Mission 27 : déclarer la guerre
— Bon alors, raconte.
Daniel est accoudé sur le bureau de Vincent, les mains jointes avec son menton posé dessus : prêt pour entendre des choses croustillantes.
— Raconter quoi ? Vincent boit une gorgée de café, arc-en-ciel évidemment.
— Al n'a rien dit quand tu l'as ramené ?
Vincent reste muet pendant de longues secondes, puis repose sa tasse lentement comme pour faire languir son ami.
— Absolument rien. Il est resté muet, complètement dans la lune.
Daniel le toise du regard pour voir s'il ne lui cacherait pas une confidence, puis soupire.
— Si je lui demande il va encore me dire que je suis possessif.
— Et il aura raison. Ce n'est pas un enfant, laissons-lui un peu d'intimité non ?
Daniel boude, Vincent hausse les épaules et termine son café.
L'ange s'affale contre le dossier de son fauteuil dans un long soupir, avant de remarquer un dossier d'employés sur le bord du bureau. Lorsque son collègue surprend son regard curieux, il l'attrape pour le ranger. Daniel fronce les sourcils : quelque chose ne va pas.
— Tout va bien Vincent ?
— Oui... Le divorce qui me travaille.
Il décèle chez l'homme au costard bleu marine une vérité qui dissimule un mensonge, mais ne souhaite pas le harceler : il vit une période difficile, par empathie il ne souhaite pas l'engager dans un conflit pour un dossier sur son bureau.
— Tu le sens comment ? Quand tu as fais appel de l'ordonnance pour la garde provisoire tu n'étais pas serein...
— Plus positif que je ne le pensais : mon nouvel avocat a trouvé des failles chez mon ex-épouse.
— C'est une excellente nouvelle, je croise les doigts pour toi !
Le sourire de Daniel illumine l'humeur sombre de Vincent, mais ce dernier ne peut s'empêcher d'avoir un pincement au cœur malgré tout.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Cathy tient un énorme carton sur son épaule, pesant un âne mort, et espère vraiment qu'il n'y en a pas un à l'intérieur. Elle le pose, se retrousse les manches, et l'ouvre.
Tout à coup une nuée d'agrafeuses surgit, Cathy tombe à la renverse et, horrifiée, se voit déjà le visage défiguré par les centaines de mandibules d'acier quand un grand coup les balaye.
Mika s'engage dans un combat personnel avec la nuée. Les objets métalliques bondissent du carton, tout crochets dehors, avant de se prendre de violents coups de batte. Cathy le fixe se débattre et prendre plaisir à éclater ces "saloperies". Lorsqu'il n'en reste plus qu'une, il la coince sous son pied pour la maintenir en respect.
— Ça va ?
Cathy hoche la tête et lui sourit, puis le manager écrase l'agrafeuse dans un craquement sec satisfaisant. Il lui tend la main pour l'aider à se relever et une fois debout, Cathy se retient de le serrer dans ses bras pour lui souhaiter un bon retour.
— Je suis vraiment contente de te revoir ! elle lui sourit.
Portant sa main à son poignet gauche, il caresse une sorte de bracelet noir avec deux perles blanches. Elle a déjà vu cet objet quelque part.
— Moi aussi, dit-il en lui rendant son sourire, et si toi et Luan vous me faisiez un rapport de la semaine, autour d'un café ?
L'ambiance de ce matin est incroyablement apaisée, les filles n'ont jamais vu un Mika aussi tranquille : il a même obtenu un bon café auprès de Kitt. La stagiaire se demande si cela a un rapport avec ce qu'elle a vu dimanche, et ne peut s'empêcher de fixer son manager avec plusieurs théories, dont la plus excitante est : "est-ce qu'ils couchent ensemble ?"
Une toux rauque indique à ses collègues qu'elle a avalée de travers une gorgée de café à cette pensée.
Puis, ils retournent à leurs tâches. Cathy et Luan ne peuvent s'empêcher de jeter des coups d'œil à Mika qui ne s'énerve pas sur sa boîte mail comme il en a l'habitude le matin.
