Dimanche 6 h 00  - Drake Follen

C'était censé être un dimanche comme les autres. Mais j'étais inquiet. Je coupais la communication rageusement et plaçais mon portable dans la poche de mon sweat. Il n'avait pas répondu. Encore une fois. Je repris mon trajet en direction de l'immeuble de mon frère à petites foulées. Mon heure de footing dans Central Park était oubliée. Je ne sentais plus l'air frais vivifiant... et le plaisir d'enquiquiner Andy en lui rendant visite si tôt le dimanche n'était même plus présente. Il n'avait qu'à répondre au téléphone. Je lui avais laissé 5 messages et son silence était inhabituel. Il détestait que je le colle, mais c'était mon petit frère. Et il était aveugle, merde.

Je poussais la porte d'entrée assez brutalement m'apprêtant à monter les étages à pied comme d'habitude.

Mais Black, le garde-chiourme dans le hall un dimanche ça, c'était curieux. Qu'est-ce qu'il fichait ici celui-là ? Il ne lui suffisait plus d'espionner la semaine ?

- Hello, Black. Vous faites des heures supplémentaires ? lui demandai-je.

- Bonjour Monsieur Follen. Non pas d'heures supplémentaires. Je fais ce que je veux de mes dimanches.

Pourquoi était-il aussi agressif ? Et en même temps, il semblait... mal à l'aise... comme fautif. Hum, ça sentait pas bon ça. Je m'approchais de lui encore plus. Empiétant volontairement sur son espace vital.

- Désolé...

OK je ne l'étais pas. Mais je voulais avoir un renseignement et je l'aurais.

- Je cherche mon frère. Il ne répond pas au téléphone.

- Vous appelez souvent votre frère à six heures du matin vous ?

- Je fais ce que je veux de mes dimanches, Black ! Alors vous avez vu Andrew ou non ?

Ça y est, il m'avait mis en colère. Les 10 étages de l'immeuble l'ont entendu.

- Votre frère est... coincé dans l'ascenseur. Le technicien est au travail.

- Dans l'ascenseur ? Depuis combien de temps ? Il va bien ?

Mon sang ne fit qu'un tour. Andrew coincé dans l'ascenseur et personne ne m'a prévenu ! J'allais lui coller un monumental procès au cul dont il sortirait sans même une chemise pour se couvrir ce connard ...

Un type arrivé de nulle part interrompit mes promesses de vengeance. Le réparateur ? Il prit la parole, content de lui.

- Vous devriez aller devant les portes de l'ascenseur au niveau du 1er étage. J'ai changé la pièce défaillante, une bricole. J'l'ai toujours....

Inutile d'en entendre plus. Je suis déjà devant la porte de cet instrument de malheur au premier. Black me talonne.

Elles s'ouvrent lentement. Trop lentement. Je piétine sur place. Andy... merde... il n'avait pas besoin de cela.

La cabine d'ascenseur est un peu en contrebas et je dois me pencher pour voir comment il va.

Oh... Putain...

Elle est superbe, une véritable miniature brune. Endormie. Et Drew est profondément blotti contre elle.

Je peux enfin respirer. Et sourire. Sacré Andy. Il va bien. Il a l'air d'aller mieux que bien même.

La petite fée ouvre les yeux, complètement perdue. Je rigole :

- Désolé de vous déranger mademoiselle, je vois que vous prenez soin de mon frère, mais j'étais disons, ... inquiet. Je ne pensais pas qu'Andrew serait assez malin pour se faire enfermer aussi bien accompagné dans un ascenseur. Il me surprendra toujours.

******

Livie - Dimanche vers 6 heures du matin

C'est un curieux bruit qui me fait émerger de mon sommeil.

J'ai mal au dos. Aux jambes aussi, constaté-je avant même d'ouvrir les yeux.

Et mon postérieur n'a jamais été aussi meurtri.

Pourtant, je sens plus reposée et tranquille que je ne l'ai été depuis longtemps, douillettement enveloppée dans de puissants bras qui me maintiennent au chaud.

Des bras ?

J'ouvre les yeux brutalement alors que mon cerveau reprend du service. L'ascenseur Andrew et moi bloqués. Dégustation de chocolats. Ses doigts sur mon visage. Notre baiser. Les images affluent en vrac avec un peu trop d'émotions pour mon corps endolori et encore endormi.

