Mission 42 : l'appeler
Le soir même, Cathy rentre chez elle avec une sensation désagréable dans l'estomac. La journée avait si bien commencé, exactement comme le jour du "vis ma vie" : un moment magique, avant de se terminer sur un drame.
Si les apparitions de Ethan sont proportionnelles au bonheur ressenti, mit en parallèle avec l'allégresse qu'elle a vécu aujourd'hui : Cathy l'a trouvé très affaiblit dans l'ascenseur. Il aurait dû être bien plus fort que la dernière fois. Et a bien y réfléchir : elle n'a plus cauchemardé de l'accident depuis la dernière fois.
"Je deviendrais plus forte ?" pense-t-elle en terminant machinalement son bol de nouilles instantanées.
Mais son appétit n'est pas au rendez-vous. Elle repense au dernier regard de Al : il était si inquiet, mais a quitté l'étage avec une amertume palpable.
Ses pensées la suivent dans sa routine du soir. La voilà déjà dans la salle de bain. Devant le miroir son regard se voile, observant son corps à nu, et trouve que la plus belle partie d'elle-même est cette superbe prothèse. Le reste...
Assise sur le bord de sa baignoire, elle appuie sur le bouton qui desserre en quelques secondes, puis retire sa demi-jambe avec facilité, avant de faire glisser le tissu du manchon pour s'en libérer. L'objet est vraiment magnifique, élancé, agréable au toucher... comme lui. Luan et Mika étaient bouche bée en la voyant, avant de la bombarder de questions.
Elle pose rapidement la prothèse sur le banc à côté. Et jette un dernier coup d'œil au miroir, avant de se glisser dans son bain pour ne plus penser à son image incomplète.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Le mois de juin est déjà là, avec le début des grosses chaleurs. Ah le soleil c'est bien, enfin pas quand il transforme l'intérieur du tramway en sauna avec l'option "odeur de sardines frites dans l'huile". La climatisation ? Pour les faibles voyons ! "Ce n'est pas la saison" qu'ils disent.
Paradoxalement le début de la période des bouchons avant les vacances à cause des feux d'autoroute, ceux que déclenchent les abrutis qui jettent leur mégot de cigarette par la fenêtre : mettant le feu aux broussailles.
Clairement pas la saison préférée de Cathy.
Cathy soupire ballottée dans la rame entre une morue et un thon. Heureusement, sa musique l'aide à penser à autre chose jusqu'à destination.
Pendant le trajet, elle relit ses derniers échanges avec Al : il fuit ses propositions de se voir autour d'un café. Une semaine que ça dure, ça ne lui ressemble pas. Hors de question que ça persiste : ce soir elle l'appellera.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Mika est en sueur. Il a beau relire et re-relire le message reçu : ça reste difficile à croire, au point de demander à Cathy de le lire à son tour, pour qu'il soit certain d'avoir bien compris :
- "Salut. Ça m'a fait plaisir de te voir, et je m'en veux de ne pas t'avoir envoyé des nouvelles depuis..."
Cathy glisse un regard vers son manager, assis à son bureau, tenant sa tête entre ses mains. Elle poursuit :
- "Tu accepterais qu'on se revoie ? Tamila."
Cathy savait déjà que Mika était en conflit avec sa famille, pour l'avoir rapidement évoqué une fois au Orter, et voit ce message comme une excellente nouvelle, ce qui ne semble pas être le cas de son manager.
- ça va mal se finir je le sens, dit-il en relevant la tête, je ne suis vraiment pas doué...
Par peur de se montrer intrusive, elle n'ose pas demander pourquoi.
- Demandes lui si tu peux être accompagné par quelqu'un ? Je peux le faire, si tu as besoin.
Ce n'est pas pour la vexer, mais il a évidemment pensé à quelqu'un d'autre sur le coup.
- C'est sympa de te proposer. Mais... je pense que je devrais y aller seul, désolé.
- Je le prends bien, elle sourit.
Il se lève de son siège et frictionne les cheveux de Cathy dans un geste affectueux. Elle se laisse faire voyant que c'est amical.
- T'es une super pote.
Ils sourient.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Cathy s'installe dans son canapé après avoir mangé un essai culinaire relativement moyen. Téléphone à la main, elle est déterminée et appelle Al qui décroche seulement à la deuxième sonnerie. Rapide.
Ils se saluent brièvement, ne souhaitant pas tourner autour du pot Cathy enchaine :
- Al, je t'appelle car tu m'évites depuis une semaine.
Silence. Elle insiste :
- Je ne t'ai pas revu depuis ton cadeau... Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ?
- Non, il sait qu'elle ne va pas se contenter de si peu.
Comment aborder ce qu'il a dans sa tête, sans la fâcher ?
- Al, dis-moi ce qui ne va pas s'il te plaît, c'est important de se parler entre amis.
Il hoche la tête en sortant de sa salle de bain, vêtu d'un peignoir.
- Quand tu es reparti Daniel m'appelé, il s'assoit sur le bord de son lit, tes collègues te cherchaient. Comme tu n'étais pas avec moi il s'est inquiété et ... m'a demandé si tu étais heureuse avec moi, avant qu'on se sépare.
Cathy entend dans la voix de Al une douleur perceptible, et commence à deviner ce qui se passe. L'homme se remémore ces paroles qui l'ont foudroyé à ce moment-là : sa cage thoracique se comprime à ce souvenir. Il poursuit :
- Je lui ai demandé pourquoi. J'ai beaucoup insisté, et il m'a dit que...
Une larme roule sur la joue de Al. La jeune femme au bout du fil sent son cœur se serrer. Il baisse la tête.
- ... quand tu es heureuse avec un autre homme, ton cauchemar apparait. Comme la dernière fois.
Les images lui reviennent en tête, comme des piques qui se plantent dans sa grande poitrine.
- Tu m'évites car tu as peur qu'il m'arrive quelque chose ?
Il se passe une main sur la figure. Al ressent de la colère envers Ethan et ne voit pas que ses yeux sont noirs.
- Il a essayé de te tuer dans l'ascenseur. Il a tenté de te ...
Le mot ne passe pas. Al se sent mal en revoyant sa doublure maléfique lui arracher la prothèse et tenter d'abuser d'elle. Le cri de Cathy résonne encore dans sa tête. Peur et colère se mélangent, la nausée saisit son estomac.
- Al... murmure-t-elle, écoute-moi...
Prenant son silence pour un oui, elle poursuit :
- Moi aussi j'ai eu très peur quand tu as été blessé. J'ai pensé que je ne devais plus te mettre en danger et cesser de te voir. Mais... j'ai tellement envie de rester ton amie, elle se mord la lèvre.
Al relève lentement la tête, le cœur toujours serré.
- Je te promets que je deviendrais de plus en plus forte ! Bientôt il ne viendra plus, et ne nous fera plus aucun mal, il ne restera de lui plus que des cendres.
Le rythme cardiaque de Al palpite, il sourit timidement :
- Alors tu... veux bien continuer d'être heureuse avec moi ? Dit-il en serrant entre ses doigts le téléphone.
Cathy sent son cœur s'envoler à ces mots.
- Oui, même s'il reste toujours un risque, je ne veux pas me priver de ça. Pardon c'est très égoïste de ma part, lâche-t-elle dans un soupir.
- Non. Moi aussi, je ne veux pas m'en priver.
Le poids dans la poitrine de Al le quitte, et son regard redevient constellé. Dans une profonde respiration il se libère complètement des sentiments qui le torturaient. Un sourire doux s'esquisse sur ses lèvres, et celles de Cathy. L'envie de s'étreindre les saisit, pour mieux leur faire ressentir la frustration de la distance qui les sépare.
Elle saisit un coussin et le serre dans ses bras. De son côté Al l'imite sans le savoir, il se sent beaucoup mieux et attendrit.
Peu encline à vouloir raccrocher elle relance la conversation :
- On... On devrait s'appeler plus souvent.
"Mais pourquoi je dis ça ?" se surprend Cathy, les pommettes roses.
- Je ne suis pas très bavard. On m'a souvent dit que c'était mieux... quand je ne parle pas.
- Pardon ?! Elle se redresse sur son séant, remontée contre celui ou celle qui a osé dire ça. Tu veux surement parler de ceux qui venaient te voir que pour... pour le... sexe, elle s'empourpre.
Al penche la tête sur le côté, comme si elle venait de mettre le doigt sur une évidence. Les souvenirs s'empilent dans sa tête et la conclusion ne tarde pas à venir :
- Maintenant que tu me le dis ... oui.
- Ces gens-là ne voulaient qu'une seule chose de toi.
"Alors que moi, je te veux tout entier" faillit-elle dire.
Cathy sent son cœur s'emballer comme un pauvre lapin attaché à l'avant de la navette du Space Moutain. Cette pensée vient du tréfonds de son inconscience, balancée tel un pavé dans la mare de sa raison. Ça lui coupe le souffle.
Elle réfute en bloc, et poursuit :
- Alors que tu es quelqu'un de très intéressant, dit-elle en un souffle.
- Je suis... intéressant ? sa voix est timide.
- Al, tu es un homme intelligent, t'y connais en cuisine, tu parles même aux animaux ! Et tu fais des merveilles avec tes doigts, elle s'arrête, pour bricoler ! Tu, tu ...
Sa voix se termine comme un vieux disque rayé. Al rit, prenant bien ce petit lapsus sans se douter qu'il est révélateur : son côté princesse innocente surement.
Un pauvre neurone encore fonctionnel se dit qu'elle est vraiment cuite, mais tous les autres ne l'écoutent pas. Cathy se racle la gorge avant de continuer :
- Tu m'épates avec tout ce que tu fais à Corporate. Mais... En dehors de l'entreprise, tu as une activité ? Silence, tu fais quoi de tes week-ends ?
- Je travaille, il se sent ennuyeux de dire ça.
- Tu fais du 7 jours sur 7 ? demande-t-elle en fronçant les sourcils.
- Oui, comme Hafsa, Sam et Gehlal, nous vivons dans la tour.
- Je comprends mieux pourquoi tu es si peu disponible.
- Je suis désolé, répond Al dans une voix ténue.
- Pourquoi ?
- Je suis peu disponible... il se mord la lèvre, pour passer du temps avec toi.
- Ce n'est pas grave, raison de plus pour s'appeler plus souvent. On pourrait débattre de l'actualité, ou parler du dernier croissant laqué au nutella de chez Véronique, sans pression avec ton planning.
Elle balance ses pieds dans le vide comme une enfant. Lui bascule en arrière pour s'allonger sur son lit.
- Pardon, je suis une vraie pipelette, elle rit.
- J'aime bien t'écouter, murmure-t-il.
Tous les deux n'ont pas envie de raccrocher, la jeune femme improvise alors sur une question qui peut lui permettre d'en apprendre plus sur lui de façon amusante :
- Quel est ton plaisir coupable ?
Al écarquille les yeux : pleins de choses lui viennent en tête mais est-ce vraiment des plaisirs avouables ? Voyant qu'il hésite à se lancer, Cathy donne l'exemple :
- Le beurre de cacahouète, à même le pot avec une grosse cuillère.
"Menteuse" lui souffle le dernier neurone encore en capacité de réfléchir. Al est soulagé : pendant quelques secondes il a cru devoir parler de ses plaisirs intimes, et se serait trompé dans l'énoncé.
- Si on parle de nourriture, j'avoue parfois descendre une bouteille de chantilly comme une pinte de bière, il sourit et l'entend rire à l'autre bout du réseau.
Évidemment, Cathy a l'image de Al qui fait couler le contenu d'un tube de chantilly directement dans sa gorge, tout en s'en mettant un peu partout de façon très sensuelle. Chemise humide en option bien sûr, histoire de bien rester dans le cliché.
- Je ne peux pas m'empêcher de lécher les opercules des pots de yaourt, elle glousse.
Son dernier neurone lâche l'affaire, le déni a atteint des niveaux trop stratosphériques pour lui.
Al quant à lui est très amusé, plutôt à l'aise visiblement sur ce genre de discussion aux allusions plus ou moins douteuses. À vrai dire, avec Daniel, il y est habitué. Cette complicité lui plaît beaucoup, et il se laisse prendre au jeu sans vraiment réaliser s'il va trop loin :
- Malaxer de la pâte feuilletée maison, et en croquer des petits bouts, dit-il sur un ton plus suave.
Les pieds de Cathy cessent de se balancer dans le vide à l'image de Al en train de masser sa cuisse, et de mordiller sa peau.
- S... Saucer avec le doigt une assiette !
- Se lécher les doigts après avoir mangé des churros.
Ça dérape, vite elle change de registre :
- Eclater du papier bulle.
- T'écouter me raconter tes plaisirs coupables, il l'entend rire à nouveau et sourit.
- Dormir en Kirugumi !
- Dormir nu dans des draps frais.
Échec et mat par sur-stimulation érotique de son imaginaire.
- ... Tu es... toujours là Cathy ? demande-t-il penaud.
Elle a trop d'images en tête de lui, toujours très avantageuses, trop pour son petit cœur, "Je suis vraiment qu'une perverse", pense-t-elle tristement, "il serait déçu s'il savait ce que j'imagine" ...
"Ethan a raison."
- J'ai été trop loin ? Demande-t-il, inquiet de ne plus l'entendre.
- Non, pas du tout, c'est moi : je n'ai plus d'idée, elle lâche un rire forcé.
N'étant clairement pas un idiot, Al comprend qu'elle lui ment pour le rassurer. Elle fait beaucoup d'effort, et lui ne fait qu'en rajouter une couche. Il s'amusait et n'avait pas fait attention. Se sentant coupable, il lâche son coussin puis se lève en passant une main dans ses cheveux.
- Alors ne te force pas, dit-il d'une voix rassurante.
- Oui, il se fait tard de toute façon.
Avec réticence, ils se disent de passer une bonne nuit avant de raccrocher.
Puis, la jeune femme se glisse dans son lit un peu dépitée : Ethan n'a même pas besoin de se manifester dans sa tête pour gâcher un moment complice avec Al. Elle serre davantage son coussin entre ses bras.
Al se dirige vers sa salle de bain, et range son peignoir. En repensant à toute la conversation, et à l'image qu'il eu de Cathy léchant un opercule de yaourt, il rougit. Une chaleur était montée en lui à ce moment là, et ne l'a pas quitté depuis.
Il n'en fera rien, ne sachant pas quoi en penser, et se rafraichit le visage à l'eau froide.
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J'avais envie d'écrire un long dialogue "complice" entre Al et Cathy, mais j'ai hésité a le poster de peur que ça paraisse trop "nunuche". Comme il s'agit d'un 1er jet j'ai décidé de le conserver.
Pov: dans la tête de Cathy xD
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