et moi.
Allons bon. Décidément le monde est petit par ici, se dit-elle pour dissimuler sa surprise.
Daniel décide d'être honnête, de jouer cartes sur table, même s'il n'a pas trop de doute sur la réaction bienveillante qu'aura Cathy à son égard.
— Carl était fou amoureux, me répétant à longueur de journée que j'étais "belle et intelligente", il voit que Cathy n'est pas surprise. À l'époque j'étais encore en plein doute sur qui j'étais, qui je voulais être : Danielle ou Daniel. Je lui en ai parlé, je l'aimais et c'était mon confident. Il m'a répondu vouloir "m'aider à aimer être une femme", et j'ai consentit, pensant que ça m'aiderait.
Elle pose une main bienveillante sur sa jambe. Rassuré, il sourit avant de poursuivre.
— Mais ça m'a brisé, je n'aurais jamais du accepter : il n'a fait que vouloir me posséder entièrement, en faisant tout pour me convaincre de ne pas changer. Je comprenais, car il est hétérosexuel, et ma transition signifiait pour lui une rupture qu'il ne désirait pas. Puis il a su que j'étais attiré par son frère qui, lui, me comprenait, Daniel prend une inspiration avant de continuer, un soir Carl m'a fait du mal dans un excès de colère, quand Al l'a su il est... devenu différent, et ils se sont violement battus.
Sa main prend un cookie, puis il croque un morceau pour juste en sentir la saveur sucrée.
— Je l'ai quitté après ça. Je ne l'ai plus jamais revu depuis, il soupire. Al et Gehlal m'ont soutenus. Carl est un homme charmant, mais il est hanté par quelque chose d'effroyable... qui le pousse à un égoïsme démesuré.
Daniel regarde la jeune femme avec un sourire : tout ce passé est loin derrière lui désormais. Il sort de sa poche un téléphone, elle reconnaît celui de Al avec un petit lapin blanc sur la coque. Puis, il l'allume, dessine le code et lui montre les derniers messages qu'il a reçu : photos, et vidéo du baiser.
— Al a eu très peur que Carl abuse de toi, il lui tend le téléphone, je sais que sa violence te rappelle de mauvais souvenirs, et je ne veux pas le justifier, mais... je veux que tu comprennes qu'il n'est pas... fait pour ressentir de la colère, ou de la jalousie : c'est impossible pour lui de contenir une émotion aussi négative et puissante. Carl le sait très bien : il a joué de ça pour le faire sortir de ses limites et le piéger.
Un frisson parcoure Cathy quand elle réalise que tout ça n'était qu'une mascarade. Ses poings se serrent.
— Carl s'est servi de moi... pour lui faire du mal...
En la voyant trembler de rage, l'ange range son téléphone et pose une main sur la sienne. L'agressivité la quitte. Cathy ne culpabilise pas, elle n'a rien fait de mal, rien vu venir, mais tout ses souvenirs avec Carl s'effondrent comme un château au de cartes, ne sachant plus ce qui était sincère, et ce qui ne l'était pas.
— Pourquoi ?
— Jalousie, dit-il en haussant les épaules, ou la vengeance qui sait : il a toujours été très jaloux de que ce possède Alexanders. Son entreprise, sa beauté, ses amis... tout.
— Al va bientôt sortir ? le visage de Daniel ne sourit pas, ...non ?
— Nous verrons dans quelques jours, dit-il en souriant enfin, au fait : tu continues de voir Ethan ?
Le changement de sujet est de la poudre aux yeux, elle le sait, mais joue le jeu. Après tout cela lui permet de faire un bilan, de savoir où elle en est.
— Je l'ai revu dans un cauchemar au séminaire, Cathy se mord la lèvre.
— Tu l'as battu ? Daniel ressert les verres.
— C'était... particulier, elle engloutit un énième cookie.
En voyant sa réaction Daniel contourne l'obstacle comme à son habitude :
— Voyons voir, il fait mine de réfléchir, ton traumatisme a plusieurs piliers : l'accident, ta culpabilité, ta sexualité, et ton image. Dis-moi lequel tu as battu cette fois ? Il me semblait que les deux premiers ont été franchi.
Elle n'avait jamais vu les choses sous cet angle. L'accident est le premier rêve avec Al, la culpabilité c'était avec Daniel lors de sa confidence, ensuite ...
— S-sexualité... a-avec Al... elle rougit dans un sourire très gêné.
Il y'a soudain un silence où même un pet de mouche aurait pu se faire entendre. Daniel bat plusieurs fois des paupières. Oh comme il a envie d'en savoir plus : elle a intérêt à cracher le morceau, sinon elle ne sortira pas de ce cabinet.
C'est la première fois que Cathy se sent sous pression en présence de Daniel, et lui déballe tout comme un vomi arc-en-ciel. C'est extrêmement honteux, mais ça soulage.
Une connexion se fait dans la tête de Daniel : la visite de Al dans sa chambre au séminaire, c'était suite à ce rêve donc. Il sourit : Cathy avance, bien plus vite que son ami.
— Depuis je... peut pas m'empêcher d'y repenser dès que je regarde ses mains, avoue-t-elle en engloutissant un autre cookie d'une traite, alors que... il n'était pas "là" mais... ça semblait si réel.
Elle ne pensait pas qu'en parler à quelqu'un allait lui faire autant de bien, malgré la honte que ça lui procure. Il lui est impossible de parler des rêves à Luan, persuadée que son amie ne va pas prendre ça au sérieux. Daniel ne la juge pas, portant un intérêt tout particulier à la signification de ses rêves.
Cathy tourne les mots "Sexualité" et "Al" dans sa tête, avant de réaliser qu'il y a quelques mois elle aurait rit de les associer ensemble, alors que maintenant... tout son corps tire un carton vert : esprit, neurones, et hormones sont tous d'accord.
— Je comprends mieux ton état d'esprit, dit-il touché par sa réaction, tu n'es plus sous les effets de son "aura", elle lève sur lui des yeux surpris, j'imagine que tu ne l'avais pas vraiment remarqué, elle secoue la tête, je te laisse faire ta propre interprétation de cette information...
Daniel l'observe, il comprend assez vite que quelque chose la freine encore, probablement le risque de perdre leur amitié sans la transformer en quelque chose de plus fort, de les éloigner. L'ange soupire intérieurement, Al n'a pas été suffisamment explicite dans ses sentiments envers elle, est-ce étonnant ? Et comme savoir ce qu'il se passe dans la tête du grand colosse maladroit n'est vraiment pas facile : c'est normal que Cathy piétine.
Avec un peu d'empathie Daniel comprend que Al doit manquer de confiance en lui. Ses relations ont toutes été guidée par les envies des autres, l'ange en a fait parti il le sait bien.
Il faudrait qu'il fasse le premier pas.
Et il est actuellement coincé dans une chambre dans un centre psychiatrique.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Si on ne compte pas l'incident de gomme, l'invasion de post-it, le fait que Al ne soit pas là, et le fait de surprendre Luan et Vincent en pleins ébats dans une remise, ce mardi est presque normal pour Cathy.
Presque, car l'ambiance est particulière, comme si tout le monde avait conscience qu'une menace planait au-dessus de leur tête sans trop savoir quand ni comment elle allait tomber. Natacha a repris la gestion de l'entreprise avec Mister Meh, dans la ligne droite des traditions Corporate.
Mais elle n'a pas le statut de PDG, et les rumeurs vont bon train pour savoir qui va prendre cette place : elle ? Daniel ? Marcel ? Gehlal ? Les paris sont faits.
