Mission 3 : le café
Deux heures plus tard, Mika lui propose de faire une pause. Et si elle rapportait deux boissons chaudes pendant qu'il descend des cartons perchés à trois mètres de haut ? Le service des archives ne disposant pas de machine à café, Cathy doit se rendre à un autre étage.
Cette fois pas de problème : le cinquième étage est bien disponible dans l'ascenseur, jaune, qu'elle choisit. Croisant d'autres collègues, elle les salue brièvement, encore trop timide.
Comme devant 99 % des machines à café d'entreprise, il y a des personnes qui ragotent en touillant fiévreusement leur boisson fumante :
— Je te jure, quand j'ai voulu utiliser la photocopieuse du 37e, il s'est approché de moi : j'ai cru qu'il allait me faire un "truc" ! Dit une femme toute excitée. C'est embarrassant d'être à son contact.
— Ah ! Soupire une autre femme avec une moue de dégoût. En plus, il est vraiment trop bizarre. Moi, il me fait flipper ! Tu ne sais pas ce qu'il va te faire, ou ce qu'il fait...
— Le problème, c'est qu'on le croise souvent vu que c'est l'expert en photocopieuse, soupire leur collègue masculin.
— Moi j'ai tellement envie de le coincer dans une remise quand je le croise... susurre un autre qui touille son café en se mordant la lèvre.
Une sonnerie d'âne hurle sur leurs téléphones : c'est la fin de leur pause. Ils s'en vont en soupirant. Cathy ose enfin s'approcher de la machine à café, se fichant bien des ragots sur les autres : ce n'est vraiment pas son truc et elle préfère se fier à son ressenti.
Lorsqu'elle appuie sur le bouton expresso et le nombre voulu : une petite musique se lance et les lumières de l'espace détente se tamisent. Une boule à facettes sort d'une trappe de la machine et une voix, un peu trop enthousiaste, dit :
— Hey ! Salut ! Pour deux expressos sans sucre, la chanson du jour est...
Une roulette s'affiche sur l'écran tactile et s'arrête sur un choix surprenant :
— "Ponponpon" !
La boule se met à scintiller au-dessus de la jeune femme et les premières paroles s'affichent.
Cathy est en sueur. Cette chanson, elle la connaît, mais doit-elle vraiment chanter pour avoir ses cafés ? Tout le monde va l'entendre, se moquer d'elle et... le couplet démarre. Faisant de son mieux, chantant le plus juste possible, Cathy reste droite, les poings serrés et les yeux rivés sur les paroles qui défilent. Concentrée outre mesure, elle ne voit pas les quelques curieux qui arrivent.
La machine lance des encouragements : "Super !" , "Unbelievable !" et on peut lire le score de Cathy décoller à une vitesse vertigineuse. Elle se surprend à s'amuser et se détend jusqu'à sautiller un peu. Derrière elle, les collègues se trémoussent en exécutant la chorégraphie du refrain. Aussi absurde qu'elle puisse être, ils la connaissent tous par cœur.
Et quand la musique s'arrête, des confettis se jettent au visage de Cathy avec un son de trompette. Un record a été battu et on l'applaudit. Surprise, elle se retourne et voit les collègues repartir à leur travail comme si rien ne s'est passé.
Le calme est soudain. Deux expressos attendent dans le compartiment à gobelet. Ses mains sont encore tremblantes d'adrénaline. Puis, elle part en direction de l'ascenseur loin de se douter que les boissons attirent déjà la convoitise des collègues. Cathy analyse l'odeur délicieuse qui se dégage des couvercles. Jamais elle n'a senti un tel arôme naturel dans un café : subtil mélange de parfums de fruits à coque et de Cannelle, légèrement floral. Il a l'air très doux mais puissant, elle a hâte d'y goûter.
Soudain, un homme surgit devant elle, il tient une pile de papiers, a le regard fou et les cheveux en bataille :
— Salut ! Je t'échange ces deux cafés contre mes post-it préférés : regarde sur celui-ci, il y a même les courses pour demain !
La jeune femme l'esquive poliment par un "non merci". Lentement, l'ambiance dans l'open space qui la sépare de l'ascenseur devient malaisante. Une sensation de vertige déforme l'espace, lui donnant l'impression de traverser une jungle hostile.
Soudain un tapis se dérobe sous ses pieds : quelqu'un vient de le tirer et profite de son déséquilibre pour se jeter sur elle. La jeune femme se redresse. Elle pose un gobelet sur le couvercle du deuxième, pour les tenir d'une main, et plaquer l'autre sur le visage d'un homme. Avec force, elle le repousse pour se faufiler avant de partir en courant.
Son cœur suit la cadence de sa course. Cathy a peur, mais l'adrénaline la porte vers l'ascenseur qui s'ouvre à l'autre bout. Quelqu'un saute par-dessus les hautes cloisons de l'open space. Elle l'évite de justesse et le laisse se viander contre le mur. À ses trousses, elle entend de nombreux pas qui la prennent en chasse. Quelqu'un arrive à la rattraper :
— Je te les échanges contre ma collection d'origamis de palourdes ! propose une femme en sueur.
— Quoi ?! Non !
Sur le trajet, elle esquive une trappe, un ornithorynque, la chute d'une étagère et une dizaine de collègues avant de plonger dans la cage d'ascenseur. Les portes se ferment in extremis sur une Cathy terrorisée, les deux gobelets intacts dans les mains. Un miracle.
Le temps de la descente son cerveau pédale : il mouline difficilement pour se raccrocher à un semblant de rationalité. Pourquoi tout est-il si fou ?
Une terrible secousse la surprend et l'ascenseur s'arrête. Elle entend des pas, beaucoup, au-dessus d'elle. Non... ils n'oseraient pas aller jusque-là tout de même ? La jeune femme tremble de peur : l'adrénaline ne fait plus son effet, et son absence la cloue sur place pendant qu'au-dessus d'elle des personnes tentent d'entrer. La lumière se coupe. On entend plus que les râles des drogués du café qui s'acharnent sur la trappe de secours, ainsi que la respiration apeurée de Cathy.
Les portes de l'ascenseur sont forcées : quelqu'un vient d'entrer malgré le vide qui entoure la cabine dans la gaine. Cathy veut se fondre avec le mur derrière elle. Elle ne voit rien, mais sens la présence qui s'approche, qui s'approche encore, et la prend délicatement par la taille.
Une envie de hurler se meurt instantanément dans le fond de sa gorge.
Soudain, elle reconnaît cette odeur. Il la serre contre lui pour lui attacher quelque chose dans le dos. Puis un claquement sec se fait entendre.
Tout à coup, le sol se dérobe sous leurs pieds. Le cœur de Cathy se serre. Elle ferme les yeux, ne hurle pas et serre fort les petits gobelets précieux. Elle se sent glisser, maintenue par l'homme et un mousqueton attaché à sa ceinture. La descente ne dure que quelques secondes. Bientôt, elle n'entend plus les zombies. Ses pieds touchent le sol, mais ses jambes ont envie de se dérober.
Il la soutient le temps qu'elle puisse tenir debout. Choqué, son cerveau ne pense qu'a partir loin d'ici. Il voit à son visage que l'épreuve traversée fut trop intense pour son niveau d'ancienneté, qu'il faut avouer être inexistant. L'homme la guide, puis tire une manivelle qui ouvre la porte palière. La lumière qui entre éclaire la gaine où ils se trouvent. Cathy risque un coup d'œil au collègue qui vient de l'aider, mais ne distingue pas grand-chose dans l'ombre. Il est très grand, bien habillé, portant des lunettes futuristes couvrant une partie du visage.
C'est le kidnappeur de lapin.
— Ton café refroidit, dit-il avec une pointe d'amusement.
Vraiment, ça l'amuse tout ça ? Cathy, balbutie un petit "merci", puis, sort en jetant un regard derrière elle. La porte palière se referme dans un claquement qui résonne dans tout l'entrepôt.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Lorsque Mika la voit revenir il fronce les sourcils, sentant que quelque chose ne va pas. Il descend de son chariot élévateur. Elle tremble encore, mais tient fermement les cafés, et tend vers lui le sien, sans un mot.
— Quoi c'était si dur que ça ? dit-il en prenant sa boisson. Attend...
Il inspecte le contenant : une pastille arc-en-ciel est collée sur le côté. Son regard glisse sur la jeune femme, et la fixe intensément. Cathy a peur d'avoir fait une bêtise, de s'être trompée, ou d'en avoir renversé. Mika boit une gorgée et, au goût de la boisson, prend un air surpris. Il reboit un gorgé, puis la regarde à nouveau.
— Woah, tu dois vraiment bien chanter !
— Pardon ?
Il termine, pousse un soupir d'aise, puis lui explique :
— Plus tu réussis le karaoké, plus ton café sera bon. La pastille arc-en-ciel, c'est que tu as battu le record de la machine utilisée, il échappe un petit rire, félicitations : tu as dû avoir des envieux sur le chemin.
Cathy le fixe d'un air d'autoroute. Tout ça pour ça ? Mais il a quoi d'exceptionnel ? Alors elle se décide à le boire. Le liquide encore chaud lui émoustille les papilles. Puis elle le sent glisser dans son estomac et lui donner une puissante charge d'énergie. Son pouls palpite, ses pupilles se dilatent : elle ne s'est jamais autant sentie en forme de toute sa vie, et pourrait soulever des montagnes.
Mika est amusé de sa réaction.
— Je ne m'attendais pas à ce qu'une nouvelle réussisse à battre un record dès le premier jour. J'aurais dû te prévenir des conséquences, il se masse la nuque. Viens, tu vas comprendre, il se dirige vers le tas de carton qu'il a descendu. Ce café n'est pas juste excellent : si les gens sont prêts à tout pour en avoir, c'est pour autre chose.
L'homme saisit un très grand carton, le soulève et le jette sans crier gare sur Cathy qui, par réflexe tend les bras. Même si son cerveau commence a en avoir ras le bol que des trucs se jettent sur elle. Ses bras réceptionnent le carton, à sa grande surprise, il est léger comme une plume.
— C'est pour ça que je t'ai demandé de nous en prendre. Pendant une heure ou deux, on va pouvoir déplacer tout ça sans problème.
— In... croyable, elle pose le carton.
— Attention : tu peux devenir accroc. Tiens-t 'en à trois tasses par jours. Sinon tu finiras comme les autres...
Cathy déglutit et repense avec horreur aux employés qui l'ont pourchassée. Sentant qu'elle est horriblement tendue, Mika s'approche d'elle, tend les bras et lui masse les épaules. Mal à l'aise, elle le laisse tout de même faire, car il se débrouille plutôt bien. Elle rougit. Elle a de la chance d'avoir un collègue aussi attentionné.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Pendant une bonne heure, ils trient les cartons : d'un côté ceux qui contiennent uniquement de la paperasse, et de l'autre ceux avec des objets emballés.
— Tu es à Corporate depuis combien de temps ? demande-t-elle pour faire la conversation.
— Je dirais quelques années. Ici, on ne voit pas le temps passer.
Cathy aimerait être dans son cas, car la journée lui semble, pour le moment, trop longue pour elle. Trop d'émotions fortes ! Comment tenir le coup ? Elle n'a envie de sympathiser avec aucun de ses collègues à part Mika. Et peut-être l'électricien kidnappeur de lapin.
— Je... J'aurais mon contrat quand ? Demande-t-elle en ouvrant un énième carton.
— T'as pas encore croisé le Happiness Manager ?
Elle secoue la tête. Mika reste muet un instant.
— J'espère que tu aimes les paillettes.
Dit-il en plongeant, littéralement, dans un immense carton. Cathy l'observe, les gens ici sont vraiment très étranges. Mika refait surface comme s'il sortait d'une apnée. Il tire divers objets à la surface. Cathy a envie de continuer à discuter, mais ne sait pas comment s'y prendre quand une sirène retentit.
— Déjà l'heure du dej' ?
Mika grommelle et sort laborieusement de son carton, du polyester plein les cheveux. La jeune femme rit un peu, elle s'approche et lui retire les plastiques fixées par électro statisme à sa chemise. Il la regarde, un peu étonné par son geste.
— Tu peux me promettre quelque chose ?
— Oui ? répond-elle sans le regarder dans les yeux.
— Si tu croises un type appelé Al, fait très attention d'accord ?
Cathy lève sur lui des yeux interrogateurs.
— On ne recrute pas souvent, et t'as l'air sympa alors... je n'aimerais pas que tu te barres juste parce que tu as croisé la route de ce cinglé.
Cathy se sent touchée par son envie de prendre soin d'elle.
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