Le reste de la matinée se passe tranquillement, Mika raconte comment il a occupé ses congés et sa soi-disant "urgence" à la fête. Le mode "théories" du cerveau de Luan pédale à toute vitesse.
Durant la pause déjeuner Cathy envoie un message à Al pour lui demander comment il va. Immédiatement il répond :
"Bien, et toi ? "
"Très bien ! On peut se voir dans la semaine ?"
"J'ai beaucoup de travail. Je passerais te voir si j'en ai l'occasion. Ne m'en veut pas si je ne trouve pas le temps, s'il te plait."
Cathy le trouve vraiment adorable.
"Tu me devras une photo de Mr Meh dans ce cas."
"Ok"
D'un mouvement, elle range son portable avec un petit sourire, avant de rejoindre ses collègues à une table. Sans un bruit Ghelal se joint à eux. Mika se fige, Luan s'en fiche et Cathy le fixe.
— Bonjour Catherine, dit-il avec un grand sourire en s'installant juste à côté de la jeune femme, vous êtes en beauté aujourd'hui.
Pas plus que d'habitude, mais Cathy lui répond en hochant la tête, la bouche pleine de purée de carottes. Mika se met à bouillir de l'intérieur, il se masse le poignet gauche avant de réagir :
— Doc, tu vois pas que nous sommes en train de déjeuner ? Si t'as un truc à demander passe plus tard.
Luan et Cathy échangent un regard ! elles s'attendaient à ce qu'il pète encore un câble, mais non. Ghelal ignore totalement le manager et s'adresse uniquement à Cathy en lui demandant comment s'est passé son week-end. La jeune femme lui répond poliment, puis finit par demander :
— Vous voulez me demander quelque chose pas vrai ? dit-elle en ouvrant son yaourt.
— Oui ma douce, j'ai un service à demander ; je cherche un objet qui a été archivé il y a quelques années afin de mener de nouvelles recherches dessus.
Son regard se pose langoureusement sur elle et Mika a un spasme : prêt à se lever mais la main de Luan sur sa cuisse l'incite à ne pas bouger.
— Vous pouvez faire ça pour moi ?
Cathy hésite.
— Je réponds à n'importe laquelle de vos questions. Une maintenant, et une quand j'aurais l'objet.
Il pose sa main sur son épaule et d'un mouvement Cathy lui intime de l'enlever, ce qu'il fait. Après quelques minutes de réflexion, elle accepte le marché et pose la question :
— Pourquoi mon cauchemar se matérialise à Corporate ?
— Vos questions sont toujours aussi excitantes ! La grande majorité des gens laissent leur problème à l'entrée du travail, il ouvre ses mains, à Corporate c'est littéral. Mais il y a des gens, comme vous, qui ne peuvent pas s'en défaire aussi simplement. Ainsi, un traumatisme assez fort peu entrer dans notre réalité, pour vous tourmenter, grâce à la faille dimensionnelle.
Cathy pense comprendre. Ses collègues n'écoutent pas: pour eux Gehlal est fou.
— Maintenant que j'ai rempli ma part du marché, je vous attends à mon bureau avec l'objet. Il a été archivé avec cette référence.
Sa main sort de la poche de sa blouse blanche un papier, qu'il donne uniquement à Cathy, puis il se lève avant de partir en faisant un clin d'œil.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
— On a un problème, soupire Mika.
Ses collègues vérifient pour la cinquième fois l'emplacement répertorié de l'archive de Ghelal, en vain. Après une inspection des rangées alentour, au cas où, toujours rien mais Luan trouve quelque chose au sol : une carte de la compta.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
C'est la première fois que Cathy visite le pôle comptabilité de l'entreprise. Mika lui explique qu'ils ont tout un étage pour eux mais que ça reste moins spacieux que la tribu du commerce, qui eux disposeraient de 3 voire 4 étages, qui ne sont évidement pas voisins.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur un sas. Mika prend la carte et l'utilise pour ouvrir et entrer dans l'espace de la compta. Les archivistes font quelques pas et les voilà dans un open-space, aussi gris qu'un ciel Parisien, qui s'étend à perte de vue.
