6 ~ The flyer
Le lendemain, dimanche, j’ai passé ma journée à fixer mon balcon avec un mélange d’appréhension et d’excitation, dans l’attente d’une réponse. Je voulais avoir de ses nouvelles, continuer notre petite conversation là où nous avions arrêté hier soir, mais à mon grand regret, mon voisin ne m’a pas écrit de la journée. M’a-t-il oublié ? Ou bien peut-être est-il sorti, ce qui est plutôt curieux pour un dimanche, où tous les commerces sont fermés. J’ai donc passé ma journée à faire mes devoirs, m’avançant pour la semaine à venir ce qui m’a empêché de penser à mon voisin.
Quand je me lève le lundi matin, mon premier réflexe est d’aller ouvrir le store de mon balcon, mais mon cœur cogne brutalement contre ma poitrine à la vision du sol neutre. Aucun papier aujourd’hui encore. Si bien que je ne peux dissimuler ma mauvaise humeur à Calum qui m’attend devant l’ascenseur.
« - Tu as mal dormi ? –Me demande-t-il alors que je m’engouffre dans l’appareil-
-On peut dire ça comme ça.
-Ça c’est parce que je te manquais –Dit-il en souriant mais je ne remue que faiblement les commissures de mes lèvres- Oh allez souris un peu.
-Pas envie –Dis-je simplement alors que nous prenons le chemin de la fac, en passant devant le B2 je lève la tête en direction de l’appartement de mes voisins, le store est fermé-
-Tu as révisé ? – Je fronce un peu les sourcils à la vue du store baissé et ne prête aucune attention au basané- Eh la voyeuse.
-Je ne suis pas une voyeuse ! –Dis-je en sortant de ma contemplation-
-Bizarrement c’est la seule chose qui te rend attentive –Il lève les yeux au ciel- Je demandais si tu avais révisé ?
-Oui, pas toi ?
-J’ai eût un peu de mal –Dit-il en passant sa main dans ma nuque- Du coup… Est-ce que je pourrais me mettre à côté de toi ?
-Attends Calum tu es sérieux ?
-Oh allez je te revaudrai ça Heidi –Dit-il d’une petite voix-
-Et tes amis érudits ne peuvent pas t’aider ?
-Ils ne sont pas du genre à laisser les autres copier sur eux.
-Pour une fois je suis d’accord avec eux –Dis-je en regardant Calum d’un air sérieux- Comment veux-tu progresser si tu copies sur les autres ?
-Heidi c’est un cas exceptionnel, j’ai pas eût le temps de m’en occuper.
-Et pourquoi hein? –Dis-je-
-Ca ne te regarde pas. »
J’hausse un sourcil tant la façon dont il a prononcé cette phrase me surprend. Son sourire qui d’habitude orne ses fines lèvres s’est évanoui pour laisser place à un visage fermé. Il évite mon regard et baisse la tête avant de presser l’allure. Qu’est-ce qui lui prend ? Je n’ai pas la prétention de le connaitre, ça ne fait qu’une semaine que nous parlons, mais il ne m’a pas habituée à de telles sautes d’humeurs. Je le rattrape et pose maladroitement ma main sur son épaule, ça ne me dérange pas qu’il vienne à côté de moi, je ne voulais pas le vexer, mais il ne se retourne pas, il se contente de marmonner un simple ‘Excuse-moi’ avant de finalement prendre la direction de l’administration, me laissant seule devant la porte de l’amphi.
« - Heidi tu es déjà là ? –Je me retourne et aperçois les visages identiques des jumeaux-
-Oh salut vous deux, oui je suis un peu en avance ce matin.
-Tu as une motivation personnelle ? –Me demande Elonwy avec un sourire en coin qui en dit long sur sa pensée-
-Pas du tout c’est juste que je fais la route avec mon voisin et ce dernier part plus tôt qu’à mon habitude.
-Il a une bonne influence sur toi –Ricane Rudy alors que je lui décolle une pichenette dans l’arrière du crâne- D’ailleurs où est-il ?
-Je ne sais pas, il était bizarre ce matin, il est parti à l’administration.
-Peut-être l’angoisse du contrôle. »
J’hôche la tête, j’aurais peut-être dû lui dire oui au lieu de le sermonner, mais après tout ce n’est pas en copiant que l’on évolue. Je prends place dans la salle et fait signe à Calum de venir s’assoir à côté de moi lorsque ce dernier entre à son tour, c’est le meilleur moyen pour moi de m’excuser, mais il refuse et part s’asseoir en compagnie du groupe des érudits que je vois clairement glousser. J’abaisse mon bras et triture nerveusement un stylo pour me concentrer sur autre chose que les ricanements au loin. Vraiment il se comporte bizarrement aujourd’hui.
*
« Saloperie de test –Grogne Rudy en sortant de la salle-
-C’est vrai qu’il était compliqué.
-Je n’ai pas répondu à la moitié des questions ! –Dit-il en levant les bras au ciel, excédé-
-N’y pense plus, viens on va manger –Dis-je en voyant le groupe des érudits sortir de la salle et marcher non loin de nous, Calum à leur suite-
-Pas faim –Soupire le jumeau mais je l’empoigne par le bras et ne lui laisse pas le choix- Tu n’attends pas Calum ?
-Non il est bien trop occupé avec son groupe d’amis –Dis-je sans jeter un coup d’œil au basané, je ne sais même pas si il s’en est sorti avec son test-
-Vous êtes en froid lui et toi?
-Non c’est juste que je ne le comprends pas. »
Il est vrai qu’on ne s’est pas disputés ou quoi que ce soit, c’est seulement lui qui m’a laissé en plan pour une raison inconnue et qui depuis n’est pas revenu vers moi. Je le regarde en coin qui s’installe silencieusement à la table de son groupe tandis que Rudy et moi rejoignons Elonwy et sa camarade de classe, Bérénice.
« - Alors ce test ? –Demande Elonwy alors que je lui fais des grands gestes pour qu’elle se taise, mais Rudy ne rate pas une occasion pour se plaindre- Dure la vie de littéraire, nous, nous avons commencé à faire quelques prises pour notre film de fin d’année.
-Ca à l’air intéressant, vous travaillez ensemble ? –Je demande, coupant court aux lamentations du jumeau-
-Oui –Me répond Bérénice d’une voix polie- Nous allons faire un court métrage sur le thème d’Alice au Pays des Merveilles.
-Très bon choix –Dis-je- Si jamais vous avez besoin de références bibliographiques là-dessus, je pourrais vous aider. »
Alice au Pays des Merveilles est un des livres que j’ai lu et relu lors de mon arrivée à la Fac. J’avais besoin de m’évader, de rêver et de penser à un monde parallèle, ce qu’illustrait parfaitement l’œuvre de Carroll. Je m’étais identifiée à Alice et plusieurs fois j’avais été tentée de m’endormir en cours pour me retrouver dans un monde plus ouvert, un monde où mes cheveux ne seraient qu’un détail. Mais la limite entre fiction et réalité faisait bien trop rapidement surface. Alors que j’entame mon plat de lasagne, je vois au loin plusieurs personnes passer parmi les tables du réfectoire, munis de flyers. Etant donné leur look, je suis prête à parier qu’il s’agit des musiciens. Un garçon aux cheveux ornés d’un bandana noir s’approche de notre table et s’avachis sur une chaise comme si nous l’y avions invité.
« - Salut les filles –Nous dit-il alors que j’entends Rudy protester à mes côtés- la section musique organise une petite soirée d’intégration la semaine prochaine, ça vous tente ? –Il nous distribue des flyers et fini même par en donner un à Rudy- ça va se passer dans notre bâtiment. Entrée gratuite, seules les boissons sont payantes.
-C’est en quel honneur ? –Demande le jumeau-
-C’est pour financer une partie de l’organisation de nos concerts de fin d’année. Donc pour la bonne cause –Dit-il avec un sourire en coin, faisant ressortir ses fossettes rosées- J’espère vous y voir, ce serait un plaisir de faire découvrir la musique aux littéraires. »
Il conclue sa phrase par un clin d’œil dans notre direction avant de s’en aller, réajustant son bandana. Je le regarde qui se déplace vers la table voisine et l’observe de haut en bas. Les musiciens osent affirmer leurs looks, je les admire.
« - Il entendait quoi par-là ? -Grogne Rudy- Je connais bien la musique moi !
