Mission 14 : sortie de secours
Les lèvres de Mika restent posées sur celles de Cathy. Quand il réalise ce qu'il vient de faire, il recule immédiatement et croise le regard surpris et mal à l'aise de sa collègue. Il regrette immédiatement son geste, pestant contre son impulsivité maladive. Alors qu'il s'apprête à s'excuser, un éternuement dans la pièce l'interrompt. Mika saisit la lampe pour la braquer en direction du bruit. Il n'y a personne.
Il se relève, le regard assassin, et ouvre chaque porte métallique dans un geste brusque. Cathy le regarde faire pendant que sa jauge de panique redescend en même temps que sa peau repasse du rouge à la normale. Elle a du mal à réaliser ce qu'il vient d'arriver à l'instant : son cerveau était parti chercher quelque chose au tréfond de ses hormones, mais est revenu bredouille.
Soudain Mika tombe sur une silhouette recroquevillée dans un des placards. Les claquettes-chaussettes qu'elle porte ne trompent personne quant à son appartenance au service Marketing. La main sèche du manager des archives saisit le col de la chemise hawaïenne et extirpe le poltron de sa cachette. S'il y a bien un regard qu'il est effroyable de croiser : c'est celui d'un Mika contrarié.
— Me tue pas ! Me tue pas ! Gémit le marketeux.
— Qu'est-ce que tu fous là ?!
— L-La même chose que vous ! Je... Mika le relâche. Je me suis endormi en pliant des cocottes en papier pour une campagne publicitaire ! Je m'appelle Phillipe...
L'homme du marketing réajuste le col de sa chemise. Pas très grand et maigrelet, lunettes rondes : Cathy reconnaît alors le chef de l'équipe qui a tenté de l'attraper lors de la chasse au lapin de Pâques.
— On est dans le même bateau hein ? Dit-il pour attirer à lui la sympathie des archivistes.
Mika souffle par le nez comme un taureau qui se retient de charger le toréador derrière son drap rouge. Il n'a pas le temps d'exprimer autre chose, car des bruits résonnent au-dessus d'eux : quelqu'un se déplace dans la ventilation.
— On devrait partir ... Cathy se relève péniblement.
Pour lui donner raison : une dalle du plafond tombe avec fracas, une personne tombe lourdement sur ses jambes ensuite. Sa silhouette sombre se déplie pour se redresser. Les trois survivalistes prennent aussitôt la fuite sans se retourner.
Ils se perdent dans le dédale de couloirs, entrent dans diverses pièces, montent plusieurs escaliers, évitent plusieurs fléchettes toujours in extremis : la personne à leur poursuite vise extrêmement bien et ils ne doivent leur survie qu'à la vélocité que leur procure la peur.
La menace est invisible : impossible de savoir où se trouve cette fameuse "Hafsa" pour tirer ses munitions et elle semble connaitre les moindres recoins des étages où fuient ses proies.
Soudain, Cathy remarque qu'on ne les suit plus depuis une bonne minute. Ils en profitent pour reprendre leur souffle. Philippe éponge son front, Mika s'appuie contre un mur et évite du regard Cathy, tandis que cette dernière observe les alentours.
Autour d'eux la pénombre est presque palpable. Les murs blancs paraissent gris foncé, et les silhouettes des portes noires semblent menaçantes.
La jeune femme pousse une porte juste à côté d'eux, espérant y trouver un canapé, ou une chaise.
Dans cette pièce un plafonnier éclaire faiblement 5 machines à café regroupées entre elles. La sensation de les déranger en pleine vidange met très mal à l'aise le groupe. Les machines pivotent lentement vers eux. De la vapeur à l'odeur de café s'échappe de l'une d'elles.
— Pardon du dérangement... dit timidement Cathy.
Ils referment doucement la porte quand une fléchette se fige dans celle-ci. Le trio fuit à l'opposé, prend des escaliers, entend le bruit d'une tronçonneuse à l'étage suivant et décide de redescendre.
Enfin, ils ouvrent une énième porte quand Philippe, dernier à la passer, s'écroule au sol au moment de la franchir. Cathy se retourne et se précipite à son chevet.
— Cathy ! Ne t'arrête pas ! hurle Mika.
Philippe se tord de douleur : une munition est plantée dans son mollet, il sent déjà son muscle s'engourdir. Il fixe la jeune femme avec des yeux pleins de larmes.
— Ravi de t'avoir connu... dit-il dans un sourire triste.
Soudain il sent son pied se faire attraper. Son corps est tiré par une force prodigieuse devant les yeux d'une Cathy figée d'horreur. Mika la saisit par le bras et l'emmène loin tandis que l'on entend le hurlement de Philippe disparaître dans les ténèbres de la nuit.
Le silence revient, seuls les pas de courses des archivistes résonnent sur le carrelage du couloir. La jeune femme est à bout : moralement et physiquement. Elle suit Mika, sa jambe de métal pèse dans ses pas, mais le manager la tire pour garder la cadence. Il ne sait pas où ils vont, il sait juste qu'ils doivent fuir.
Il braque sa lampe torche devant lui et voit une trappe sur un mur : une pastille rose dessus lui indique que cette issue est normalement réservée à la brigade des filets roses. En l'ouvrant il se retrouve face à un trou noir béant.
Il s'approche et s'assoit comme pour entamer une descente de toboggan... En fait c'en est bien une.
Voyant sa collègue peu rassurée de se laisser glisser dans le noir total, il lui affiche un sourire :
— C'est comme la moto : monte derrière moi et laisses-toi aller.
Elle hoche la tête, ce n'est pas comme si elle avait le choix et le claquement des portes dans le couloir la motive à ne pas rester au même endroit. Une fois blottie contre lui, ils descendent.
Combien d'étages ont-ils montés depuis le début de cet enfer ? Elle ne sait plus, mais la glissade lui semble interminable jusqu'à ce qu'ils atterrissent sur de la verdure.
Une douce odeur de conifères lui caresse les narines. Ici les ténèbres sont moins épaisses que les couloirs de l'entreprise. Une légère lumière diffuse leur permet de voir une étendue de sapins : ils sont dans une forêt.
Cathy lève la tête, les arbres l'empêchent de voir s'ils sont en extérieur. Mika quant à lui ne perd pas de temps et reprend la marche.
— C'est... une forêt ?
— Ouai. Elle s'étend sur tout un étage de large, et 40 mètres de haut. Je ne suis jamais venu ici : c'est réservé aux lapins et à la brigade des filets roses. Ce n'est pas un terrain que devrait connaitre Hafsa.
Cathy est déçue de ne pas être dehors mais reste émerveillée. Ensemble ils avancent lentement entre les larges troncs d'arbres. Mika tend sa lampe torche devant lui, alerte et tendu. La jeune femme en profite pour reprendre un peu son souffle et remarque qu'elle lui tient la main. C'est gênant, mais nécessaire : elle a peur de se noyer à nouveau dans les ténèbres si elle le lâche.
L'étendue de sapins lui rappelle cette petite route qu'elle a pris ce jour-là... le jour de l'accident. La jeune femme repousse ce souvenir de toutes ses forces en sentant à nouveau cette glaciale étreinte dans son esprit.
"Je te suivrais partout"
Elle serre la main de son manager, le froid et l'odeur fantomatiques du brûlé planent autour d'elle.
— Ça va ? Dit-il en se retournant.
— Oui. Enfin, comme je peux dans une telle situation...
Mika lui lâche la main quelques secondes pour sortir le manche de la batte qu'il a réussi à coincer dans sa ceinture pour courir avec. Il lui donne la lampe torche.
— Tu éclaires, et moi je tape.
Avoir une source de lumière entre les mains soulage Cathy : elle a l'impression de faire fuir son cauchemar au fond de sa tête. Ils reprennent la route en se tenant par la main.
Au bout de quelques minutes, le silence est coupé par des petits chuintements et couinements. Il y a quelque chose qui se déplace au ras du sol. Cathy balaye le sol avec le faisceau et voit des lapins qui se cachent dans les fourrés. Elle sourit.
Mais son sourire s'estompe au fil des minutes : quand l'impression de se faire suivre par des centaines de petites pattes se confirme. Ce ne sont que des lapins, ils ne peuvent pas faire de mal. Jusqu'au moment où elle éclaire un lapin monstrueux face à eux.
Il doit faire la taille d'un grand bulldog, blanc aux yeux rouges globuleux et aux dents anormalement longues. Mika s'arrête, il sait qu'il a affaire à un Lapogarde et ils n'ont pas de carottes sur eux. Autant Mister Meh est incapable de déchirer une jugulaire, celui-ci par contre ...
Il fait un pas en arrière, sa collègue l'imite. Et quand celle-ci jette un coup d'œil derrière eux : une marée de lapins multicolores les fixe. Elle déglutit et se sent extrêmement mal à l'aise dans cette ambiance digne d'un mauvais film d'horreur.
Le lapin géant se jette sur Mika qui lui décoche un coup de batte avant de fuir avec Cathy à travers les bois. "ça ne finira donc jamais ?" souffle son cerveau à bout. Dans leur course ils entendent les centaines de petites patounes qui les poursuivent, mais aussi le sifflement des munitions qui se plantent dans les troncs. Ils sentent presque le souffle de leur agresseur sur leur nuque. Hafsa les a donc suivis jus... Mika a soudain une révélation.
Hafsa est en congé.
La colère monte en lui et explose. Sa vision se brouille du voile rouge de la rage. Sa peur se volatilise.
Il s'arrête soudainement, lâche Cathy, prend sa batte à deux mains et se retourne. La jeune femme voit son manager face à un homme qui les poursuit. Un homme qui le dépasse de facilement une tête et dont la carrure plus large se découpe dans les ténèbres.
Cette silhouette est reconnaissable entre mille.
Guidé par la haine Mika décoche un large coup de batte et touche Al, encore en pleine course, à la tête.
Il est stoppé net.
Al sent la violence du choc sur sa tempe, ainsi que la douleur que lui procure ses lunettes sophistiquées quand elles lui sont arrachées par le mouvement de l'arme. Il titube, ses deux mains sur son visage. On ne l'entend ni geindre, ni crier. Mais il a terriblement mal, et s'effondre.
Mika s'apprête à continuer dans son élan de violence quand un flot de petits lapins duveteux multicolore recouvrent le corps de Al et qu'une main se pose sur son geste : Cathy le retient.
Le regard rempli d'incompréhension de Mika se trouble, et une douleur dans sa cuisse le lance : une fléchette l'a touché, il ne l'avait pas senti grâce à l'adrénaline.
Au loin ils entendent des bonds, lourds, qui arrivent : d'autres lapogardes ont l'air furieux.
— Barre-toi ! A... Aller !
— Non ! Je ne peux pas te laisser ici !
Mika la repousse violemment, un geste qui plonge Cathy dans la terreur. Même si c'est pour son bien, l'homme est loin d'imaginer qu'il vient de remuer une terrible sensation en elle. Mais il obtient ce qu'il veut : la jeune femme décampe, seule, dans le noir. Puis, il s'effondre dans un sommeil profond.
Cathy court à en perdre haleine. Le souvenir qu'on la repousse contre un mur violemment l'étreint tourne en boucle dans sa tête.
"On est tous comme ça Cathy. La violence est en nous, les hommes. Je ne suis qu'un parmi d'autres."
— Ta gueule ! s'époumone Cathy.
"Tu seras toujours secouée, violentée, brisée, Cathy. C'est normal. Tu le mérites, tu es une meurtrière ! Une traitresse !"
La jeune femme serre son étreinte sur la lampe torche. Elle a l'impression que son cœur va lâcher à tout moment.
Le faisceau de la lampe balaye aléatoirement devant elle, au rythme de ses bras qui se balancent dans sa course. Elle voit alors la baie vitrée de l'étage s'étaler de gauche à droite, sans issue. La jeune femme décide de la longer pour espérer tomber sur un mur avec une porte, un trou, un escalier, n'importe quoi pour fuir cet enfer !
Ce qu'elle trouve c'est effectivement un mur, mais pas de sortie. Accrochés sur ce dernier des vestes et des harnais pendent mollement. Elle reconnaît sur l'un d'eux un de ces pistolets ventouse qu'utilise Al. Sans trop réfléchir elle enfile le harnais et rattache le câble du pistolet à ce dernier. Elle ne sait pas si ce qu'elle s'apprête à faire est suicidaire, ou pas.
Un énorme lapogarde surgit face à elle. L'esquivant de justesse, Cathy se précipite sur une fenêtre, mais ne sait sait comment l'ouvrir. Esquivée une seconde fois, la bête se cogne violemment contre la vitre et la fissure.
Cathy y voit la promesse d'une sortie. Elle court. La peur de se retrouver seule avec son cauchemar, de se faire dévorer par cette bestiole lui tord les tripes. Et comme si ses pires craintes lui donnaient des ailes : elle saute à travers la fenêtre.
Le verre se brise en milles éclats qui lui tranchent la peau de ses bras dressés devant sa tête. Le vide l'aspire. Avec un sang-froid incroyable elle saisit le pistolet, se retourne et tire, priant pour que la ventouse s'accroche à quelque chose.
Sa prière est exaucée : la ventouse embrasse une vitre et un mécanisme aspire l'air pour avoir une adhérence maximale. D'une main, elle freine doucement le déroulé de la corde sur le pistolet. Son poids la ramène alors vers les fenêtres de l'immeuble. Les pieds en avant pour ne pas se blesser, Cathy stoppe sa chute. Son cerveau est gonflé d'adrénaline, son cœur lui pompe le sang à toute allure. Puis, lentement elle laisse le reste de la corde glisser doucement en maitrisant la pression sur le pistolet.
Elle ne regarde pas en haut, elle veut juste partir, fuir, et lorsque ses pieds touchent le sol, c'est un soulagement immense qui la secoue. D'un geste, elle se débarrasse de tout son attirail et cours en direction du tramway pour rentrer chez elle.
Jamais elle ne remettra les pieds ici, se dit-elle.
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C'est la fin de la première saison de Corporate !
J'en pouvais plus d'attendre de poster ce chapitre :') Vous avez aimé ?
Qu'est-ce qui pourrait faire revenir Cathy à Corporate après tout ça ?
A votre avis, avez-vous rencontré le PDG de l'entreprise ?
Que pensez-vous apprendre lors de la deuxième partie ?
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