Mission 12 : boire un verre
Dans la cafétéria les équipes se massent déjà avec leurs petits lapins colorés. La "brigade des filets roses" est présente pour les compter et s'assurer qu'ils n'ont rien. Luan et Mika arrivent, haletants, trainant avec eux le chef de l'équipe marketing saucissonné dans un tube fait en moquette. Lorsque ce dernier gigotte à l'intérieur : on dirait un ver de terre géant.
Leurs yeux se posent partout dans la salle, mais pas de trace de Cathy. Daniel les aperçoit et s'avance vers eux le sourire aux lèvres.
— On ne l'a pas tapé. Coupe Mika. Juste emballé.
— En fait je voulais savoir où est Cathy.
Le manager affiche une mine sombre, difficile d'avaler qu'il a perdu sa trace en se sacrifiant pour cet imbécile de tardigrade du marketing. Luan soupire et continue de fouiller la pièce du regard. Elle aperçoit Vincent, assis à une table avec une pancarte "service des plaintes". Son cœur s'emballe un peu, et d'un pas assuré elle décide d'aller le voir.
Après avoir fait la queue, Luan tire une chaise et s'assoit face à lui. Vincent tapote de son stylo sur la table, prêt à écouter. Il ne la regarde pas vraiment.
— Je viens me plaindre d'une salle. Commence-t-elle. Une salle qui nécessite un gros rangement. Y'a des meubles dans tous les sens.
L'homme au Fursac trahit sa fébrilité en laissant son stylo s'échapper. un long silence gênant, puis il la fixe enfin. Luan déglutit.
— Dans tous les sens ? dit-il en se rasseyant sur sa chaise.
— Des chaises retournées, des piles de tables, certaines se sont effondrées. Y en a des tas. Poursuit-elle. Des centaines peut-être. Alors que ça pourrait être si bien empilé.
Il se racle la gorge, et desserre un peu le col de sa chemise. Vincent et Luan se fixent de longues secondes. "À quoi elle joue ?" Pense t-il. Elle n'est pas ici pour se plaindre et il l'a remarqué.
— J'ai même renversé une armoire en voulant escalader. Elle était pleine de trucs.
C'est qu'elle insiste la bougresse, et l'imagination du responsable SAV fuse. Il trépigne d'excitation et tente de garder son calme : il est ici pour recevoir des plaintes, pour le moment. Dans le regard de la jeune femme et y lit de la provocation. Il la connaît peu, mais Luan, elle, semble bien le connaitre. Vincent la regarde intensément, cherchant à percer ses réelles intentions.
Luan reste de marbre mais elle rougit avant de se reprendre, sentant le regard froid de Vincent la toiser : elle décide de ne plus insister.
— On a perdu la trace de notre collègue, dans tout ça. C'est la faute de tout ce bazar. Alors je me plains de ce gros bordel.
— T-Très bien. J'irais voir par moi-même. Je note ta plainte, il adresse un regard à la file d'attente. Suivant.
Luan se lève. Une fois le dos tourné elle prend une grande respiration : voir Mr Lelouarn excité ça n'a pas de prix pour elle. Puis elle sourit avant de rejoindre Mika. Ce dernier est en pleine discussion avec Daniel. Les deux hommes sont aussi inquiets l'un que l'autre de l'absence de Cathy.
C'est alors qu'un ascenseur s'ouvre. Cathy en sort et s'avance, sans un mot. Ses vêtements sont complètement trempés et ses chaussures font un bruit d'aspiration à chaque pas. Dans ses bras est blotti un lapin à la fourrure dorée. La cafétéria est soudain muette.
Sous les yeux ébahis des employés, Cathy tend l'animal à un Daniel tout sourire qui le saisit délicatement.
— Je crois qu'il va bien. Dit-elle grelottante en essayant de rendre le sourire reçu.
Mika retire sa veste et la pose sur ses épaules. Il est heureux de la voir, le lapin est secondaire pour l'instant. Luan croise les bras et prend une pose qui affiche clairement : "ça, c'est ma collègue bande de prolos".
Cathy fait tout pour ne pas afficher son malaise. Le stress fut trop intense ces dernières heures, au point qu'elle ne sait pas si ce "Marcel" est une hallucination, ou non.
Après avoir fait sécher ses vêtements en entrant dans une étrange cabine qui sert habituellement à souffler du popcorn par kilos, Cathy est prête pour la remise du prix. Enfin si on oublie que ses cheveux vont défier la gravité pendant encore quelques heures.
La jeune femme reçoit une véritable ovation. Cela fait presque 1 mois qu'elle est arrivée, entre le café karaoké et le lapin d'or : le respect des vétérans semble acquis. Tous ses doutes se dissipent dans ce bain d'acclamations et de joie partagée.
Daniel la couvre de fleurs, et lui donne une fourniture à son nom : un stylo avec une tête de lapin. Cela peut paraître anecdotique, mais c'est apparemment une grande marque de reconnaissance dans l'entreprise d'avoir une fourniture avec son nom gravé.
Puis, l'équipe décide ensemble du prix et d'opter pour une machine à café "sympathique" avec option Karaoké.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Après toutes ces émotions fortes Cathy n'a qu'une envie : être tranquille. Elle n'a plus l'habitude d'être le centre de l'attention. Mais emportée par l'enthousiasme général elle se retrouve dans un bar : le Orter.
Vous savez, ce genre de bar qu'on l'on retrouve au pied de n'importe qu'elle entreprise et qui fait 90% de son chiffre d'affaires le jeudi soir aux "after work". Un endroit où la bière n'est pas chère et se boit au litre. Ce même genre de bar où la matrone connait le prénom de tous les employés, et possède un dossier sur à peu près chacun d'entre eux. Ainsi il lui suffit de balancer quelques anecdotes, ou photos, pour foutre en l'air la vie de quelqu'un qui causerait du tort à son établissement.
Entourée de Luan et Mika, Cathy savoure une bière Asahi. La première depuis des années. Elle sourit, nostalgique d'une époque révolue. Elle regarde ses collègues qui se remémorent ensemble les instants forts de cette chasse au lapin. La jeune femme a dû raconter déjà deux ou trois fois ce qui lui est arrivé. Marcel existe bel et bien, il fait même partie de l'équipe Marketing : cette dernière ferait des réunions au fond de cet "open-aquarius".
Les trois comparses discutent une bonne heure autour du travail. Au fil des discussions Cathy remarque que Luan en connait beaucoup sur les différents étages de l'entreprise.
— Ça fait combien de temps que tu es à Corporate Luan ? Demande Cathy en sirotant directement sa bouteille. Tu as l'air de bien connaitre l'entreprise.
— Je suis en SDI : stage a duré indéterminée, depuis 1 an environ. J'ai été pas mal ballotée d'une équipe à une autre
Cathy reste interdite : c'est légal comme contrat ça ?
— J'espère qu'un jour on me proposera un CDI. En attendant je reste chez ma mère, et ce qu'on me donne en prime suffit pour mes besoins. Dit-elle en aspirant son Coca à la paille.
— Quand même, tu ne peux pas rester stagiaire toute ta vie, ajoute Mika en ouvrant sa quatrième bière.
— J'ai une autre raison qui fait que... j'ai envie de rester, même si c'est un stage. Et j'ai des collègues très sympas.
Mika frictionne sa tête comme le ferait un grand frère. Elle lui prend la main et la tord un peu. Le manager échappe un petit couinement de douleur avant d'être relâché.
— Et toi Mika ? Poursuit Luan.
— Je ne sais plus, ça doit faire au moins trois ans que je suis là. Je crois. C'était galère au début, comme pour toi Cathy. Mais je ne regrette rien.
La jeune femme se sent soulagée d'un poids : elle n'est pas la seule à avoir autant de mal à s'adapter à l'étrange univers de Corporate. Mika pose sur elle un regard tendre qui fait battre quelques mesures à son cœur.
— Tu t'en sors vachement mieux que moi à l'époque. Dit-il en terminant sa bouteille.
— Merci. J'avais peur d'être un boulet.
— Non, t'es géniale, ne change rien.
Luan acquiesce les propos de son manager par un hochement de tête. Ces compliments ne manquent pas de la faire rougir. Finalement, boire avec ses collègues s'avère être un moment agréable. Mika est beaucoup plus détendu, sourit plus facilement, rit même aux anecdotes de Luan sur Karim. Il ne manque pas de charme quand il n'a pas envie d'éclater quelque chose avec sa batte.
— Tu me fais penser à ma petite sœur que j'adore. Dit-il à Luan après un échange que Cathy n'écoutait que d'une oreille.
La nostalgie s'empare alors de Mika qui serre entre ses doigts sa bouteille vide. Les femmes ne disent rien et l'écoutent. L'alcool le rend plus bavard.
— J'me suis disputé avec mon daron, assez violement. Genre coups de poings et tout. Et j'ai quitté le nid. Depuis je ne l'ai plus revue. Le prix à payer pour que je puisse faire ce que je veux de ma vie j'imagine.
Il soupire, porte la bière à sa bouche et réalise qu'elle est vide, puis il se lève au moment où Cathy a envie de poursuivre cette conversation.
— Aller, j'me rentre il est tard et j'ai pas mal bu.
Le manager paye pour tout le monde. Son équipe le remercie avant de quitter les lieux. Et quand d'un pas chancelant il se dirige vers sa moto, quelqu'un le retient par la manche : Cathy fronce les sourcils.
— Tu ne penses pas rentrer en moto après avoir bu quatre bières n'est-ce pas ?
— T'es pas ma mère dis donc !
Il rit, mais Cathy ne plaisante pas. Luan assiste à une dispute un peu ridicule entre ces deux-là, mais touchante : il y a une sorte de complicité mutuelle entre sa collègue et son manager, comme un vieux couple. L'homme faisant le gros dur, il ne s'attend pas à ce que Cathy lui cogne le bras comme la dernière fois, et ça fait mal.
Pendant ce temps Luan dégaine son portable pour appeler un taxi en regardant les deux collègues : on dirait deux pandas roux qui essayent de s'impressionner.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Sa tête dodeline avec la musique, Cathy a le regard pensif. Après un appel téléphonique à ses parents en quittant le bar, elle ressent la frustration de ne pas pouvoir leur dire exactement ce qu'elle traverse à Corporate. Respectant la clause du contrat, elle est restée évasive avec eux. Pourtant sa mère sait se montrer très insistante, exactement comme mémé qui veut absolument savoir si tu as un "petit copain" et "pour quand le mariage", et t'invente une vie si aucune des réponses ne la satisfait.
Seule sur le trottoir, aussi morne que le reste de la ville, elle soupire. Son téléphone se met à vibrer. Un numéro inconnu lui a envoyé une pièce jointe.
Elle l'ouvre nonchalamment et jette un œil. Soudain elle trébuche, embrasse un poteau, titube, bouscule une poubelle, se rattrape en vain à un arbuste et tombe enfin.
Les fesses par terre Cathy se met à rire à gorge déployée : elle vient de recevoir une nouvelle photo de Al.
Toujours pas dans le cadre, centré sur un adorable Mister Meh qui dort en boule duveteuse sur le ventre de l'homme allongé dans l'herbe. D'autres lapins semblent l'entourer : trahissant leur présence avec des bouts de museau et oreilles. Et cette fois elle voit le bas de son visage.
Le souvenir de l'ascenseur, où elle lui est tombée dessus, lui revient en tête pendant qu'elle se relève et époussette son jean.
Elle se souvient très bien de cette bouche. La revoir sans cette lumière bleue océanique lui confirme sa première impression : à croquer. Elle éteint vite son téléphone comme pour donner une tape sur les mains de ses hormones.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Cela fait plus d'un mois maintenant, et Cathy savoure chaque journée de travail. Elle n'a pas recroisé Daniel, Vincent ni Al. Mais ses collègues sont bien présents. Même si la tâche est pénible, il y a parfois des découvertes intéressantes, comme ce matin. La jeune femme a trouvé un carton rempli de vieilles photos.
Elle le porte à son bureau. Pas très grand, il contient toutefois un petit paquet d'images de l'entreprise à différentes périodes. Luan, curieuse s'approche et prend la 1ère : on y voit une jolie villa avec un immense jardin. La photo date d'une trentaine d'années.
— Pourquoi une photo de maison traine ici ? Demande Cathy.
— Je crois que l'entreprise a été construite sur son terrain. Après j'ignore pourquoi.
Haussant les épaules, Luan s'intéresse aux photos suivantes, mais il s'agit essentiellement d'images de construction de la tour. Pas de trace du PDG, ce que la stagiaire aurait adoré trouver visiblement.
— Personne ne l'a vu ?
— La rumeur dit que c'est un psychopathe en puissance et qu'il est roux. Il reste cloitré au tout dernier étage et n'en sort jamais. Elle soupire. Daniel est probablement un des rares à le voir, avec Natasha et Mister Meh.
— Et si c'était Mister Meh en fait le PDG... ?
Luan glisse un regard écarquillé sur Cathy. Soudain une main se pose sur la tête de la jeune femme et la fait sursauter : Mika se met à ricaner.
— Tu as de l'imagination Cathy !
La jeune femme retire sa tête de son emprise. Il se racle la gorge, comme pour s'excuser implicitement : il oublie trop facilement qu'elle n'est pas tactile.
— Luan, je pense que tu peux rentrer il est presque l'heure. Cathy ? J'aimerais exploiter ta force quelques minutes.
La blondinette hausse les épaules, salue ses collègues et part, tandis que Cathy et Mika se dirigent vers ledit rayonnage. Sur place il lui montre un carton énorme, déjà ouvert contenant des boîtes noires parfaitement lisses.
— Je ne sais pas ce que c'est : y a aucune info... T'as déjà trouvé un truc similaire ?
Cathy secoue la tête, puis se penche pour examiner le carton et voir si une notice n'est pas cachée quelque part. Pendant ce temps, Mika l'observe. Plus le temps passe, plus il la trouve intrigante, et jolie. L'envie d'en savoir plus sur sa collègue le démange depuis quelques jours.
— J'sais qu'on n'est pas ami Cathy mais... Si t'avais un truc à me dire : tu me le dirais en face hein ?
— Oui bien sûr. Elle lui jette un regard avant de revenir à sa recherche. Pourquoi ?
Finalement il se dégonfle et ne dit rien. Cathy finit par sortir une boîte du carton : elle pèse extrêmement lourd et comprend pourquoi son manager lui a demandé un coup de main. Il l'aide, mais soudain elle leur glisse des mains et tombe. Dans un fracas assourdissant la boîte déverse son contenu sur le sol : d'étranges capsules métalliques s'éparpillent et roulent au sol.
— Merde ! Peste le manager. C'est quoi ça encore ?!
Les capsules font la taille d'une main, il se penche et en ramasse une. Le logo du laboratoire Corporate est gravé dessus. Il est soudain inquiet.
— Tu sais ce que c'est Mika ?
— Non... mais vu d'où ça vient c'est encore plus inquiétant.
Cathy remarque que la capsule qu'il tient est percée. Aucun liquide ne s'en échappe mais elle le sent : une odeur âcre et mentholée lui agresse les sinus.
— Mika...! Jette... !
Trop tard. Sa vision se trouble, ses poumons se remplissent de cette désagréable odeur et sa tête se met à tourner. Elle voit l'homme s'affaisser lui aussi sous l'emprise du gaz.
Ensemble ils s'écroulent au sol.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Les lumières de Corporate s'éteignent les unes après les autres. Les lueurs des pancartes de sorties de secours peinent à faire leur office. En quelques minutes la nuit noire pénètre dans le bâtiment avec une lenteur glaciale.
C'est l'heure du couvre-feu.
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Petit chapitre un peu "Slice of Life", pour respirer un peu, j'espère que vous avez aimé ?
Vous pensez que Luan en pince pour Vincent ? Mika pour Cathy ? J'ai adoré la courte scène de Cathy qui reçoit la photo de Al, et vous ?
Bon... maintenant place au couvre-feu (,,#゚Д゚)
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