Interlude
₍ᐢ..ᐢ₎ Plusieurs heures avant ₍ᐢ..ᐢ₎
Carl fume tranquillement un cigare en regardant l'étang. Un sentiment de satisfaction le transcende depuis qu'il a envoyé les photos à Eros. Il imagine déjà son visage, si "parfait", se tordre dans une colère déchirante. Il sait que ça le blesse, littéralement, de ressentir un tel sentiment.
C'est son réconfort, si jamais toute cette mise en scène échoue.
Mais le claquement de sa porte d'entrée lui fait dire qu'il a eu tort de douter. Il sourit, et prend une profonde respiration.
Essoufflé, les iris noirs, tremblant de rage, Al fait irruption dans le bureau de Carl et fouille la pièce du regard.
— Bonjour Eros, dit Carl tout sourire, tu pensais qu'elle serait encore chez moi ?
Al avance avec une rapidité surprenante vers lui, attrape le col de sa chemise et le soulève d'une main avec une force surhumaine.
— Qu'est-ce que tu lui as fait ?! Crie Al furieux.
— Mais rien, voyons : elle était consentante. Tu veux voir le contrat ?
Al le repose brutalement et sent une noirceur s'emparer de lui peu à peu. Amusé de la situation, l'avocat continue son monologue :
— Moi qui pensais que tu serais content de voir que j'ai enfin rencontré le grand amour, dit-il en prenant un air faussement triste.
"Plie-le !" gronde la voix dans la tête de Carl, il continue :
— Quel hasard que ce soit ton "amie" vraiment, il sourit tel un prédateur, si tu savais comment sa peau est douce et ses lèvres veloutées... J'ai caressé bien des femmes, mais cette Cathy me fait tourner la tête, dit-il sincèrement.
L'esprit de Al se fond dans des ténèbres glaciales qui engourdissent sa raison. Dans sa tête dansent des formes rouges, aux angles agressifs comme des lames de couteaux. Son champ de vision se réduit. Son esprit étouffe sans espoir de sortie. Chaque mot de Carl est un poignard qui perfore sa poitrine. La souffrance psychique le plie de douleur.
Carl se délecte de le voir ainsi, il avait vu juste en devinant que cette femme et lui étaient très proches, et que cet idiot est totalement transi d'amour.
— Tu veux que je te raconte les détails ?
"Achève-le !"
Une lueur malsaine brille dans le regard de l'avocat, ses pupilles se contractent pour former une fente abyssale sur la toile de ses iris. Il murmure d'une voix gutturale dégoulinante de lubricité :
— Cathy est si chaude et soumise... je l'ai baisé comme Danielle.
Un hurlement de rage déchire l'espace.
Un souffle renverse Carl et explose toutes les vitres. Les yeux entièrement noir, aveuglé par ce sentiment intense qui le ronge, Al se jette sur lui et le roue de coups. En larmes, la souffrance s'exprime à travers son corps qui agit seul sous les pulsions de son cœur qui saigne.
— Tu n'as que ça dans le ventre Eros ?! Carl essuie un énième coup sur la joue, je l'ai fait hurler comme une petite salope ! Il éclate d'un rire dément.
Al lui répond dans un râle de détresse et le frappe une dernière fois. La douleur est trop forte, elle lui coupe le souffle. Il hurle encore une fois. Ce supplice ne semble pas vouloir prendre fin : Al ne sait pas comment se sortir de cette tourmente seul. Son esprit s'est perdu dans une mer de ténèbres aux reflets de rougeoyant.
Carl, le visage en sang, sourit et le voit prendre soudain la fuite.
Dans un gémissement de douleur, il se relève, crache du sang avec une molaire, puis titube jusqu'à son bureau. Le sourire toujours dessiné sur ses lèvres ébréchées, il s'affale dans son fauteuil. Péniblement, il prend son téléphone et compose un numéro.
Cerbère le rejoint en couinant, encore terrifié par cet effroyable individu qui vient de quitter la villa. Son maitre lui caresse la tête, et lutte contre les vertiges qui assaillent son cerveau.
— Jennifer ! Comment vas-tu ?... Oh et bien tant mieux, il porte à sa bouche ensanglanté un mouchoir. J'ai un scoop pour toi. Si tu peux appeler les secours et les flics pour moi, ce serait vraiment appréciable. Chez moi oui... Oh tu verras : tu vas adorer.
Il coupe et laisse l'appareil glisser de sa main pour saisir un cigare et l'allumer. Ses yeux verts se perdent sur le paysage. Une tache rouge envahit son œil droit. Son nez lui fait mal, son crâne, sa mâchoire, ses arcades sourcilières, ses côtes, tout.
La nicotine l'apaise un peu, mais pas autant que d'imaginer la suite de cet événement.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Plus loin, en ville, une voiture avale l'asphalte à grande vitesse. Vincent n'a que faire de respecter à la virgule près la limitation de vitesse. Mais ça ne l'empêche pas de râler après ceux qui ne respectent pas le reste du code de la route.
Daniel assit à côté, déglutit, peu habitué à cette conduite vigoureuse. Dans sa main il tient son téléphone qui sert de GPS : la Doloréapinus a été détecté en ville, dans un quartier résidentiel. L'ange avait immédiatement reconnu l'adresse de Carl.
Il se mord la lèvre d'anxiété.
De sombres souvenirs remontent à la surface de son esprit pendant que Vincent maitrise le véhicule. Des souvenirs si lointain qu'ils semblent appartenir à une autre vie, à son autre "lui". L'odeur de Carl lui revient, son souffle, ses gestes, ses mots... Daniel ne se sent pas bien. Vincent le tire de ses sombres pensées :
— Si j'avais su à quel point cet homme était une telle enflure je...
— Tu n'en savais rien, le coupe Daniel, et tes enfants passent bien avant Corporate. On peut dire ce qu'on veut de Carl : ça reste un excellent avocat, le meilleur même. Il sait très bien ce qu'il fait...
Et c'est ça qui lui fait le plus peur. Daniel soupire. La situation a pris une ampleur démesurée. Le seul moyen de sauver Corporate, et de calmer Gehlal, c'est de ramener Al.
— C'est... une histoire folle, souffle Vincent en négociant un rond-point tel un pilote de rallye, mais avec tout ce qui se produit autour de Al, ce n'est pas vraiment une surprise.
— Tu savais déjà que c'était le PDG. Le reste... je regrette de t'avoir menti pendant ces 7 années.
— Je t'en veux mais dans une moindre mesure : j'aurais fait la même chose que Gehlal pour le protéger.
— Mais tu apprécies tellement Al ...
— C'est pour ça qu'il est hors de question de l'abandonner. C'est impossible de ne pas vouloir le protéger, il serre les dents, je ferais tout pour me racheter.
Daniel sourit.
— À quoi je dois m'attendre ? Demande Vincent voyant qu'ils approchent du quartier résidentiel.
— Quand Al n'est pas bien il peut devenir... autre chose. J'ai peur que son frère ait fait en sorte de le briser en utilisant Cathy.
En disant cela Daniel se rend compte que c'est évident. Carl a cherché une brèche, l'a trouvé et attendu le bon moment. Il a toujours été comme ça : un loup chevronné, patient, élégant mais terriblement cruel.
Soudain, Vincent pointe du doigt une silhouette : un grand homme qui court et disparaît dans un sentier trop étroit pour la voiture.
Le conducteur peste et se gare comme il peut à proximité, puis ils descendent à sa poursuite, persuadés qu'il s'agit bien de Al.
Le sentier dévale une pente terreuse et asséchée. Bientôt, ils arrivent sur une petite crique de galets, avec vue sur l'étang et le soleil, déjà bas dans le ciel. Seul le chant des vagues est perceptible dans cet écrin de calme.
La silhouette de l'homme qu'ils poursuivent est là, seul, debout face à l'horizon, la tête entre les mains. Vincent croit halluciner en voyant une étrange fumée noire s'échapper de son corps. Du sang suinte encore des callosités osseuses de ses mains. Sa chemise est constellée de taches rouges. Des gémissements de douleur sortent de sa bouche dans une voix rauque, brisée.
Daniel et Vincent se précipitent vers lui, et le serrent dans leurs bras.
Une vague douce et blanche submerge l'esprit torturé de Al. Comme une lumière au bout d'un tunnel de souffrance, il refait lentement surface.
Et pleure de tout son saoul.
— C'est fini Al... murmure Vincent.
— Nous sommes là maintenant, Daniel passe une main dans les cheveux de son ami qui se calme.
— Je ... suis un monstre... Al relève la tête, les yeux tel des bassins de ténèbres.
— Jamais de la vie, lui répond Vincent, tu es l'exact opposé.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Dans le grand bureau du PDG, les quatre hommes ont un air grave. Gehlal, les bras croisés, fulmine intérieurement mais reste figé dans une expression froide. Daniel regarde les photos envoyées par Carl. Vincent quant à lui est assis à côté de Al, une main dans son dos.
Le grand homme s'est calmé. La tête basse, le regard perdu dans le vide, il n'a pas dit un mot depuis que Vincent et Daniel l'ont ramené.
— Si je résume, soupire Gehlal, Carl a eu vent du procès de Vincent et de ses difficultés. Il en a profité pour lui faire un chantage : des renseignements sur les employés qui connaissent Al, en échange de la garde exclusive de ses enfants.
L'assistance hoche la tête, il poursuit :
— Il a probablement enquêté sur les différents profils, et on ne sait comment a compris que Cathy et Al sont proches, il lève les yeux au ciel, ensuite il l'a séduite : on connaît la suite. Je savais bien que cette femme allait nous poser des problèmes, dit-il froidement, j'aurais dû la virer dès que j'en ai eu l'occasion.
Gehlal sent sur lui le regard foudroyant de Daniel et Vincent. Al quant à lui reste silencieux : son esprit ressemble à une chambre d'enfant dans laquelle une tornade est passée.
— Je ne comprends pas pourquoi Al s'est emporté de la sorte, se demande le scientifique en glissant ses mains dans les poches de sa blouse.
Daniel se tourne vers lui :
— Al a eu peur qu'il lui fasse du mal, comme il a pu m'en faire. D'ailleurs j'aimerais lui parler, pour savoir si elle va bien suite à cette séance photo, dit-il en regardant Al du coin de l'œil.
Parler des sentiments de Al n'aura aucun effet sur Gehlal : il y est imperméable, autant éviter le sujet pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. Encore faut-il que le grand garçon comprenne ce qui lui arrive. Daniel ne veut surtout pas le forcer, et préfère qu'il savoure cette découverte avec candeur. Mais il n'imaginait pas que ça allait l'amener se faire tourmenter de la sorte par son propre frère.
— Le principal est que Corporate soit redevenue stable, annonce Gehlal calmement.
— La tour, et cette "faille" dont vous m'avez parlé ... tente de comprendre Vincent, sont la même chose ?
— Non, tranche le scientifique, la faille génère de l'énergie qui provient d'une autre dimension que la nôtre, Vincent hoche la tête. Dites vous que la tour Corporate sert de cage de faraday : en contenant l'énergie de la faille au même endroit elle empêche cette dernière de s'étaler dans notre réalité pour la déformer, et d'éviter les incidents.
— Al est comme un... catalyseur donc, poursuit Vincent, et quand il n'est pas là, en colère, ou alité, la faille "déborde" dans la tour qui encaisse. Et si la tour devient trop instable, elle s'effondre et la faille déforme la réalité autour d'elle, conclut Vincent peu sûr de lui.
Vincent se souvient d'avoir eu vent d'une histoire de "maison hantée" qui rendait fou son quartier, cela remonte à plus de dix ans, c'était donc ça ?
— Je vois que vous avez un cerveau Mr Lelouarn, ça me rassure.
