Chapitre 10 : Au sommet
Clarke
Mon regard s'accroche partout où il peut, sur chaque parcelle du paysage incroyable qui s'offre à lui. Le soufflé coupé, les yeux grands ouverts, je contemple avec un émerveillement que je ne cherche pas à dissimuler la ville de Polis et la région entière qui s'endort.
Depuis le plateau, nous surplombons la civilisation, la forêt, tels des oiseaux perchés en haut d'un arbre. D'ici, la grande tour de Polis qui se détache dans les nuages paraît bien différente : dans cette lumière, elle ressemble davantage à un phare qu'à une prison.
Le ciel choisit avec soin ses couleurs, qu'il distille délicatement les unes dans les autres, créant ce voile doux et coloré qu'est le crépuscule. Comme un voile, il se déploie sur la terre et à cet instant, j'ai l'impression que seuls moi et Bellamy sommes les spectateurs de ce phénomène silencieux. Je plisse les yeux et distingue les minuscules silhouettes des habitants de Polis qui se déplacent à la manière d'une fourmilière, le long des rues. En tendant l'oreille, je distingue les bruits de la ville, un brouhaha lointain et l'agitation des artisans qui s'apprêtent à rentrer chez eux ; au loin, quelques oiseaux s'envolent en délivrant leur mélodie dans les airs.
Et puis, fermant les yeux un instant, je hume le parfum enivrant de la nature que je connais si bien. Un sourire se dessine sur mon visage : pour la première depuis longtemps, je me sens bien. Sereine. Lorsque je rouvre les yeux, Bellamy me fixe avec un petit sourire au coin des lèvres. Et, pour la première fois, je ne l'envoie pas balader ; je ne dis rien et me contente de croiser son regard avec une fermeté dénuée de colère. J'inspire profondément et reporte mon attention sur l'horizon ; le soleil est en train de disparaître, loin, là-bas, derrière les montagnes. Bonne nuit, somptueux astre, et à demain.
- C'est mon endroit préféré, explique Bellamy à mi-voix, pour ne pas briser le silence avec trop de fracas.
Mon sourire s'agrandit et se transforme en un rictus amusé.
- Je parie que tu emmènes toutes tes conquêtes ici.
Je l'entends esquisser un petit rire. J'arrive à peine à le reconnaître.
- Seulement celles que je suis sûr de séduire.
Je tourne la tête vers lui et affiche une expression moqueuse. Quel ego surdimensionné... ! Mais il semble alors réaliser ce qu'il est en train de me confier et détourne le regard en se raclant la gorge.
- Enfin, j'emmène aussi d'autres personnes... Comme toi.
Je secoue la tête, croisant les bras sur ma poitrine, avant de faire un pas dans sa direction avec un sourcil arqué.
- Tu veux dire les rivaux que tu comptes éliminer en secret pour remporter le Conclave ?
Le jeune guerrier adopte la même attitude que moi et plante ses pieds dans le sol tout en me faisant face. Ce petit jeu me plaît bien ; ça me change des menaces de mort et des combats dans la perspective d'un affrontement final où je devrai tuer tout le monde.
- Peut-être, me répond Bellamy sur un ton malicieux.
Je pousse un soupir et m'éloigne de lui pour m'approcher du bord du plateau, un immense mur de roc, une falaise qui s'élève à une trentaine de mètres du sol. Le vertige que j'éprouve en regardant vers le bas envoie à travers mon corps une dose d'adrénaline et sans réfléchir une seconde, je m'assieds à même la terre et balance mes jambes au-dessus du vide, empoignant de mes mains l'herbe drue. Il ne faut qu'un instant pour que Bellamy me rejoigne et, sans tourner la tête vers lui, je me surprends à lui demander :
- Pourquoi est-ce que tu m'aides ?
- Je ne t'aide pas, répond-il calmement.
Fronçant les sourcils, perplexe, je me force à me taire pour le laisser poursuivre. Étrangement, l'entendre parler me paraît, sinon pas tout à fait agréable, au moins intéressant. J'ai envie d'entendre ce qu'il a à dire.
- Je pense simplement que tu ferais un bon Commandant. Tu dégages quelque chose de... puissant. Et, même si ça me fait mal de l'admettre, je dois dire que je m'étais trompé à ton sujet : tu es différente des autres.
Je sens mon cœur tressaillir à ses mots et, au même instant, la légère brise qui passe sur moi dépose sur ma peau une multitude de frissons qui se confondent avec celui que Bellamy a provoqué. Je retiens mon souffle, le regard fixé sur le ciel couchant.
- Je pense que les autres prétendants au trône, les autres Natblidas, n'ont aucune chance. A eux, il manque quelque chose : ils ne se battent que parce que c'est la seule chose qu'ils savent faire, parce que c'est ce qu'on leur a appris. Mais toi...
Il prend une légère pause et souffle.
- C'est évident que tu aimes ça, lâche-t-il.
Nos regards se croisent et se mêlent pendant un instant où aucun de nous ne parle et qui me laisse troublée, lorsque je romps le contact visuel. Je baisse la tête, ne sachant quoi dire, mais sachant qu'il a raison.
- C'est ce que nous avons en commun, continue-t-il avec un sourire dans la voix.
Je souris à mon tour en notant que c'est la première fois que Bellamy utilise le pronom "nous" pour parler de lui et moi. Les mots s'échappent de ma bouche et c'est alors avec surprise que je m'entends lui demander de but en blanc :
- Bellamy... Est-ce que tu t'es déjà attaché à quelqu'un ?
Je lui jette un regard en coin pour observer sa réaction, et je le vois pincer les lèvres et secouer la tête, en lançant distraitement des cailloux dans le vide.
- Personne ? insisté-je.
- Personne.
Son visage est totalement inexpressif, son regard aussi stable qu'à l'ordinaire. Il se tourne vers moi :
- Pourquoi cette question ?
Je hausse les épaules.
- Je suppose que je voulais savoir si j'étais la seule marginale de cette planète.
Un rictus étire son visage et il secoue une nouvelle fois la tête.
- Non. J'ai toujours préféré être seul, plutôt que construire ma vie sur des relations qui auraient été, de toute façon, vouées à un effondrement certain.
Je hausse un sourcil. Ses mots sont empreints de détermination ; je suis à peine surprise de lire en lui autant de pessimisme quant aux relations humaines : je crois que je commence à le cerner.
- Au moins, tu as eu le choix, lui fais-je remarquer d'une voix plus faible que je ne l'aurais voulu.
Un rire sarcastique s'élève dans l'air.
- Crois-moi, tu n'as rien perdu, si c'est ce que tu crains. Au contraire : notre sang est un don.
- Je ne vois pas vraiment en quoi, répliqué-je en grimaçant, peu convaincue.
Je tourne la tête pour dévisager Bellamy ; une flamme nouvelle étincelle dans ses yeux et donne à son visage un éclat différent. Le guerrier reprend la parole, cette même flamme modelant aussi les inflexions de sa voix. Il tend le bras vers l'horizon, me désignant les forêts, les vallées, les lacs, la tour de Polis, les villes, absolument tout ce qui s'étend sous nos pieds.
- Grâce à ton sang, Clarke, tout ceci peut t'appartenir. Grâce à ton sang, tu apprendras à devenir une véritable guerrière, à ne pas plier devant l'honneur et la vertu, à toujours te relever après un coup et à servir un peuple comme tu sers ta famille. Tu apprendras que la paix est à la guerre ce que l'amour est à la haine. Tu sauras qu'il faut rendre justice avant d'écouter la versatilité de tes sentiments et tu pourras livrer à la terre ton propre héritage. Alors certes, être Commandant signifie gouverner seul, mais cela signifie aussi vivre libre, et surtout vivre en étant digne d'exister.
Sans même m'en rendre compte, je bois ses paroles, m'accrochant presque désespérément à son espoir et sa passion, touchée par l'attachement sincère du jeune homme pour son peuple et pour ses coutumes, plus que pour les hommes. Je suis du regard sa main qui s'agite devant la ligne de l'horizon, semblant si près de l'atteindre. Mon cœur se gonfle alors d'ambition et je me sens sourire, soudain envahie d'un sentiment puissant de confiance. Mais la voix profonde de Bellamy tarit bien vite la source de cette sensation nouvelle pourtant si grisante :
- C'est pour ça que je ne te laisserai pas gagner, Clarke ; mais contrairement aux autres, je te laisserai ta chance, lâche-t-il avec une assurance qui essaie sûrement de se montrer sympathique, tant bien que mal.
- Je ne la manquerai pas, réponds-je sans ciller en ancrant mes prunelles translucides aux siennes, sombres mais brillantes dans l'obscurité tombante.
A travers la pénombre, je vois un petit sourire satisfait se dessiner sur son visage. Je détourne la tête et, la baissant vers l'herbe sur laquelle je suis assise, je me mets à en arracher distraitement des touffes pour les jeter par-dessus mon épaule avec négligence. Autour de nous, l'air se rafraîchit et le silence s'épaissit.
- Dis-moi, commencé-je d'un ton que je veux désinvolte, ça ne te fait rien de te dire que toi et moi... On va se battre à mort ?
Je sens ma gorge se nouer et j'attends sa réaction avec curiosité. Elle ne tarde pas à tomber :
- Non.
Non. Décidé, déterminé, sans appel, le mot tombe de ses lèvres et se heurte à mes tympans. Un seul mot, prononcé fermement, mais avec ce même petit sourire en coin que je commence à lui connaître. A cet instant, mon âme se scinde en deux : la première partie s'empresse d'affecter un air indifférent, tandis que l'autre essaie tant bien que mal de redresser mon cœur qui s'affaisse dans ma poitrine malgré les ordres de ma raison. Mais peu importe : soudain, le regard de Bellamy semble inévitablement attiré vers le vide. Le jeune homme est aux aguets, le corps tendu vers l'avant, la mâchoire crispée, les yeux plissés pour mieux percer l'obscurité. Intriguée, je suis son regard et reste figée : en contre-bas, trois chevaux gris lancés au galop se dirigent droit vers les portes de Polis. Sur leur dos, des guerriers en tenue de combat, chargés de lances et d'arcs.
- Niya... murmure Bellamy sans que je comprenne vraiment ce qu'il dit.
Mon cœur tambourine dans ma cage thoracique, mon sang pulse à mes tempes ; le sentiment que quelque chose de grave se prépare s'empare de moi. Je retiens un sursaut en voyant Bellamy bondir sur ses pieds et commencer à s'éloigner pour regagner Polis. Je m'empresse de me lever et l'attrape par le bras pour le retenir.
- Que se passe-t-il ? le questionné-je vivement en cherchant à lire ses pensées dans ses yeux, en vain.
- C'est la guerre.
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Salut tout le monde !
Le voilà, ce 10e chapitre ! J'espère qu'il vous plaît, car je crois bien que c'est mon chapitre préféré jusqu'à maintenant. Bellamy et Clarke peuvent enfin souffler et prendre le temps de se parler vraiment, et je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je pense qu'ils en avaient tous les deux besoin ! Mais bon, ils ne sont jamais tranquilles bien longtemps... Que pensez-vous des paroles de Bellamy, des réactions de Clarke, et de l'arrivée de ces guerriers ?
Dites-moi tout ! J'y tiens ♥
xoxo
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