Chapitre 28 Andrew : Manipulateurs
Coucou mon Journal
On est vendredi matin. Je m'ennuie un peu. Papa vient de passer dans ma chambre pour me poser Luna sur le lit.. Il était un peu ronchon et m'a expliqué que c'était à cause d'oncle Drake qui était un enquiquineur.
Mais je l'ai trouvé différent. Il était... je ne sais pas moi... comme heureux. Comme quand j'ai dégusté une glace à la fraise après une pizza et une limonade qui pique.
Il m'a dit que Livie était fatiguée qu'il fallait la laisser dormir et qu'il serait là dans une heure avec le petit déjeuner.
Je n'ai pas voulu lui parler d'elle et de son bébé. J'espère que j'ai eu raison. Je crois qu'elle lui dira quand elle voudra. En attendant c'est notre secret.
Avant de partir, il m'a serrée très fort dans ses bras et m'a dit « je t'aime, ma princesse ». Il est bête, je le sais qu'il m'aime, il me le dit souvent mais j'aime ça.
Bon, je vais lire un peu, j'espère que Livie se réveillera tôt quand même. J'aime cuisiner avec elle.
À ce soir cher journal.
ooOoo
Jeudi soir
J'ai suivi Livie dans ma chambre avec une certaine angoisse. Si occasionnellement, (ou même souvent) mes rêves l'ont conduite ici, ce n'est certainement pas pour ce qu'elle a en tête en me demandant un peu d'intimité pour parler. Elle est tendue comme la corde d'un arc. Triste aussi. Je n'aime pas la sentir ainsi et je suis prêt à tout pour l'aider mais la journée a été longue et j'ai vraiment besoin de me mettre à l'aise.
Honnêtement Follen ? C'est pas juste un prétexte pour qu'elle monte dans ta chambre ?
- Livie ? Tu t'assoies tranquillement. Allume la veilleuse. Je vais me rafraîchir et je reviens.
- Prends ton temps. Je t'attends.
Sa voix est mélancolique mais décidée.
Je sors d'un tiroir, une tenue plus confortable que ce costume, je le porte depuis neuf heures du matin. Mes doigts reconnaissent, à sa place habituelle, dans le premier tiroir de la commode, le confortable bermuda de coton noir que je met ordinairement le soir, et je saisis un tee-shirt dans la pile de vêtements sensés être blanc. Je file ensuite à la salle de bains.
Rapidement je me rince le visage et me change. Je frôle la tablette en verre au dessus du lavabo pour repérer ma brosse à dents et trouve sur mon chemin quelques nouveaux pots de crème. Je souris. Livie s'est enfin installée. Je suis surpris par le plaisir que cela me procure. Comme si la précarité de sa présence disparaît enfin.
De mon coté, la journée a été difficile. Entre les bâtons que Alana me met dans les roues pour conserver la garde de Lisa, Drake qui me pousse à utiliser des arguments plus brutaux contre elle afin d'être sûr de remporter le « combat » comme il dit, je ne sais plus que faire. Lisa est bien ici. Je veux qu'elle soit avec moi, évidemment. Mais pas à n'importe quel prix. Sa mère... reste sa mère et peut sûrement lui offrir des choses que je ne peux plus faire avec ma fille maintenant. Elle n'est pas aveugle, elle. La terreur qui m'a tenaillé le jour de la fugue de Lisa, me revient toujours, soulignant mon impuissance. Bref suis-je prêt à me battre contre mon ex-femme pour la séparer définitivement de Lisa. Je soupire en passant une main lasse dans mes cheveux.
Puis il y a l'imbroglio juridique du divorce de Peter et Livie dont Drake me tient un peu au courant. Obtenir la mesure d'éloignement est un peu plus compliqué qu'on ne l'a pensé au départ car, il n'y a dans leur dossier, d'après Drake, aucune mention la nécessitant, pas de violence qui aurait pu appuyer le dossier. Pourtant je l'ai senti extrêmement brutal, agressif même. Je ne veux pas de lui auprès de Livie.
Plus tard, alors que je déjeunais avec Drake dans le restaurant le proche du tribunal, James a tenu à me retrouver pour finaliser le renouvellement de mon contrat. Sans surprise, tout s'est bien passé de ce côté, mais je crains constamment qu'il ne parle de Livie et ne me lance à mon tour une mise en garde. Ce que je vis avec elle, ne regarde que nous. D'ailleurs, je ne vis rien de « précis » avec ma jolie colocataire qui doit m'attendre sagement sur mon lit.
De retour dans ma chambre, je me dirige vers celui-ci. Comme je le pensais, je l'y retrouve, elle s'est juste assise et semble perdue dans ses pensées. Elle ne tressaille même pas quand je m'assois près d'elle et remonte légèrement ma main le long de son corps pour trouver sa joue, la frôlant à peine. Je lui tourne la tête vers moi.
- Nous devons je crois, vérifier ce qu'il se passe lorsque nous nous approchons trop près l'un de l'autre ? Mais je crains de ne pas vraiment avoir cela en tête ce soir,dis-je mi plaisantant mi sérieux, souhaitant alléger l'atmosphère.
Elle ne dit rien, se contentant d'embrasser furtivement la paume de ma main.
- Andrew, tu sais aussi bien que moi ce qui se passe lorsqu'on est seuls ainsi. Ce dont on a envie, sans se l'avouer.
Elle parle doucement, sa voix provoquant de curieux frissons sur la peau de mon bras puisqu'elle respire tout contre ma main. Elle semble calme. Comme si elle a accepté un fait que je ne saisis pas trop. Comme je voudrais...la voir. Ce besoin brutal m'étreint et me surprend. Je me suis résigné depuis longtemps à ne plus communiquer par la vue. A ne plus avoir besoin de cela.
Puis elle soupire avant de poursuivre.
- Mais tu as raison, je ne t'ai pas demandé de venir dans ta chambre pour cela.
La peur. Ca doit être ça, ce sentiment qui pince le coeur et coupe la respiration. De quoi veut elle parler ? Je veux alléger l'atmosphère. Ne plus ressentir ma peur, sa tristesse.
- Hum dommage.
J'esquisse une petite moue d'enfant déçu pour la faire rire. Elle rit mais me surprend aussitôt.
Elle pose ses lèvres sur les miennes. Brièvement. Fermement . C'est délicieusement inattendu. Encore une fois mon pauvre coeur fatigué loupe un battement.
Que c'est bon. Elle sent la pomme et la cannelle. Je ne bouge pas dans la crainte de la faire fuir mais je lui rends son baiser doucement, juste encore un doux contact de ses lèvres sur les miennes. Presque un baiser d'enfant, doux, réconfortant, apaisant. Si elle n'est prête que pour cela, pourquoi pas...
- J'en avais besoin Andrew, excuse-moi.
- Tu es toute excusée, tu recommences quand tu veux, je suis à ta disposition.
Je me déplace vers la tête du lit pour m'asseoir, le dos appuyé contre le mur, allongeant mes jambes sur le couvre-lit. Puis je tapote la place libre à côté de moi.
- Mon lit est large et je préférerai que tu sois proche de moi-même si je dois prendre le risque que tu m'agresses encore délicieusement de tes lèvres à la cannelle. Viens ici Livie .
Elle s'exécute et je passe mon bras gauche derrière ses épaules.
- Que dois-tu me dire ?
- C'est un peu long et compliqué.
- Nous avons toute la nuit s'il le faut.
Mes aproles provoque une petite crispation de son corps contre le mien. puis à nouveau elle se détend, s'appuyant à mes côtés.
- J'ai parlé avec Lisa aujourd'hui tu sais.
- Ça s'est bien passé ? Ou était-elle en mode peste ?
J'ai peur soudain que quelque chose dans le comportement de ma fille ne décide Livie à nous quitter. Je ne peux plus concevoir cet appartement sans elle. Ne plus l'entendre le matin, la toucher.
- Non ! Tout s'est bien passé entre nous au contraire ! Ne t'inquiète pas, me rassure-t-elle immédiatement.
Livie, évidemment avait dû sentir l'angoisse monter en moi.
- Bien. J'en suis très heureux. Je ne voudrais pas qu'elle te fasse partir.
- Idiot.
J'ai droit à un baiser sur l'angle de ma mâchoire. Ma peau mal rasée, me picote et je résistai à la tentation de la toucher comme pour retenir l'empreinte de son geste spontané. Elle a raison, lorsque nous sommes seuls et proches nous ne pouvons nous empêcher de nous toucher. Et c'est diantrement bon.
- Il faudrait plus que Lisa pour me déloger de chez toi. Mais c'est un autre problème.
Elle soupire. Que veut-elle dire ? j'ai l'impression qu'elle a pas l'intention de m'expliquer ses dernières paroles.
- Par où commencer ? Je ne sais pas comment te le dire mais elle s'est un peu confiée à moi ce matin et l'après-midi aussi. Ça a été compliqué pour elle... et pour moi aussi. Mais il faut que je t'en parle. Tu dois savoir.
Une angoisse larvée naît au creux de mon ventre. Livie parle doucement, calmement comme pour ne pas me brusquer. Elle prend soin de moi, un maximum mais, je sais instinctivement que ce qu'elle va me dire sera dur. Elle inspire profondément avant de trancher dans le vif.
- Lisa souffre énormément chez sa mère. Cette... femme est toxique pour elle.
Subitement alarmé je me redresse.
- Comment ? Que veux-tu dire ?
- Alana modifie la personnalité de ta fille, et pas en bien. Elle l'étouffe, détruit sa confiance en elle. Lentement mais sûrement. Elle ne semble pas supporter la concurrence, même de sa petite fille. Elle persuade peu à peu Lisa, qu'elle n'est pas digne d'être d'aimer. C'est d'ailleurs je pense, une des raisons pour laquelle Lisa est si jalouse de ma présence ici. La seule personne dont elle est certaine d'être aimée, c'est toi, et elle a peur de ne pas être à la hauteur si je suis là.
J'écoute, totalement effondré ce qu'elle me dit. Je ne veux pas y croire mais je sais déjà que Livie a raison. Tout ceci me permet d'expliquer mille petits détails qui m'ont surpris dans le comportement de ma fille. Ce besoin d'être collé à moi en permanence, de rechercher mon approbation si souvent et bien sûr cette fameuse jalousie envers Livie. Son agressivité des premiers jours aussi. Mais pourquoi tout cela ? Lisa est un rayon de soleil et tous ceux qui la connaissent l'adorent.
- Pas digne d'être aimée ? Je ne comprends pas pourquoi elle ressent cela.
- Sa mère. Elle doit lui reprocher souvent certaines petites choses, avec plus ou moins de discrétion et d'insistance. Cette accumulation de reproches provoque une baisse de l'estime de soi. Surtout chez un enfant. Certaines personnes sont manipulatrices et arrivent à te persuader que tout ce qui ne va pas dans leur vie est de leur faute. Le lait qui déborde, les magazines qui traînent, un vêtement décousu, des cheveux mal coiffés, que sais-je ? As-tu remarqué que Lisa arrive le matin toujours impeccablement préparée, lavée, coiffée, habillée ? Elle n'a que huit ans ! Je ne crois pas que cela soit toi qui lui aies appris cela, tu traînes, comme moi, en survêtement, une partie de la journée et parfois, je me demande si tu n'as pas égaré ton peigne.
Après une courte pause pendant laquelle je ne souffle mot, anéanti par ce que j'entends, Livie reprend.
- Elle pense qu'elle être parfaite pour que l'on aime. Le premier jour, elle était persuadé, devine pourquoi, que tu ne l'aimais pas, elle avait donc décidé de ne faire aucun effort et même pire, de faire le contraire pour être à la mesure de ton soi-disant désamour. Une façon de ne pas être déçue dans son attente.
Alana manipulatrice ? Évidemment, je le sais. Quatre ans de vie commune m'ont permis d'identifier ce sale côté de sa personnalité, mais je n'aurais jamais imaginé qu'elle s'en prendrait à la petite.
- Tu en es sûre ? Que t'a-t-elle dit exactement ? finis-je par articuler avec difficulté, conscient que ceci allait changer complètement ma stratégie juridique.
- Oui, j'en suis malheureusement certaine. Elle m'a dit qu'il y avait des mamans qui n'aimaient pas leurs enfants car ils n'étaient pas parfaits. Il est très clair qu'elle parlait d'elle et de sa mère. Elle est très intelligente mais a toujours besoin d'être rassurée sur ton amour pour elle. Sa mère va détruire cette belle personnalité que tu as construite au fil des années, si elle reste avec elle. Tu as vu comment Alana l'a persuadée habilement que tu ne voulais pas d'elle. Que personne de votre famille ne s'était préoccupé d'elle pendant plusieurs mois. Ça fait partie de ce type de personne : éloigner tous les proches qui pourraient aider la victime à s'en sortir.
- Ciel !
Je me laisse retomber en arrière, fermant les yeux pour assimiler ce que je viens de comprendre. La rage m'envahit. Contre Alana. Contre moi. Je n'aurais jamais dû laisser Lisa repartir avec Alana après l'accident. Mes parents auraient pu la prendre en charge si je le leur avais...
- Non Andrew. Tes parents n'auraient pas pu s'occuper de Lisa. Tu le sais.
J'ai parlé à haute voix ! Mais Livie a raison, j'étais dans le coma. Alana est donc devenu obligatoirement le parent référent.
Je suis anéanti. J'ai permis que l'on fasse du mal à mon bébé. Pas forcément du mal physiquement mais pire que cela. J'ai fait le mauvais choix. Drake a raison. Je me prends la tête entre les mains, mais doucement Livie me relève, je sais qu'elle me regarde et je ne veux pas m'effondrer devant elle. Je n'ai pas pleuré depuis longtemps. Je me souviens d'avoir pleuré de joie à la naissance de Lisa, de peur le soir où Alana a quitté l'appartement avec Lisa sous le bras. Elle avait à peine trois ans. Elles étaient revenues deux heures plus tard. Mais cela avait été la pire soirée de ma vie. Mais c'est tout. Même à mon réveil à l'hôpital, dans le noir qui devenait définitivement le mien, je n'ai pas voulu lâcher ces saletés de larmes.
Caressant ma joue, lissant mes cheveux, Livie cherche les mots pour me réconforter.
- Andrew ! Lisa est jeune et encore très malléable. Avec ton amour, elle va vite effacer tout cela, il faut juste continuer d'être toi, de l'aimer comme tu le fais et...
Elle hésite à poursuivre, je le fais pour elle.
- Et obtenir sa garde pleine et entière.
- Oui. Elle doit voir sa mère le moins possible pour l'instant. Il ne faut pas couper les liens brutalement mais elle doit avoir le temps de se reconstruire. Avec toi. Elle est déjà beaucoup plus sûre d'elle qu'il y a deux semaines tu sais.
- Merci Livie . Merci pour tout.
L'espoir renaît grâce à Livie et à sa vision très claire de la situation. Elle a tellement bien analysé le problème de ma fille.
Soudain une idée me frappe.
- Comment sais-tu tout cela ?
Livie se raidit contre moi.
Mais elle semble avoir pris sa décision et sa réponse survient presque immédiatement.
- Je ne sais pas si c'est le moment de te parler de mon passé.
Elle laisse échapper un soupir.
- J'ai connu cela. J'ai été la victime d'un manipulateur pendant plusieurs années.
Les mots résonnent dans ma tête pendant quelques secondes, comme si j'avais pris un coup de poing et je comprend.
- Peter ?
- Oui. On s'est mariés très jeune.
Elle se replace dans mes bras et appuie sa tête sur mon épaule, dans mon cou. Même si la sensation est très agréable j'ai l'impression qu'elle cherche à se cacher et cela me fait mal.
- Il profitait de moi, de mes études, tu as dû le deviner. Je suis tombée enceinte très vite aussi et, j'ai dû abandonner mon rêve de devenir kiné. J'ai validé mes acquis en tant qu'infirmière et j'ai trouvé un emploi pour faire vivre notre couple, notre foyer, pendant qu'il poursuivait ses propres études, poursuit-elle d'une voix monocorde.
Enceinte ? La gorge serrée, je n'ose demander. J'ai la curieuse sensation que je vais détester ce que je vais entendre mais en même temps, c'est la première fois qu'elle se confie. Je la laisse poursuivre me contentant de serrer un peu plus son épaule de mes doigts, caressant machinalement de mon pouce, la peau tiède de son cou.
- Ce matin, Lisa est tombée sur des photos d'Alec. Mon fils. Mon bébé. J'ai dû lui expliquer qu'il est mort. À neuf mois.. J'ai un peu perdu la tête, je crois, j'ai peur de l'avoir effrayée mais j'ai pu me reprendre et la rassurer, enfin je pense
Un noir terrible envahit mon esprit. Un enfant. Mort. Je veux prendre la parole mais je comprend en même temps le second sens de ses paroles : elle s'inquiète d'avoir fait peur à Lisa. Cette femme est extraordinaire. Elle soupire contre moi et reprend de la même voix blessée.
- La mort subite du nourrisson ou Mort Inattendue du Nourrisson. Tu connais ? Ça ne prévient pas. Le bébé s'arrête de respirer en dormant. C'est tout. Il n'y a pas grand-chose à faire pour la prévenir. À part coucher le bébé sur le dos ou le côté bien calé. Sur un matelas ferme. Ce qui était le cas d'Alec. J'étais jeune infirmière, alors tu penses que j'étais attentive à cela. Peter n'avait pas le droit de le coucher seul ! Il fallait que je repasse derrière lui vérifier si tout allait bien. Mais un matin...
Elle respire vite, puis elle enfouit sa joue tout contre ma poitrine.
- Oui ma douce... continue, il faut le dire. Je suis là, murmure-je en embrassant son front.
- Un matin, il était mort. Arrêt respiratoire dans le berceau. J'ai tout essayé. Je te jure que j'ai tout fait ! Réanimation cardiaque et respiratoire... J'ai essayé. Longtemps... Mais je savais qu'il était trop tard. Je ne pouvais rien faire. Rien.
- Je sais. Je comprends.
Je lisse les cheveux de Livie , elle pleure longtemps contre ma poitrine, trempant mon tee-shirt et je sens des larmes couler sur mes joues. C'est atroce. Je suis incapable de l'aider. J'ai l'impression de ressentir toute sa détresse. La mienne. La culpabilité.
Un flash rouge. Une matinée ensoleillée. Un bruit violent de frein dans ma tête, Lisa avec sa salopette rouge. Rouge sang. Du verre brisé partout. Des cris. Un choc brutal. Des flammes tout autour de moi. Brûlure intense. Puis le noir.
Je repousse ceci bien loin au fond de ma mémoire et couvre le front de Livie de baisers, relevant son visage, j'essuie de mes doigts, ses joues inondées.
- Je sais ma belle que tu as tout fait ! Ce ne peut pas être de ta faute, en aucun cas, tu le sais ? Tu le sais n'est-ce pas ?
J'ai besoin qu'elle le sache. Un besoin viscéral qu'elle comprenne qu'elle ne peut en aucun cas être coupable de quoique que ce soit.
- Maintenant oui. Après deux ans de thérapies diverses, je le sais. Mais Peter disait que c'était moi. Ma faute. Que j'avais...tué..par ma négligence notre bébé. Qu'Alec avait trop mangé la veille, que je l'avais pas bien couché, ou que la chambre était trop chaude. Il est mort en février. Le 18. C'était un hiver très tiède cette année-là et on n'avait pas le chauffage. Je lui avais mis deux pyjamas dans sa turbulette mais aucun ne le serrait ou ne comprimait sa respiration.
Oh mon Dieu ! Cette culpabilité devait la ronger tellement fort depuis si longtemps. Je note dans un coin de ma tête, l'affreuse coïncidence de la date anniversaire de ma fille avec le décès de son fils. Beaucoup de ses premières réactions s'éclaircissent.
- Livie, ce que Peter dit n'a aucune importance, tu étais une merveilleuse maman, très attentive et aimante, j'en suis certain. Regarde-moi. Peter a TORT. Tu n'es pas coupable.
Un long silence suit mes mots.
- Tu sais Andrew, tu viens de me dire, toi qui ne me connais que depuis deux semaines, ce que j'ai attendu quatre ans de mon mari. Quatre ans, c'est long. Mais je savais que toi, tu allais dire cela. J'ai pensé pendant presque cinq ans que j'étais incapable de prendre soin d'un enfant, quel que soit son âge. Puis tu m'as demandé de m'occuper de Lisa.
Elle secoue la tête et je comprend à quel point la décision de revenir chez moi ce premier jour, a dû être difficile à prendre.
- Après ma dernière thérapie, je devais être capable d'affronter ma peur. Lisa est une grande fille et non pas un bébé. Et pour toi, j'ai eu envie d'essayer.
C'est mon tour de me sentir coupable de lui avoir imposé cela. Ma fille et sa date d'anniversaire, mon handicap et les problèmes causés par Alana .
- Je n'aurais pas dû..commencé-je.
- Tu m'as aidée Andrew, tellement aidée, me coupe-t-elle. Je vois Peter beaucoup plus clairement depuis toi. C'est un manipulateur. Violent et je n'en avais pas véritablement conscience. Je le savais, mes thérapies me l'avaient appris... mais je ne l'avais pas... intégré... jusqu'à ce que je vive ici.
La colère fuse en moi. Elle a perdu son bébé, son mari est un sale type, mais si en plus il la frappait, je ne contrôlerais plus ma fureur.
- Il t'a frappée ? demandé-je durement.
- Non, pas vraiment. Il a cogné les portes, les meubles... Il ne voulait pas laisser de traces. Il est loin d'être bête et ne perdait jamais totalement le contrôle. Je ne devais pas perdre mon travail non plus. Il préférait la violence psychologique.
- Tu en as parlé lors du divorce ?
- Non, j'ai eu la possibilité de faire une procédure simplifiée pour abandon du foyer. Il est parti il y a presque deux ans... Pour moi, c'était trop tard, je ne parlais plus à personne, sauf à James et un peu au travail. Et à mon psy. Puis il y a eu toi... Au détour d'une rue... Un aveugle qui court sans sa canne.
- Je ne courrais pas
Un demi sourire me vient au souvenir de cet instant.
- Oh que si... et Dieu merci tu m'as rattrapée.
Sa dernière phrase fait craquer un ressort au plus profond de moi . Elle voit en moi quelque chose que je ne comprenais pas... Elle aurait dû avoir besoin d'être réconfortée mais paradoxalement, je la sentais plus forte que moi. J'aurais dû pouvoir la réconforter, mais je sens mon corps se dissoudre dans un tunnel noir sans fin. C'est trop... Je ne suis pas celui qu'elle pense. J'ai failli causer la mort de ma fille. Je l'ai ensuite abandonnée à sa mère, même si je savais qu'elle n'était pas apte à prendre soin de Lisa.
De plus je comprend que j'ai imposé à Livie de s'occuper de ma fille sans me rendre compte de ce que cela pouvait impliquer pour elle. Je suis aveugle dans tous les sens du terme et impuissant à prendre soin de ceux que j'aime.
Le sentiment de vide, d'inutilité qui a été le mien pendant les mois suivant mon réveil à l'hôpital, revient en force. Avec tous les démons que le Dr Kate Garrett m'avait aidé à éloigner peu à peu.
Livie est là, dans mes bras, sous-entendant que je l'ai aidée. Je ne mérite pas sa confiance, son aide. Je me sais si inutile, nuisible même mais j'ai égoïstement besoin d'elle...
Je l'embrasse. Je dévore ses lèvres. J'ai désespérément besoin d'être proche d'elle. Nos dents s'entrechoquent et nos langues peuvent enfin se frôler, se toucher. Avec rudesse et tendresse à la fois. Je saisis son visage entre mes mains, je ne veux pas qu'elle s'éloigne, elle a subi tant de choses et maintenant, elle me console... Je me noie dans son parfum, sa douceur, et la douleur lancinante qui me tire par le fond, s'atténue doucement .
- Livie, murmuré-je contre ses lèvres.
Je ne reconnais pas le ton plaintif qui est le mien. Je la supplie. De quoi ? J'ai froid. Je ne sais plus quoi faire. Les idées tourbillonnent en moi mêlant le passé et le présent. La douleur de Livie et ma culpabilité. Je me mets à frissonner irrésistiblement. Je craque nerveusement.
Elle saisit ma nuque et accentue notre contact. Ses bras m'entourent, m'apportant le réconfort égoïste dont je crève d'envie. Je saisis sa taille et la bascule sur mes genoux. Assise sur mes cuisses Livie se penche en avant, sa poitrine me frôlant. Ses doigts jouent dans mes cheveux me faisant frissonner un peu plus mais le froid est oublié. Elle embrasse mon front tandis que je me blottis contre sa poitrine.
Même ainsi, les griffes du passé me saisissent. La douleur et l'impuissance. Encore et toujours. Je prends toujours les mauvaises décisions. Ma respiration se hache alors que je tente de bloquer les images de l'accident. Mon rythme cardiaque devient erratique et tout semble exploser à nouveau. Le sang qui brouille ma vision, les cris, les pleurs de Lisa, l'affolement autour de moi et la panique qui s'évanouit dans le néant.
Où est ma fille ?
Tandis que cette idée lancinante tourne dans mon crâne, je dois gémir car je sens dans le lointain, Livie m'appeler. Elle frotte mon dos de sa main en murmurant des mots apaisants contre mon oreille. Je ne sais combien de temps je reste ainsi prostré.
Peu à peu, la réalité reprend ses droits. Agrippé à Livie, l'étreignant contre moi tandis qu'elle me tient enlacé. Je retrouve enfin mon souffle.
- Ce n'est pas juste, Livie, ma douce... tu as souffert et c'est moi qui... panique.
- Parce que tu crois que toi tu n'as pas souffert ? Je suis désolée, j'imagine que j'ai fait remonter pas mal de souvenirs désagréables.
- On peut dire cela comme ça, soupiré-je vaguement amer.
- Cela fait presque cinq ans qu'Alec m'a quittée pour son petit paradis. J'ai cicatrisé. Je n'oublierai jamais. Jamais mais, la douleur ne revient que parfois, comme ce matin, et c'est atroce. J'ai eu tellement peur d'avoir traumatisé Lisa. Mais elle est si... sérieuse, si mûre. Toi Andrew... cette blessure que tu caches ici. Elle pointa mon front puis mon buste de son index avant de poser sa main sur mon cœur. Cette blessure est encore à vif. Je ne demande qu'à t'aider.
C'était si bon d'être proche de quelqu'un, de sentir réellement cette proximité. Si j'osai...
Je bloque mon souffle retenant mes mots.
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