Chapitre 2
Elena
Je n'arrivais toujours pas à me remettre de ce que j'avais trouvé la veille, coincé entre les pages de l'un des livres laissés traîner par un client habituel, un vieux poème écrit à la main. C'était la première lettre. La toute première. Je n'avais pas imaginé que ça changerait quelque chose en moi, mais ça l'a fait. Une sorte de frisson qui m'avait traversée à la lecture de ses mots. Peut-être que ça venait du fait qu'il n'y avait pas de signature. Peut-être que c'était ce mélange étrange de poésie et de mélancolie qui avait fait naître en moi une curiosité irrépressible. Qui pouvait bien être cet écrivain mystérieux ?
///
Le temps avait filé et nous étions arrivés à ce mercredi matin, calme comme d'habitude au café. L'air était frais, presque hivernal, comme souvent à Toronto en ce mois de novembre. La lumière du jour peinait à percer la fenêtre poussiéreuse au fond du café. Les chaises étaient presque toutes occupées par des étudiants absorbés dans leurs ordinateurs portables, et il y avait quelques travailleurs solitaires qui, comme moi, s'étaient réfugiés dans cet endroit pour échapper à la solitude du monde extérieur.
— Elena, tu viens m'aider avec cette commande? Me demande Mia, en me sortant de ma rêverie.
Elle tenait une tablette, visiblement pressée par l'afflux de clients.
— Hum? Oh, oui, désolée ! répondis-je en me dépêchant de récupérer le plateau avec les boissons.
Mia me regarda un instant, les sourcils froncés.
— T'es toujours dans la lune aujourd'hui, hein?
Elle avait ce ton affectueux mais moqueur, celui qui savait parfaitement que j'étais loin de tout. Elle n'avait pas tort, mais je n'étais pas prête à lui expliquer ce qui me trottait dans la tête.
La lettre, cette étrange sensation... tout cela semblait trop irréel pour être partagé, même avec elle.
— Oui, je suis juste un peu fatiguée, je pense, répondis-je en esquivant son regard curieux. Tu sais, la routine.
— Hum, la routine. Mia haussait les épaules en me suivant dans la salle avec le plateau. Tu veux qu'on en parle ce soir ? J'ai l'impression que tu caches quelque chose.
Je souris, mais je savais qu'elle ne lâcherait pas l'affaire. Mia me connaissait trop bien pour me laisser me défiler ainsi. Pourtant, ce matin-là, la routine m'avait échappée. Ce n'était plus de la fatigue, c'était un appel. Celui de cette lettre, de ces mots qui semblaient venir d'une autre réalité.
Je distribuai les commandes sans vraiment prêter attention à ce que je faisais. Le café était animé, les clients papotaient entre eux, mais quelque chose m'empêchait de pleinement me concentrer. Je jetais parfois des regards furtifs vers les différentes tables, cherchant, espérant, peut-être même imaginant qu'il serait là. Non pas que je pensais à lui tout le temps, mais quelque chose en moi me poussait à le chercher, à savoir s'il reviendrait, s'il laisserait une autre lettre.
Je me tenais derrière le comptoir, un sourire automatique collé sur mon visage tandis que je préparais un latte pour un client. La musique indé se fondait doucement en arrière-plan, et je repensais à cette lettre encore et encore. Qui pouvait bien être cet homme ou cette femme derrière ces mots ? Peut-être quelqu'un que je croisais tous les jours sans m'en rendre compte. Peut-être qu'il me regardait déjà, assis là, dans un coin, comme un spectre, observant chaque mouvement que je faisais.
Mon esprit vagabondait quand, soudain, je le vis. Il était là, exactement à l'endroit où je l'avais vu pour la première fois il y a quelques jours. Toujours aussi discret, presque imperceptible dans cette foule de visages anonymes. Avec sa capuche grise rabattue sur sa tête, il semblait à peine présent dans la pièce, comme s'il se fondait dans l'ombre de ce café. La chaleur de la pièce contrastait avec la froideur de son regard, et il n'avait pas l'air de remarquer qu'il me fixait déjà. J'eus un instant d'hésitation. Non, ce n'était pas possible.
Il était juste là, seul, comme d'habitude, assis à la même table dans le coin, un carnet noir posé devant lui, ses doigts effleurant les pages avec une douceur étrange. Il semblait être dans un autre monde, comme si la réalité autour de lui n'existait pas.
Je détournais les yeux, me concentrant sur le latte que j'étais en train de préparer. Mais une force invisible me poussa à le regarder de nouveau. C'était comme un appel. Et puis, je l'aperçus... quelque chose était posé sur la table devant lui. Une enveloppe. La même enveloppe que celle que j'avais trouvée quelques jours auparavant. Une lettre. J'avais l'impression de devenir folle. Est-ce que ce serait encore la sienne ? Est-ce qu'il l'avait laissée là, encore une fois, comme un message secret juste pour moi ?
Mes mains tremblaient légèrement alors que je déposais le latte sur le comptoir pour le client qui me regardait, une question silencieuse dans ses yeux.
Je pris une profonde inspiration et, avec une lenteur presque absurde, je me dirigeais vers la table où le brun était assis. Il n'avait pas levé les yeux. Et là, devant moi, cette fameuse lettre. Je la pris précautionneusement, me sentant comme une voleuse. Je la glissai sous mon bras, attendant que l'occasion me permette de m'éclipser discrètement. Puis je passai derrière le comptoir, hors de la vue des clients.
Je m'assis dans l'une des petites pièces à l'arrière du café, un endroit où les employés pouvaient se reposer un instant. Il y avait une petite lampe qui éclairait la table, et je m'y installai, les mains moites. En tremblant, je déchirai l'enveloppe, mes yeux accrochés à la fine feuille de papier pliée à l'intérieur. Et là, à nouveau, ce poème. Celui qu'il avait écrit. Le même genre de mots, lourds de sens et d'émotions.
Je le lus une première fois, les mots glissant dans ma tête comme des échos de pensées profondes que je n'avais jamais eu le courage de formuler. Puis je le relus, plus lentement, et je commençai à en sentir toute la portée.
« La pluie d'automne frappe contre la vitre,
et pourtant, je suis là, dans la chaleur de la solitude.
Les feuilles tombent, mais je ne tombe pas.
Je reste, figé dans un temps que je n'ai pas choisi.
Les heures glissent comme des ruisseaux sous la terre,
et je cherche encore le fil, celui qui me guidera vers toi.
Peut-être que tu vois ce que je ne vois pas,
peut-être que tu entends ce que je tais dans l'obscurité.
Je t'écris, mais mes mots n'ont pas de voix,
ils flottent, invisibles, entre nous.
Si tu me lis, si tu comprends,
saches que c'est toi que je cherche,
c'est toi qui m'échappe, c'est toi que je trouve. »
Je me laissais emporter par la beauté des mots. Les lignes résonnaient en moi, me touchant d'une manière que je n'avais pas anticipée. Il y avait quelque chose de presque magique dans la façon dont ces vers me parlaient, un lien que je ne pouvais expliquer.
Mais pourquoi moi ? Pourquoi m'écrire à moi, dans ce café au milieu de Toronto ? Il fallait que je réponde. Pas seulement pour l'intrigue, pas seulement pour savoir qui il était, mais pour lui dire ce que je ressentais moi aussi, pour lui offrir une réponse qui, je l'espérais, pourrait combler un peu le vide entre nos deux existences parallèles.
Je pris une feuille, une plume que j'avais volée dans le bureau des employés, et je commençai à écrire.
« Peut-être que nous sommes deux âmes perdues, errant dans cette ville, à la recherche d'un écho. La pluie sur la vitre me parle aussi, mais c'est la chaleur de l'âme que je cherche, pas la chaleur du café. Je vois la solitude dans tes mots,
et je la connais.
Peut-être que tu me vois aussi, au fond de ce café, avec un sourire masqué, une vérité cachée dans mes yeux. Je t'écris sans savoir qui tu es, mais tes mots me disent déjà tout ce que j'ai à savoir.
Peut-être que toi aussi, tu m'attends, et que, quelque part, nos âmes s'effleurent déjà. »
Je relus mes mots, les yeux brillants. Oui, il fallait qu'il sache. Que quelqu'un d'autre, quelque part, avait ressenti la même chose. Je repliai la lettre, la mis dans une nouvelle enveloppe, et la laissai en évidence sur le comptoir, attendant le moment propice pour qu'il la trouve, comme il l'avait fait avec moi.
///
Je continuais de faire semblant de m'occuper des commandes, mais mon esprit restait fixé sur l'enveloppe, sur les mots, sur l'homme assis au fond du café. Il n'avait toujours pas bougé de son siège, comme s'il était ancré dans cet espace-temps. Une légère brise traversa la porte lorsqu'un client entra, mais je ne pouvais détacher mon regard de lui. Il avait fait mine de regarder sa montre avant de se lever lentement. Ses mouvements étaient mesurés, presque imperceptibles, comme s'il redoutait de perturber le fragile équilibre du lieu.
Je le vis se diriger vers le comptoir. Mon cœur battait un peu plus vite, mais je parvins à garder mon calme. Lorsqu'il arriva près de moi, il s'arrêta à une distance respectueuse, juste assez près pour que je puisse sentir sa présence, mais pas assez pour qu'il soit imposant. Il déposa son carnet sur le comptoir sans un mot.
Je n'osai pas regarder directement ses yeux, mais je sentis son regard se poser sur moi, un regard qui semblait chercher quelque chose, une réaction, un indice sur ce que je ressentais. Il n'avait rien dit, et pourtant, cette étrange tension entre nous grandissait à chaque seconde.
— Vous voulez autre chose ? demandai-je finalement, mes lèvres légèrement tremblantes malgré moi.
Je me maudissais intérieurement de paraître si nerveuse, mais je ne pouvais m'empêcher de ressentir l'impact de sa présence.
Il ne répondit pas immédiatement. Ses yeux se posèrent un instant sur la tasse devant lui, puis il leva lentement la tête, ses lèvres esquissant à peine un sourire. Un sourire qui n'était ni joyeux ni triste, juste... énigmatique. Puis, il parla enfin, sa voix basse et calme, presque un murmure.
— Non, merci. Il marqua une courte pause avant d'ajouter, d'un ton presque détaché.
— Il y a des mots que l'on cherche, mais qu'on ne trouve jamais.
Mes mains s'arrêtèrent de bouger sur le comptoir. Je ne savais pas quoi répondre à ça, mais la phrase résonnait en moi comme un écho de ce que je pensais. C'était comme s'il parlait à la fois pour lui et pour moi. Je n'osais pas répondre tout de suite, de peur de briser cette fragile connexion entre nous.
Finalement, il tourna légèrement la tête, baissant les yeux vers son carnet.
— Bonne journée, dit-il, avant de se détourner, comme s'il ne m'avait jamais vraiment adressé la parole.
Je le regarde partir, mes doigts toujours accrochés au bord du comptoir, le cœur battant la chamade. Il n'avait pas prononcé un mot de plus, mais il avait réussi à laisser une empreinte indélébile sur mon esprit. Je savais que ses mots, ses gestes, et même son silence, me hanteraient encore longtemps.
Je n'avais pas réussi à obtenir ce que je voulais, mais en une fraction de seconde, il avait réussi à me dire plus que je ne l'aurais imaginé.
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