-Il disait ça pour plaisanter –Le réconforte Bérénice-
-Visiblement il y a l’équivalent des érudits en section musique. »
J’hausse les épaules et regarde le flyer que m’a donné le bouclé. La soirée aura lieu la veille d’un rendu en littérature, je ne pense pas que ce soit une très bonne idée de s’y rendre bien que ça m’intrigue. Je n’ai jamais fait de soirée d’intégration auparavant, les littéraires de ma promo n’en voient pas l’utilité tandis que les autres sections les organisaient entre eux. C’était l’occasion.
*
« Tu vas à la soirée des musiciens Calum ? –Je demande pour faire la discussion alors que ce dernier est occupé à taper le cours d’écriture sur son ordinateur-
-Non.
-Pourquoi ?
-Parce que c’est le genre de soirée qui va déraper et mal finir. Je préfère rester tranquillement chez moi à boire une bière et à regarder un bon film. –Il cesse de taper sur ses touches et me regarde enfin- Et tu devrais en faire autant, je ne pense pas que ça puisse t’apporter quoi que ce soit de positif cette soirée.
-Tu dis ça parce que c’est une soirée organisée par les musiciens ? –Dis-je avec froideur-
-En partie.
-Tu es stupide Calum –Dis-je en reprenant l’écriture de mon cours-
-Heidi j’en connais un rayon sur les musiciens de la fac, ils fument, ils boivent, ils ne respectent rien et mettent leurs vies en danger car ça les amuse et se trouvent punk. Il y a même eût un accident chez eux il y a peu suite à une soirée. Alors non je ne suis pas stupide, eux le sont.
-Qu’est-ce que tu en sais d’abord ? Les littéraires restent dans leur coin.
-Daphnée était l’image même de l’élève en musique –Dit-il en serrant les dents-
-Daphnée n’était qu’une seule élève parmi tant d’autres, il n’y a pas que des marginaux comme tu le sous-entends si bien, il y a des élèves qui tentent les conservatoires après ou les orchestres.
-Quoi qu’ils soient je ne les soutiens pas. J’en ai suffisamment vu et entendu.
-Parfait, moi j’irai.
-Heidi je te jure que ça n’en vaut pas la peine !
-Ils ont besoin d’argent pour leurs projets de fin d’année, comme les élèves en audiovisuel. Je trouve ça bien qu’ils se bougent à mettre en place des évènements collectifs. Rien que pour ça j’aimerais les soutenir.
-Tu es naïve et têtue.
-En attendant moi je ne plante pas les gens en plein milieu d’un chemin ! »
Il ouvre de grands yeux suite à ma phrase totalement hors contexte et je reporte mon attention sur le cours, prenant soin de me mettre dos à Calum. Finalement peut-être que les Erudits commencent à le manipuler comme je l’avais redouté. Je pensais qu’il était plus fort que ça.
*
Lorsque la cloche sonne je m’empresse de ranger mes affaires et prends la direction de la résidence universitaire seule, pressant le pas en sentant la fraiche du soir tomber. Je suis déçue. La journée avait déjà mal commencé lorsque j’avais constaté l’absence de réponse de mon voisin et maintenant voilà que mon autre voisin me parlait mal. Je soupire et balance mon sac de cours dans le salon une fois rentrée. Quelques instants plus tard j’entends la porte voisine claquer, signe que Calum vient d’arriver à son tour. Je lui en veux. Pas de m’avoir laissée en plan, ça je m’en moque il devait avoir ses raisons, mais de ne pas s’être excusé et de ne m’avoir donné aucune explication. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer dans sa tête.
*
Comme chaque soir je ne mange pas et opte pour un chocolat chaud aux épices que je déguste en regardant le flyer affiché sur mon frigo. Est-ce que j’allais vraiment y aller ? Si je suis seule ça n’en vaut pas la peine, mais je ne veux pas faire ce plaisir à Calum, je veux lui montrer qu’il est important d’aller au-delà des apparences. Je veux lui montrer qu'il a tors et que j'ai raison.
Je finis le peu de vaisselle de la soirée et décide d’aller me coucher, voyant qu’encore une fois mon voisin a choisi de ne pas me répondre. Fallait-il que je cesse d’espérer et accepte le fait qu’il ne me répondrait plus ? Pourtant en ce moment même j’avais besoin de parler, de me confier et j’aurais aimé le faire avec lui, lui raconter ma journée, lui parler de Calum et avoir son point de vue sur la question. J’aurais aimé qu’il me réconforte par le simple fait de me répondre. Mais non, je suis seule, je ne peux même pas parler aux jumeaux car ils sont au sport et ne rentrent que vers minuit. Je n’ai pas la force d’attendre jusque-là si bien que je m’enroule dans mes couvertures, et lutte contre mon esprit tourmenté pour réussir à trouver le sommeil.
*
Je me sens las, comme si je n’avais pas dormi de la nuit. Mon corps fonctionne au ralenti et je perds mon temps dans la salle de bain où je m’éternise à essayer de me donner bonne mine. Comment de simples voisins pouvaient me mettre dans cet état ? Surtout que l’un d’entre eux n’est qu’un anonyme à qui je n’ai jamais parlé. Je me sens ridicule. Alors que j’attends qu’on frappe à ma porte je discerne un bruit que j’avais presque oublié jusque-là. C’est la baie vitrée de mes voisins. Je tourne légèrement la tête pour voir une masse blanche glisser sous le paravent, faisant bondir mon cœur douloureusement.
Il ne m’a pas oublié.
Je regarde l’heure et me fait à l’idée que Calum ne viendra pas me chercher ce matin. J’ouvre donc ma baie vitrée et récupère rapidement le bout de papier que je glisse dans mon sac avant de prendre le chemin des cours, seule. Mais je m’en moque, malgré la déception je sens quelque chose pointer en moi, de l’excitation. J’ai envie de glisser ma main dans mon sac et d’ouvrir le bout de papier sur lequel j’allais sûrement trouver l’écriture timide de mon voisin, comme une vieille amie qui vous a manqué. J’ai envie de savoir ce qu’il m’a écrit, mais chaque chose en son temps.
*
En arrivant en cours je vais m’assoir aux côtés de mon meilleur ami et d’un mouvement de tête je scrute la salle, remarquant l’absence de Calum. Est-il resté chez lui ou bien m’a-t-il attendu alors que j’étais déjà partie, le mettant en retard ? Mais quand les premières vingt minutes de cours s’écoulent et qu’il ne fait pas surface, j’opte pour la première option. Quelque chose cloche et ça va au-delà de moi.
Quatre heures de correction pour un simple devoir me donne mal à la tête si bien que je ne résiste pas longtemps à la tentation et sors la lettre pliée de mon sac que j’ouvre en mordant ma lèvre, évitant la précipitation. Un sourire béat prend place sur mon visage lorsque je retrouve les courbes tremblantes des mots de mon voisin. Ça fait plaisir de le lire à nouveau.
« Bonjour H,
Comment allez-vous ? Tout d’abord je tenais à m’excuser de répondre avec autant de retard, je n’étais pas à l’appartement ces derniers jours et Ashton ne voulait pas répondre à ma place. Vous savez, vous dites que vous n’êtes pas à l’aise avec les mots à l’oral, mais je pense qu’étant donné votre aisance à écrire, vous devez pouvoir vous en sortir. Vous maitrisez la langue et tous ses secrets, alors je suis certain que vous devez être une bonne oratrice.
Je suis en effet élève à la fac de musique mais je ne pense pas que l’on se soit croisé, je suis quelqu’un de discret qui a seulement déduis votre section en voyant votre engouement pour l’écriture. J’aurais pu me tromper, mais pour une fois j’ai vu juste. Vous êtes la première littéraire avec qui je parle d'ailleurs et croyez-moi c’est une vraie torture que de trouver les bons mots.
Vous gardez nos petits papiers ? J’y ai songé mais j’avais peur de passer pour un psychopathe, déjà qu’Ashton me prend pour un fou chaque fois qu’il me surprend en train de glisser un papier sous le paravent. Il ne comprend pas pourquoi je ne vous parle pas. Il dit que c’est plus civilisé et qu’en plus de ça nous sommes voisins, qu’on pourrait faire l’effort de se parler plutôt que de s’échanger des mots comme si nous habitions à des milliers de kilomètres l’un de l’autre… Facile à dire pour lui qui est très à l’aise avec les gens. Parfois je l’envie en fait…
En tout j’espère que ça ne vous dérange pas, que nous n’échangions que par lettres.
Je m’excuse encore une fois pour mon absence, j’essaierai de vous prévenir la prochaine fois.
Passez une bonne journée,
Votre voisin. »
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro