Chapitre 40 Andrew : Libération
(suite )
– Il y a un an j'ai eu un accident.
Je soupire très fort et je sens mon cœur battre plus vite à l'évocation de cet instant. Je l'ai revécu la nuit dernière dans mon cauchemar... juste avant que Livie ne vienne me calmer et m'en éloigner.
Je sens qu'elle se soulève sur un coude comme pour mieux observer mon visage.
– Non Livie, s'il te plaît, ne me regarde pas, je dois, je veux te parler mais je voudrais que tu m'écoutes, je ne suis pas sûr de pouvoir affronter ton regard sur moi.
Je tends la main vers son visage. J'ai besoin de la toucher. Elle doit ressentir la même chose car sa main tiède et douce se pose sur mon torse et se place sur mon coeur. Tandis que je caresse sa peau, je sens une larme humide couler le long de sa joue.
Je me sens sous ses doigts à la fois si fragile et si fort à la fois. Sans dire un mot, je me sens en connexion avec elle à défaut de lire ses expressions. Je ferme les yeux et m'apprête à poser, pour la première fois, les mots sur ce qui m'est arrivé. Sur ce qui nous est arrivé.
– Un accident de voiture. C'était un après-midi de vacances. Beau ou plutôt, j'étais piéton, avec Lisa et une voiture me heurta ou nous heurta. Je ne sais pas trop. j'ai juste eu le temps d'envoyer Lisa, le plus loin possible sur le côté de la route puis le bolide m'a cogné. Avant de poursuivre son chemin vers le trottoir où j'avais projeté Lisa. Je ne voyais plus rien. Ne sentais plus rien à part une affreuse douleur dans l'épaule et le crâne... et la voix de Lisa hurlait. Qui hurle encore dans ma tête toutes les nuits.
Je me tais, ne sachant comment poursuivre. Livie me caresse doucement sur le torse et le trajet lent et circulaire de ses doigts apaisent ma respiration hachée.
- Je suis resté dans le coma plusieurs mois. On ne sait pas trop pourquoi. Ma clavicule s'est remise pendant ce temps-là. Ma fracture du crâne aussi. J'ai perdu la vue. On ne sait pas vraiment pourquoi non plus.
Un soupir m'échappe. Je ne suis resté qu'à la surface des choses..
- Mais le pire c'est que pendant presque toute cette période, j'ai entendu sans pouvoir parler et répondre. Les médecins discutaient à mon chevet de mon cas ou de leur vie comme si j'étais ...absent. Mon frère aussi était là. Mes parents. Ma famille a été là longtemps. Souvent. Casey, mon assistante m'a servi de béquille ensuite. Mais personne, personne ne m'a parlé de Lisa.
Ma voix se brise car je me souviens de l'horreur de ces longs mois d'inconscience sans savoir. Sans pouvoir demander.
– Pendant ces longs mois dans le noir le plus total, j'ai crié dans ma tête pour qu'on me dise où était ma fille. Pendant tout ce temps j'ai cru qu'elle avait été blessée, qu'elle était morte peut-être, à cause de moi, de mon manque de surveillance. La voiture allait vite, mais j'aurais dû la voir avant. J'aurais dû mettre Lisa en sécurité.
Je ferme les yeux pour retenir mes larmes et je sens sur ma joue l'humidité de celle que Livie vinet de poser sur la mienne. Elle pleure pour moi. Il me faut quelques instants pour reprendre la parole.
– Je demandais juste des nouvelles de ce qui était le plus précieux au monde pour moi et personne ne l'a compris. ...Je j'en ai longtemps voulu à Drake , à mes parents mais je sais que ce n'est pas de leur faute. Personne ne leur a dit, expliqué que je pouvais les entendre qu'ils pouvaient me parler. En fait, ils ont parlé ...mais pas de Lisa.
– Tu as discuté avec eux ensuite ?
– Non, pas vraiment. Pourquoi leur rajouter ce fardeau ? Ma mère s'inquiétait tellement déjà pour moi et Drake s'était occupé d'essayer de suivre Lisa au mieux. et quand je me suis réveillé j'étais tellement heureux d'apprendre qu'elle allait bien. Même si elle était avec Alana.
Je soupire et Livie m'embrasse doucement sur la joue, m'encourageant doucement à poursuivre. Il faut ...approfondir tout cela si je veux être honnête.
- J'ai failli à ma tâche de père, et lorsque je suis revenu à moi et que ma mère m'a appris que Lisa n'avait rien eu à part quelques contusions et une grande frayeur, mais que sa mère l'avait reprise, j'ai considéré cela, normal. Même si elle me manquait, même si elle semblait triste au téléphone. Elle devait m'en vouloir. Et puis, je ne voyais plus. L'obscurité partout. Définitivement. Tout le temps. Réapprendre à manger, à marcher, à aller aux toilettes, à vivre seul. Envisager une possibilité d'avenir. Chaque médecin ou psy que je rencontrais me disait que j'avais eu de la chance. Que j'étais fort, que je m'en sortirais. Je devais donc m'en sortir. Et me taire. Tant pis si ce noir me paralysait au fond de moi. J'espérais revoir un jour Lisa. Mais même cet espoir m'était refusé.
Je parle longtemps. Très longtemps. Je parle de Lisa. De ma peur, de ma culpabilité. De l'hôpital. De ma convalescence. De la douleur musculaire continue lors de la rééducation. De mon humiliation de devoir demander son chemin pour aller aux toilettes, au supermarché, chez mon éditeur. Les mots coulent de ma bouche et me font souffrir, lui font mal, je le sais, mais en même temps, cela fait partie du processus de guérison. Lisa. Lisa est mon trésor, je reviens toujours à elle. À ma peur de ne pas être à la hauteur.
Pendant un an, j'ai gardé pour moi cette culpabilité pesante. Les mots me font prendre conscience enfin de l'inutilité de tout cela. Lorsque je me tais
– Andrew ?
– Oui ?
J'ai l'impression d'avoir la voix cassée tellement j'ai parlé. Je en suis pas un bavard. Les mots pour moi doivent être écrits et ...ne pas me concerner mais avec Livie tout devient aisé. Enfin.
– Tu es le père que Lisa veut. Celui qu'elle aime. Celui qui lui est indispensable. Nul ne te demande d'être parfait. Tu l'aimes, c'est la seule chose dont elle a besoin. Le passé est le passé, tu dois en guérir. Comprendre ce qu'il s'est passé. As-tu demandé à ton frère de te lire les rapports de police sur l'accident ? Cela te permettrait de comprendre, d'admettre que tu n'y pouvais rien.
– Euh... non !
Je suis surpris de ne pas y avoir pensé moi-même.
– Tu as toujours une vue différente sur les choses, Livie. Comme si tu ...comprenais tout mieux que nous.
– J'aimerais en effet. J'aimerais comprendre comment, pourquoi l'homme que j'ai rencontré il y a quelques semaines a pu me rendre l'envie de vivre, m'apporter la force qui me manquait et en même temps faire face à ses propres démons en silence. Nous sommes deux.
- Nous sommes deux, répété-je à voix basse, tandis que ses mots trouvent leur chemin en moi. Je souris en me rappelant notre rencontre.
– Je n'ai pas l'habitude de cela, tu sais. Juste avant de te rencontrer, je déjeunais avec ma mère et lui signifiais que je refusais d'engager une aide, de partager mon appartement. Accepter de l'aide. Encore, toujours, devenait inconcevable après toute cette assistance forcée et subie. Mais le destin était en route et t'a mis sur mon chemin.
– Merci au destin.
Je ris et mon ventre se met impoliment à gargouiller. Je n'avais rien mangé depuis...depuis que je l'avais rejeté hors de ma vie. Sa main caressa ma joue et elle se tortilla pour échapper à mes bras.
– Une petite faim ?
– Une grosse plutôt, avoué-je en souriant. Parler donne faim.
- Donc, il va falloir se lever, dit-elle plaintivement.
- Non, reste allongée. Je vais nous préparer quelque chose.
Je joins le geste à la parole et me détache d'elle non sans l'embrasser sur le front. Je récupère rapidement un boxer et un jogging dans ma commode, attrape mon téléphone sur la table de nuit et sors de la chambre en fredonnant une ritournelle qui me trotte dans la tête.
Je commence à préparer un petit déjeuner. je me sens heureux et léger. Cette sensation nouvelle est étonnante et euphorisante. Je pourrais m'habituer aisément à me lever tous les jours laissant Livie dans mon lit pour lui préparer à manger. J'adore cette idée. Je souris en allumant la machine à café lorsque mon téléphone sonne. Hysteria.
– Salut Drake , dis-je en décrochant.
Ma bonne humeur disparaît à ces premiers mots. Je l'écoute attentivement et n'arrive pas à y croire. je dois prendre une décision. Rapidement. Je passe ma main gauche sur mes joues râpeuses. Je ressens maintenant la fatigue des dernières 24 heures qui s'abat sur moi. Puis je me décide.
– Non Drake , je te promets, j'y serai, j'ai compris. Cela tombe... finalement assez bien.
La question suivante qu'il me pose m'agace un peu et je lève la tête furtivement vers la mezzanine.
– Cela ne te regarde pas. Je me débrouillerai. À tout de suite.
Je raccroche en soupirant.
– Livie, tu es là n'est-ce pas ?
– Oui.
J'ai deviné, je ne sais comment sa présence, peut-être un bruit infime que mon ouïe surentrainée ou tout simplement son parfum. Je farfouille dans mes cheveux cherchant un peu de courage et reprends la parole, en sachant comment elle va prendre la nouvelle.
– Je dois partir. Mon billet d'avion est réservé. J'ai rendez-vous avec mon frère dans 15 minutes en bas de l'immeuble.
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