Daniel referme le téléphone de Al et lâche un juron. Les photos sont vraiment sublimes, Carl a su saisir les bons instants, et ce baiser sur la vidéo est intense, sincère de sa part.
"Il a le cœur brisé" se dit-il en regardant Al encore avachit sur sa chaise. Il lâche un long soupir quand le téléphone du bureau sonne : c'est Natacha qui leur somme de regarder la télévision.
Sur la chaine d'info, une journaliste se trouve devant le domicile de Carl et parle d'une agression grave sur l'avocat le plus réputé de France. Ce dernier, en arrière-plan et salement amoché, est emmené dans un camion de pompier.
— ... a déclaré, je cite : "j'aime mon frère, je ne souhaite pas le mettre en prison. Mais il a indubitablement besoin de soins psychiatriques. Nous avons des antécédents de schizophrénie dans la famille". Le PDG de Corporate est très attendu sur sa version des faits et....
Daniel et Gehlal se regardent.
— En tant que proche il a l'autorité pour faire ce genre de demande... et il a surement une vidéo de l'agression, ainsi que des médecins dans la poche, murmure Daniel en serrant les poings.
— 72h, c'est le temps de la mise en observation je crois, ensuite il sera libre, ajoute Vincent.
Mais ils savent tous les quatre que les actionnaires ne vont pas réintégrer Al à son poste de PDG après une telle affaire.
— N'y va pas ! Suggère le scientifique en se tournant vers Al, je te cloisonnerais dans mon bunker personnel !
Vincent se lève et fait face à Gehlal, les yeux humides.
— ça va attirer des ennuis à l'entreprise s'il ne quitte pas son poste : les actionnaires ne vont plus rien financer. L'action en bourse a déjà chuté. La police interviendra pour l'expulser des locaux. Et Al ne peut pas rester enfermé : ce n'est pas un animal !
— Et Carl va surement en rajouter une couche sur sa psychologie "démente" et "dangereuse" pour réclamer un internat plus sévère si on ne coopère pas, soupire Daniel.
Les trois hommes discutent, et commencent à se disputer sous les yeux de Al : "tout est de ta faute !", "tu n'as aucun cœur", "traitres !". Il finit par se lever, exaspéré, comme si sa vie n'a soudain plus aucun intérêt.
— Je vais y aller, dit-il fermement.
Les comparses se tournent vers lui.
— Nous verrons ensuite. Je ne veux pas que l'entreprise soit davantage mise à mal. Les employés aiment Corporate, je ne veux pas la mettre plus en danger. 72h, ce n'est rien.
— Ils peuvent trouver un moyen de te garder plus longtemps, pense tout haut Daniel très inquiet, même s'il existe des recours pour contester : ça prend du temps, et si jamais ils te gardent après 72h contre ton consentement, tu ne verras pas de Juge pour t'y opposer pendant quelques jours...
Al baisse les yeux, perdu dans des pensées abstraites : tout ça il le sait déjà.
— Combien de temps il peut rester éloigné de la faille ? demande Daniel au scientifique résigné.
— Au lycée c'était quatre jours, maintenant qu'il est adulte et avec la tour autour de la faille, je n'en ai pas la moindre idée.
Lentement, Al se dirige vers la sortie dans un lourd silence. Vidé de toute combativité, il semble résigné. Honteux de ce qu'il a fait, amer d'avoir le cœur en miette.
— Daniel... dit-il d'une petite voix, j'aimerais que tu t'assures que Cathy aille bien, s'il te plait, je... n'en ai pas la force.
Puis, il disparait dans ses appartements.
₍ᐢᐢ₎----Fin de l'interlude----₍ᐢᐢ₎
C'est le début d'une nouvelle saison, quelles sont vos impressions ? Est-ce que vous comprenez Al ? Ou vous êtes choqué par son comportement ?
Est-ce que les explications sur la tour et la faille sont claires pour vous ?
Vous avec une idée de la nature de Al ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro