Épilogue
Ça doit faire 13 fois qu'il vérifie si sa cravate est impeccable. Stressé, le jeune homme entre d'un pas qui se veut assuré, mais qui en réalité trahit son manque flagrant de confiance en lui.
Le hall dans lequel il vient d'arriver est immense, lumineux. Il en prend plein la vue, si ce n'est pas pour dire : plein la gueule. Corporate est à la hauteur des rumeurs qui courent sur sa démesure. Mais il ne s'attend pas à trouver une photo vivante du siècle dernier à l'accueil, le toisant avec la même froideur que son frigo. Même le chignon semble congelé sur le haut du crâne de la vieille dame.
Il se racle la gorge, s'approche et entreprend de faire son plus beau sourire : maladroit.
— Bonjour. Je...
— Vous n'êtes pas colporteur de prospectus nauséabonds pour tenter de nous vendre des formations en anglais aussi efficace qu'un loukoum dans un tiroir à chaussette j'espère ?
Le jeune homme reste interdit.
— Quoi ? J'ai raison ? insiste la vieille en plissant les yeux.
Ce n'est pas le bruit d'un chargeur d'arme à feu qu'il vient d'entendre sous son bureau ?
— Non ! Je suis là pour l'entretien d'embauche, il lui tend le ticket arc-en-ciel en tremblant d'anxiété.
La momie, le toise de haut en bas, vérifie le ticket, scrute l'heure, l'inspecte de nouveau avant de porter deux doigts sur son clavier d'ordinateur.
Vous connaissez la suite. Le jeune homme est consterné par la vitesse de frappe de la dame en face de lui. Il n'est venu « que » une heure en avance, et malgré tout le stress de perdre un temps précieux en la regardant faire lui remue le ventre.
— Prenez l'ascenseur A8. Allez au 35e étage, première porte à droite...
— Merci ! dit-il trop pressé avant de réaliser qu'elle n'a pas terminé.
— .... Ensuite, tournez à droite du burrito...
— Pardon ?
— ... Vous trouverez alors un rond-point et 5 directions, prenez la 3e, puis...
Il ouvre sa mallette dans un mouvement sec, et extirpe un stylo, 4 couleurs, et compulse tout ce qui sort de la bouche de cette étrange femme : un test ! C'est sûrement un test, se dit-il.
— ... tapez 3 fois dans vos mains quand vous tomberez sur une statue de lapin orange. Ça devrait ouvrir une...
Après 10 minutes, il la salue brièvement et décampe. Devant les portes de la cabine, il trépigne d'impatience et s'y faufile dès qu'elle s'ouvre. Stupeur : il n'y a pas de bouton 5. Ni de 10, ni de 15, ni de... Le désespoir se lit de façon très théâtrale sur son visage.
— Où allez-vous ? demande un individu en soupirant depuis le fond de l'ascenseur.
Le nouveau se tourne et voit un homme en blouse blanche, petite barbe, lunette et cheveux noirs attachés. Ce scientifique a l'air aussi blasé par la vie qu'une vache en bordure d'autoroute.
— Au 35e pour un entretien d'embauche.
L'homme l'inspecte. Décidément, il est mal habillé ? Pourtant il sait qu'il est plutôt mignon dans un costard avec son physique de rugbymen : c'est même la seule chose à laquelle se raccroche sa confiance en lui. Peut-être qu'il a une tâche qu'il ne voit pas ?
— Faites 21, 7, et encore 7, répond le scientifique dans un soupir.
Le jeune homme s'exécute, et effectivement : l'écran analogique affiche : 5. C'est un fonctionnement... en particulier, se dit-il ? Ma foi, c'est amusant, il a l'impression d'être dans une Escape Game. Il remercie le scientifique qui hausse les épaules en réaction. Le téléphone de l'homme sonne, il hésite à répondre tout de suite, mais finalement décroche.
— Ah, Daniel. Comment j'ai trouvé ta nouvelle recette au beurre de cacahuète ? Excellente. Il manquait toutefois 0,12 gramme de beurre à mon avis, et retirer 1,3 g de sucre... de rien.
L'homme sent le regarde du nouveau sur lui. Depuis qu'il peut manger des arachides grâce à un traitement de son invention, il se sent obligé de se justifier à chaque fois qu'il en consomme.
— Une expérience. Culinaire.
Le nouveau sourit, maladroit, et la sonnerie de la cabine retentit sous le cri d'un pingouin. Ça surprend. Il le remercie de son aide, sort de l'ascenseur et tombe sur un burrito. Et il ne semble pas être en plastique vu la délicieuse odeur qui s'en dégage. Ça doit être un piège ! Il s'en tient à la notice, et passe par la droite.
Puis, il relit sa note : « la 3e ».
— La troisième... quoi ? se dit-il à lui-même en observant qu'il y a 3 couloirs, 3 portes et 3 trappes. Des trappes ?
Avec méfiance, il risque un coup d'œil dans l'une des trappes : on dirait une pente glissante, comme un toboggan. C'est... ça aussi c'est particulier, se dit-il.
Paumé, il regarde sa montre et constate qu'il a encore du temps pour résoudre cette énigme. Il relit sa note. Encore une fois et sens son petit cœur trembler de stress tel un château de cartes. Dans la logique, il prend la troisième direction et trouve une statue de lapin, mais pas de la bonne couleur. Et quand il revient en arrière : il est totalement perdu.
Soudain, une porte s'ouvre pile au moment où il passe. La rencontre du bois avec son crâne provoque un bruit sourd.
Un très bel homme se penche sur lui, tel un ange aux cheveux de jais, vêtu d'un pull ajusté bleu foncé et d'un jean noir assez moulant. Cet individu lui demande si ça va. Il hoche la tête avec un temps de latence évident.
— Excusez mon compagnon, il aime enfoncer des portes ouvertes, dit-il en lui posant une main sur l'épaule.
Tout son stress s'évanouit dans la nature. C'est si soudain qu'il en reste stupéfait. Un autre homme, brun au teint hâlé, se tient en arrière et le fixe intensément de ses yeux bleu foncé.
— T'es nouveau toi, dit ce dernier en croisant les bras.
— Oui, je... cherche à rejoindre la salle d'attente pour les entretiens d'embauche, il affiche un air tout penaud.
— Ah c'est pas la salle « Gertrude de Médicis » au 78e ? demande l'homme aux yeux bleus.
— Oui, mais la salle a changé de place suite aux événements, un peu comme l'open-Aquarius, maintenant elle se trouve au 43.
— Je... J'y vais comment ? On m'a donné des indications, mais...
Voyant le pauvre jeune homme trembler d'anxiété, l'ange lui sourit avant de se tourner vers son collègue :
— Vas-y Mika. Je te retrouve après.
— Ne traine pas... boude-t-il, je veux que tu sois là quand je remporterai le titre de champion de Kamoulox en équipe avec Karim.
Sous le regard du nouveau, l'ange dépose un baiser sur la joue de ce qui paraît être bien plus qu'un collègue. Puis, le jeune homme est invité à entrer dans le bureau où une plaque stipule à l'entrée « Hapinness Manager : Daniel Baldwin ».
Et quel bureau ! Tout ce blanc, cette légère odeur de jasmin et de biscuit qui sort du four, ces fleurs et plantes qui semblent vivre leur meilleure vie : il est ébahi.
— Tu n'auras jamais le temps de monter au 43e et trouver la salle, dit l'ange en envoyant un message avec son téléphone, mais j'ai demandé si quelqu'un pouvait passer te prendre.
— Merci, dit le nouveau sur un ton trop solennel.
— Tu t'appelles comment ?
— Gabriel, répond-il aveugler par le sourire solaire en face de lui.
— Enchanté Gabriel. Tu verras que Corporate est... particulière, mais si tu t'accroches : tes rêves peuvent devenir réalité ici.
L'ange lui offre un rictus énigmatique avant d'ouvrir une fenêtre.
— Oh, j'espère que tu n'as pas le vertige ? le nouveau secoue la tête.
Ne comprenant pas de quoi il parle, Gabriel se fait surprendre par l'arrivée, en rappel, d'un homme depuis la fenêtre, qui se pose délicatement sur le sol.
Gabriel le regarde des pieds à la tête. La distance entre la moquette et la tête lui renvoie un message : ce type est très grand. Et très beau. Trop. Roux flamboyant, avec des lunettes venues du futur sur la moitié du visage, il n'a jamais vu quelqu'un avec une carrure comme la sienne, sauf dans des œuvres de fictions. Il n'est pas colossal ni bodybuildé : il est juste... taillé en V.
Un V parfait.
Le jeune homme est très intimidé, et reste cloué sur place entre « Wou-Hou » et « pincez-moi ».
— Al, peux-tu emmener ce petit nouveau pour son entretien d'embauche afin qu'il soit à l'heure ? S'il te plait.
Le fameux Al tourne la tête vers Gabriel, qui frisonne.
— Bonjour, dit-il d'une voix sensuelle malgré lui avant de revenir vers l'ange. Ça m'arrange : Cathy me dit que Mr Meh est au 43. Si je l'attrape maintenant, tu pourras lui donner son bain maxi-bulles avant 16 h.
— Parfait dans ce cas !
Puis, Gabriel ne comprend pas trop ce qu'il s'est passé, en quelques secondes, pour se retrouver dans les bras d'un parfait inconnu, suspendu au-dessus du vide. Son cerveau est dans le déni de ce qui l'attend et se concentre sur l'odeur corporelle de ce monsieur Al si... particulière que ses joues en rosissent. Une détonation, un bruit sec de câble qui se tend, le son d'une bobine qui s'enroule à toute vitesse : Gabriel se voit tracté comme un sac vers les hauteurs de la tour. Les étages défilent, il ferme les yeux et sent son cœur qui tambourine, et les rouvre quand ils se sont arrêtés.
Grave erreur.
À ce moment-là, l'homme les fait basculer en arrière avec suffisamment d'élan pour briser la vitre juste en face.
Gabriel hurle, ferme à nouveau les yeux au moment de l'impact, avant de les rouvrir quand il réalise que c'est déjà fini. Ses deux pieds touchent le sol, l'étreinte du rouquin beau gosse le quitte. Ce dernier se précipite vers une femme et la serre dans ses bras en la soulevant à cause de leur écart de taille.
— Al ! elle échappe un petit rire. Pourquoi tu as brisé la vitre ? Je t'ai dit que je l'avais, elle lui retire un bout de verre coincé dans ses cheveux.
Gabriel observe qu'elle tient, dans une paume de sa main, un minuscule lapin roux adorable. Le genre à vous arracher un « Mooooooh » du bout des lèvres, même si vous détestez les animaux.
— Je... j'étais pressé de te voir, répond le grand homme.
Elle lui sourit et attrape ses lèvres. Al est soulagé d'assouvir un besoin impérieux de sentir son goût et sa chaleur.
Mister Meh au milieu à l'air d'attendre patiemment que ça passe.
Il ne sait pas pourquoi, mais Gabriel sent son cœur battre doucement la chamade en les voyant, de la même manière que s'il était témoin de quelque chose de beau. Mais ne saurait pas dire quoi. Ça lui procure un sentiment très doux et agréable. Son regard n'arrive pas à se détacher d'eux et se surprend à penser qu'il aimerait rencontrer une âme sœur lui aussi.
Le couple finit par se tourner vers lui qui sursaute, comme si on l'avait pris en flagrant délit de voyeurisme.
— Vous êtes nouveau ? demande-t-elle, il remue la tête pour répondre en ajustant sa cravate. Je peux me permettre un conseil ? Gabriel hoche à nouveau. N'ayez pas peur du ridicule.
Son sourire est très agréable, il la trouve très charismatique, autant que l'homme qui l'accompagne. Quoi que. Non, lui est hors concours en fait : si bien qu'il a l'impression d'avoir été marqué à vie par sa rencontre.
Lorsqu'ils repartent avec le lapin dans un couloir, Gabriel pose ses fesses dans le canapé dont le moelleux les aspire à y rester. Il lâche un long soupir de soulagement.
Puis il réalise un truc.
Il vient de faire une trentaine d'étages, en une minute. Dans le vide. Dans les bras d'une sorte d'Apollon surréaliste. Et il a traversé une vitre dont les débris parsèment encore la moquette. Juste avant ça il a croisé un ange. Un futur champion de Kamoulox. Un burrito et une momie.
Un rire nerveux le secoue, si fort que même la plante verte à côté semble rigoler avec lui.
Soudain, une porte s'ouvre d'un mouvement vif. En sortent trois personnes : d'abord un homme châtain aux yeux gris, en Fursac bleu, qui tend la main à un autre :
— J'espère vous revoir bientôt Carl, ils échangent une poignée de main.
— Promettez-moi que je ne vais pas regretter d'avoir accepté, répond sur un ton sceptique l'homme blond au manteau beige.
— Nous sommes partis d'un mauvais pied : prenez cette opportunité comme une chance. J'insiste.
Carl lui offre un sourire un coin, pincé, mais sincère. Puis il quitte la pièce en saluant discrètement le nouveau d'un mouvement de tête.
Gabriel se lève en ajustant sa cravate. La troisième personne est une femme, petite et brune. L'allure flegmatique, elle a pourtant l'air très cool avec son t-shirt Rammstein. Un look aux antipodes de l'homme en Fursac. Étrangement, ils sont très bien assortis.
— Vous êtes Gabriel Matamuli ? Je suis Mr Lelouarn Vincent, responsable du SAV interne, et voici Mme Peng Luan : directrice du musée de Corporate.
— Enchanté ! répond-il droit comme un piquet.
Vincent s'approche de lui, le sourire aux lèvres et lui tend une main chaleureuse :
— Bienvenue à Corporate.
₍⑅ᐢ..ᐢ₎ --- FIN --- ₍⑅ᐢ..ᐢ₎
Je... sniff, voilà c'est fini :')
Qu'avez-vous pensé de cet épilogue ?
Ne partez pas tout de suite ! J'ai un petit chapitre ensuite pour discuter de Corporate, son avenir etc. Alors je vous retrouve là bas !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro