Mission 52 : le coeur en miette
Seul le bruit de son propre cœur brise le silence et ses neurones sont toujours embourbés dans une mélasse de Rhum.
La silhouette de Al se découpe parfaitement à travers les rayons de lune qui passent à travers les fenêtres.
Se triturant entre elles, ses mains réfrènent l'envie de le toucher. Ses yeux glissent sur son corps avec lenteur, avant d'enfin réussir à décrocher de sa silhouette pour observer les alentours. Sur la table basse se trouve un verre vide, ainsi que le corset et la perruque qu'il portait. La peluche qu'il serre dans ses mains est la même qu'elle avait vu dans sa vision, si c'en était bien une.
La bibliothèque est là elle aussi, celle qui contenait le carton à dessins. Sa curiosité la pousse à vérifier. Sans bruit, elle se faufile, saisit du bout des doigts le carton et le tire. Tremblante, son regard scrute la moindre feuille sous la faible lumière du soir : tout est identique. Ce n'était donc pas une vision... et les portraits de Al sont bien là.
Cathy sent un vertige saisir sa tête : ses mains tressautent. Le carton lui échappe, tombe et les dessins s'étalent sur le sol. Elle peste contre elle-même avant de se pencher pour les ramasser.
— Cathy ... ?
Sa gorge se noue : le bruit l'a réveillé. Al s'agenouille et l'aide à tout ramasser. Puis, il range le carton sous le regard anxieux de Cathy qui craint de l'avoir fâché.
Mais il a une tout autre réaction : prenant ses mains, il l'aide doucement à se relever pour l'inviter à s'assoir sur le canapé. Puis, il s'absente.
Ne sachant pas comment réagir, Cathy prend sa tête entre ses mains en se maudissant.
— Désolé Al, je n'aurais pas dû fouiller dans tes affaires, dit-elle en sentant à nouveau sa présence dans a pièce.
L'envie de pleurer lui monte au bord des yeux.
— Comment... savais-tu ? dit-il calmement.
Relevant la tête, Cathy voit un verre d'eau posé sur la table en face d'elle, et le bois d'une traite. L'homme se montre patient, comme à son habitude, mais elle n'ose pas le regarder. Il finit par s'assoir à ses côtés.
— Quelque chose me l'a montré... elle se mord la lèvre, pardon je regrette tellement !
Probablement à cause de son état, Cathy ne contrôle aucune émotion et sent des larmes lui échapper. Al se sent mal de la voir ainsi.
— Je ne suis pas fâché, sa voix se veut rassurante.
Finalement, elle tourne la tête vers lui pour le voir exprimer un petit sourire. Il poursuit calmement :
— Elle... Ma mère... il fait un effort pour aligner une phrase qui a du sens, c'est elle qui a fait ces dessins. Elle est décédée, j'avais 15 ans, il serre la mâchoire et regarde ailleurs, tu veux bien me raconter ? Ce que tu as vu.
Cathy déglutit, jamais il ne va la prendre au sérieux. Le regard de Al ne la regarde pas fixement, probablement pour lui éviter de se sentir mal.
— C'était comme un fantôme, il m'a amené dans cette pièce, et m'a montré ces dessins... Je te jure que c'est vrai.
Le désarroi la saisit et elle se cache à nouveau le visage entre ses mains. Soudain, elle sent son corps saisit par les épaules et basculer contre lui.
— Je te crois : tu n'aurais jamais pu deviner seule que ces dessins sont ici.
Son étreinte est si apaisante.
— C'est écrit E... "Eros".
Sous son oreille collée à sa poitrine, elle entend le cœur du Prince s'emballer.
— C'est mon premier prénom, celui qu'elle m'a donné.
— Ça te va tellement bien, dit-elle la voix étouffée contre lui, j'ai aussi remarqué les dates...
Al serre la mâchoire.
— Je n'ai pas 60 ans, si jamais tu te posais la question, il essaie de la faire rire un peu et ça marche.
Elle relève la tête et admire son visage.
— Même si c'était vrai, tu ne les fais pas, elle lui sourit.
Il laisse un petit rire contenu s'exprimer. Cathy se mordille la lèvre, malheureusement cela n'a guère d'effet : plus le temps passe et plus elle se sent enivrée par lui. Vite, elle pose une question pour garder un minimum de contrôle sur son intellect :
— Est-ce que tu as un lien avec la faille ? les yeux de Al s'écarquillent, Gehlal m'en a parlé vaguement et je l'ai vu : c'est là-bas que le fantôme m'est apparu.
Que doit-il répondre ? Tout lui dire ? Et si Gehlal l'apprend ? Le sentant paniquer, Cathy lui pose une main sur la joue, délicatement. Il ferme les yeux et répond enfin :
— Oui.
Ce petit "Oui" à l'effet d'un immense souffle dans la poitrine de Cathy.
Des centaines de questions se bousculent dans sa tête pour sortir de sa bouche sans parvenir à se décider. Mais Al n'a pas envie d'en dire plus. Cathy n'insiste pas, de toute façon ses neurones continuent de faire des bulles dans la marmite de Rhum : il n'y a plus aucun effort pour lutter contre l'attraction grandissante.
— Eros... murmure Cathy en essayant en vain de réfléchir.
Quand Al rouvre les yeux, Cathy est à quelques centimètres de son visage, les lèvres entrouvertes, le souffle court. Le tambour de son cœur s'affole et il ne peut détacher son regard de sa bouche.
La main sur sa joue glisse sur sa jugulaire, lui caresse la nuque avant de se poser sur son épaule. L'autre main de Cathy passe dans son dos pour effleurer son échine. Pour une raison qu'il ne veut pas admettre, il la laisse faire, caresser son buste, descendre, puis une main se glisser sous sa chemise.
Le frisson qu'il ressent à ce moment-là le perturbe. Pas autant que le regard ardent de Cathy. Al sait très bien ce qu'il ressent, là maintenant, et n'est pas à l'aise avec ça.
Avec cette envie d'embrasser son "amie" encore ivre... non ce dernier point est une excuse pour se justifier de l'affolement qu'il commence à ressentir.
Il a l'impression que son esprit suffoque, en détresse morale. Depuis quand... ? Depuis quand il a envie de ça, avec elle ? Est-ce que c'est son aura qui la rend si entreprenante ? Oui surement, quoi d'autre ? Al s'en convainc tout seul pour masquer sa peur.
Cathy se laisse fondre, ses lèvres frôlent les siennes.
Juste un effleurement, légèrement mouillé, doux comme une peau de pêche, et déjà ils éprouvent une délicieuse sensation. Leur respiration est succincte, leur poitrine serrée.
Il panique.
Cathy en veut plus.
Et sa bouche se heurte aux doigts que Al a érigé en barrière entre eux.
— P... Pas comme ça... dit-il dans un soupir.
Les pensées de Al tourbillonnent dans sa tête : "Comment alors ? A quoi tu penses ? Lâche. C'est ton amie ne lui fait pas ça", puis se déforment pour s'agglomérer en un tas de gribouillis informes n'ayant plus aucun sens.
Cathy ouvre grand ses yeux, et croise ceux de Al totalement paniqué. Elle recule jusqu'à l'autre bout du canapé.
— Je suis désolé ! la situation douche son cerveau qui se réveille soudain de son ébriété, Pardon ! Je ne voulais pas !
Se sentant coupable de la voir aussi bouleversé, il s'approche d'elle.
— M'approche pas Al ! Je suis comme les autres ! Je...
— Cathy... il la regarde se blottir contre le fond du canapé, ce n'est pas de ta faute : tu ne peux rien contrôler dans cet état. Tu... acceptes mon aide ? Dormir, pour te sentir mieux demain ?
Ne sachant pas de quoi il parle, elle hésite pour finalement hocher la tête.
— Regarde moi dans les yeux, s'il te plait.
Quand elle s'exécute, Cathy est happée par son regard : le myosis de Al se contracte au point de disparaitre, ses iris verts se déploient sur toute la surface de ses yeux. La jeune femme se paralyse à la fois de stupeur et d'émerveillement.
— Tu vas faire un rêve, très reposant. Sur une plage au coucher de soleil, avec des proches que tu aimes...
Hypnotisée, elle l'entend mais sent sa conscience s'éteindre à petit feu.
— ... il fait bon, continue Al, la mer est calme et vous profitez de cette journée pour ramasser des coquillages et manger des glaces, Cathy à les paupières mi-close, maintenant : dors.
Et le corps de la jeune femme bascule dans ses bras, tel une pierre coulant vers un sommeil profond.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Sale temps ce matin. Le vent venu du nord apporte une fraicheur soudaine. Les eaux de l'étang sont démontées, et les branches des arbres se couchent, offrant un spectacle tempétueux depuis l'étage de la villa de Carl.
Ce dernier n'a que faire du paysage : il s'affaire sur son ordinateur à mener les dernières retouches des photos de Cathy. Pendant qu'il règle les balances de couleurs, le contraste, les lumières ainsi que les flous, il ne peut s'empêcher de repenser à cet instant.
Cela fait deux jours qu'il rumine dans sa tête et n'a pas digéré son échec. Il était persuadé qu'elle était prête à être cueillie comme une fleur, où s'est-il trompé ?
Ses doigts attrapent une cigarette encore fumante sur le bord du cendrier.
La vérité c'est qu'il aime bien Cathy. Sincèrement. Et chaque jolie photo d'elle qui passe sur son écran lui font mal. S'ajoute à cela un stress supplémentaire : il n'est plus certain que son plan fonctionne. Les prémices de l'angoisse se glissent dans son esprit, comme des pattes d'araignées :
"Tu ne fais pas le poids contre lui", ses dents mordillent frénétiquement le filtre, "Il te la vole, comme il a pris les autres. Maman. Danielle. Maintenant Cathy. Tu peux faire tous les efforts que tu veux : tu restes une merde, personne ne t'aime".
Une plantureuse jeune femme, dans la vingtaine, entre dans son bureau et se place derrière lui pour lui masser sensuellement les épaules.
— C'est qui ? Demande-t-elle lorsqu'elle aperçoit l'écran.
— Ce n'est personne, répond-il déjà agacé.
— Revient au lit, j'aimerais encore profiter de toi "Daddy".
Il la laisse couvrir son cou de baiser. L'avoir invité pour noyer sa solitude était une bonne idée sur le coup.
"Tu es un connard, Carl."
Achevant une retouche, il passe à la photo suivante avant de réaliser que c'est une vidéo : celle où il l'embrasse. Son cœur se soulève.
"C'était bon pas vrai ? Imagine-le, lui, en profiter chaque jour."
— Bah dis donc, moi tu ne m'embrasse jamais comme ça, dit la jeune femme amusée.
L'homme lui attrape le bras, se lève d'un bond, puis l'allonge sur son bureau avant d'ouvrir son peignoir d'un geste vif. Elle se mord la lèvre, lui a besoin de se penser à quelqu'un d'autre que Cathy, immédiatement.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Une délicieuse odeur sucrée chatouille le nez fin de Cathy. Sa bouche est pâteuse et sa tête prise dans un étau. Elle enfile sa prothèse, sort du lit, et c'est un peu gênée qu'elle se dirige en suivant son odorat.
Penché au-dessus de plaques de cuisson, elle le retrouve à cuisiner le petit déjeuner. Pendant une bonne minute, elle reste plantée là, à le regarder le cœur vibrant tendrement. Puis, elle remarque sur la table un grand verre d'eau, et un petit ramequin d'amandes.
Quand Al se retourne en sentant sa présence : tout ça a déjà disparu dans son ventre.
Elle sourit bêtement.
Rassuré de voir qu'elle va mieux, il sourit et lui tend un tube de Citrate pour lutter contre la gueule de bois. Elle ne refuse pas du tout cette attention, qui n'est rien comparée aux généreux pancakes bien chauds qu'il empile dans son assiette, accompagnés d'un saladier de fruits divers comme des pommes, des kiwis et des bananes.
— Merci... Je ne mérite pas autant d'attention, dit-elle prise de remords pour cette nuit.
— De quoi veux tu parler ? Demande Al en penchant la tête, une pomme à la main.
— Je n'aurais pas dû boire autant, ça m'a amené à faire des choses pas... correctes.
— Je ne suis ni fâché, ni vexé, ni choqué de quoi que ce soit, répond-il en croquant.
Soulagée, elle saisit une banane. Par contre, lui, se sent dérouté par ce qu'il ressent lorsque la bouche de Cathy mange le fruit avec appétit.
Il s'étouffe avec un bout de pomme.
— Tout va bien ? Demande Cathy en le voyant rouge comme les fraises sur ses pancakes.
D'un hochement de tête, il lui répond sans rien ajouter. La sonnerie du téléphone "Ponponpon" de Cathy, les interromps.
— Ah c'est mon agenda : j'ai un rendez-vous important dans une heure.
Décaler son rendez-vous avec son kiné n'est pas envisageable, avec beaucoup de regret toutefois. Al descend récupérer ses vêtements à l'entrepôt, pendant que Cathy se douche et se sèche dans le moelleux peignoir de son "ami".
Profitant d'être seule, elle fait le point dans sa tête. La soirée d'hier fut riche en émotions, des frissons la parcourent quand elle repense à Al costumé en Prince Alriel, ainsi qu'au "presque-baiser" sur le canapé.
Remonte dans sa mémoire les mots de Al, prononcés à cet instant de sa voix grave et essoufflée : "Pas comme ça".
Elle rougit et ses neurones partent dans un florilège de théories quand trois petits coups dans la porte de la chambre la font sursauter : Al est revenu.
Avec rapidité, elle enfile sa prothèse, s'habille et rejoint Al déjà équipé et assis sur le rebord d'une fenêtre. Sans hésitation elle se blottit contre lui, prête pour la descente. L'homme la serre contre lui, utilise son pistolet, puis chute en arrière.
De longues secondes défilent dans une matinée grisâtre et venteuse. Le SPF à prit soin de descendre du bon côté pour éviter les turbulences. La jeune femme réalise que les employés comme Al, Gehlal et Hafsa vivent réellement enfermés dans la tour.
Lovée dans ses bras, Cathy profite du moment avant de devoir se séparer de lui. Peu de mots sont échangés. Ils échangent des sourires tendres. Les doigts de Al glissent dans la chevelure de Cathy, les cœurs battants ensemble, avant de la voir prendre la direction de son Tramway.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Après avoir été épuisée, l'invitée de Carl rentre chez elle. La jeune femme se moque éperdument du manque d'affection de son amant, elle obtient ce qu'elle veut de lui et ses états d'âmes ne l'intéressent pas.
Carl se réinstalle devant son bureau et achève en une heure les retouches. Il les envoie ensuite par email à Cathy avant de prendre son téléphone. Il fouille dans son répertoire, trouve un numéro et envois le tout.
Cerbère entre dans la pièce pour réclamer de l'attention. Son maitre lui accorde une caresse sur la tête, avec un sourire satisfait :
— Bon chien.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
— ... et là je lui ai dit "non mais si tu veux un bon café tu n'as qu'à te brosser les dents !", raconte une machine à café sympathique pendant que Al la répare, et tu sais ce qu'il m'a répondu ? "depuis quand tu as un nez toi ?"
La voix métallique imite un tchip.
— Tu n'as, effectivement, pas de nez MCS332, lui répond Al.
Le SPF sort des entrailles de la machine un vieux chewing-gum ananas solidifié par le temps.
— Ce n'est pas une raison ! Je n'en ai pas besoin : il avait encore une feuille de salade entre les dents !
Il soupire, ce samedi va être long, quand son téléphone vibre : un texto anonyme, avec des pièces jointes.
Quand il ouvre la première, les yeux de Al s'agrandissent et ses doigts tremblent.
À chacune des magnifiques photos son cœur s'envole : Cathy est si belle dessus, épanouie, séduisante. L'homme à l'impression de la découvrir pour la première fois. Ses épaules nues, sa peau, ses cheveux noirs en cascade dans son dos, son sourire, et ses formes suggérées par la fluidité du drap satiné : chaque détail empoigne son cœur qui bat à la folie dans sa grande carcasse.
Puis, la dernière pièce est une vidéo.
Il la lance.
Et son cœur éclate en mille morceaux.
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Vous l'avez vu venir non ? ou pas ? :')
Au fait, la mission 53 clôture la saison, et vous saurez qui est le PDG ;)
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