Mission 49 : laisser le temps filer
Après le séminaire, et des explications qui n'ont pas vraiment satisfait la curiosité de Luan, Cathy voit plus souvent Al à Corporate. Avec ce qui s'est passé, l'homme n'a pas envie de quitter la tour, telle une princesse fuyant la civilisation. Au fond elle comprend.
Profitant d'une accalmie avant septembre, qui va rendre le SPF difficilement disponible, la jeune femme ne rate plus une occasion de prendre un café, ou de déjeuner, avec lui.
Elle se sent beaucoup plus détendue en sa présence, comme si ses hormones avaient enfin pris des vacances. Non pas que le charme de Al n'opère plus, c'est juste... différent.
Un sentiment plus léger a pris la place des lourdes réactions abusives dans son corps. Au lieu de battre violemment, son cœur vibre. Au lieu de s'empourprer, elle rosit. Au lieu d'avoir des bouffées ardentes à faire fondre ses oreilles, elle repense à celles, plus douce, procurées par ses caresses dans son rêve.
Rêve dont elle n'a évidemment pas osé lui parler cette fois, malgré l'importance positive qu'il a eue sur sa psyché.
Trop gênant.
Elle y repense souvent, quand elle est seule. Aujourd'hui, Cathy s'est réconciliée avec ses envies solitaires, et ne pensait pas qu'elle en avait tant besoin pour se sentir mieux dans sa tête. Ethan ne se montre plus que pour lui rappeler sa dette de chair : lorsqu'elle se regarde dans le miroir.
Assise dans l'herbe de l'étage forêt, elle regarde Al appâter les lapins avec un sac de balles de golf carotte.
Que de chemin parcouru depuis son arrivée à Corporate, sa première rencontre et son premier rêve avec lui. Cathy se sent plus forte, et lorsqu'elle le voit se faire agresser par une armée de lapins tout mignons pour lui réclamer de l'affection, elle veut le devenir davantage.
Pour le protéger.
Au lendemain de l'incident à l'hôtel, Cathy avait appelé Al pour lui demander s'il souhaitait porter plainte. Mais il lui avait répondu, dans un sourire las, que s'il le faisait, il faudrait respecter ensuite cette logique et virer une bonne moitié de l'entreprise.
Ça avait glacée la jeune femme de réaliser l'ampleur de son enfer quotidien.
Puis, il lui a expliqué calmement que ces personnes étaient des victimes de son "aura". Cathy n'était pas d'accord : pour elle il suffisait de faire preuve de volonté, mais il lui a répondu que tout le monde n'est pas aussi fort qu'elle, ou Daniel. Quant à Vincent, à l'époque de leur rencontre, il était profondément amoureux de sa femme : ce qui l'avait prémuni de sombrer dans la folie attractive.
Pensive, elle ne sait toujours pas pourquoi ce fantôme lui a montré ces portraits, ni d'où vient son impression que Al n'a rien d'ordinaire, que son aura est surnaturelle, comme tout le reste chez lui, ni s'il est lié à cette faille : Gehlal la boude.
Mais elle est sûre d'une chose : il est unique, et veut prendre soin de lui, le protéger sans l'étouffer, son "Prince Alriel". Il a besoin d'un chevalier à ses côtés, pas d'une petite copine en manque d'amour et de confiance, se dit-elle.
Cathy sourit quand elle l'entend appeler faussement à l'aide sous la marée de boules de poils duveteuses. Puis, Al se redresse sur son séant, un sourire amusé aux lèvres en surprenant l'air rêveur de la jeune femme.
Les petits lapins repartent vaquer à leur grignotage de balles de golf en carotte. L'homme époussette sa chemise, et fait quelques pas à quatre pattes vers elle.
— A quoi penses-tu ? semble-t-il ronronner.
Cathy retient un recul en le voyant arriver ainsi : trop désirable d'un coup.
— Je profite de ta présence, avant que tu ne croules à nouveau sous le travail, dit-elle en soupirant.
— ça... te rend triste ?
Avec une mine désolé il s'assoit près d'elle, la tête penchée.
— Un peu, elle affiche un sourire pincé, je survivrais si tu m'appelles souvent.
Une expression complice sur le visage de Al lui répond. Un silence passe, durant lequel ils se regardent. Elle le brise pour une question qui la triture depuis hier :
— Est-ce que tu viendras pour Halloween ?
Le sourire de l'homme s'efface un peu. Elle sait qu'il a peur.
— Si tu hésites : sache que je serais avec toi, il ne t'arrivera rien, sa main effleure la sienne.
Ayant peur de la voir déçue il baisse les yeux et regarde sa main... surpris de voir que leurs doigts se sont inconsciemment entrelacés.
— Ne te force pas, dit-elle avec une voix rassurante.
— Vincent me trouvera une solution.
— Comme le "protocole de sécurité" qui n'a pas fonctionné ? Répond-elle amer.
— Ah, il échappe un soupir, ce n'est pas fiable à 100% ... mais j'ai pu sortir à l'extérieur avec toi sans trop de problèmes, au moins une fois, il sourit à ce souvenir.
— C'est vrai. Pardon... je n'ai juste pas digéré ce qui t'est arrivé à l'hôtel.
"Mais si je croise quelqu'un qui te touche sans ton consentement, je te jure qu'il, ou elle, mangera un 'Spinning heel kick' dans sa face, si fort que l'empreinte de ma prothèse restera gravée dans sa mâchoire", se garde-t-elle d'ajouter.
Fréquenter Mika déteint sur elle visiblement.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Le mois de septembre arrive avec l'innocence d'un fromage frai, qui cache la puissance d'un munster oublié depuis deux mois après la date de péremption.
Les archivistes sont sollicités pour reconstituer d'anciens dossiers, lancer de nouvelles campagnes publicitaires, refaire des comptes, des inventaires, préparer une nouvelle exposition en interne mais aussi en externe lors d'un salon sur l'innovation.
Entre-temps, Luan et Cathy se détendent hors du travail au cinéma et au bar le soir, accompagné de Mika. Ce dernier n'a pas l'air dans son assiette depuis le séminaire et impossible de lui tirer les vers du nez. Toutefois il leur parle souvent de sa petite sœur, qu'il voit beaucoup en ce moment.
Luan tente plusieurs fois d'ouvrir les yeux de Cathy sur Al. Mais elle s'est conditionnée à nier l'évidence. Et ce grand nounours de SPF semble complètement transi, mais ne cherche jamais à entreprendre quoi que ce soit : désespérant.
D'ailleurs Luan ne verra pas beaucoup Vincent durant cette période : sous l'eau avec le travail, au point de garder ses enfants régulièrement le soir. Amélie et Julien l'adorent, et commencent à lui poser des questions : "t'as un copain ?", "tu aimes mon papa ?", "tu as déjà fait un bisou à papa ?", "papa il parle souvent de toi tu savais ?" etc.
C'est mignon, mais elle n'ose pas leur dire qu'en ce moment, elle se demande s'il la voit comme une femme, ou une amourette de 11 ans de moins que lui. Il n'a jamais saisi une occasion de conclure. Dois-t-elle faire le premier pas ? Pourquoi il n'y a que Daniel, dans le trio des BG de Corporate, qui semble être le plus dégourdi pour draguer ?
En parlant de Daniel, ce dernier croule sous les rendez-vous : entre les bilans psychologies annuels à préparer, mener, et les séances de "gestion du stress post-rentrée", il termine pile poil ses journées à la limite du couvre-feu, avant de s'effondrer dans son lit le soir.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
— Je pensais que vous m'aviez oublié, fit Carl taquin.
Tranquillement, il pose sa tasse sur la table et fait mine d'attendre une excuse.
— Vous voulez que je me justifie ? Répond Cathy sur le même ton.
— Vous m'avez un peu manqué, une moue faussement boudeuse se dessine sur son visage.
Cathy, amusée, prend son cappuccino, hausse les sourcils, sans un mot, le fixe le temps boire et repose sa tasse. L'homme la regarde, un sourire en coin : ce petit jeu l'émoustille.
— J'aime me faire désirer : c'est ce que me dit toujours ma mère quand je lui rends visite.
Carl éclate d'un rire franc. Puis, la jeune femme lui raconte en très grandes lignes le séminaire, suffisamment pour ne pas se mettre en défaut vis-à-vis de son contrat.
L'avocat lui raconte une sombre histoire de trafic qui glace son interlocutrice. Carl fait preuve de beaucoup de prise de recul et de professionnalisme. Ça l'impressionne.
— Bref, soupire Carl en terminant son café, je ne suis pas aussi détendue que vous ces derniers temps pour cette raison.
Détendue ? Ce n'est pas la première fois qu'on lui fait cette remarque. Cathy repense alors au rêve... c'est bien depuis ce dernier qu'elle se sent mieux dans sa tête, et dans son corps.
À un détail près.
— Carl ...
Il lève les yeux sur elle et la voit soudain gênée, le regard fuyant et ses mains triturent un pan de sa jolie robe en popeline. Elle reprend :
— Est-ce que vous pensez que votre art thérapie pourrait vraiment... m'aider ?
Elle a toute son attention, mais les mots se sont coincés dans sa gorge. Carl tend le bras pour lui poser une main sur la sienne.
— Quelque chose ne va pas ? Vous aviez l'air d'aller bien...
— J'aimerais... avancer, ses yeux s'embuent de larmes, j'ai fait un énorme bond en avant il y a peu, mais je sens que... ce n'est pas suffisant.
Même s'il n'est clairement pas le plus doué pour faire preuve d'empathie, voir la jeune femme dans cet état ne le laisse pas indifférent. Il a le bon sens de la laisser continuer.
— Quand je me regarde dans le miroir je... me sent incomplète sans la prothèse, elle prend une inspiration pour maitriser ses émotions, et je ne sais pas quoi faire pour m'accepter sans.
— Je n'ai pas la prétention de parler au nom des personnes qui sont venues me voir. Mais je peux promettre une chose : je ferais en sorte que vous vous trouvez belle. Ça ne peut que vous aider à aimer votre reflet dans le miroir.
Cathy se frotte les yeux et lui sourit.
— On prend rendez-vous comment, avec votre planning de ministre ?
— Disons fin octobre ? Ça vous laisse le temps d'y réfléchir, de vous y préparer mentalement.
— C'est parfait Carl, merci, elle lui sourit.
— Tout le plaisir est pour moi, dit-il en lui caressant la main.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Un samedi, Mika enfourche sa moto pour se rendre à un rendez-vous. Il a pris soin de lui : douché, rasé de près, soin pour ses cheveux ondulés, petit parfum, jean cintré et t-shirt noir à col déboutonné, bracelet au poignet, petite boucle à son oreille droite. Il ne sait pas vraiment pourquoi il fait ça, mais ça l'aide à avoir confiance en lui.
Endurant le souffle chaud de l'été indien, il roule jusqu'au plateau qui domine la ville, et remonte un sentier pour arriver vers un bâtiment un peu perdu dans la nature. À l'intérieur l'attend Daniel qui l'accueille chaleureusement.
En pantalon de ville écrue, polo blanc, Mika se demande si un jour il le verra avec de la couleur, mais ça lui va bien. Depuis quand il fait attention à ce genre de détail ?
L'ange présente son ami à ses camarades du club de tir, puis l'emmène vers l'arrière du stand. Très attentif aux mesures de sécurité, Mika se montre très exemplaire et fait preuve d'aucune étourderie. Quand on l'estime prêt, on le guide vers la partie du stand où des membres s'exercent, en tirant sur des disques d'argile lancés à différentes vitesses et distances.
Daniel lui montre l'exemple : il enfile un casque anti-bruit avec des lunettes de protection, saisit une carabine, et lui remontre comment s'en servir avec des gestes que Mika essaie de ne pas surinterpréter. Puis l'ange vise, et éclate un disque.
Mika pensait qu'il avait beaucoup de charisme, mais là, c'est un tout autre niveau. Puis c'est au tour du manager qui se sent fébrile lorsque Daniel le touche, pour lui montrer comment bien tenir son arme, positionner ses jambes, son bassin, ses bras et épaules pour ne pas se faire mal lors du retour.
Des petites choses qui vont hanter Mika toute la journée.
Quand il tire, même s'il rate sa cible, la vibration puissante de l'arme entre ses mains remonte jusqu'à ses épaules, lui procurant une sensation très satisfaisante.
La journée passe et se termine autour d'un apéritif, sans alcool, où Mika se laisse aller à rire aux plaisanteries. Lorsque le manager apprend que Daniel n'a pas le permis, il saute sur l'occasion :
— Je te ramène ? Son cœur tambourine.
— Si tu as un deuxième casque, volontiers.
Son enthousiasme s'effondre : il n'a pas pensé à ça. Sa déception est perceptible. Daniel lui pose une main sur la cuisse et lui dit :
— Si tu n'y vois pas d'inconvénient, j'ai soudain envie de vivre dangereusement pendant quelques minutes, avec toi.
Le sourire de Daniel à ce moment-là a l'effet d'un jet de café bouillant de Kitt, après une bonne insulte, sur Mika : d'une sensualité radiante, le regard langoureux, et cette main... Il est maintenant certain que le petit baiser à l'hôtel n'était pas une blague : il se fait draguer.
Draguer par l'ange de Corporate.
Ouh. Ça lui fait des guilis dans le ventre.
Pendant tout le trajet, Mika se concentre sur la route, ne prenant aucun risque avec un passager sans casque. Daniel, lui, a l'air de vivre sa meilleure vie, cheveux au vent.
— Est-ce que je peux tendre les bras quelques secondes ? Lui demande-t-il dans une ligne droite déserte.
Mika hoche la tête, puis le regarde dans son rétroviseur tendre les bras en croix pour goûter à une meilleure sensation de la vitesse, et prendre un pied fou. Il n'aurait jamais imaginé que l'homme en blanc aimerait autant la moto, et afficher un visage si... il rougit, et se reconcentre aussitôt.
Puis, Daniel se raccroche au conducteur par la taille, un large sourire aux lèvres.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Le mois d'octobre à un goût de septembre, comme si la rentrée coulait comme un camembert bien fait sur une tartine encore chaude.
Al n'a pas été très disponible durant ces dernières semaines, et ne l'est toujours pas. Cathy non plus d'ailleurs.
Heureusement, pour pallier le manque, les deux "amis" s'appellent souvent en fin de journée, et Al a commencé à lui donner des cours de cuisine au téléphone : une excuse très amusante pour passer du temps ensemble, et faire parler le grand timide.
Cathy adore, et l'adore. Mais adorerait davantage une vraie démonstration de ses talents culinaires.
Elle remarque qu'il ne lui apprend que des plats végétariens, et suppose qu'il ne peut supporter de manger de la viande grâce à son empathie avec les animaux. Un détail très important si un jour elle veut l'inviter à dîner : une idée qui rosit ses joues pendant qu'elle mélange une ratatouille.
Les jours passent et les archivistes n'ont toujours pas dépilé les demandes de la rentrée, ni de préparer les expositions. Mika fait preuve de patience pour superviser celle prévue pour le salon de l'innovation. Depuis qu'il fréquente un peu Daniel, le manager est beaucoup moins agressif avec son entourage.
Le jour J, il est couronné de succès à son retour de l'exposition : la concurrence s'est retrouvée démunie devant la créativité de l'entreprise et prototypes incroyables sur un stand majestueux et parfaitement organisé. Et l'entreprise revient avec le grand prix de l'innovation de l'année avec son dernier concept de machine à café.
Le temps passe, Cathy se voit proposer une date pour la session d'art thérapie avec Carl, juste avant Halloween. Elle doit se préparer mentalement, et aussi penser à son costume : Mika a été bien clair là dessus, les archivistes doivent remporter un prix !
₍ᐢᐢ₎---------------₍ᐢᐢ₎
J'ai beaucoup aimé la scène entre Mika et Daniel, rien de folichon mais c'est plaisant de raconter ce qu'il se passe entre eux, et la découverte progressive de Mika sur sa bi-sexualité. J'espère que c'est bien raconté et pas trop cliché ?
Est-ce que la qualité des chapitres est toujours au rendez-vous malgré le nouveau rythme de publication ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro