chapitre 26 Livie : Nouvelles confidences
LISA :
Cher Journal,
Pourquoi je suis triste ?
Pourquoi j'ai envie de pleurer... J'ai voulu le cacher au téléphone à Papa pour ne pas le rendre triste mais il a deviné. Il a essayé de me faire dire ce qui n'allait pas. Mais je ne le sais pas vraiment. Je suis triste pour Livie, pour son bébé, pour moi... Même pour Maman je crois. Je ne sais pas si je vais arriver à dormir. J'aurais voulu que Papa soit avec moi ce soir, même si Livie lit bien les histoires elle aussi.
Je dois partir dans deux jours.
Jeudi matin
Je contemple le tas de cartons posés devant l'entrée de ma chambre. Drake a poussé la gentillesse jusqu'à les monter à l'étage lorsqu'il les a apporté. Je n'ai pas vraiment envie de me mettre au tri mais je suis gênée de laisser cet amas informe dans le passage. Ce n'est pas correct pour Andrew. Celui-ci a dû partir tôt ce matin avec son frère régler quelques problèmes juridiques au tribunal. Je me plonge dans mes pensées...Il y a une demi heure, j'avoue que j'ai été peu attentive à leur conversation. Je préparai le petit déjeuner dans la cuisine pendant qu'ils étaient assis au comptoir discutaient ensemble. J'ai donc bu mon café matinal, adossée à l'évier, en les regardant dévorer mes pancakes. Andrew était superbe, impressionnant, un véritable golden boy. Il avait mis un costume noir assez classique, pour lequel j'avais choisi sa cravate, parfaite avec sa chemise blanche. Ils ont disparu tous les deux de l'appartement après m'avoir déposé un baiser sur la joue, fraternel pour Drake alors que celui d'Andrew avait frôlé mes lèvres et fait vibrer mon coeur. Je suis maintenant seule dans l'appartement, entourée de son parfum. Lisa dort encore.
Entre les paroles d'Alice et celle de James, mon passage à mon ancien appartement, l'intimité de notre cohabitation hors norme et le fait que j'allais « m'installer » durablement dans celui d'Andrew, la nuit avait été brève. Je fais défiler dans mes pensées quelques images de la soirée précédente.
Flashback : (mercredi soir)
Alice a ramené la petite assez excitée de leur matinée. Elles sont toutes les deux très complices et une étincelle de jalousie me pince le cœur de les voir ainsi. Même si je sais pourquoi Lisa me rejéte, c'est un peu douloureux.
Nous avons invité Alice à rester prendre le café. James arrive, comme convenu, quelques minutes plus tard et les choses s'enchaînent naturellement.
Nous commandons des pizzas pour manger tous les cinq. Une soirée calme et agréable entre amis. Rien de particulier. Si ce n'est que rapidement pour Alice et James nous n'existons presque plus. Une sorte de bulle de bonheur les entourent, ils font connaissance... C'est mignon à voir.
Après le repas, vaisselle rangée, tandis qu'Alice et James discutent encore à bâtons rompus en nous ignorant, je m'assois sur le canapé, Andrew ne tarde pas à me rejoindre, il carre sa haute silhouette à côté de moi, contre moi, passant un bras derrière moi. Lisa, assez fatiguée de sa longue journée, nous rejoint et se love contre lui. Nous sommes un peu serrés mais c'est agréable, apaisant. Le temps s'écoule tranquillement. J'écoute distraitement nos invités...enfin Alice surtout, qui pépient non loin de nous. Nous sommes bien.
James regarde soudain sa montre et signale qu'il doit partir. Il a un rendez-vous tôt demain dans Long Island avec un auteur.
Je suis donc Alice qui se lève alors tel un ressort et se dirige vers l'entrée pour partir elle aussi.
- Merci beaucoup Livie ! J'ai adoré rester discuter avec vous. Les relations de voisinage c'est parfois compliqué mais avec vous deux, cela va être extra, je le sais.
Alice s'avance et me serre dans ses bras. Je reste immobile une seconde avant de tapoter son dos en retour d'une façon assez empruntée. Les câlins et moi, cela fait deux. À vrai dire, je n'aime pas vraiment cela, je ne suis pas tactile, au contraire de notre charmante voisine et personne ne me prenait dans ses bras depuis longtemps. Je maintiens toujours une distance avec les autres. Surtout depuis quelques années.
