Cathy se regarde dans le miroir des toilettes après avoir envoyé son message. À quoi ça rime cette obsession ? C'est un rêve, rien de réel, pourquoi s'acharner à savoir s'il était vraiment là ?

"Tu lui as proposé de se voir ce week-end, tu ne sais même pas pourquoi" se dit-elle, avant de se justifier elle-même "Si on veut devenir ami, il faut bien que l'un de nous prenne une initiative". 

Puis elle soupire "Tu meurs d'envie de lui en parler : assume."

La porte des toilettes claque soudain et la fait sursauter. Luan s'approche : ses yeux sont perçants et ses sourcils levés. Mettant les mains sur les hanches, elle affiche un petit sourire.

— Bon alors, tu ne me racontes pas ? Toi et Al : depuis quand vous vous entendez si bien ? La dernière fois tu lui as couru après pour sauver un lapin : j'ai raté combien d'épisodes ?

Après avoir battu des cils plusieurs secondes, Cathy lui raconte les fois où ils se sont croisés. Elle sait que Luan est curieuse, et plus on lui cache des choses, plus elle est capable d'inventer une vie aux autres : autant tout lui dire, sauf le rêve.

— Ok, il est chou de s'être excusé comme ça... Mais comment tu fais pour le supporter lui et son aura malsaine ?

— Il n'a rien de malsain ! s'énerve soudain Cathy, surprenant sa collègue. Si toi et Mika vous vous donniez la peine de le connaitre, vous le sauriez.

Luan ne semble pas convaincue :

— Tu sais que ce mec a la réputation de s'être tapé la moitié des employés de Corporate ? J'ai pas envie que tu souffres à cause d'un sale type, dit-elle calmement.

Cathy sent son cœur bondir, puis elle repense aux mots de Al, sa tendresse, sa sincérité à vouloir être son ami et ce qu'il pense tristement de lui-même : un objet. Un objet sexuel.

— Et si c'était l'inverse ? Et si c'était plutôt ces gens qui lui sont tombés dessus, et qu'il ne sait pas dire non ? On n'en sait rien.

Luan écarquille les yeux, choquée : elle n'a jamais pensé à ça, mais voir sa collègue le défendre si ardemment l'étonne tout autant.

— On est justes amis, Luan, elle soupire. Et sa vie sexuelle ne me concerne pas, ni ne m'intéresse.

C'est faux. Si c'était vraiment le cas son cœur ne se serait pas serré si fort.

Cathy aurait pu s'énerver mais se calme. Les rumeurs sont un véritable poison, et même si cela est vrai elle espère ne jamais être concernée : elle a vécu quelque chose de beaucoup trop fort avec lui pour le réduire à sa réputation sulfureuse.

— Merci Luan, tu t'inquiètes pour moi et je ne devrais pas m'énerver. Mais je t'assure : Al n'est pas du tout ce qu'il parait être. Regarde : il nous a aidé à trouver le carton du premier coup !

Luan fait la moue et la fixe : elle pressent que Cathy est dans une sorte de déni, mais est également sincère. Finalement la stagiaire se dit qu'elle est peut-être jalouse : enviant cette proximité qu'ils ont, si naturelle, alors qu'elle galère avec Vincent.

Fréquenter sa collègue l'a adoucie, Luan sourit, s'approche, et prend Cathy dans ses bras quelques instants.

— Tu es trop cool, ou trop gentille, mais si y'a bien une personne ici qui peut comprendre ce drôle de type, c'est bien toi, dit-elle avant de quitter les toilettes.

₍⑅ᐢ..ᐢ₎

Dernier jour de la semaine, et plus qu'un week-end ensuite avant le retour de Mika, se dit Cathy penchée en arrière sur sa chaise. Il lui manque, lui et son caractère explosif, son esprit d'équipe, sa présence : l'équipe n'est pas complète sans lui.

Elle jette un œil à sa montre : il est 16h, et nous sommes vendredi.

— Cookie party ! s'exclame Cathy en se levant soudain de sa chaise.

Luan est surprise : depuis son incident, les archivistes n'ont pas osé y retourner. Elle sourit en voyant sa collègue motivée à s'y rendre, car même s'ils ont une machine : un cookie bien chaud fait par Daniel, c'est un cran au dessus.

Les deux jeunes femmes sont déjà dans l'ascenseur, équipée : batte de base ball pour Cathy, édredon pour Luan. Les portes s'ouvrent sur la cantine peuplée de tous les employés arrivés tôt, pour être sûrs d'avoir la saveur qu'ils souhaitent. D'un coup d'œil Cathy reconnaît Philippe du marketing, qui a décidé d'appeler son biscuit "Carmela" avant de mordre dedans avec une sensualité ragoûtante.

C'est marrant mais, si c'était Al : cette scène aurait une tout autre allure, se dit-elle avant de frissonner.

Plus loin, elle reconnaît le bocal avec le cookie qu'elle n'a pas vraiment eu le temps de savourer la dernière fois. Luan quant à elle repère Vincent dans la pièce, en train de discuter avec les commerciaux, surement au sujet de l'imprimante soi-disant défectueuse. Elle rougit et se détourne pour rester "focus" sur la stratégie : observer, pêcher, goûter, protéger, se carapater.

Devant le bocal, Cathy et Luan observent autour d'elles : personne ne semble cette fois vouloir lui envoyer un canard en plastique dans la figure. Cathy plonge sa main dans le bocal, en saisit deux quand une voix s'exclame :

— Hey ! Les archivistes !

Karim, évidemment, qui d'autre ? Les filles se retournent calmement, Luan tend devant elle son édredon comme une menace et l'homme lève les mains.

— C'est bon, on se calme : je ne vais pas faire la même erreur que la dernière fois.

— Tu veux quoi alors ? souffle Luan.

Karim les pointes du doigt comme le ferait Phoenix Wright pour faire une objection devant la foule de la cantine.

— L'une de vous a osé dire qu'une de nos équipes commerciales vous a refilé une imprimante défectueuse ! C'est un affront ! De plus, toi là... dit-il en pointant Luan. Je dois laver mon humiliation. Et toi... il pointe ensuite Cathy. Je serais ravi de montrer à toute l'entreprise à quel point tu n'es pas si "cool" que ça !

Luan lèves les yeux au ciel : l'égo de Karim est un puit sans fond, plus profond que celui de Mika.

— Ok. Duel, juste toi et moi. lâche Cathy sans savoir dans quoi elle s'embarque.

Et quelqu'un se met à hurler :

—CAAAAATCH !

Cathy reste interdite. La seule fois où elle fait de la lutte c'était contre une poubelle P2R2 et n'est pas sûre de pouvoir réitérer cette prouesse. Et pendant que son esprit se noie dans le doute, toute la cantine se met en branle pour préparer l'espace.

En quelques minutes les tables sont poussées vers les murs et baies vitrées pour former des bancs de spectateurs. Ensuite, une équipe de Décapeurs arrivent avec des planches, et montent en un temps record, avec l'aide d'un trampoline, une arène de catch.

Cathy est emmenée dans les toilettes par Luan qui s'apprête à la manager :

— Bon alors, ton personnage, c'est quoi ?

— M... Mon quoi ?

— Ton personnage ! C'est super important dans le catch pour avoir le public avec toi. 

Luan voit le désespoir dans le regard de sa collègue.

₍⑅ᐢ..ᐢ₎

Karim fait son entrée, torse nu avec son pantalon de costard, sous une musique métal bien hardcore : le public l'accueille avec ovation. Cathy l'entend depuis les toilettes. Cela fait une heure qu'elle regarde des vidéos de catch pendant que Luan ajuste sur son jean des genouillères. Une commentatrice à l'accent du sud-est prononcé hurle dans un micro, composé d'une pomme plantée dans une fourchette :

-Arrivé tout droit du quartier des Pendules carrées, pesant 120 kg pour 1m 88, champion Corporate de lutte de chaises pliantes, et Double vainqueur du Lapin de Pâque, voici le "bourreau de la cantine" : KAAARIIIM !

Le stress monte chez la jeune femme qui regrette déjà ce qu'il se passe. Ce qui lui fait le plus peur ce n'est pas son handicap, mais de ne pas être à la hauteur.

Après l'avoir aidé à enfiler des lentilles de couleur, Luan s'approche en tenant entre ses mains un masque qu'elle a trouvé aux archives.

— Quand tu auras ça sur la tête, tu seras ton personnage. Ne pense à rien d'autre.

Elle hoche la tête et regarde le masque : c'est une tête de félin en velours noir avec des motifs brodés en violet. Les ouvertures des yeux sont grandes et évoquent le regard d'un chat. La bouche est découverte. Des oreilles de chats ornent le dessus, et le contour est décoré de fausse fourrure noire. C'est presque regrettable de ne pas avoir une tenue complète, mais son t-shirt et jean noir font le travail.

— En face nous avons une challenger ! reprend la voix. 1m 68 pour 70 kilos ! Elle nous vient du quartier des Colombes ! Championne en titre du Karaoké de la compta ! Championne actuelle du Lapin de Pâques ! Survivante du couvre-feu ! Voici ... CATYGRESSE !

Cathy veut se cacher, alors que Luan la pousse à sortir des toilettes.

Elle pousse la porte, une lumière aveuglante se pose sur elle. Sous les ovations du public, elle avance, peu sûre d'elle, sur une musique de Rammstein choisie par Luan : Feuer Frei. Sa collègue la talonne, jouant le rôle de la "manager" : elle l'accompagne et incite le public à applaudir plus fort.

La jeune femme a l'impression d'avoir la tête dans un scaphandre. Les cris, les battements des mains, la musique : tout ça se mue dans un seul bruit de fond. Sa respiration devient courte. Pourtant elle avance vers le ring, sur lequel l'attend le mastodonte, "Inspire, expire", elle le regarde "Je suis Catygresse !"

Après une ultime inspiration profonde elle se jette sur le ring en roulant sous la première corde, se redresse et avance jusqu'à quelques centimètres de son adversaire, puis lève la tête pour le fixer intensément et le défier du regard.

— Ouh là ! La Challenger a du cran ! s'exclame la commentatrice sudiste.

— Elle en a dans le ventre ! surenchérit Daniel qui s'est improvisé en second commentateur.

— Est en jeu : l'honneur des archivistes, contre celui de l'équipe de Karim, membre de la grande tribu du commerce !

Sur le ring monte également Vincent en tenue d'arbitre, ou plutôt "le monsieur qui va s'assurer que personne ne décède prématurément" : le match peut enfin commencer.

Karim tente de la saisir, mais elle esquive en le contournant et se jette sur son dos : accrochée à lui avec ses jambes, elle lui passe le bras sous le cou pour réaliser une prise de "soumission". L'homme se jette alors en arrière : ce qui écrase Cathy sur le ring avec tout le poids de son adversaire. L'écho du choc résonne dans la salle, le public hurle. Karim se relève d'un bond et appelle la foule à scander son nom.

Sonnée, Cathy se relève difficilement et Karim en profite pour courir vers les cordes, rebondir avec élan vers elle en tendant le bras. À l'impact, son avant-bras touche le haut du buste de la jeune femme, qui vrille et est projetée une nouvelle fois au sol.

Le cerveau de Cathy est une balle de flipper en pleine partie. Mais elle ne lâche rien et se relève encore une fois. Karim revient, le sourire en coin prêt à l'attraper comme une petite souris.

Cathy saute avec une formidable détente et tourne son corps sur le côté afin que sa jambe gauche arrive à hauteur de la tête de l'adversaire à toute vitesse et le frappe avec le talon. La jeune femme retombe lourdement dans un silence de stupéfaction : Karim et le public sont abasourdis. Le manager commercial titube : il a l'impression de s'être pris une barre de fer dans la tête, ce qui est techniquement le cas.

— Un Enziguri !!! hurle la commentatrice en folie.

— Elle a du lui casser la mâchoire avec ce coup !

Luan hurle sa joie depuis le bas du ring : "ça c'est ma tigresse ! Ouaiii !". Soudain, Karim profite que Cathy lui montre le dos pour l'attraper par la taille, la soulever comme un poids plume et la faire tourner à bout de bras en riant comme un bon gros méchant. Puis, il se laisse tomber sur un genou afin que le dos de Cathy se réceptionne sur son autre rotule, pile entre ses deux omoplates.

La jeune femme simule de souffrir le martyre : car il faut bien vendre la prise de son adversaire pour le rendre plus terrible et gagner le cœur du public. Même si une part de la douleur est bien réelle, l'adrénaline pulsant dans ses veines en redemande et veut continuer. 

Luan fait en sorte de jouer son rôle en lui hurlant des phrases plus motivantes les unes que les autres sous le regard très amusé de Vincent. 

Pendant que le méchant se pavane devant les spectateurs, Cathy grimpe dans un coin du ring, jusqu'à la troisième corde, puis lève les bras : le public arrête de respirer et Karim se retourne, trop tard.

Cathy se dresse de toute sa hauteur et saute. 

Pendant son saut, elle saisit la tête de son adversaire avec ses mains, et utilise la force de l'élan pour tirer la tirer vers le bas, l'amenant ainsi à tomber violemment sur le haut des épaules et la nuque.

Daniel se met debout avec sa camarade pour s'exclamer ensemble "Top-Rope Stunner!" tandis que le public hurle des "Holy Shit ! Holy Shit !".

Cathy à la tête qui tourne mais le sourire aux lèvres. Ses yeux balaient la foule en délire qui hurle son nom, et croisent Al. Son cœur rate un battement.

Il est à l'extérieur de la cantine, en position de rappel, les pieds sur la baie vitrée, avec sa main portée à ses super-lunettes pour zoomer.

Karim l'attrape soudain par la taille et la balance en arrière dans un violent German Souplex qui la fait rebondir après l'impact. Le public le hue pour l'avoir attaquée dans le dos pour la deuxième fois.

Il aide Cathy à se relever, pour mieux lui tordre le bras dans un rire sadique en lui ordonnant d'abandonner. Mais Cathy se laisse tomber sur le dos avec les genoux pliés : Karim chute avec elle et tape la tête sur les genouillères de la jeune femme. Il se redresse mais est sonné.

"Catygresse ! Catygresse ! " scandent les spectateurs.

Soudain, deux personnes montent sur l'arène pour défendre Karim. Vincent s'interpose et leur somme de partir, sous peine de disqualifier leur collègue. Ils font les fortes têtes face à l'arbitre, et le distraient, tandis qu'une troisième personne monte discrètement sur le ring, dans le dos de Cathy, pour lui éclater un balai sur son dos qui a déjà bien souffert. La claque du bois sur sa chair résonne et la jeune femme hurle.

— Il lui a cassé le dos ! crie la femme scandalisée.

— C'est honteux ! surenchérit Daniel.

Al serre la mâchoire. Il connaît le principe du catch, mais ne peut s'empêcher de réprimer une très forte envie d'intervenir. Son cœur bat à toute vitesse, par la peur qu'elle se blesse, et l'émerveillement de ses prouesses.

Lorsque Vincent a réussi enfin à virer les deux intrus, il se retourne : le troisième s'est déjà enfui. Profitant de la faiblesse de Cathy qui se roule au sol : Karim se jette sur elle et la maintient suffisamment longtemps à terre pour que l'arbitre tape trois fois le ring, lui donnant ainsi la victoire, sous le regard d'un public et commentateurs scandalisés.

Pendant que Karim se dresse fièrement, et quitte l'arène sous les huées sur sa musique de méchant, Cathy se met à genoux sur le ring. L'adrénaline chute brutalement. Vincent s'approche pour vérifier si tout va bien, elle le gratifie d'un petit sourire pour le rassurer.

— Vous êtes surprenante "Catygresse" dit-il avec un petit sourire.

Luan grimpe sur le ring, un peu jalouse, et se rue sur sa collègue qui a l'air abattue d'avoir perdu.

— Je suis désolée Luan... j'ai perdu... elle a les larmes aux yeux.

— Mais non : regarde !

Luan l'aide à se remettre sur ses jambes, lui prend un poignet, Vincent l'autre, et ensemble lèvent ses bras : le public acclame sa véritable championne. 

Pour revenir aux "coulisses-toilettes" la jeune femme traverse une haie d'honneur qui l'émeut. Elle serre des mains tendues, fait des checks avec enthousiasme, jusqu'à ce que Ghelal saisisse ses mains pour la féliciter et ajoute :

— Je sais que nous nous rapprochons doucement Cathy, mais que faites vous avec mon masque de Starlight Kid ?

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Chapitre qui s'est révélé être un vrai challenge pour moi xD Très différent du reste, j'espère que ça vous a quand même plu ? Ce n'était pas trop long ?