Dans tous les cas, c'est le cadet des soucis du responsable SAV interne : sans son SPF les plaintes s'empilent. Personne ne sait aussi bien réparer les machines que Al, et les incidents se multiplient. Ainsi, il est obligé de créer un nouvel escadron temporaire, composés de vétérans volontaires, pour le remplacer et cherche encore un nom pour ce groupe d'intervention.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Les mains appuyées sur le comptoir de l'accueil, le "QUOI ?!" de Vincent a résonné dans tout l'hôpital. Daniel à ses côtés lui pose une main sur l'épaule.
— Comprenez mon ami, dit calmement Daniel, Mr Farer devait sortir aujourd'hui. Nous sommes choqués d'apprendre que vous le gardez.
Beatrice de l'accueil, plus vivace que la vieille de Corporate, mais avec l'empathie d'un bulot frit, leur annonce que la psychiatre arrive. C'est ainsi qu'ils se retrouvent dans un petit bureau sentant la javel, face à elle.
— Vous êtes des amis donc, ils hochent la tête comme un seul homme, vos noms n'apparaissent nulle part dans son dossier d'admission. Il a désigné son frère comme personne de confiance, informe-t-elle sans être convaincue elle-même par ce détail.
Évidemment, Carl n'est pas suffisamment conciliant pour faire ça, se dit Daniel qui soupire.
— Je n'ai pas le droit de vous donner plus d'informations dans ce cas. Nous le gardons contre son consentement, les deux hommes trahissent des signes de mécontentement sur leur visage, le juge passera entre 3 et 12 jours pour vérifier que cette prise en charge est justifiée.
— Elle ne l'est pas..., marmonne Vincent.
La psychiatre ne relève pas, habituée à ce que les proches des patients réagissent mal à l'entente de ce genre de nouvelle.
— Madame, nous ne pouvons vraiment pas connaitre les raisons qui vous poussent à le garder ? Demande Daniel en usant de son charme.
Devant les yeux de chat botté de l'ange, la femme se sent un peu faiblir :
— Pour être honnête, depuis qu'il est ici nous n'observons rien de dangereux. J'aimerais qu'il fasse une thérapie cognitivo-comportementale, mais je dois passer par le directeur pour... des raisons que je dois voir avec lui, elle soupire, Je ne peux pas vous en dire plus, son dossier sera examiné par le juge.
Daniel est sûr que rien n'est laissé au hasard pour garder Al ici. Jusqu'où est allé Carl pour s'en assurer ?
— Nous pourrons lui rendre visite quand ? demande Vincent agacé.
— Le directeur n'autorise pas encore les visites... elle même semble ne pas comprendre cette interdiction, sachez que je m'oppose à cette décision mais je n'ai pas le dernier mot. Il s'agit d'une prise en charge sous contrainte dans le cadre d'une enquête : j'imagine que le directeur fait des choix en lien avec celle-ci... dit-elle sans être vraiment convaincue.
Mécontents, les deux hommes se lèvent. Faire un esclandre ici ne servira à rien. Une fois à l'extérieur, Daniel propose de lancer une procédure, au cas où, même si cela va prendre des semaines, et que se mesurer à Adonis Carl Farer est clairement un suicide dans ce domaine.
Pensif dans la voiture, Vincent ne dit rien : la culpabilité le ronge. Les nouvelles sont inquiétantes, et tous les deux sont abattus : Carl a fait en sorte que Al ne sorte jamais d'ici.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Après avoir déposé un Daniel tout aussi accablé que lui, il rentre enfin chez lui. Dans l'entrée il dépose sa mallette, retire ses chaussures et entend le pas de course de ses enfants qui déboulent du salon pour venir le couvrir d'affection, puis :
— Il est où tonton Al ? Je veux jouer au cache-lapin, demande Amélia en gonflant ses joues.
— Tu devais rentrer avec lui ! Surenchérit Julien.
Apparait dans l'entrée Luan, son sourire se fond dans le pessimisme en voyant le visage déconfit du père.
— Ils l'ont gardé c'est ça ? Dit-elle tristement.
Pas besoin de dire quoi que ce soit : la réponse est écrite sur le visage de Vincent.
Très tard dans la soirée, bien après que les enfants soient couchés, l'appartement rangé au millimètre près, et les vêtements retirés parfaitement pliés, les deux adultes s'échangent de tendres caresses sur le canapé. Mais Vincent n'est pas aussi excité qu'à son habitude, même après voir rangé parfaitement la vaisselle.
— On va trouver une solution, dit-elle en lui caressant les cheveux.
— Tout est de ma faute...
— T'as fait ça pour une bonne raison, maintenant le plus important c'est de trouver comment on peut le sortir de là, elle l'embrasse furtivement, et si on le kidnappait ?
Vincent l'embrasse à son tour et l'allonge sur l'assise.
— Je doute que ça soit efficace à long terme, il glisse une main taquine.
— T'as parlé d'un dossier tout à l'heure...
Ils se regardent en silence : leurs idées se connectent. La malice brille dans leurs yeux. Ils n'ont pas besoin de dire quoi que ce soit. Luan sourit et ouvre son sac à dos à proximité.
— Mais avant d'élaborer un plan, j'aimerais que tu essayes ce petit cadeau pour moi.
Luan lui tend une paire d'escarpins neuf, d'un bleu assortie aux costards du directeur. Vincent rougit, l'attention le touche plus que de mesure.
— Je venais te voir quand tu étais Drag au Blue Rabbit, y'a plusieurs années. Et j'te trouvais super sexy quand tu en portais sur scène.
Elle le connait depuis tout ce temps... Vincent est très ému.
— Ils sont magnifiques, merci, dit-il en les enfilant soigneusement.
Il se lève et fait quelques pas. Des souvenirs agréables le traversent, lui remontant le moral. Sa compagne l'admire en se mordant la lèvre d'une manière provocante, il répond à son regard lubrique en dénouant sa cravate.
— Surtout, ne les retire pas, susurre-t-elle.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Depuis combien de temps est-elle dans ce labyrinthe ? Le temps dans les rêves est si différent... L'inconscient de Cathy cherche désespérément quelque chose ici et fait fit de l'aspect torturé des murs autour d'elle. Le ciel est jaune au-dessus de sa tête, et la couleur des parois est bleue. Elle ignore si cela signifie quelque chose, et n'en a rien à faire.
"Qu'est-ce que je cherche ?" elle presse le pas, à la limite de la course, son cœur palpite "Al, je cherche Al, je veux qu'il soit là !"
Soudain, sa jambe gauche se dérobe l'entrainant dans une chute sur le sol qui miroite ce ciel étrange. Une odeur de cendre lui fait relever la tête. Elle râle.
— Encore toi, souffle-t-elle, je n'ai plus peur de toi.
Le Ethan face à elle tient sa prothèse à la main, comme une masse. Il la toise d'un regard fulminant. Malgré l'agressivité contenue dans son regard, le cauchemar est bien moins effrayant qu'avant, ressemblant à l'être humain qu'il fut autrefois plutôt qu'a un véritable monstre.
— "Il me reste encore ça de toi" dit-il d'une voix faible en caressant la prothèse.
— Je n'en ai pas besoin.
Cathy ferme les yeux et imagine. Elle rêve que des dalles du sol fondent pour couler un pied, puis un tibia jusqu'à son genou, sous l'œil médusé du monstre. Elle se redresse devant un Ethan effaré.
— "Tu... ne peux pas ... !" il se jette sur elle, prothèse à la main, "tu ne le rejoindra pas !"
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Les discussions avec Daniel sont toujours un plaisir à écrire, mais j'espère que ce n'est pas redondant pour vous ? J'adore ce genre de dialogue en confidence (Altoox toi même tu sais, avec Julie xD)
Pikathy va-t-elle enfin détruire Ethan ?
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