Sauf avec Andrew.
Préférant oublier cette idée qui me vient à l'esprit inopinément, j'essaie de reprendre le fil des paroles d'Alice. Andrew, de son côté, raccompagne James à la porte puis salue Alice, non sans me presser brièvement l'épaule en passant. Il se dirige vers le canapé d'un pas assuré et se penche doucement vers Lisa et l'emporte dans sa chambre. J'ai donc l'honneur de guider Alice vers la porte de notre appartement. Je tente de raccrocher à son flot de paroles. Est-ce à cause de son métier où elle est censée écouter les autres pendant des heures qu'elle se rattrape ensuite ?
- ...James est formidable. Il a une conception de l'empathie que je dois étudier. Il m'a, par exemple, surpris plusieurs fois ce soir à comprendre vos émotions à Andrew et à toi.
- Comment ?
Soudain ses paroles prennent un sens qui m'inquiète un peu.
- Que veux-tu dire ?
Alice rit.
- Je savais que j'allais retrouver ton attention. C'est simple, Andrew et toi vous avez un comportement fusionnel de vieux couple. Pas le vieux couple indifférent non, le vieux couple qui se connaît et qui prend soin l'un de l'autre. Vous savez toujours où est l'autre, ce dont il a besoin. Vous êtes une famille déjà.
Je dois la regarder avec un air ébahi car elle secoue la tête. S'adossant au chambranle de la porte, elle reprend lentement comme si elle s'adressait à une idiote.
- Un exemple : Tu étais assise sur le canapé. Andrew est venu vers toi sans dire un mot, tu as tendu le bras vers sa jambe et il s'est installé. Épaule contre épaule et cuisse contre cuisse. Sans un mot, vous vous êtes compris. Sa fille s'est installée pour somnoler sur ses genoux de l'autre côté juste ensuite..
- Oui et alors ?
- C'était amusant. James et moi on était assis en face sur deux fauteuils. Nous discutions tranquillement. Sais-tu qu'il m'a invité à dîner un soir ? Chez lui. J'adore l'idée qu'un homme cuisine pour moi. Il n'a pas voulu me dire ce qu'il allait préparer. J'adore la cuisine épicée, enfin je verrais bien...
Je soupire. Finalement, je ne saurais pas de quelles émotions ils ont parlé. Cela vaut sûrement mieux au vu des conseils « avisés » que James m'a prodigués le matin.
- Je suis très contente pour toi Alice. James est un type très bien. Sérieux et calme.
- Tout le contraire de moi. Je sais.
Elle me fait un clin d'oeil amusé avant de reprendre.
-Bref, nous discutions et il vous a jeté un coup d'œil. Tu ne nous as pas vus. Tu avais fermé les yeux, la tête renversée en arrière. Totalement détendue. Andrew avait une main posée derrière ta tête et il frôlait tes cheveux de la même façon qu'il le faisait pour sa fille. Une vraie petite famille. Un beau tableau. Et James m'a dit « - J'ai eu tort... j'ai dit une sacrée bêtise ce matin. Ces deux-là sont bien ensemble. Ils se soutiennent, ils se font du bien mutuellement. Ça peut marcher entre eux. » Évidemment, je le savais déjà. Mais qu'un homme le ressente aussi... Ce... « truc » qu'il y a entre Andrew et toi ça me fait... vibrer.
Je suis stupéfaite. James change rarement d'avis et sa mise en garde le matin m'avait attristée.
- Bon, Livie, je vois que je t'ai donné à réfléchir. Je vais dormir... Je pense avoir trouvé mon prince charmant moi aussi, et je vais rêver tranquillement de lui. Bonne nuit Livie .
Deux secondes plus tard, Alice disparait en refermant la porte derrière elle.
***** fin du flashback *****
Sacrée Alice. Mais ce n'est pas elle et ses remarques sur mes états d'âme qui vont ouvrir mes cartons ! Lisa surgit dans le salon, lavée, coiffée, habillée. Une vraie petite demoiselle. Je suis stupéfaite de l'éducation qu'elle a eue. J'aime traîner en pyjama dans l'appartement. Je songe alors qu'avec sa mère, Lisa a dû apprendre à être autonome.
- Bonjour Jeune Princesse. Ton papa est passé dans ta chambre te dire bonjour ce matin, mais tu dormais. Il a dû partir tôt. Il m'a laissé un bisou pour toi, tu le veux ?
Elle me regarde, se mordilla les lèvres et s'approche de moi. Comme à regret.
- Oui.,dit-elle en me tendant la joue.
Surprise, je m'exécute avec plaisir. Enfin...
- Un bisou d'Andrew voilà ....et un petit de ma part aussi.
Elle a un sourire timide et me rend mon baiser doucement. La petite renarde s'apprivoiserait-elle ?
- As-tu faim Lisa ?
- Oui un peu.
Je lui sers un grand verre de lait froid et une assiette de pancakes que j'ai mis de côté pour elle avant que les frères Follen la voient. Enfin Drake surtout. La petite mange de bon appétit pendant que je range un peu l'appartement.
- Olivia? Tu vas laisser les cartons en haut, ou est-ce que je peux t'aider à ranger ? J'aime trier et plier les vêtements. Dans la maison de Los Angeles, c'est moi qui le fais tu sais.
C'était la première fois que Lisa veut spontanément partager quelque chose avec moi. J'ai besoin d'une stimulation pour ouvrir ces maudits cartons et Lisa propose son aide. Je pose le chiffon à poussière. Je faisais plus ou moins semblant de le passer sur les rares magnifiques vases qui trônent sur la commode du salon.
- Alors, allons-y jeune fille ! Ton aide tombe à pic, je n'aime pas plier. Je fais cela très mal. Mais avant...
Je m'approche d'elle et essuie la moustache de lait qui soulignait sa lèvre supérieure avec une serviette en papier. Elle est si trognon quand elle n'est pas sur ses gardes avec moi. Elle m'adresse un petit sourire et se lève pour prendre son verre et le mettre dans l'évier.
- File te brosser les dents Lisa, je m'occupe de la table.
Nous montons ensemble au premier et glissons tant bien que mal, les deux premiers cartons dont je sais qu'ils ne contenaient que des vêtements, dans ma chambre. Lisa entre pour la première fois dans la pièce qui m'est réservée et regarde autour d'elle, curieuse. C'était sa chambre avant, je crois.
- C'est Mamie Sue qui a re-décoré la chambre ?
- C'est fort probable. Je l'ai trouvée ainsi quand je suis arrivée ici deux jours avant toi. Et je n'ai rien changé car ça me plaît comme cela. Ta grand-mère a très bon goût. Bon, jeune fille, si tu me donnes un peu de courage, nous allons y arriver. Mais quand tu es fatiguée, tu le dis. D'accord ?
- OK Livie, acquiesce Lisa avec un grand sourire. C'est le premier sourire qu'elle s'adresse et j'en suis éblouie. Elle ressemble tellement à son père d'une part mais plus que cela elle ME souris et je me sens un frémissement ancien se réveiller dans mon coeur. J'ai peur et je suis heureuse à la fois.
Elle s'assoit sur mon lit à côté de moi et oubliant résolument mes curieuses pensées, j'ouvre un des deux cartons. J'en sors une pile de vêtements datant de quelques années. Je les regarde, dubitative. Sans être démodés, je ne sais plus si je passe encore dedans ou même si mon style n'a pas trop changé. Lisa décide pour moi, elle en déplie un ou deux au hasard.
- J'aime bien, dit-elle. Ils ne sont pas comme ceux de maman, ils sont tous très... rouge les siens et ...
Elle se tait sur une petite grimace dégoutée, ne sachant apparemment comment finir sa phrase. Deuxième point positif entre nous en moins de cinq minutes. Elle aime mes vieux vêtements. Qui dois-je remercier ? Alice ? Je refuse de lui demander comment sont les vêtements de sa mère, j'ai un a priori négatif et je ne veux pas imaginer que cette femme puisse se balader en tenues ostensiblement ... séductrices devant sa fille.
- Merci Lisa. Et qu'est-ce que tu aimes dans mes vêtements ?
- Les couleurs, il y a beaucoup de bleu pâle, du vert aussi c'est doux. Et ils ont l'air... confortables.
Doux et confortables, c'est bien des compliments non ? Enfin je pense.
- Alors si tu les trouves sympas, je les garde. Plions !
Grâce à elle, le contenu des deux cartons trouve rapidement place dans l'armoire et la commode de la chambre, jusqu'ici, presque vide.
Peu à peu, discutant doucement, avec prudence, nous continuons de ranger mes affaires. Elle file ensuite chercher un petit carton tandis que je transfère le contenu du dernier dans le placard qu'Andrew m'a réservé dans la salle de bains. Les divers produits d'hygiène et de beauté, huiles de bain et autres crèmes hydratantes que j'ai accumulés et que je n'utilise guère, prennent place sous une étagère contenant après rasage ,parfum et nécessaire de toilette masculin. Cela me paraît si naturel que s'en est troublant. Les paroles d'Alice me reviennent en mémoire. Un vieux couple. Ouais... A quelques détails près tout de même.
Je retrouve Lisa assise sur mon lit, une petite boîte verte sur les genoux. Elle tient en main des photos.
Je gémis intérieurement. Je les ai oubliés. Ou plutôt, j'aurais voulu les oublier. Et je me souviens de chacune d'entre elles. De chaque sourire, de chaque grimace... Je me sens tomber dans un puits sans fond. La vague de souvenirs me renverse avec brutalité. Je m'immobilise près du lit et un voile noir fait disparaitre le monde autour de moi.
- C'est qui le bébé ?
Je ne peux répondre.
C'est impossible. Ma gorge est totalement asséchée et les larmes qui ne sortent plus depuis longtemps, soudain menacent de dévaler en torrent sur mes joues. Lisa fixe une photo avec attention et passe à la suivante. Elle ne me regarde plus.
- Livie, c'est ton bébé ? Il est où maintenant ?
Elle relève la tête et me fixe, interrogatrice presque accusatrice.
Je dois lui répondre.
Dire quelque chose.
Bon sang, je ne dois pas me désintégrer de douleur devant la petite fille d'Andrew. Je tente de respirer et m'effondre sur le lit à côté d'elle, n'osant jeter un coup d'œil aux photos. En vain, elle me met la dernière qu'elle tenait, dans la main. Un beau bébé blond, qui tête nonchalamment, à moitié endormi. Je suis à demi allongée sur mon lit et les yeux gris bleu de mon garçon sont presque fermés, sa petite bouche aux lèvres si jolies, s'arrondissent autour de mon mamelon, tandis qu'il a crispé son poing sur mon sein. Je n'ai pas besoin de regarder mon visage, je sais qu'un sourire ravi et fier le remplit totalement, alors que je contemple avec fierté mon bébé avec mes yeux de jeune maman épuisée, mais heureuse. Je ne vois que lui. Mon Alec.
- Livie ? Tu vas bien ? Pourquoi tu pleures ? Livie ?
Le ton paniqué de Lisa me fait revenir vers elle et je détache à regret, mon regard de mon bébé.
- Je... Ça va aller.
- Je suis désolée Livie . Je ne voulais pas de faire pleurer.
Elle semble si triste et contrite que sans réfléchir, je la serre une seconde contre moi. Le petit corps chaud d'une enfant.
- Chut... ce n'est pas ta faute. Ce sont... les souvenirs. Parfois, ils sont si tristes qu'il suffit de peu pour craquer. C'est moi qui suis désolée ma princesse de t'avoir imposé cela.
- Tu veux bien me parler de ton bébé ? Il est où ?
- Je vais t'en parler. Mais ce n'est pas facile pour moi, alors si... je pleure...
Je prends une profonde respiration pour pouvoir poursuivre.
-Si je pleure, ce n'est pas de ta faute, tu dois le savoir. Les adultes pleurent aussi parfois, quand ils sont très tristes.
- Je sais. J'ai vu Papa pleurer une fois. Mais il ne le sait pas, que je l'ai vu.
Elle est si sérieuse. Trop sûrement, pour son âge. Que puis-je lui dire ? La vérité.
Elle se déplace un peu sur le lit pour me faire face, un genou replié sur le couvre lit. Elle est toute mignonne avec ses courtes mèches blondes et les magnifiques yeux verts de son papa me fixent. Elle est si ...vivante. Ses yeux pleins de questions. J'ouvre la bouche, inspire longuement pour appeler mon courage à la rescousse. Et je plonge.
- Il s'appelait Alec. Dans ma tête, je dis toujours qu'il s'appelle Alec. Il est toujours présent dans mon cœur, dans mon esprit, à chaque instant. Il est précieux pour moi, aussi précieux que tu peux l'être pour ton papa. Il aurait eu six ans en juin. Mais un jour, ou plutôt une nuit, il m'a ... quittée.
Je ne peux me résoudre à prononcer le mot. Elle est grande, elle sait ce que c'est que la mort, même si le contexte reste abstrait pour elle. Mais c'est trop difficile pour moi.
Elle secoue la tête, fronçant ses fins sourcils pâles, l'air un peu agacé, comme Andrew quand quelque chose lui échappe..
- Quitté comment ? Il est avec son papa ? Comme moi quand j'étais petite ? Le papa c'est le monsieur en colère dans le parc ?
Elle est si intelligente. Elle a fait immédiatement le rapport avec la scène du parc.
- Que de questions ! Le papa est bien Peter. Le monsieur du parc. D'ailleurs lui, si tu le revois un jour, ne t'approche pas de lui. Parfois il se met en colère pour rien et je ne veux pas qu'il te fasse peur. Alors tu viens me voir . Ou ton père, ton oncle . C'est important. Tu as compris ?
-Oui Livie.
Elle soupire, regarde à nouveau la photo d'Alec et me regarde attendant patiemment que je réponde à ses questions. Je dois le faire.
-Mais mon bébé n'est pas avec lui. Il est... mort. Il s'est endormi tout doucement un soir, pour ne plus se réveiller.
C'est fait. Je l'ai dit. Je soupire, les larmes menaçant de m'étouffer.
Ne pas revivre l'horrible moment où je me suis penchée sur le berceau en bois recouvert de tissu vert amande, le berceau qui hébergeait mon trésor. Sans un souffle. Sans vie. J'ai su tout de suite que tout était fini. Je le savais au plus profond de moi. Mon ange avait disparu. Mais c'était plus fort que moi. Après avoir hurlé de toutes mes forces pour alerter n'importe qui, Peter , James, un voisin, j'avais serré contre moi le petit corps froid, dans lequel mon cœur de mère voulait déceler une étincelle de tiédeur, je l'avais posé doucement sur la table à langer tout en lui disant :
- Mon cœur tout ira bien, maman est là, tout ira bien.
J'avais commencé les gestes de réanimation. Insuffler cinq fois un peu d'air dans la minuscule bouche, vérifier les signes de vie, comprimer le petit sternum trente fois, souffler deux fois, regarder, vérifier l'absence de tout mouvement, même léger, une minuscule trace de vie... Rien.
Mon cœur se gelait, devenait cristal insensible mais je continuais de comprimer trente fois, souffler deux fois, comprimer trente fois, souffler deux fois, comprimer trente fois, souffler deux fois, encore et encore sans fin.
Je sais le faire. C'est efficace. Il va se réveiller, souffler deux fois, comprimer trente fois, il le faut.
James m'écarte doucement du corps de mon bébé. Debout à côté de moi. Je cherche dans le regard de mon ami, une trace d'espoir. Il secoue lentement la tête de gauche à droite. Il pleure en silence. Alors je comprends, et je m'effondre contre lui, ne quittant pas du regard le merveilleux visage de mon bébé aux yeux clos. Je veux revoir son regard. Je le veux. J'ai besoin de son regard pour vivre
- C'est fini Livie . Tu ne peux plus rien faire. Serre-le contre toi. Il n'y a rien à faire d'autre.
Rien faire d'autre....
Je me balance d'avant en arrière, les genoux pressés contre mon cœur, me berçant comme j'aurais dû le faire à mon bébé au lieu de le laisser dans le berceau. Il ne serait peut-être pas parti.
- Livie ! Livie ! S'il te plaît !
La petite voix est lointaine. De petites mains s'agrippent à mon cou.
Lisa !
Je reviens à moi et distingue à travers un voile flou, le visage en larmes et affolé de Lisa. Ciel, qu'ai-je fais encore ? Je suis dangereuse ! Je ne peux pas me faire confiance pour m'occuper d'enfants.
J'éloigne les ombres du passé fermement et d'un geste rapide, j'essuie les larmes qui m'aveuglent en prenant doucement la petite dans mes bras.
- Je ne voulais pas te faire peur, je suis désolée ma douce, si désolée.
- Je n'ai pas eu peur... enfin si... un peu. Tu semblais si triste qu'il ne se soit pas réveillé. Ton bébé est mort. C'est si triste.
Un long moment passe. En silence. Je sens sa peur disparaître et ma panique s'atténuer.
- Je connais la tristesse de perdre quelque chose que l'on aime tu sais, reprends Lisa.
- Oui mon chaton, explique-moi.
J'essaie d'être attentive à la petite fille que j'avais effrayée. Ce bref moment me permet de me remettre, de maîtriser mes émotions et de les cadenasser encore une fois au plus profond de ma mémoire et de mon cœur.
- Il y a deux ans, on avait recueilli un petit oiseau sur la terrasse, très petit. Papa m'a expliqué qu'il était trop petit pour survivre sans sa maman mais on a essayé, il était tombé d'un toit tu sais.. Il était si petit. Tout marron avec une pointe de rouge sous le bec. On lui a fait un petit lit tout doux, comme un nid. Papa a appelé un vétérinaire qui a dit d'essayer de le nourrir avec une seringue.
Lisa revit les instants comme s'ils se déroulaient devant elle. Je soupire, connaissant d'avance la fin de cette histoire.
- Mais le matin, il était tout froid et tout raide dans son nid. Il était mort et papa m'a dit qu'il ne pouvait rien faire. Il était triste lui aussi. On l'a enterré dans le jardin en bas. Justin a été d'accord. Il nous a surveillé la porte pour que personne ne vienne nous embêter. Ton bébé aussi a été enterré ?
- Oui Alec a une jolie petite tombe, j'y vais parfois.
- Je pourrais y aller un jour avec toi ? J'aurais aimé le connaître ton petit garçon.
- On verra. Je dois d'abord en parler avec ton père.
Lisa réfléchit un peu, puis inclinant la tête de côté, elle la pose à nouveau sur ma poitrine. Elle n'est pas vraiment appuyée sur moi, ce n'est pas exactement un câlin. Mais je me sens mieux, heureuse de sa confiance.
- Tu es triste qu'il ne soit plus là.
Ce n'est pas une question.
- Exactement. Je pense à lui tous les jours.
- C'est quoi ton meilleur souvenir d'Alec ? Celui qui te rend toujours heureuse quand tu y penses.
Je souris... cherchant dans mes souvenirs enfouis, ces centaines de petits bonheurs.
- Il y en a plein... son premier regard si pénétrant et sérieux quand il est né, son premier sourire, la première fois qu'il a crachoté de la purée de carottes sur mon pantalon tout neuf.
Lisa pouffe de rire avec moi.
- Il y en avait partout, et les carottes ça tache.
- Il est comme moi alors, il n'aime pas les carottes. Les carottes c'est beurk.
Je secoue la tête, amusée. Elle est extraordinaire. c'est la première fois depuis 5 ans que je souris en pensant à Alec.
- Beurk peut-être, mais ça rend aimable princesse !
Elle me tire la langue et me reprend des mains, la photo que je tiens toujours. Elle fait un petit tas impeccable des photos d'Alec.
- Demain on achètera un joli album pour les ranger. Je pourrais le choisir ? Elles seront protégées et tu les regarderas quand tu voudras.
- Bien sûr que tu le choisiras.
Elle repose les photos dans la petite boîte où je les ai enfermées, la laissant sur ses genoux. Elle semble sur le point de parler. Je vois les rouages tourner dans la petite tête brune.
- Pourquoi il... y a...
Elle hésite à poursuivre.
- Oui Lisa ?
Je l'encourage doucement.
- Pourquoi il y a des mamans qui aiment leur bébé et les bébés meurent et pourquoi d'autres ne les aiment pas et veulent les garder quand même avec elles ?
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