Andrew ! Je tourne la tête vers lui. Il est tout contre moi et semble dormir profondément. Je souris bêtement. Sa tête repose dans mon cou et il me serre contre lui. La cabine est assez lumineuse maintenant pour que je distingue de la barbe naissante sur ses joues. Son front est détendu, il dort calmement. Son souffle régulier chatouille mon oreille et je fonds de tendresse, il parait tellement plus jeune lorsque dans l'abandon du sommeil il relâche la pression qu'il s'impose toujours.

Délicatement de ma main libre, je dégage les quelques mèches cuivrées qui retombent sur son visage.

Courageux .... Et tellement beau. Je me permets de le contempler tranquillement. Il dort non ? Cela ne dérange personne. Et je ne suis pas troublée par les éclairs d'un vert puissant de ses prunelles. Sa peau est si pâle que le soleil ne semble pas l'avoir effleuré depuis longtemps. Malgré cela il a l'air puissant. Je refuse de me demander pourtant cette puissance me parait attirante et ne me fait pas fuir à toutes jambes Ma main se déplace doucement le long de sa joue légèrement râpeuse et je sens que je souris à nouveau en effleurant sa lèvre inférieure. Non je n'ai pas l'intention de l'embrasser à nouveau... c'était trop inattendu et puissant, mais ce souvenir n'est pas près de me quitter.

- Désolé de vous déranger mademoiselle, je vois que vous prenez soin de mon frère, mais j'étais disons, ... inquiet. Je ne pensais pas qu'Andrew serait assez malin pour se faire enfermer aussi bien accompagner dans un ascenseur. Il me surprendra toujours.

La voix inconnue et un peu moqueuse qui me parvient me fait tourner la tête brusquement. La porte ouverte au-dessus de moi explique la clarté dans la cabine. Je rougis brutalement. Prise sur le fait à caresser le visage d'Andrew.

Ils sont deux hommes à genoux sur un palier, légèrement au-dessus de nous, car l'ascenseur semble coincé entre deux étages. Il y a Justin Black, un air furieux et euh... blessé plaqué sur le visage et un bel homme brun, celui qui vient de s'adresser à moi. Mon cerveau encore endormi repasse lentement la phrase qu'il vient de prononcer. Le frère d'Andrew ! Celui qui lui avait offert le tablier au message ambigu. Zut !

Je me rassois brusquement, cherchant bêtement et machinalement à remettre mes cheveux en ordre. Ils ont toujours tendance au réveil à me faire ressembler à un épouvantail. Dans mon mouvement, la tête d'Andrew retombe sur le sol un peu plus brusquement que je ne l'aurais voulu.

- Merci,Livie, je me souviendrai qu'avec toi les réveils sont plutôt brutaux, grommelle celui-ci réveillé par ma faute.

D'autres réveils avec lui. Oh oui !

Idiote de petite voix. Andrew est un ami. AMI. Je ne me réveillerais plus ainsi à côté de lui. Et surtout je ne me ferais plus prendre à lui caresser le visage. En attendant je me mords la lèvre, regrettant de lui avoir fait mal.

- Je plaide coupable Andy, je pense avoir effrayé la demoiselle, mais je ne voulais pas laisser Black seul pour s'occuper de toi après une nuit dans un ascenseur, lance le grand frère qui semble décidément beaucoup s'amuser.

Il a aussi habilement prévenu Andrew de la présence de Justin Black. Malin et attentionné le grand costaud.

Andrew se rassoit en se frottant la tête à l'endroit où il a heurté le sol. Il tourne vaguement la tête vers la porte enfin ouverte d'où la voix lui parvient.

- Salut, Drake. Bonjour, Justin. Tu patienteras un peu pour les présentations. Suis pas encore réveillé. Laisse-nous deux minutes.

Puis il se retourne de mon côté déplaçant son corps au-dessus de moi de façon à ce que les deux hommes ne voient que son dos.

- Livie, comment vas-tu ce matin ?

Il a baissé la voix sur ses derniers mots et tend sa main vers moi, cherchant mon contact. Je vérifie du coin de l'œil par-dessus son épaule : le beau brun s'est relevé entraînant Justin avec lui, obéissant ainsi au vœu de son frère d'avoir un peu d'intimité. Ils semblent parfaitement bien communiquer ces ceux-là. Je saisis la main d'Andrew et embrasse, sans réfléchir le bout de ses doigts. Autant pour notre décision d'être ami. À moins que les amis fassent cela entre eux. Je secoue la tête, désolée de devenir aussi idiote. Revenons au présent. Je dois préciser à Andrew où nous sommes. Et comment sortir de notre piège. C'est cela que ferait une amie non ?

- Je vais bien. Merci Andrew. Je crois que notre interlude est fini. Nous sommes coincés entre deux étages. Il faut grimper d'un demi-étage pour sortir rejoindre le monde. Ils nous attendent.

- Ils peuvent attendre un peu encore. On n'est pas si mal ici.

Le petit sourire qui accompagne ces mots est craquant.

- J'ai mal partout. Le sol est dur. Je ne pensais pas que ce travail impliquerait un matelas aussi inconfortable.

- Hum pas faux.

Son sourire retomba. Il se frotte la nuque et il paraît perdu dans ses pensées quelques instants avant de reprendre pensif :

Pourtant je n'ai pas aussi bien dormi depuis longtemps.

Hors de question de lui avouer que je ressens la même chose.

Arrête de rêvasser. Une mission nous attend : ta fille.

Un sourire éclatant éclaire son visage à mes mots. L'impatience de retrouver sa fille se lit sur ses traits Il se lève d'un mouvement souple, gardant ma main dans la sienne.

- Allez debout jeune paresseuse. Le monde nous attend, fait Andrew d'une voix enjouée.

Il se penche vers moi d'un air provocateur et je me demande soudain s'il ne va pas à nouveau m'embrasser. Ses lèvres frôlent mon oreille pour me chuchoter quelque chose.

- Livie, l'appartement est au 9ᵉ étage... Soit plusieurs étages à monter par l'escalier... de façon assez urgente. J'ai besoin de ton aide.

- OK C'est quoi le problème ?

-Hum... Comment te dire cela ? On n'a pas énormément bu hier soir, mais j'ai besoin que tu me promettes de me laisser passer le premier aux toilettes, les hommes sont très handicapés sur ce plan-là, je dois le reconnaître.

J'éclate de rire à ses mots.

Vive le romantisme.

- Promis Andrew. Nous les femmes, sommes endurantes, c'est bien connu. Débarrasse-nous de ces deux curieux qui nous dévisagent et je te guide vers ton objectif aussi vite que possible. Que ferais-tu sans moi ?

- Je préfère ne pas te le dire. Allez dehors !

Il me prend par la taille pour me hisser sans difficulté vers l'ouverture où les bras solides de Justin se précipitent pour m'attraper tandis que Drake tend une main secourable à Andrew qui escalade le dénivelé sans trop de problèmes, à l'aide du grand brun.

Je ne suis pas sûre d'être aussi heureuse que lui de quitter notre refuge, mais son enthousiasme est agréable à voir. En quelques secondes, j'ai quitté l'espace protégé et intime pour me retrouver avec d'autres personnes que je ne connaissais pas. Je me sens un instant perdue et avec un sourire poli, je quitte les bras de Justin pour me rapprocher d'Andrew qui est devenu en deux jours mon point d'ancrage. Je ne sais pas comment il sentit ma présence, mais une nouvelle fois, il tend son bras vers moi et entoure mes épaules.

- Drake, voici Olivia, Livie Parker, mon amie, elle a accepté de tenir compagnie à Lisa. Livie, je te présente mon seul et unique frère Drake. Il parait séduisant au premier abord, d'après ce que j'ai compris, mais je te conseille de ne pas t'approcher trop près de lui.

Il lance ces mots en me serrant contre lui et j'ai l'impression curieuse que le message qu'il adresse à son frère, qui relève un sourcil étonné en l'écoutant, est aussi pour Justin Black.

- Maintenant les garçons, j'ai un truc à voir avec elle. Retournez voir si l'ascenseur est réparable rapidement. Drake, rejoins-nous dès que tout est rétabli.

- Pas de problème, Andy, « Bob le bricoleur » est mon deuxième prénom, tu le sais bien !

Andy ? Je tourne la tête vers Andrew qui sourit et me presse les doigts doucement me rappelant son... urgence.

-Bonjour Drake... je... dois voir un truc avec "Andy" mais je suis contente de vous connaître... à ...

Me tirant par le bras, Andrew se dirige vers les escaliers sur notre gauche. Je décide d'oublier la politesse et de le guider tout en jetant un dernier regard vers le palier.

S'il est surpris de notre départ rapide, Drake Follen n'en laisse rien voir alors que Justin est bouche bée, mais je ne m'attarde pas pour contempler leur étonnement. Je m'enfuis vers les escaliers entraînant Andrew.

Les frères Follen sont décidément de drôles d'oiseaux. J'ai hâte de rencontrer la jeune Lisa.