Chapitre 11 Andrew : Peurs -
Dimanche 16h Aéroport JFK NY (Lisa Follen)
J'étais derrière un des gros piliers du hall et je les observais. Avant ils se tenaient par le bras. Elle était collée à lui. Maintenant ils se disputaient. Enfin, c'était l'impression que j'avais. Il faisait de grands gestes et paraissait très en colère.
La femme brune n'avait pas peur de lui, elle haussa les épaules avant de lui indiquer, d'un geste assez autoritaire, le fauteuil juste derrière lui. Elle partit ensuite vers les guichets de renseignements. C'est ça va chercher. Je la regardai s'éloigner en faisant la moue. Puis, je me retournai vers lui.
Il était furieux, cela se voyait. Il se laissa tomber sur le siège. Il tenait une canne blanche. Je m'approchai doucement, sans faire de bruit. Pourtant, mon cœur battait si fort que j'avais l'impression de faire un boucan de tous les diables. Je savais qu'il ne me verrait pas, mais je ne pouvais pas m'empêcher de craindre qu'il ne sente ma présence. Son regard passa sur moi comme si j'étais transparente. Cela me fit mal. Je le vis mettre sa tête entre ses mains. J'étais triste et ça, c'était quelque chose que je ne voulais pas.
J'avais reconnu la colère. C'était un truc que je connaissais très bien. Mais quelque chose d'autre avait assombri son regard. Une chose qui m'avait surprise. La peur. Je connaissais aussi et je n'en voulais plus.
Non, je ne me laisserai pas avoir ! Je suivrai mon plan. Il ne changera rien. Je sais ce qu'il veut. Ce qu'il ne veut pas aussi.
Je ne me laisserai pas faire. Les adultes et leurs ruses, je les connaissais. Avec Maman, j'étais à bonne école depuis un an.
Je m'installai sur un des sièges à quelques mètres derrière lui et j'attendis sans rien dire.
ooOOoo
Andrew
Tout va de travers. Je ne veux pas laisser la panique m'envahir. Livie a raison d'employer son ton de garde-malade autoritaire. Cela me remet les idées à l'endroit. Je ne peux pas l'aider. Je suis en territoire inconnu et même la canne blanche que j'ai sortie du placard pour aller à l'aéroport, mettant ma foutue fierté de côté, ne me sert à rien. Impuissant. Totalement impuissant. Même si ma fille était à un mètre de moi je ne la verrais pas.
Je me laisse tomber sur le fauteuil sans plus aucune résistance et me couvre le visage de mes mains tremblantes.
Je déteste les aéroports depuis longtemps. Ce sont des lieux trop grands, trop impersonnels avec leurs immenses baies vitrées ouvertes sur les pistes. Le JFK, avec son gigantisme, est l'un des pires de tous. J'ai toujours eu l'impression que les gens qui s'y côtoient sans se voir, et surtout sans se regarder, vivent entre parenthèse ce passage obligé de l'aéroport. Un moment « perdu » sans joie possible, sans importance quoiqu'on en dise. Chacun part de son côté, rejoindre un travail ou quitter des amis. Parfois dans la multitude de scènes quotidiennes, il y avait de petits drames vécus dans l'indifférence de la foule. Avant, j'observais trop les choses. Avant. Je voyais le jeune garçon qui pleurait le départ de son père, je souffrais avec la vieille dame qui souriait à ses petits-enfants quasi indifférents à sa tristesse.
J'avais vu un couple s'embrasser avec passion et retrouver le mari infidèle flirter avec sa voisine dans l'avion quelques minutes plus tard. Finalement ne plus vivre cela, ne plus le voir aurait pu être agréable. Si je n'avais pas si peur.
Nous sommes dans le terminal 4 et nous attendons depuis plus d'une heure. Silencieux, collés l'un à l'autre, ballotés par la foule. Dans un premier temps, j'avais protégé Livie de ma carrure, faisant écran entre les autres personnes venues attendre et mon amie qui scrutait les arrivants. Puis il y avait eu moins de monde, moins de bruit.
L'avion avait atterri avec ma fille depuis 40 minutes, mais Lisa n'était pas sortie. J'avais confié à Livie avant de partir, une photo de Lisa pour qu'elle reconnaisse aisément la petite fille. Mais aucune fillette, seule ou accompagnée d'une hôtesse, n'a franchi le portique de débarquement.
Je ne me suis pas inquiété immédiatement. Elle a fait le voyage sous la responsabilité d'une hôtesse. Je l'ai exigé d'Alana qui refusait de se déplacer pour que notre fille ne traverse pas le continent seule. Peut-être que les enfants accompagnés sortaient après, avec le personnel de l'avion ? Plus le temps étire ses longues minutes et plus je sens que ce hall de débarquement se vident des voyageurs. L'atmosphère est plus calme. Les chariots ne crissent plus autour de moi. Ils annoncent déjà le prochain atterrissage. La petite main de Livie, sur mon bras, s'était de plus en plus crispée, laissant son angoisse répondre à la mienne. Je voudrai pouvoir arpenter les couloirs de l'aéroport, mais elle a exigé que je reste ici pendant qu'elle part aux renseignements. Evidemment je ne pouvais que me perdre et compliquer les choses a-t-elle dit avant d'ajouter plus doucement, « dans le cas où la petite apparaîtrait et te retrouverait ». Je ne peux rien faire et la peur me paralyse. Maudissant ma cécité et mon incapacité à faire face.
Où est Lisa ?
Fébrilement, j'essaie de joindre une nouvelle fois Alana. Sans aucun résultat. Le portable de Lisa ne répond pas non plus, nous avons déjà tenté de l'appeler plusieurs fois.
J'envoie un bref message à mon ex-femme, lui demandant de me rappeler au plus tôt au sujet de Lisa, espérant qu'elle me répondra rapidement, ce dont je doute. Elle a toujours pris beaucoup de plaisir à me contrarier.
Je ne peux qu'attendre le retour de Livie. Je viens de m'adresser à elle assez brusquement, extériorisant ainsi mon angoisse, mais elle ne m'en a pas tenu rigueur, se contentant de me redire d'attendre. Il va falloir que je m'excuse.
Où peut être Lisa ?
Je tente de réfléchir. Elle a pris l'avion. C'est un point presque sûr. Elle en est forcément sortie. Mais Livie et moi l'avons ratée. Pourquoi ?
Je suis certain que Livie a été attentive... Que s'est-il passé ?
C'est dans de tel moment que j'aurais besoin de fumer. J'ai arrêté il y a longtemps. Pendant la grossesse d'Alana. Je savais que c'était encore pire pour les bébés que pour les adultes, alors j'avais arrêté. Du jour au lendemain.
Ma consommation de caféine a juste augmenté en échange, mais cela ne perturbe que ma santé. À cet instant précis, je veux inhaler une bouffée de cigarette, sentir la nicotine me monter au cerveau et stimuler l'oubli, le plaisir. Je soupire longuement, cherchant à évacuer cette putain d'angoisse.
Lisa, ma puce, où es-tu ?
Les souvenirs veulent remonter à la surface et il faut que je les terre et les cadenasse bien au fond de ma mémoire.
Depuis la naissance de Lisa, j'ai si souvent eu peur.
Il y a d'abord eu les premières nuits, quand j'avais l'impression que le bébé avait arrêté de respirer dans le berceau à côté de mon lit. Je ne dormais pas pendant de longues heures, suspendu au rythme de son souffle.
Puis, pendant les premiers mois, Lisa pleurait très souvent le soir, sans que je ne comprenne pourquoi. J'avais marché des heures durant avec mon bébé dans les bras me maudissant d'être incapable de comprendre pourquoi elle était mal.
À onze mois, elle avait fait ses premiers pas. Lorsque son petit pied nu se levait doucement sur la moquette blanche et partait brutalement en avant en même temps que son corps, je retenais mon souffle, j'avais peur. Je tentais de devancer le moindre obstacle, la moindre embûche sur sa route. J'avais entouré de coins ronds les moindres arêtes des meubles, mis des cache-prises contre les petits doigts trop curieux. J'étais un père anxieux. Un père comme un autre sûrement.
Puis, il y avait eu la première soirée à l'hôpital, l'attente interminable aux urgences et le soulagement lorsque le médecin m'avait remis ma petite fille de 3 ans avec un beau pansement sur le genou, mais en ajoutant « rien de grave, juste 4 petits points de sutures et quelques larmes ». Elle avait fait une chute de tricycle dans Central Park sous ma prétendue surveillance. J'étais loin d'être parfait.
Et puis très vite, trop vite, le premier jour d'école était arrivé. Elle était si petite et si courageuse en lâchant ma main pour rentrer dans la cour, me décochant un petit sourire tremblant à travers les larmes qui embuaient ses yeux.
Avoir un enfant est formidablement beau mais, extraordinairement angoissant aussi. Comment certains parviennent à en élever plusieurs ? Lisa sera ma seule et unique fille, j'en suis persuadé. Je veux juste la retrouver. Ici et maintenant.
Et puis il y a toujours ce terrible tourment de ne pas être à la hauteur, de ne pas toujours pouvoir prévoir l'imprévisible, comme il y a un an...
Une main sur l'épaule me fait revenir à la réalité, avant que le passé ne m'attrape de ses horribles griffes.
- Andrew ? Ça va ?
Livie est inquiète pour moi. Et pour Lisa.
- Ça va. Que t'ont-ils dit ?
- La personne de l'accueil a confirmé que la petite a pris l'avion et était accompagnée d'une jeune hôtesse, Jessica. Ils l'ont appelée, elle va nous rejoindre bientôt. Ils vont aussi faire une annonce dans l'aéroport. La sécurité surveille les issues. Aucune petite fille correspondant à la description de Lisa ne pourra sortir avant que nous ne l'ayons vue. On doit attendre ici.
- Dieu merci ! Assieds-toi à côté de moi s'il te plaît.
Je pose ma main sur elle, touchant son bras, puis sa main, que je serre fortement. Un besoin irrationnel de la toucher, de me rassurer. Je me penche vers elle. Odeur de lilas. Mon rythme cardiaque s'apaise alors que je respire dans son cou. Et si je ne l'avais pas rencontrée... il y a deux jours ?
- Sans toi, je ne m'en serais pas sorti.
- Si sûrement. Mais c'est vrai que c'est plus simple ainsi. Au moins, je n'usurpe pas mon salaire.
Elle tente de me détendre et j'essaie de la remercier par un sourire que je devine très peu convaincant. Sa main se pose sur ma nuque et me masse doucement réussissant à m'apaiser un peu.
- Livie, que penses-tu qu'il se soit passé ? Elle doit être morte de peur.
- Je ne sais pas, ça ne sert à rien d'imaginer un scénario, laisse ton imagination d'écrivain au vestiaire, d'accord ? Quant à sa peur, je ne pense pas que ...
Livie fait une pause semblant réfléchir.
- ... si elle te ressemble un peu. Elle doit avoir hérité de ton courage, de ta façon de prendre les problèmes à bras le corps et je ne .... Andrew !
Sa voix avait brutalement changé. Elle chuchotait mon nom avec une note d'urgence qui réveille mon angoisse.
- Que se passe-t-il ?
- Lisa, tu m'as bien dit qu'elle avait de longs cheveux ?
- Oui mais pourquoi... Reviens Livie !
Elle s'est levée précipitamment. Sa chaleur, son parfum disparaissent, me laissant dans le vague. Je me lève à mon tour, mais je ne sais pas où aller.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro