I. Vivant
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Julien émergea péniblement d'un sommeil lourd et moite. Il mit plusieurs secondes à se rappeler pourquoi il n'était pas chez lui, et une vague d'angoisse manqua de le submerger dès que les souvenirs lui revinrent en mémoire. Par réflexe, ses mains s'agrippèrent aux draps comme à une bouée de sauvetage, et il lui fallut une bonne minute avant de retrouver une respiration normale.
Il se redressa et détailla la chambre dans laquelle il avait apparemment passé la nuit. La chambre de Jérémy... ça faisait longtemps. Cet environnement familier le rassura et il savoura le sentiment de sécurité qui se dégageait de la pièce. Il resta assis sur le lit encore un moment, yeux mi-clos, juste pour s'imprégner de cette ambiance.
Ce ne fut que lorsque Julien se leva qu'il réalisa qu'une douleur sourde lui irradiait toute la jambe gauche. Il fit quelques pas en se soutenant au mur, puis se força à marcher sans rien laisser paraître. Pas question que Jérémy le voie tout estropié.
Personne dans le salon, seulement balayé par les rayons du soleil matinal. Le chalet semblait désert. Par la fenêtre, il restait encore un peu de la neige tombée la semaine précédente.
– Salut.
JDay était là, installé sur la terrasse, emmitouflé dans sa doudoune. Un emballage de viennoiseries était posé sur la table et l'odeur de croissants chauds vint chatouiller les narines de Julien. La vision était trop belle pour être vraie. Comment, en quelques heures seulement, avait-il pu passer de la violence à courir dans le froid à cette impression de paix soudaine ?
Comme si tout ce qui s'était passé ces derniers mois n'avait jamais eu lieu, Julien saisit sa veste au passage et s'assit en face de Jérémy. La lumière matinale venait faire briller ses iris et ses boucles sombres, et le bout de son nez était rosi par le froid.
– J'ai vu que t'avais plus de clopes dans ton paquet, donc je t'en ai racheté un.
C'est trop beau pour être vrai. J'ai dû me faire rouler dessus par la Twingo dégueulasse de JDay et j'ai fini au Paradis, pensa M. Connard. Il ne voyait pas d'autre solution.
– Cimer, dit-il néanmoins, toujours troublé.
Julien finit par remarquer le regard insistant de Jérémy sur lui et releva la tête de son croissant.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
– Je sais pas, ce serait plutôt à toi de me le dire. Tu branlais quoi dehors au milieu de la route à trois heures du mat' ?
– Promenade digestive.
JDay roula des yeux.
– Mec, c'est sérieux, j'aurais pu te tuer.
– C'est pas mon problème si tu sais pas conduire.
Le silence retomba, et aucun des deux n'était plus avancé. Tout en dévorant son croissant, Julien ressassait ce qu'il devait dire à Jérémy. Plus vite il l'aurait fait, plus vite il en serait débarrassé.
Il faut que tout concorde. Ne laisse pas de place au doute.
– J'ai besoin de ton aide, finit-il par avouer, même si prononcer ces mots lui brisait l'égo.
– L'inverse m'aurait étonné, rétorqua immédiatement JDay, dont le visage s'était fermé. Revenir après six mois sans nouvelles pour me demander un service... j'en espérais pas mieux de ta part.
Julien accusa le coup sans renchérir. Il abandonna le croissant entamé dans un coin de son assiette et soutint son regard.
– J'ai rompu avec Amandine.
Sourcil levé de la part de Jérémy, dont le visage avait laissé entrevoir, l'espace d'un instant, une myriade d'émotions que Julien n'aurait su déchiffrer.
– Et ?
– Et... c'est compliqué. Je me retrouve un peu sans logement quoi.
– Je croyais que c'était moi, le clodo, répliqua JDay avec un petit sourire — le premier que Julien voyait depuis leurs retrouvailles.
Celui-ci s'apprêtait à répondre qu'avec sa barbe, il n'avait rien à lui à envier, mais Jérémy reprit plus sérieusement :
– Attends, c'est elle qui a récupéré ton appart' ?
Julien finit la dernière morce de son croissant, puis il reprit d'un ton détaché et presque blasé :
– On avait décidé d'emménager ensemble il y a quelques mois. Et ouais, c'est elle qui est restée.
– Et tes affaires ?
– J'ai tout laissé là-bas pour l'instant. J'irai les chercher quand les choses se seront un peu calmées. On a un peu gueulé hier soir, alors ma réaction à chaud a juste été de me barrer.
JDay avait croisé les bras et reporté son regard sur l'horizon. Il semblait en plein dilemme intérieur. Sûrement hésitait-il entre héberger M. Connard ou bien le laisser se démerder en guise de vengeance pour cette demie-année de silence radio... et pour le reste.
Mais Jérémy ne se vengea pas.
– Ça va, ta jambe ? demanda-t-il plutôt.
Julien haussa les épaules : il sentait son genou pulser sous son jean, mais c'était supportable.
– Il y a des Dolipranes et de la crème dans la trousse de secours. Et si tu veux, on peut toujours descendre à Thonon voir un médecin.
– Ça ira, j't'assure.
Un nouveau silence, un peu moins pesant, s'installa entre les deux amis d'enfance. Julien s'alluma une cigarette et Jérémy débarrassa leurs assiettes.
L'atmosphère était calme, étrangement trop calme. Le poids des non-dits sommeillait au-dessus de leurs têtes comme une épée de Damoclès. Mais l'heure n'était pas aux confessions — pas encore.
Quand Jérémy revint sur la terrasse quelques minutes plus tard, il avait l'air plus décidé. Dans ses yeux brillait l'étincelle qu'il avait toujours lorsqu'il avait une idée fixe en tête.
– J'accepte que tu restes ici, mais à une condition.
Julien expira la fumée de sa cigarette avec un air sceptique. Jérémy laissa planer un suspens dramatique avant de déclarer :
– Tu reprends les analyses de pubs avec moi.
Julien s'était franchement attendu à pire. Il se mit même à rire de soulagement.
– Ça te fait marrer ? se vexa Jérémy.
– Je pensais que t'allais encore me faire signer un contrat à la con avec dix milles clauses pour m'entuber.
JDay poussa un soupir faussement désespéré, mais il souriait derrière sa barbe.
– Une seule condition et pas d'entourloupe, on est bien d'accord ? s'assura Julien.
– J'aurais jamais pensé t'entendre dire le mot entourloupe. Et oui, une seule condition.
Ils scellèrent leur accord par une poignée de main exagérée, comme s'ils venaient de conclure une affaire qui pesait des millions.
– J'ai hâte de me prélasser sur le canapé en matant des séries pendant que tu feras à manger, ricana Julien.
– T'as quand même le droit d'aider pour la vaisselle et le ménage, espèce de branleur.
– C'est mort, t'as dit une seule condition.
– Nan mais quel connard !
Ils rirent.
C'était si libérateur. Julien en oublia toute la tension avec Jérémy, et tout le reste, tout ce qui l'avait poussé à l'éviter ces derniers mois, tout ce qui l'avait retenu de le voir. Sur cette terrasse, avec la vue sur la vallée et Jérémy riant aux éclats, le soleil lui dessinant une auréole de lumière autour des cheveux, tout semblait... si simple.
Il savait que c'était trop beau, que ça ne durerait pas, que bientôt ça exploserait. Que cette illusion allait irrémédiablement voler en éclats. Mais puisqu'il ne pouvait rien y faire, il décida de profiter de l'instant.
– Bon, si t'as rien à faire, on peut recommencer à écrire dès aujourd'hui ! lança alors Jérémy, qui semblait déterminé à s'y remettre au plus vite.
Il s'apprêtait à passer le seuil de la porte, sûrement pour aller chercher son ordinateur, quand Julien l'interpella :
– D'ailleurs, pourquoi t'as jamais sorti la dernière analyse ?
JDay fronça les sourcils et répondit comme une évidence :
– Parce qu'elle était pas finie. On avait tourné qu'un quart des plans et même pas écrit la moitié du script quand tu t'es barré.
– Ça je sais, merci. Mais pourquoi tu l'as pas continuée seul ? Je veux dire, techniquement, t'aurais pu. Gaël ou Hardisk auraient pu t'aider pour quelques—
– Je vois pas pourquoi j'aurais continué. C'est avec toi que je fais les analyses de pubs. Et puis...
Jérémy hésita, chercha ses mots, mais finit par abandonner et il haussa simplement les épaules.
– Et puis ça faisait trop de travail seul.
Il y avait autre chose. Mais Julien n'insista pas.
Il le retint néanmoins encore une fois avant qu'il ne rentre dans le chalet.
– Jérém' ?
– Ouais ?
– Si on te parle de moi, tu pourrais rester discret par rapport au fait que je squatte ici ? J'ai pas envie que les gens fassent genre de s'inquiéter s'ils apprennent que je vis plus avec Amandine.
Jérémy acquiesça sans poser plus de questions.
Quand il disparut une nouvelle fois à l'intérieur du chalet, Julien poussa un soupir de soulagement.
Parfait.
Il fit quelques pas hésitants dans le jardin pour aller chercher le cendrier qui traînait sur le muret. Après y avoir écrasé son mégot, il resta là un instant, sans bouger. Il ferma les yeux et sentit le soleil chauffer ses paupières, tandis que le vent hivernal s'immisçait sous sa chemise. Il prit une longue inspiration et ses poumons se gorgèrent d'air frais tandis que son corps se détendait.
Pour la première fois depuis bien longtemps, Julien se sentait vivant.
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Hey, on se retrouve avec un chapitre assez court, et je pense que je vais privilégier d'écrire de petits à moyens chapitres pour une fois (parce que bon j'abusais un peu avec mes chapitres de 6000 mots dans Malédiction Sommet et Le Temps d'un Sourire mdr)
En compensation, j'essaierai de publier le plus régulièrement et le plus rapidement possible ! :)
À la prochaine,
Étoile ✩
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