Le Zéro de l'intimité a une définition, il ne manque plus que les murs des toilettes et les meubles soient transparents.
Sur des rangées de bureaux s'acharnent des employés voutés sur leur clavier, tapant dans un silence religieux des chiffres frénétiques dans des tableaux Excel infinis. Mais les archivistes n'ont pas conscience que leur présence est perçue comme une menace dans l'ordre parfait établit en ces lieux.
Luan pointe du doigt une immense armoire tout au fond.
— Ça doit être leur stock de matos, c'est surement là-dedans.
D'un pas décidé, le manager fait les premiers pas quand un cliquetis se fait entendre.
— A terre ! hurle-t-il.
Les archivistes plongent et évitent des tirs de munitions en mousse.
— C'est une déclaration de guerre ! cri un employé en s'enfuyant par les escaliers.
Mika tente d'observer la scène, puis il se cache à nouveau, une munition à ventouse sur le front.
— Ils sont armés de Nerf, peste Mika.
Luan lui retire le bâtonnet en mousse.
Des pas approchent, d'un hochement de tête le groupe se synchronise. Luan bondit et balance son édredon sur les employés qui arrivaient, tandis que Mika saute par-dessus la première rangée de bureau et donne un coup de batte dans le nerf qu'un employé sortait de son tiroir. Cathy roule jusqu'à un caisson, ouvre tous les tiroirs possibles et trouve un nerf ressemblant à un fusil à pompe.
Finalement, demander des cours de tir sportif à Daniel était une suggestion pertinente de la part de Al, se dit-elle.
Bientôt c'est tout l'open-space qui se transforme en champs de bataille. Les échanges de tirs sont sans fin puisqu'il suffit de récupérer les munitions adverses pour recharger.
Même si les archivistes ont mit à terre plusieurs ennemis, la progression devient difficile : les comptables se sont tous retranchés derrière la dernière rangée de bureau, la plus proche de l'armoire à fourniture.
— On vient réclamer notre due bande de voleurs ! Rendez-nous la référence 335 YT-P !
Hurle Mika depuis sa planque.
— On ne voit pas de quoi vous parlez ravisseurs de calculettes ! réponds une voix de femme.
— Martine ?!
Cathy glisse un regard à Luan "Martine ? De la compta ? LA Martine ?" lit texto la stagiaire dans les yeux de sa collègue, et lui répond d'un hochement de tête.
— Livrez moi Cathy : en échange on vous laisse partir en un morceau.
La stupeur des archivistes se lit sur eux. Martine a l'air d'avoir une dent contre la jeune femme et le manager ne veux pas du prendre le risque de la livrer : il secoue la tête en direction des filles, hors de question de se rendre.
— J'ai mon droit à une revanche !
Martine sait qu'elle est dans son bon droit, comme stipulé dans la convention collective page 409, article B75. Cathy comprend qu'elle veut un duel elle aussi, probablement pour se venger d'avoir perdu son record à la machine Karaoké. Un soupir s'échappe de ses lèvres : elle n'est plus a un duel près.
Ainsi, contre l'avis de Mika et Luan, elle lève les mains et se rend. Une femme, cintrée dans un tailleur gris aussi austère que ses lunettes, tend vers elle une mitraillette nerf.
— Alors c'est toi la fameuse Cathy...
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
C'est ainsi que les archivistes et comptables se retrouvent là où tout a commencé.
Martine fait craquer ses doigts, prête à livrer le combat de sa vie. Un membre de son équipe vient masser les épaules, et un autre lui donner un bonbon au miel pour la gorge. Puis, elle active le mode duel sur la machine Karaoké.
Pendant ce temps, Cathy trépigne sur place à cause du stress. Mika aimerait bien lui masser les épaules mais il a appris à garder ses distances. Quant à Luan, elle prépare son téléphone pour filmer : ça va rester dans les annales de Corporate et elle fera payer quelques euros pour accéder à la vidéo.
Cathy tente pour la quinzième fois d'avoir un petit échange cordial avec Martine, mais cette dernière l'ignore totalement. Son air sérieux, sourcils froncés, affiche une détermination dure comme l'acier.
Autour d'elles les équipes se font faces. Mika croise les bras et lève le menton pour montrer qu'il a toute confiance en sa collègue.
La machine plonge la pièce dans la pénombre, sort sa boule à facettes et s'exclame avec un peu trop d'enthousiasme :
— Hey ! Vous avez sélectionné le mode "confrontation". Voici la chanson aléatoire choisie pour la candidate Martine : "La Décalcomanie De Gotainer !".
Martine chante vraiment bien et toute son équipe la suit dans la chorégraphie qui accompagne les paroles. Le score grimpe rapidement, au point de battre le record de la chanson de un palier.
Mika fait mine de trouver ça nul, Luan reste imperturbable et filme, tandis que Cathy se trémousse un petit peu sur le rythme.
Lorsque Martine termine, elle prend une pose de la victoire sous des applaudissements tonitruants. Cathy reçoit ensuite le regard le plus hautain qu'on ne lui a jamais fait et sent le stress l'envahir.
Alors qu'elle se place, ses collègues l'encouragent, tandis que la machine fait tourner la roue des chansons. L'algorithme est basé sur les performances et les goûts des employés : Cathy espèce secrètement toucher le gros lot.
Ses doigts se triturent entre eux, et la machine annonce : Gangnam Style.
Cathy se lance sous le regard froid d'une Martine qui croise les bras et lève les yeux au ciel.
Mais au fil de la chanson, même ses camarades de la compta ne partagent plus vraiment son attitude hautaine. Et quand l'archiviste se met à danser la chorégraphie, on peut entendre des exclamations dans la foule qui, bientôt, la suit dans les mouvements.
Mika observe, il n'est pas du genre à danser et Luan affiche un large sourire en ne ratant pas une miette du spectacle sur son téléphone : elle va se faire un max de thunes !
Le score de la chanson monte. Monte... Quand le compteur de la machine se bloque soudain sur le score maximum, alors qu'il reste encore quelques secondes. Des confettis tombent du plafond, et quand la chanson se termine, Martine se met à genoux.
La machine tend un bras télescopique à une Cathy essoufflée, et lui donne un petit objet métallique : le pin's "Mistress of Karaoké"
Mika et Luan sont effarés : c'est son premier pin's, alors qu'elle est ici depuis moins de 3 mois.
Le manager entend son téléphone sonner et voit "Doctor Cringe", soupire puis décroche :
— Mr Melha, vous allez rire, mais j'ai retrouvé l'objet dans les toilettes, il rit, je n'ai plus besoin de vous. Oh, dites à Cathy de me donner son num...
Il raccroche sans sommation, et caresse inconsciemment son bracelet.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Deux jours passent et suffisent pour que cette nouvelle fasse le tour de l'entreprise. Mais la gloire n'intéresse pas vraiment Cathy, ce qui la rend heureuse c'est de voir que Mika va mieux depuis son retour de congé. Sa perspicacité a remarquée qu'il touchait son bracelet pour se calmer immédiatement, mais ça avait des limites.
Devant sa télé elle s'ouvre une bonne bière après s'être enfilé un repas médiocre : elle doit encore faire des progrès en cuisine. Lançant son émission, toujours accompagné de son kit complet "soirée douillette", elle soupire pour la cinquième fois et prend une grande goulée de bière. Dowdo la fixe : quelque chose la tracasse inconsciemment.
Son téléphone vibre une fraction de seconde qu'il se retrouve déjà entre ses mains, elle ouvre la pièce jointe... et recrache toute la bière.
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