Mission 26 : avoir un doudou
Dans un petit appartement, en tout cas trop exigu pour une famille de sept personnes, Luan trouve refuge sur le balcon. À l'intérieur c'est la guerre : les quatre frères se disputent. Leur mère cuisine, impassible, et le beau-père lit le journal en évitant les projectiles, du genre pantoufles et chaussettes, en bougeant un peu la tête ou son papier. Le sujet de la discorde n'a plus d'importance : les garçons en sont au stade de la moindre excuse pour se tirer la bourre.
Luan ressent le besoin d'être seule, et sort pour prendre un peu l'air.
Elle marche sans réfléchir jusqu'à l'étang non loin de son immeuble. D'ici on entend la fête foraine, mais y aller seule ne la motive pas. Pourtant elle a besoin de penser à autre chose qu'a Vincent.
Elle continue de marcher sans but le long de la plage de galets avant d'apercevoir une silhouette familière sur le parking entre l'étang et la fête. C'est bien Mika qu'elle voit, il attend près de sa moto. La curiosité la pique au vif, c'est plus fort qu'elle, et s'approche en mode "ninja" : exécutant des roulades et sprints dans les ombres des véhicules. Elle trouve une cachette idéale pour l'épier sans se faire remarquer.
Immédiatement, elle devine que son manager va mal : yeux rouges, les poings serrés, les sourcils froncés. Alors qu'elle s'apprête à aller le voir, quelqu'un arrive. Vêtu de vêtements décontractés clairs, et d'une veste courte, un homme très élancé se présente face à lui. Ses longs cheveux sont nattés et tenus par un élastique noir avec des perles blanches.
Luan reconnait Daniel. Les deux hommes échangent quelques mots. Elle tend l'oreille mais n'entend rien.
Puis, dans un élan désespéré, elle voit Mika prendre Daniel dans ses bras et le serrer fort contre lui, comme une grosse peluche. Luan a le cœur qui bondit, ignorant si elle a découvert un incroyable secret, ou pas, mais sa curiosité est plus que stimulée. La jeune femme s'approche en roulant sous une voiture et rampe jusqu'à la prochaine rangée.
L'ange est surpris. Les mains de son collègue s'agrippent à sa veste. Mika sent déjà ses émotions exécrables se diluer dans la chaleur de Daniel.
En le serrant contre lui, il réalise que ce dernier est plus chétif qu'il ne le pensait et desserre son étreinte, comme s'il avait peur de le blesser. La tête dans son cou, il entend presque les battements de son cœur. Il se sent bien, apaisé.
La surprise passée, Daniel pose ses mains sur le dos de Mika. Il se sent comme un doudou pour ce grand garçon maladroit. Mais cette même maladresse le touche.
Luan hurle intérieurement : " Mais combien d'épisodes j'ai raté bordel ?! "
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Cathy est tétanisée. Le reflet lui semble plus vrai que nature et pourtant elle ne rêve pas.
—"Surprise ? Moi aussi. Ton angoisse est une porte ouverte, si puissante, mais il y a aussi quelque chose ici qui déforme un peu la réalité..."
Il sourit.
—"Mais... je suis limité ici..."
Cathy recule en secouant la tête. Le reflet marche et passe de son miroir, à un autre.
—"Tu te souviens ? C'est durant cette fête que l'on s'est embrassés pour la première fois"
Cathy frissonne de dégoût.
—"Oh tu aimais ça coquine, au début. Je t'ai même fait l'amour un peu plus loin, et dans la voiture. Tu étais si chaude...* il se lèche les doigts * Tu te souviens ? "
Les souvenirs lui reviennent dans un frisson de dégoût, elle avait aimé, mais aujourd'hui cela lui donne juste envie de vomir.
—"Chaque fois que tu veux te faire un peu plaisir, tu penses encore à moi, n'est-ce pas? Même si tu ne veux pas."
Un sourire horrible et sournois fend le visage d'Ethan qui se délecte d'avoir détruit sa vie sociale, et anéantit sa sexualité. Cathy cache son visage entre ses mains et se retient de hurler. Mais elle l'entend toujours : car il est dans sa tête.
—"Je me délecte de ta frustration et de tes peurs."
Elle sent presque son souffle ardent et son odeur de chair carbonisée.
— "Tu es avec ce "Al" n'est-ce pas ? Tu penses vraiment qu'il est différent de moi ? Qu'il s'intéresse à toi ? Les rumeurs ont toujours un fond de vérité Cathy..."
— Cathy ?
La voix de Al la fait sursauter. Il est là, inquiet, et prend sa main moite. Les yeux de la jeune femme scrutent les miroirs, mais Ethan n'est pas là. Il n'a jamais été là. C'était comme vivre la résurrection d'un souvenir insidieux, profitant de son angoisse pour revenir à elle et la tourmenter "Je deviens folle...".
L'homme l'aide à faire quelques pas, et ne lui pose pas de question.
— Viens, sortons, dit-il délicatement à son oreille.
Elle lui sourit nerveusement. Ensemble, ils sortent d'ici rapidement, sans un mot. Cathy a maintenant l'impression de voir Ethan partout où elle a un souvenir avec lui. Muette et blême, elle se laisse entrainer par Al qui l'emmène doucement loin de la fête : vers le bord de l'étang, au calme.
Ça lui va. N'importe où, tant que c'est loin de ces réminiscences.
Le soleil se couche déjà sur l'horizon brillant de l'étang. Debout devant une rambarde, les deux adultes regardent les derniers feux solaires glisser sous les eaux. La jeune femme se sent déjà mieux et inspire à pleins poumons l'air iodé des salins.
Cathy risque un coup d'œil vers son voisin. Les dernières lueurs rougeoyantes diffusent une atmosphère chaleureuse et se mêlent aux cheveux bruns de Al, illuminant ses reflets acajou. Derrière les lunettes de soleil, ses yeux verts semblent capter toute la lumière ambiante. Il a l'air ailleurs : dieu seul sait ce qu'il se passe dans sa tête.
Puis, la lumière se fait engloutir par la nuit. Dans la faible lueur du crépuscule évoquant ce moment entre le rêve et l'éveil, Al lui parait encore plus beau.
La jeune femme repense à ce que lui a dit Luan, aux sous-entendus de Mika, aux mots de Ethan, à l'effet qu'il a sur les gens.
— Tu sais... J'ai entendu des rumeurs sur toi.
Al serre la mâchoire : il sait très bien de quoi il est question. Cathy observe à nouveau l'étang.
— Je voulais que tu saches que ça m'importe peu... Je ne profiterais pas de mon amitié pour abuser de toi, et ferais tout pour lutter contre mes propres instincts, pour toujours te traiter comme un être humain.
Il glisse sur elle un regard légèrement irisé, surpris par cette confidence. Al sent les battements de son cœur résonner dans sa grande carcasse.
Malgré tout, il a peur : d'autres ont essayé et ont souffert de leur frustration, jusqu'à le haïr, ou partir, ou craquer... Daniel n'a pas fait exception, Vincent et Gehlal quant à eux sont des cas à part.
— Je sais quelle réputation j'ai. Je te mentirais si je voulais le nier.
Ses mains s'appuient sur la rambarde, Cathy les regarde... elle se souvient de leur chaleur quand les siennes étaient glacées dans le cauchemar.
Elle ne dit rien, son cœur bat lentement mais fort : ils se sont amusés toute l'après-midi, c'est la première fois qu'ils discutent sérieusement ensemble.
— Tu as tellement de charme Al, fais-en ce que tu veux : n'écoute pas les autres.
Le sourire tendre de Cathy agit sur lui comme une poigne sur son cœur. Il s'approche, près d'elle, et la voit soudain fébrile. Il n'est pas idiot et sait quels effets il lui provoque.
— Il me serait tellement facile d'abuser de toi Cathy. Comme avec tous les autres : il me suffit simplement d'être là.
Sa main retire ses lunettes de soleil. Malgré la nuit tombée, son regard étincelle, et plonge dans le sien, intensément. Cathy sent son esprit happé, sa température monte et colore son visage d'un rose satiné.
Il porte une main à ses cheveux en effleurant sa joue : elle tremble maintenant comme une feuille. Puis, doucement, ses longs doigts glissent dans sa chevelure. Elle sent une chaleur réconfortante envahir et gonfler sa poitrine, alors qu'il ne fait rien d'autre que de profiter de la douceur de ses cheveux. Cette sensation délicieuse glisse de son échine jusqu'à son ventre dans des picotements agréables.
— Tu ne le feras pas... dit-elle dans un soupir. Tu n'abuseras jamais de moi, je le sais.
Quelques mots qui ébranlent le grand homme.
— Tu..., il rougit, Pourquoi me fais-tu autant confiance ?
— Parce que...
Cathy lutte de toutes ses forces contre cette attraction vraiment surnaturelle. Mais il lui est impossible de se dire que Al lui ferait le moindre mal, et tant pis si ce n'est pas rationnel.
— Tu étais là... Dans ce cauchemar, tu étais là.
En voyant ses yeux se remplir de larmes, Al retire sa main de ses cheveux.
— Je... te fais pleurer ? dit-il d'un air penaud.
Elle secoue la tête et sourit tendrement : c'est l'occasion de lui raconter ce qu'elle a vécu.
— C'était un rêve incroyable. Je t'ai invité, comme tu me l'avais demandé.
Une main fébrile se pose sur la joue de Al qui n'ose pas bouger. Sentant que cette confidence est importante pour elle, il la laisse s'exprimer.
Et réalise qu'il aime vraiment le contact de sa main sur son visage.
— Et tu es venu.
Le cœur de Cathy décolle, et ses larmes coulent jusqu'à son sourire.
— Tu étais là pour moi. Je... j'aurais aimé que tu sois réellement là, que tu vois comment je l'ai battu grâce à toi ! C'était... C'était si fort !
Il pose sa grande main sur la sienne, et la regarde tendrement, sans dire un mot.
— C'est ridicule mais... c'est important pour moi, j'en mourrais d'envie de te le confier. De te remercier, même si ce n'était qu'un rêve... elle baisse la tête. Tu dois me prendre pour une folle.
La main de la jeune femme glisse du visage de l'homme. Al panique en perdant sa chaleur sur sa joue, et dans un élan venu du cœur il la prend dans ses bras.
L'étreinte de Al est si rassurante, comme un cocon au milieu du tumulte de ses émotions. Elle reconnaît cette sensation de bien-être qui l'avait délicatement saisie cette nuit-là.
— Je suis content... Content que penser à moi te permette d'aller mieux.
La serrant fort contre lui, leurs battements semblent s'emmêler, puis s'apaiser, ensemble.
Jusqu'à ce qu'un estomac se manifeste sans aucune gêne.
Cathy a honte car c'est le sien qui réclame pitance, et sent le colosse entre ses bras secoués de spasmes : il se contient de rire.
— Oh ça va ! dit-elle en se détachant de lui, elle aussi sur le point de rire.
Voir Al se retenir de rire est un spectacle intéressant : son regard est fuyant, il cache le bas de son visage avec le dos de sa main et ses joues sont roses. Elle lui sourit et donne une tape dans son bras en lui disant de cesser de se moquer.
Puis ils se calment en essuyant des gouttes aux coins de leurs yeux.
— J'aimerais dîner avec toi mais je vais devoir rentrer, dit-il amer.
Cathy est déçue, ils se sont bien amusés mais ont peu discuté : elle ignore tout de sa vie hors Corporate. Mais au fond ce n'est pas plus mal se dit-elle : ça les oblige à se revoir pour continuer à faire connaissance, ce n'est que le début.
— Vas-y Cendrillon, ton carrosse t'attend c'est ça ?
— Oui.
— C'est qui ton cocher ?
— Vincent.
Elle reste interdite, loin de s'imaginer qu'ils étaient proches à ce point. Finalement elle se fend d'un large sourire taquin :
— C'est son parfum que tu as mis non ? elle s'en souvient parfaitement.
— Oui, lui est gêné.
— Et c'est son idée le "protocole de sécurité" pas vrai ?
— Oui.
— On dirait un papa poule, elle rit amusée par la situation.
Al ne dit rien, et se sent un peu ridicule : ce qui est extrêmement rare pour le souligner. Après quelques échanges de sourires, et un aurevoir d'une extrême banalité, Al part rejoindre le parking avec un pincement dans la poitrine.
Cathy observe sa grande silhouette s'éloigner sur la plage de galets.
Il lui manque déjà.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
La tête dans les nuages en repensant à tous ses nouveaux souvenirs, Cathy descend à la station du parc et le traverse sans faire attention à qui que ce soit. Une voix l'interpelle et la tire de ses pensées douillettes avec Al.
— Moui ? dit-elle en se retournant.
Un gros chien vient vers elle et lui renifle les baskets. Cerbère l'apprécie déjà visiblement. Le Maitre n'est pas loin : Carl, avec son manteau beige et son sourire charmeur. Il la salut d'un geste simple.
— Vous avez l'air d'être dans la lune, si je peux me permettre.
Cathy se met à rire, les joues toutes roses.
— Oh, eh bien j'ai passé une excellente journée !
— Avec votre amoureux ?
— Non, un ami. J'ai pas de... Bref.
— Pardon, vous aviez l'air si heureuse, et je ne connais que l'amour pour afficher un air béat comme le vôtre.
Il rit, elle aussi car son cerveau baigne dans une piscine d'ocytocine, il ne manque plus que le Mojito.
Cathy se penche sur le gros toutou et lui fait un gros câlin. Il n'est pas aussi réconfortant que son grand doudou de Al, mais fait l'affaire là tout de suite. Carl la regarde faire, amusé, et se propose de la raccompagner pour lui éviter une mauvaise rencontre. Elle accepte volontiers la compagnie de cet homme galant, même si les rues ne sont pas spécialement mal famées par ici, elle n'a juste pas envie d'être seule.
Sur le chemin, elle lui recommande plusieurs adresses sympathiques en ville. Ils apprennent qu'ils aiment tous les deux la cuisine asiatique et italienne, et les viennoiseries de "chez Véronique".
Lorsqu'ils se séparent, il rejoint sa superbe décapotable argentée, installe son chien à l'arrière et se met au volant. Il allume un cigare, tire une bouffée avant de lâcher un petit rire moqueur :
— Elle est mignonne... Je me demande bien qui est son "ami", pas toi Cerbère ?
Le chien lui répond d'un air d'autoroute : l'animal aurait préféré faire une vraie balade, plutôt que de venir ici en voiture, pour faire semblant, et repartir ensuite.
₍ᐢᐢ₎---------------------------------₍ᐢᐢ₎
Al n'a rien dit au sujet du rêve, n'affirmant pas qu'il y était, vous en pensez quoi ?
Daniel ressemble vraiment à un doudou ? xD
Le retour de Ethan et de Carl, toujours aussi détestables ? x)
Dessin qui m'a inspiré le portrait de Carl (artiste : Togai Jun)
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro