Chapitre 43
— Où est votre enfant, madame ?
— Il devait être aux toilettes... Par Soleil, il a dû se cacher avec toute cette agitation !
À l'étage supérieur, Rachel poussa un soupir en croisant les bras, l'air contrarié. Son regard suivait Sierra, qui s'agitait en fouillant chaque recoin. Rachel restait sur ses gardes, veillant à ce que la jeune femme ne tente rien d'inapproprié. Son attention se détourna un instant vers la grande horloge au mur. L'heure avançait, et bientôt, elle devrait rejoindre les autres gardes. Mais pouvait-elle vraiment laisser cette famille seule, dans un moment aussi troublant ? Certainement pas.
Elle se mit à examiner les lieux, attentive au moindre détail. Soudain, un frisson la parcourut : une présence se tenait derrière elle.
— Oh, mademoiselle Lumae ! Et...
Rachel s'interrompit en voyant l'homme qui accompagnait Lumae. Il était grand, imposant, avec un seul œil visible et des dents effilées qui lui donnaient un air inquiétant. C'était lui, l'homme qui avait capturé deux criminels un peu plus tôt.
— Mademoiselle Rachel, quelle joie de vous retrouver ici, déclara Lumae avec un sourire poli. Permettez-moi de vous présenter Evan, mon garde du corps.
— Vous en avez plusieurs ? demanda Rachel, perplexe. Il me semblait avoir vu deux hommes tout à l'heure...
Elle s'interrompit à nouveau, ses pensées revenant vers les deux gardes qu'elle avait croisés plus tôt. Ils s'étaient montrés amicaux, presque trop. Ils lui avaient fait croire qu'une de ses amies était sur le point d'accoucher, l'incitant à quitter le château. Sur le moment, Rachel avait été agacée par la supercherie, mais son attention s'était porté sur les vagues dangereuses à l'horizon et l'évacuation des civils.
— Ils se sont moqués de moi... Je dois les retrouver, déclara Rachel en saisissant son cristallin avec une détermination glaciale.
— Non ! En fait...
Lumae tenta de réagir, cherchant frénétiquement une excuse. Mais trouver un mensonge parfait en plein chaos s'avérait une tâche ardue.
— Suzanne a été convoquée par Kentin... balbutia-t-elle finalement.
— Suzanne ? Ils ne m'ont jamais parlé de Suzanne.
Rachel fronça les sourcils, ses yeux noirs perçant sondant Lumae. Cette dernière sentit son cœur s'accélérer, mais elle força son visage à rester impassible, comme si elle n'avait rien à cacher.
— Oh, je pense qu'ils ont dû confondre, improvisa-t-elle. Ils m'ont mentionné une Suzanne, oui, mais peut-être n'en ont-ils pas parlé à vous. D'ailleurs, j'ai entendu des rumeurs selon lesquelles Kentin aurait dû emmener quelqu'un en urgence.
Rachel resta immobile, ses pensées semblant peser chaque mot de Lumae. Finalement, elle haussa les épaules et retourna à ses affaires, bien que sa méfiance ne s'était pas complètement dissipée.
Soudain, des pas résonnèrent dans le couloir. Ils étaient rapides, précis, et se rapprochaient. Un garde émergea d'un passage légèrement dissimulé. Lorsqu'il aperçut la petite foule, un éclat de confusion traversa son visage, mais il se ressaisit aussitôt et marcha droit vers Rachel.
— Caporale Rachel, annonça le garde avec un léger salut. La future mère des enfants du Roi Soleil a été sélectionnée.
Leyo, intrigué par les traditions de ce royaume, se retourna pour suivre la conversation. Mais à l'entente du titre de la jeune femme, il ravala sa salive, réalisant qu'il s'agissait d'une figure plus importante qu'il ne l'avait imaginé. Rachel, quant à elle, se redressa, ajustant son uniforme avec une précision mécanique.
— Je suis navrée d'avoir manqué l'annonce, répondit-elle, une note de politesse dans la voix. J'étais occupée.
— Le Roi n'en tient pas rigueur, surtout venant de vous. Remercions-le pour sa bonté infinie.
La caporale inclina légèrement la tête en signe de gratitude avant de redresser son regard vers le garde. Celui-ci afficha un sourire satisfait avant de poursuivre :
— D'ailleurs, c'est pour célébrer vos accomplissements que Sa Majesté vous a choisie. Félicitations, Caporale. Il vous attend dans ses appartements.
Le visage de Rachel se décomposa instantanément. Leyo, qui observait la scène, remarqua son sourire s'effacer, laissant place à une expression figée, presque horrifiée. Ses yeux s'écarquillèrent, trahissant l'incrédulité et l'angoisse qui la traversaient.
— Moi ? bredouilla-t-elle. Mais... voyons, je n'ai que dix-sept ans. Je ne suis pas... apte à porter un enfant...
— Le Roi a confié qu'il vous juge parfaitement capable, répliqua le garde d'un ton neutre, presque détaché. Ce n'est pas que je n'apprécie pas votre compagnie, mais d'autres devoirs m'appellent. Apparemment, la porte de la prison a été détruite. Cette Parade semble apporter plus de désordre que prévu...
Et sans attendre de réponse, il tourna les talons et s'éloigna à pas mesurés, descendant les marches avec précaution.
Leyo ne prêta aucune attention à la silhouette qui s'évanouissait au détour du couloir. Son regard restait rivé sur Rachel. Elle se tenait là, figée, comme une statue oubliée dans un passage désert. Il y avait quelque chose de terriblement tragique dans cette adolescente, perdue dans le tumulte de son propre esprit, comme si elle tentait désespérément de se réveiller d'un cauchemar.
Leyo s'approcha de Rachel, la gravité de la situation pesant sur ses épaules. Lorsqu'il saisit sa main, il sentit son tremblement, subtil mais indéniable.
— Écoute, Caporale... souffla-t-il doucement. Tu n'es peut-être pas obligée de...
— Bien évidemment que si, coupa-t-elle d'un ton tranchant. C'est un honneur pour moi d'être choisie. Je dois accomplir mon devoir.
Elle relevait la tête avec fierté, mais Leyo voyait ses lèvres trembler, trahissant son trouble.
— Ton devoir ? répondit-il avec amertume. Ton devoir consiste à donner ton corps juste pour être reconnue ? C'est pathétique. Surtout toi. Tu es Caporale. Tu vaux bien mieux que ça. Ils gâchent ta force, ton potentiel.
Rachel resta immobile, absorbant ses paroles. Au départ, elle semblait presque imperméable, mais il vit son corps se raidir peu à peu, comme un fil sur le point de céder.
— Tu sous-entends que notre Roi prend des décisions pathétiques ? murmura-t-elle, sa voix glissant comme une lame sur le silence.
— Oui, répondit-il sans la moindre hésitation.
Sierra, jusqu'alors en retrait, se rapprocha vivement, alertée par le poids de ses mots. Rachel, elle, écarquilla les yeux, ses pensées tournant à toute vitesse.
— Vous êtes un traître... réalisa-t-elle. Je...
Mais avant qu'elle ne puisse réagir, Sierra planta une seringue avec une précision clinique dans son cou. Le liquide s'infiltra dans son système, et Rachel s'effondra au sol, inconsciente.
Le silence retomba, lourd et oppressant. Leyo fixait le corps inerte de la Caporale, une étrange culpabilité pesant sur lui, tandis que Lumae se retenait de vérifier si son amie allait bien. Sierra rangea la seringue avec calme, mais son regard était aussi dur que l'acier.
— Une caporale. Tu aurais pû mettre en péril tout le plan. Mêle toi de ce qui te regarde, Leyo, ce n'est pas le moment d'avoir pitié d'eux.
— Mais elle allait se faire utiliser, c'est immonde. Si j'étais à sa place et que je devrai être enceinte d'un piètre roi, je me serai donné la mort.
Sierra pinça les lèvres et souffla longuement par le nez, signe de sa frustration contenue. Elle fit un geste rapide pour inviter Evan à s'approcher. Pourtant, elle évitait soigneusement de croiser son regard unique, cette orbite vide qu'elle n'avait jamais pu supporter : un œil qui ne la verrait jamais.
Evan s'approcha en silence, imposant, mais curieux. Lorsqu'il fut à portée, il tendit la main et saisit un livre que Sierra lui présentait. Ses doigts effleurèrent la couverture, et sans attendre, il murmura quelques phrases presque inaudibles, comme s'il s'adressait directement aux pages.
Lumae, qui observait à distance, écarquilla les yeux, incapable de détourner le regard. Sous ses yeux incrédules, des silhouettes humaines commencèrent à se matérialiser. L'air semblait se tordre autour de chaque figure qui prenait forme, comme si le livre invoquait des fragments d'un autre monde.
Quelques secondes plus tard, Shai, Mina, Mélina, Panda et Kayato apparurent autour d'eux. Aucun d'eux ne portait de tenue de camouflage ; leurs vêtements semblaient pensés uniquement pour le combat, fonctionnels et épurés. Leurs expressions, quant à elles, étaient empreintes de gravité, conscientes des enjeux.
Mais leur arrivée marquait un tournant risqué. Désormais, si un garde les apercevait, il n'y aurait plus de retour en arrière.
— Leyo, reste ici pour t'assurer que personne ne passe, ordonna Mina d'une voix claire et assurée, tandis que Sierra lui expliquait brièvement la situation. Et personne ne doit entrer dans ce couloir.
Elle désigna un passage à proximité. C'était le couloir menant à l'Antre des Âmes : un labyrinthe étroit et sinueux, éclairé par des lumières vacillantes qui projetaient des ombres dansantes. Chaque pas résonnait dans cet espace, comme si les murs eux-mêmes chuchotaient.
— Je vais rester avec lui, proposa Evan, sa voix grave résonnant dans le silence. Si nous sommes trop nombreux à l'intérieur, le risque de nous faire repérer augmente.
Mina marqua une pause, pesant ses mots. Elle hocha finalement la tête, approuvant sa suggestion.
— Très bien. Faites en sorte qu'elle reste hors de vue, dit-elle en désignant Rachel, encore inconsciente au sol. Et soyez discrets.
Le groupe se dispersa rapidement, chacun prenant sa place dans cette opération minutieusement orchestrée. Leyo échangea un regard avec Evan, cherchant du réconfort dans la présence stoïque du garde. Mais il savait que, dans ce jeu dangereux, même la moindre erreur pouvait leur coûter bien plus qu'une simple capture.
Kayato inspirait profondément, les yeux rivés sur leur destination. Son souffle résonnait dans le silence oppressant, tandis que ses pensées s'égaraient. À ses côtés, il remarqua Panda, grattant furieusement son bras. La peau pâle de ce dernier virait au rouge, marquée par l'insistance de ses ongles. Kayato ne savait pas quoi dire, ni comment apaiser son ami. Alors, il se contentait de le regarder.
Non pas pour le rassurer, ni pour ajouter à son angoisse. Juste pour lui rappeler qu'ils étaient là. Ensemble.
Leyo, lui, ne se contenta pas de l'observer. En quelques pas, il se rapprocha de Panda et l'entoura de ses bras dans une étreinte ferme mais brève. Comme pour lui transmettre une part de son propre courage.
Avant que le groupe ne s'enfonce définitivement dans le couloir, plongeant dans l'illégalité sans espoir de retour, Leyo glissa à Panda, la voix pleine d'une conviction qu'il voulait contagieuse :
— Tu vas réussir. Tout ça va finir.
Evan, se tenant un peu en retrait, ajouta d'une voix grave mais porteuse d'une force inébranlable :
— Prouve à la destinée que tu es plus fort qu'elle.
Panda resta silencieux, mais il acquiesça, ses yeux brillant d'une détermination fragile mais bien réelle. Puis, sans un mot, il tendit la main à Kayato. Ce dernier la saisit fermement, et tous deux avancèrent.
Vers où ? Ils n'en savaient rien. Peut-être vers l'espoir d'une vie meilleure, ou peut-être vers leur propre perte. Panda en était conscient. Sa destination pouvait tout aussi bien être sa délivrance que sa destruction.
Mais il marchait, guidé par l'idée que, parfois, avancer était en soi un acte de courage.
Lorsque les silhouettes du groupe disparurent dans la lumière vacillante du couloir, Leyo s'adossa contre le mur et s'effondra au sol, accablé par une fatigue plus morale que physique. Il laissa échapper un soupir lourd de pensées qu'il n'arrivait plus à contenir.
Evan, silencieux, s'assit à ses côtés. Pendant un instant, il resta immobile, les mains posées sur ses genoux, observant son pendentif qu'il partageait avec Haru, avant de rompre le silence :
— Tu es tout aussi anxieux que lui.
Leyo tourna légèrement la tête, un sourcil haussé.
— Et toi, tu ne l'es pas peut-être ? répondit-il avec un demi-sourire amer.
Evan se contenta d'un sourire en coin, un sourire qui semblait trahir à la fois une résignation et une pointe de défi. Son oeil fixa le plafond, perdu dans ses pensées. Il savait que tout ce qui les avait menés ici, toutes ces épreuves, n'étaient que des fragments d'une légende qu'il avait lui-même contribué à alimenter. Une légende qui, désormais, pesait sur leurs épaules.
— Tu crois en lui, pas vrai ? reprit Evan d'un ton calme, presque apaisant. Alors, tout ira bien.
Leyo hocha la tête, mais son regard restait fixé au sol.
— J'ai confiance en lui, murmura-t-il. C'est à Soleil que je n'ai pas confiance.
Evan s'apprêtait à répondre, mais il fut interrompu par un éclat de lumière à sa gauche, accompagné d'un son lointain, presque imperceptible. Il se redressa instinctivement, ses sens en alerte.
— Qu'est-ce que c'est ? chuchota Leyo, déjà fasciné par l'étrangeté de ce phénomène.
Evan s'approcha prudemment de l'origine de la lumière, ses pas mesurés pour ne pas trop s'éloigner de leur poste de veille. Sous les yeux ébahis de Leyo, un immense écran s'illumina de couleurs éclatantes, projetant des formes et des motifs en perpétuel mouvement.
C'était un spectacle d'une technologie que Leyo n'avait jamais vue auparavant. Ses yeux s'écarquillèrent, captivés par les jeux de lumière, chaque teinte vibrant avec une intensité presque surnaturelle.
Un sourire immense se dessina sur le visage de Leyo lorsque l'écran projeta deux visages gigantesques. Il n'aurait su expliquer pourquoi, mais une chaleur familière l'envahit dès qu'il croisa leurs regards turquoise et leurs sourires exagérément élargis, comme ceux de pitres prêts à faire rire.
« Bienvenue, nos chers cousins ! Pas que nous vous apprécions, ne soyons pas hypocrites ! Aujourd'hui, nous allons vous présenter une pièce de théâtre, avec l'aide de mon frère ! »
Sur ces mots, Sukai fit son entrée, affublé d'un costume caricatural censé représenter les habitants de Lumière. Chaque détail de sa tenue semblait exagéré à outrance : des manches bien trop longues, une perruque ridiculement volumineuse et des chaussures pointues qui semblaient sorties d'un conte grotesque.
« Oh, nom de Soleil... Vous voilà bien inéduqué, pauvre sotte ! Vous êtes provocatrice ! » déclama Sukai avec un sérieux feint, imitant une voix haut perchée et méprisante.
« Quoi ? C'est simplement mon ventre, monsieur. »
« Vous osez répondre ?! Allez donc au Royaume des gens misérables comme vous. »
« Comme vous le voyez, reprit Furai en s'adressant au public, les riches, bien qu'ayant accès à l'éducation, ignorent encore ce qu'est un corps féminin ! A ce demander s'ils ne dorment pas en cours. »
La transition suivante montrait désormais Sukai et Furai déguisés en sardines géantes. Leurs bras et jambes dépassaient des costumes métalliques argentés, tandis qu'ils gesticulaient de manière absurde.
— C'est mes tenues, c'est mes tenues ! s'exclama Leyo, bondissant de joie en secouant le bras d'Evan frénétiquement, les yeux brillants d'excitation.
— Regarde, ils t'ont même crédité, dit-il en désignant un coin de l'écran où le nom de Leyo brillait fièrement.
— Heureusement que j'ai insisté pour qu'ils ne restent pas en poissons tout le long... soupira Leyo avec un sourire nostalgique. Mais quel dommage qu'il n'y ait pas plus de spectateurs pour voir ça, ajouta-t-il en jetant un coup d'œil aux alentours déserts.
— Non, Leyo. Il y a beaucoup de spectateurs.
Evan attrapa fermement la poignée de Leyo, l'entraînant doucement vers les immenses baies vitrées au bout du couloir principal. Lorsqu'ils atteignirent leur destination, Leyo ne put réprimer un hoquet de stupeur. Ses grands yeux verts s'écarquillèrent devant le spectacle qui s'offrait à eux : des centaines d'écrans reflétaient les deux pitres à perte de vue, dans toute la Zone.
— C'est la Parade du Soleil, tout les écrans diffusent la même chose. C'est tout le Royaume de la Lumière, autrement dit un millier de personne, à admirer les deux pitres et tes tenues.
Leyo recula d'un pas, submergé par l'ampleur de la scène. Il sentit un rire nerveux monter en lui, d'abord discret, puis incontrôlable.
— Oh non... lâcha-t-il entre deux éclats de rire, tenant son ventre. Je me demande comment sont les fous en voyant ça. Ils doivent être... tellement heureux.
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Ni Sukai ni Furai ne purent admirer leur œuvre diffusée sur les écrans du Royaume. Ils étaient déjà loin de la lumière éclatante des écrans et plongés dans les ténèbres oppressantes du Couloir de la Mort. Ce lieu lugubre, où les prisonniers attendaient leur dernier souffle, exhalait une odeur de métal rouillé et d'humidité. Les murs, noircis par le temps, semblaient peser sur leurs épaules, et chaque pas résonnait comme une condamnation.
La porte avait fait un boucan, mais avant que quiconque ne puisse remarquer leur arrivée, Haru avait utiliser son arme. Elle fit éclater une bulle translucide qui enveloppa le groupe, les rendant invisibles aux yeux de leurs potentiels ennemis. Une invention miraculeuse, bien au-delà des espérances de son créateur.
Se faufilant entre les cellules, ils avancèrent prudemment, glissant tels des ombres entre les spectres des condamnés. Ces derniers, enfermés derrière des barreaux crasseux, restaient immobiles, leurs visages figés dans l'angoisse ou la résignation. L'atmosphère était si pesante qu'elle semblait aspirer chaque souffle, rendant leur progression encore plus oppressante.
Enfin, lorsqu'ils furent assez loin pour échapper à toute suspicion, Haru dissipa la bulle. Une lumière froide et ténue éclaira leur groupe, révélant des visages tendus par l'anxiété. Néon tenait Furai par les bras, tentant de paraître imposant, mais son regard trahissait une nervosité à peine contenue. Sa posture rigide et ses mouvements maladroits semblaient refléter son envie de se fondre dans le décor pour disparaître.
— Néon, inspire, rappela Haru. Je suis avec toi.
— Les prisonniers... on va les laisser ici ? demanda celui-ci. Pourquoi on ne libère qu'une condamnée et pas les autres ? Sa vie vaut plus que les autres ?
Le silence pesait lourdement entre eux, une oppression palpable. Haru se sentait déstabilisé par la question de Néon. Il n'avait pas de réponse immédiate à lui offrir, juste un vide, une vérité trop cruelle à admettre. Il n'avait jamais eu à choisir entre la vie d'une personne et une autre, pas dans ce contexte. Pas avec ce poids-là, celui des vies qui s'éteindraient sous peu.
Néon, toujours nerveux, attendait une réponse, mais Haru ne répondit pas tout de suite. Ses yeux se perdirent dans l'obscurité de ce couloir mortel. Ce qui se passait ici n'était rien d'autre qu'une purge annuelle, un sacrifice rituel à chaque fin de période pour un monde prétendant se purifier. Un monde où les criminels étaient effacés, non seulement de la mémoire collective, mais aussi du tissu même de l'existence.
— On ne peut pas les mettre dans une légende de Evan ? répéta Néon, son ton plus insistant cette fois.
— Non, Evan doit connaître l'identité et des choses personnels sur chacun avant de pouvoir les insérer.
— Donc on va les laisser mourir ?
Haru marqua une pause, avant de répondre : « Oui ». Furai, entendant les propos derrière elle, rassura Néon en disant qu'ils sauveront plein de personnes ensemble plus tard, mais que pour cela ils devaient réussir celle-là.
Soudainement, une voix féminine brisa le moment d'incertitude, émergeant de l'ombre. Ils se retournèrent tous, avec une lenteur calculée. Le temps semblait s'étirer. Néon, déstabilisé, fit tout pour adopter le même air impassible que Haru, mais son anxiété était palpable. Haru, lui, demeurait calme, son regard perçant toujours aussi confiant. Furai et Sukai, de leur côté, feignaient la fatigue, bien qu'une lueur d'agitation traversait leurs yeux.
— Que faîtes-vous ?
L'atmosphère se tendit encore davantage. Haru, sans perdre sa maîtrise, répondit avec une froideur parfaitement maîtrisée. Il désigna d'un geste désinvolte les deux criminels qui se tenaient devant lui, muets et dociles, puis répondit :
— On emmène ces deux-là dans la prison. Ils ont perturbé l'ordre dans le château.
La femme devant eux scrutait attentivement les visages des soi-disant détenus, ses yeux détaillant chaque expression avec méfiance. Après un instant d'examen, elle tourna la tête vers les soi-disant gardiens et, d'un ton autoritaire, ordonna :
— Ce n'est pas nécessaire. Emmenez-les directement devant générale Lynn, elle se chargera de les exécuter ou de leur affliger la peine nécessaire.
Néon sentit un frisson glacé parcourir son échine. Ce n'était pas le plan. Ils devaient emmener les criminels dans la même cellule que Deyfa. Le plan était clair, et tout semblait sur le point de déraper. Le doute l'envahit, mais avant qu'il ne puisse réagir, Haru prit les devants avec calme :
— Non. Le général Tenshi nous a donné lui-même des ordres, nous allons les exécuter. Nous devons les emmener dans la même cellule qui leur a été attribuée.
La gardienne sursauta légèrement à l'imprévu, ses yeux s'écarquillant un instant, mais elle se redressa vite, inclinant la tête avec une once de compréhension. D'un signe de la main, elle leur fit signe de poursuivre leur chemin.
Tandis qu'Haru reprenait sa route sans hésitation, Néon ne put s'empêcher de le regarder avec admiration, des étoiles dans les yeux.
— Tu es trop classe, Haru ! s'émerveilla-t-il.
— C'est vrai que tu était pas mal, confirma Sukai d'une voix un peu plus faible.
Haru s'arrêta brusquement, comme surpris par la réaction de ses compagnons. Il prit un moment pour digérer les mots, avant de murmurer, presque pour lui-même :
— Vous trouvez ?
— Oui ! À côté de toi, j'étais tellement paniqué que je me voyais déjà mourir...
Haru regarda Néon un instant, un sourire sincère se dessina sur ses lèvres. Il n'avait pas l'habitude de s'ouvrir ainsi, mais avec lui, c'était différent. Néon, cet ami qu'il avait trouvé sans chercher, cet ami qu'il avait appris à connaître plus vite qu'il n'aurait cru possible. Une complicité s'était tissée entre eux, sans fioritures, juste un lien pur. Ces moments simples, passés à échanger des paroles et à construire ensemble, semblaient être les plus vrais.
— La prochaine interaction, ça sera ton tour alors, Néon, lança Haru, son sourire toujours présent.
— Quoi ? répondit Néon, un peu perdu par l'énigme de son ami.
— Tu te rappelles pas ? On s'est dit qu'on allait faire des efforts mutuellement. Progressons ensemble.
Néon comprit alors, et un sourire déterminé étira ses lèvres. Si Haru pouvait faire des efforts, lui aussi. Ensemble, ils deviendraient plus forts. La force qu'ils puisaient l'un dans l'autre les propulsait, leur donnant un élan qu'ils n'avaient pas connu jusqu'ici.
Ils avançaient dans le couloir, et les deux pitres s'arrêtèrent soudainement. Leurs gestes furtifs désignèrent une cellule à leur droite. Haru et Néon s'approchèrent prudemment, les yeux attirés par la silhouette dans l'ombre.
À l'intérieur, une femme reposait sur un lit rudimentaire. Le matelas était usé, digne des conditions austères du Royaume de l'Ombre, mais c'était sa posture, plus que tout, qui captivait l'attention. Ses yeux bleus, d'une clarté glaciale, fixaient le sol, plongés dans une mer d'abîmes. Ses longues tresses blanches cascadaient sur ses épaules, contrastant cruellement avec la profondeur sombre de sa peau. Sous ce poids, elle semblait prête à se fondre dans le sol, engloutie par son propre désespoir.
Deyfa. La fameuse femme ayant réclamé des dons à Typhon, la fameuse prisonnière destinée à mourir. Haru se rapprocha de sa cellule, mais il remarqua que Néon ne le suivait pas.
Non, il ne bougeait pas, il regardait la cellule d'en face.
Haru comprit.
De l'autre côté des barreaux, dans la cellule faisant face à celle de Deyfa, se trouvait la mère de Néon, emprisonnée, attendant sa mort.
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