X. Reviens-moi
Hey, je tenais à m'excuser de mon retard, j'ai pas mal de soucis en ce moment donc le rythme de publication n'est plus du tout garanti pour l'instant.
Bonne lecture malgré ça, en espérant que ça vous plaise toujours :)
☽ ☼ ☾
Il était sorti fumer sur le balcon, la tête en vrac et le sommeil détraqué. L'air s'était rafraîchi, l'ombre octobre se rapprochait. Il n'avait plus vraiment de notion du temps depuis qu'il passait ses journées à attendre qu'elles passent, et ses soirées à attendre que les effets de ce qu'il ingurgitait se soient dissipés.
Après avoir écrasé un énième mégot dans le cendrier, Julien rebroussa chemin à tâtons dans l'appartement. L'éclairage automatique fraîchement installé s'enclencha avant qu'il ne parvienne au hall et il retint un sursaut en voyant Amandine.
– Tu dors pas ?
– Je pourrais te demander la même chose.
– Je retourne me coucher, soupira-t-il en passant devant elle. Tu viens ?
– Tu penses pas qu'on devrait parler ?
– Il est deux heures du matin, Am'. On n'a pas d'autres choses à faire ?
Elle lui jeta un regard interrogateur.
– Je sais pas, dormir ? reprit-il avec un air las.
– Ça fait depuis minuit qu'on est couché dans le lit à fixer le plafond, et ça n'a pas super bien marché jusqu'ici.
Julien se tourna vers elle, vaincu. Aucun des deux ne dormirait cette nuit, c'était couru d'avance.
– De quoi tu veux parler ?
Elle mit du temps à répondre, et son visage se déforma sous les assauts d'une tristesse soudaine, qu'elle compensa par son éternel sourire réconfortant. Pour évacuer la tension, elle s'arrachait les cheveux un à un par petits à-coups nerveux.
– Je pense que tu sais. De nous.
La discussion aurait bien dû arriver un jour — une nuit, plutôt. Julien s'y attendait. Amandine était une grande romantique, qui se languissait de belles histoires d'amour et qui rêvait désespérément de trouver un prince charmant sur son beau bateau pour lui lancer une bouée de sauvetage. Mais Julien n'avait rien de ça. Le radeau qu'ils se partageaient tanguait, et ses quelques planches abîmées avaient fini par céder sous les tempêtes.
– Tu ne m'aimes plus, souffla-t-elle.
– Am', dis pas ça, je—
– Ce n'était pas une question.
Son ton était strict mais sans aucune sécheresse. Elle avait trop mal pour ça, et elle n'était pas du genre à compenser sa peine par la colère. Contrairement à d'autres.
– Est-ce que tu m'as seulement aimée ? murmura-t-elle avant de reprendre aussitôt : non, ne réponds pas. Je savais dans quoi je m'engageais. J'ai jamais espéré que tu me rendes mes sentiments.
Une grande romantique, une amoureuse dévouée, un cœur tout écrasé et qui s'attachait trop facilement. Elle expira en tremblant et força son sourire à revenir. Julien ignorait comment elle pouvait le tenir constamment. Elle le faisait pour les autres, pour les épargner de sa sensibilité exacerbée, alors que lui gardait la face pour protéger sa propre fierté.
– Je suis désolé.
– Non, ça arrive, c'est normal, murmura-t-elle.
Ils se tenaient si immobiles l'un en face de l'autre que la lumière automatique s'éteignit. L'obscurité noircissait les cernes de la jeune femme, pâlissait son teint comme celui d'un cadavre. Et malgré ça, elle était si jolie, cette princesse toute cassée à l'intérieur.
– Je suis un connard.
– Dis pas ça. Ça sert à rien de se faire du mal—
– Non Am', tu comprends pas, je suis vraiment un connard.
Julien baissa les yeux et serra les poings.
– Je t'ai trompée.
– Je sais.
Il releva la tête, étonné. Elle haussait les épaules avec fatalisme.
– Je m'en doutais. T'avais l'air de te sentir tellement coupable ces dernières semaines.
– Comment tu peux rester aussi calme ? Je suis la dernière des merdes, je te trompe et je te l'avoue seulement des mois après !
La situation le rendait dingue. Amandine devait lui en vouloir, elle devait le foutre à la porte sur le champ en lui crachant dessus, pas lui sourire !
– Pourquoi tu n'es jamais en colère ? explosa-t-il.
– Qu'est-ce que ça changerait ?
Quand la tension montait d'un côté, elle redescendait de l'autre. Même dans leurs disputes, ils s'équilibraient.
– Mais je t'ai fait tellement de mal !
– Parce que je t'ai fait du bien, moi ?
Julien desserra les poings, pris de court.
– Regarde-nous, Julien. Regarde où je t'ai emmené. Ce que je t'ai poussé à prendre, à faire, alors que j'en connaissais les conséquences. Je t'ai tiré au fond.
– Non, c'est faux—
– Écoute-moi. Parfois, les gens de ton entourage peuvent être toxiques, et même avec toute la bonne volonté du monde, ils te tireront vers le bas. Je fais partie de ces gens, et ça fait longtemps que je l'ai compris. J'essaie de devenir meilleure pour ceux que j'aime, mais j'échoue à chaque fois.
Julien trouvait encore plus terrible de se reconnaître dans cette description et, bien malgré les efforts d'Amandine pour le déculpabiliser, c'est à partir de cette nuit-là qu'il se considéra comme toxique à son tour. Et pour protéger les autres de sa toxicité, il s'était isolé.
– Je n'ai pas réussi à te rendre heureux et j'en suis désolée.
– Ne t'excuse pas. On a essayé chacun de notre côté, on n'a pas réussi.
Ils se regardèrent en souriant à travers leur douleur. D'un commun accord, ils se prirent dans les bras en se serrant fort. C'était fini.
Malgré tout, leur relation n'était pas insignifiante comme avaient pu l'être la plupart de leurs précédentes histoires. Quelque chose de fort les avait unis. La volonté commune de sauver l'autre, peut-être. Un défi perdu d'avance : ils l'avaient toujours su.
– Julien, murmura-t-elle en s'écartant doucement de lui. Fais-moi une faveur.
Ses mains froides posées sur les avant-bras du jeune homme, Amandine lui offrit un sourire rayonnant derrière ses larmes :
– Sois heureux.
☽ ☼ ☾
Leur histoire s'était achevée comme elle avait commencé : au milieu de la nuit et sans prévenir. Quand Julien y pensait, la douleur de la mort d'Amandine resurgissait comme une plaie qui se rouvre au moindre mouvement. Elle avait été une amie, de ces relations particulières par leur éphémérité et leur intensité.
Après leur rupture, Julien était resté de longs mois seul avec lui-même, à ressasser ses actes et à s'en vouloir. Sans aide extérieure et sans prendre le temps d'en chercher, il avait continué à se noyer à l'intérieur de lui-même, tandis qu'Amandine avait fait de même de son côté. S'il avait pu émerger, elle n'avait pas eu cette chance.
Il soupira, le front appuyé contre la vitre froide. Des cristaux de glace en avaient colonisé même les coins. Son estomac grogna. Attente, froid et faim : la trilogie des emmerdes. Entre Jérémy qui ne venait pas, les réserves de bois qui avaient fondu comme neige au soleil et son unique et dernière conserve de petits pois, Julien en avait plus qu'assez de ce cabanon à la con. Dehors, c'était toujours la tempête — pour le quatrième jour consécutif.
La veille, il avait épuisé les dernières bûchettes. Après mûre réflexion et s'être pelé le cul toute la nuit, il avait fini par lorgner sur les deux pauvres chaises du séjour. Il en avait défoncé une à grands coups de pieds — ça défoulait, même si son genou avait moyennement apprécié. Les chaises Ikea, ça brûle bien. Le vernis dont elles sont badigeonnées, un peu moins. Il noircissait et formait de petites bulles dans le poêle, et l'odeur qui s'en dégageait n'était pas particulièrement rassurante, mais au moins, Julien n'avait plus froid. Il envisageait déjà de sacrifier la dernière chaise et, s'il le fallait, s'attaquer aux autres meubles. D'ici à ce que Jérém' se pointe, j'aurai démonté le chalet pièce par pièce. Ou je serai mort intoxiqué par les vapeurs de vernis cramé.
Il entendait son ami lui répéter « quoi qu'il arrive, tu ne bouges pas du cabanon ». Évidemment qu'il allait rester. Où aurait-il pu aller ? Évidemment qu'il comptait attendre là jusqu'à ce que Jérémy revienne le chercher. Sur qui d'autre aurait-il pu compter ? Il n'avait que Jérémy, et il n'y avait jamais eu que lui.
Ils avaient été si proches toute leur vie que Julien s'était persuadé qu'il en était devenu dépendant. Le travail, les passions, les amis, les amours... toute sa vie gravitait autour de Jérémy. À cette période, Julien s'était senti étouffer. Il avait voulu s'éloigner de son meilleur ami pour éloigner ses sentiments qu'il ne maîtrisait pas et qu'il aurait voulu enterrer.
Sortir avec Amandine et traîner avec son groupe lui avait fait miroiter une émancipation fictive. En prenant de la distance, il n'avait fait que rendre le manque plus grand. Et pour le combler, il avait tout essayé, bu et goûté n'importe quoi, dans l'espoir de se réveiller le lendemain soigné de cette sensation de vide.
Mais le verdict était sans appel : il n'y avait qu'avec Jérémy qu'il se sentait à sa place. Et inéluctablement, il finissait toujours par revenir vers lui.
La soirée de juillet avait été décisive. La tension accumulée entre les deux devait bien exploser à un moment, tous deux savaient que c'était prévisible — inévitable, même. Au fond de lui, Julien aurait presque voulu que Jérémy le repousse et lui ordonne de ne plus jamais mettre les pieds chez lui. Il aurait eu une raison pour vraiment partir. Mais non, ce qu'il craignait s'était réalisé quand son meilleur ami avait fondu dans le baiser avec encore plus de ferveur, mais surtout quand leurs regards s'étaient croisés. Il y avait trop d'espoir dans celui de Jérémy, et Julien avait pris peur.
Il ne voulait pas remettre leur amitié en question, et encore moins la vision qu'il avait de son meilleur ami ou celle qu'il avait de lui-même. Il avait voulu tout oublier — la soirée, les regards lascifs, l'attente pesante, les sens qui s'emballaient, ce contact dont ils se languissaient, ces illusions et ces fantasmes inavoués.
Finalement, comprendre ses émotions et mettre des mots dessus n'était pas si compliqué. Les accepter, en revanche, l'était beaucoup plus. Et le déni est tellement plus facile, tellement tentant parce qu'on peut s'y lover sans avoir à réfléchir. Julien était un spécialiste en la matière. Tout refouler au prétexte que c'était trop complexe, fuir les situations et les sentiments dérangeants, toujours courir pour échapper aux réalités.
Aujourd'hui, il ne voulait plus de tout ça. Mais qu'est-ce que je veux vraiment ? pensa-t-il alors, se prenant la tête entre les mains.
Jérémy. C'était lui qu'il voulait, et rien d'autre, réalisa-t-il. La révélation, d'une évidence pourtant enfantine, lui coupa le souffle.
Ça y est : après quatre jours d'isolation au trou du cul du monde, il admettait enfin ce qu'il avait refoulé les douze derniers mois.
Le gel avait gagné du terrain sur la vitre, le vent ne faiblissait pas. Recroquevillé sur lui-même, Julien triturait son paquet vide de cigarettes, le cœur lourd de tout ce qu'il devait désormais dire à Jérémy, comme il le lui avait promis.
☽ ☼ ☾
La tempête cessa le sixième jour. Les rayons de soleil réapparurent au petit matin et tirèrent Julien de son sommeil en caressant sa joue de leur chaleur réconfortante comme un parent aimant à son enfant. Il se leva à la hâte, tout désorienté. La première chose qu'il fit fut de courir à la fenêtre. Plus de rempart blanc à perte de vue, mais bien l'horizon, tout dentelé par les Alpes qui s'offraient enfin à lui.
Julien enfila ses chaussures de ski à la va-vite et sortit en précipitation, encore tout pataud de son récent réveil. L'extérieur qu'il n'avait pas vu depuis une semaine le surprit par sa lumière, sa grandeur et l'air pur qui y régnaient.
Un sourire de soulagement fendit son visage en admirant la vallée qui plongeait à pic sous ses pieds, toute belle dans son manteau immaculé. Le vent était tombé, le brouillard aussi : la vue était à couper le souffle. La nature sauvage resplendissait par son immensité encore vierge. Le soleil rougeoyant dépassait à peine derrière les crêtes des montagnes avoisinantes, et Julien ferma les yeux pour profiter de l'instant.
Son ventre lui faisait mal à cause de la faim — il n'avait pas mangé depuis presque quarante-huit heures, mais il n'y prêtait pas tant d'importance. La sensation de soulagement que signifiait la fin de la tempête était si libératrice qu'il ne remarqua même pas ses jambes tremblantes par l'hypoglycémie. Ce lever de soleil le remplissait d'une force nouvelle, et il se sentait enfin prêt à affronter la réalité.
Il resta les pieds plantés dans la neige un long moment, debout devant ce panorama hivernal si apaisant. Pour la première fois, la solitude et le silence ne l'effrayèrent pas.
– Julien ?
L'interpellé rouvrit vivement les yeux et trébucha en se retournant vers l'arrivant.
Jérémy se tenait là, à une dizaine de mètres de lui, des skis dans une main et son casque dans l'autre. Ses boucles et sa barbe noires étaient parsemées de flocons tombés des arbres et, comme toujours, le bout de son nez rosissait avec le froid.
La poitrine de Julien se souleva sous l'émotion. Tout se confondit à l'intérieur de lui-même, et le tri qu'il pensait y avoir fait se défit en un éclair, le laissant en proie à un mélange de sentiments contradictoires tous plus puissants les uns que les autres.
Jérémy semblait l'attendre, immobile, sans savoir s'il pouvait s'approcher ou non. Leur échange muet de regards dura une éternité, et ce fut Julien qui finit par le rompre. Il s'élança vers son meilleur ami avec une détermination presque colérique, s'enfonçant lourdement dans la neige. Il agrippa le col de son ami avec force et s'arrêta à quelques centimètres de son visage, tout tremblant d'adrénaline.
Et puis merde, pensa-t-il alors en attirant Jérémy à lui.
☽ ☼ ☾
La nuit du départ de Julien, la police était restée plus de trois heures chez Jérémy, à fouiller chaque tiroir et recoin. Il fallait dire qu'il était plutôt suspect, à cause du désordre dans la chambre d'amis, des deux brosses à dents et serviettes de bain, de la quantité astronomique de paquets de clopes et de bières vides — toutes des petites traces qui indiquaient qu'il n'avait pas vécu seul ces derniers jours. Il était néanmoins satisfait d'avoir réussi à cacher l'essentiel, dont la fameuse boîte d'allumettes qu'il avait fini par balancer dans les toilettes juste avant qu'on ne toque à sa porte. Et il avait tenu bon lorsqu'on l'avait interrogé.
Non, il n'avait pas hébergé Julien. D'ailleurs, il ne l'avait pas vu depuis longtemps. Combien de temps ? Oh, six mois, peut-être plus, il ne s'en souvenait pas vraiment. C'était dommage, mais les amitiés fanent parfois sans qu'on puisse l'expliquer. Oui, il se souvenait bien que Julien et Amandine avaient des soucis avec leur consommation de stupéfiants. Un vendeur s'était d'ailleurs montré menaçant avec Mademoiselle Lacroix. Sûrement quelqu'un de leur groupe d'amis, oui. Comment ça, la police n'était pas au courant ? Bien sûr, s'il voyait ou entendait quoi que ce soit d'autre, il l'appellerait immédiatement. Elle pouvait compter sur lui.
Il avait fait de son mieux pour feindre l'innocence et rediriger la police sur ce qu'il lui semblait être la bonne voie pour la résolution de l'enquête. Alors qu'il était à deux doigts de se faire emmener au poste au début de la perquisition, il avait fini en bons termes avec les policiers, qui l'avaient même remercié pour sa coopération.
Depuis ce soir-là, JDay avait attendu de pouvoir monter au cabanon. Mais la tempête était d'une violence phénoménale et toutes les stations de la région avaient été contraintes de fermer temporairement. Quelle ironie en sachant que, une semaine plus tôt, elles peinaient à se maintenir ouvertes à cause du manque de neige. Impuissant, Jérémy avait regardé la tempête déferler depuis le parking de la station déserte, où il avait récupéré sa Twingo vide et froide. À contre-coeur, il avait rebroussé chemin jusqu'au chalet. Et, bien au chaud près de la cheminée, il avait enquêté à son tour.
Une nuit, en écumant les réseaux sociaux en quête d'indices, il avait découvert quelque chose d'étrange, qui s'avéra ensuite être terrifiant. Le lendemain à la première heure, il avait filé au poste de police à toute vitesse. Là-bas, il y avait appris de nouveaux éléments qui avaient agité son cœur dans tous les sens. L'impatience de les raconter au plus vite à Julien l'avait démangé durant ces longues nuits seul au chalet. L'attente lui avait paru interminable.
La station ne rouvrit que six jours après la perquisition. Ce matin-là, JDay se leva avec un pressentiment qui ne le trompa pas : le soleil avait enfin chassé les nuages, et les télésièges tournaient à nouveau. Il saisit le sac de provisions qu'il avait préparé depuis plusieurs jours, puis se précipita au premier magasin de location de skis.
Quand il fut enfin sur le télésiège Diamant Noir, son anxiété resurgit violemment, elle qui s'était pourtant montrée si docile ces derniers temps. Elle imagina toutes sortes de scénarios où Julien n'avait jamais pu parvenir au cabanon, où il avait fini par mourir de faim et de froid, sans personne pour l'aider. Tais-toi un peu, lui dit-il, Julien est plus coriace que ça.
C'est le cœur lourd d'inquiétude que Jérémy se dirigea vers le refuge, glissant silencieusement dans la poudreuse au milieu des épicéas. Et, quand il aperçut une silhouette humaine debout au bord de la falaise, qui contemplait le panorama devant elle, il s'empressa de déchausser et de courir vers elle.
C'était bien son ami qui se tenait là, à une dizaine de mètres de lui, les cheveux défaits virevoltant dans le ciel clair. Il s'arrêta, le souffle court, le cœur tambourinant à cause de l'effort et l'appréhension.
– Julien ? dit-il d'une voix tremblante malgré lui.
L'interpellé se retourna brusquement, et s'en suivit un échange de regards qui s'éternisa, chacun fixant l'autre comme s'il le redécouvrait. Tous les souvenirs que Jérémy avait de Julien défilèrent devant lui, comme si on lui passait une série de diapositives des quatre-cent coups qu'ils avaient faits gamins, de leurs péripéties collégiennes et lycéennes, et de tout ce qui avait suivi, tout le reste, ce qui les avait unis et en même temps poussés à se déchirer.
Jérémy resta complètement figé, paralysé par une peur soudaine. Il avait l'impression que l'issue de leur relation se tenait là, au bord de cette falaise enneigée, et qu'au moindre faux pas, elle pouvait y tomber et se fracasser en bas. S'il se faisait à nouveau repousser, c'en serait fini des derniers espoirs qui vivotaient encore au fond de lui. Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, Julien fit le premier pas — les premiers pas — pour venir jusqu'à lui.
Il arriva à sa hauteur en une fraction de secondes, et Jérémy se sentit tiré en avant quand Julien attrapa le col de sa veste. Leurs regards se croisèrent encore, trop brûlants, trop désireux d'en finir avec toute cette tension.
Leurs lèvres se rencontrèrent brusquement et Jérémy en lâcha ses skis et son casque. Le baiser de Julien était empli de toute cette explosion d'émotions qu'il avait trop longtemps contenues — envie, peur, colère, amour ? — il était empressé et désespéré, mais aussi tellement cathartique.
Il s'écarta bien vite de Jérémy, comme effrayé par son propre geste. Son visage laissa entrevoir une expression qui signifiait « oh putain, qu'est-ce que j'ai fait ». Mais la crainte dans ses yeux fana lorsque JDay lui adressa un sourire sincère. Le vidéaste eut un petit rire, et il se rapprocha à nouveau de Julien pour poser doucement une main le long de sa mâchoire.
Jérémy s'inclina pour l'embrasser une nouvelle fois, d'un baiser plus tendre et patient. Il n'y avait plus de raison de se précipiter. Julien se laissa entraîner contre ses lèvres, puis passa naturellement ses bras autour de la taille du plus grand. Assez vite, Jérémy sentit qu'on mordait sa lèvre inférieure, puis la langue de Julien rencontra la sienne dans une danse désordonnée. Les mains de Jérémy se perdaient dans les cheveux de Julien, les tiraient légèrement en arrière pour l'embrasser pleinement.
Les jambes de Julien finirent par lâcher et ils basculèrent dans la neige comme dans un épais matelas. Jérémy avait quant à lui l'impression que c'était son cœur qui allait le lâcher, tant il s'emballait, tant ses espoirs renaissaient et brûlaient au fond de lui.
Il se sentit basculer sur le côté, et se retrouva couché à même la neige. Le contraste entre son dos glacé et sa poitrine brûlante bousculaient son corps. Les cheveux de Julien pendaient de chaque côté de son visage, frôlant celui de Jérémy en dessous de lui, qui passa distraitement une main dans ceux-ci avant de saisir sa nuque et de l'attirer vers lui.
Leurs langues impatientes se retrouvèrent, et un désir grisant submergeait un peu plus Jérémy chaque seconde. Il voulait sentir Julien près de lui, toujours plus. Ses mains glissèrent sous le pull de Julien, grimpèrent le long de son dos, y provoquant des séries de frémissements, avant de se poser sur ses omoplates et de s'y accrocher à la force de ses ongles. Julien y répondit par un gémissement qu'il étouffa dans le cou de Jérémy, se vengeant en lui imprimant une marque près de la pomme d'Adam. Cette fois-ci, ce fut Jérémy qui ne put retenir une plainte à la sensation des lèvres aspirant sa peau.
Ses sens étaient en ébullition, et chaque mouvement de Julien les faisait brûler d'impatience et d'envie.
Mais, subitement, une angoisse terrible s'y mêla — la peur que tout n'était qu'illusoire, que leur baiser était à nouveau le fruit de pulsions irraisonnées, que Julien allait encore vouloir oublier. Et qu'il allait encore le laisser seul.
La panique monta en lui et sa bouche quitta celle de Julien tandis qu'il se redressait fébrilement, le repoussant sans réellement le vouloir. Il avait subitement besoin d'espace, d'un peu d'air, juste pour calmer la crise qui montait.
– Jérém' ? finit par demander Julien d'une voix rauque et inquiète.
L'interpellé resta un moment les yeux dans le vague, peinant à contrôler sa respiration à cause de l'angoisse. Ça faisait longtemps que ça ne lui était plus arrivé. Julien remarqua sa détresse et il se redressa à son tour, le fixant avec souci, ne sachant pas trop quoi faire.
– Jérémy, parle-moi.
– Tu vas te barrer, après ?
C'était sorti tout seul, il n'avait pas pu s'en empêcher. Mais Julien ne se braqua pas. Et enfin, enfin, il ne fuit pas. Il posa ses mains sur les joues de Jérémy pour s'assurer d'avoir son attention, et il lui sourit avec une tendresse que le brun ne lui connaissait pas :
– Nan. Je suis là. Je te lâcherai pas, Jérém'. Promis.
Alors Jérémy s'accrocha à lui, il s'accrocha à leur étreinte, au froissement des vestes de ski et à la chaleur des mains qui se glissaient en-dessous d'elles.
Un nouveau baiser, de nouveaux soupirs, et toujours la même envie de sentir l'autre contre soi, ce même besoin de s'assurer que l'autre n'allait pas partir, que ce qu'ils vivaient était bien réel.
– Attends, souffla tout à coup Julien entre deux baisers.
Jérémy se figea : et si Julien avait changé d'avis ? Est-ce qu'il réalisait que c'était absurde de lui faire de si belles promesses et qu'il valait mieux les annuler maintenant plutôt que de finir par les briser plus tard ?
– Quoi ? murmura Jérémy à demi-voix, observant Julien s'écarter de lui.
Son partenaire lui adressa un sourire rassurant avant de lui désigner ses mains et bras tout tremblants. C'est vrai qu'il était pâle, soudainement.
– Ça va ?
– Ouais... je crève juste la dalle.
– Oh.
– Pas dans ce sens-là, abruti ! Ça fait depuis avant-hier que j'ai rien bouffé, alors j'espère vraiment que t'as ramené un truc à grailler.
Jérémy haussa les sourcils avec un air suggestif, et finit par se prendre une boule de neige en pleine face. Ils avaient l'air con, à moitié débraillés au milieu de la poudreuse, à rire aux éclats. Cons et sacrément heureux.
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