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Chapitre 35

   

    L'air était lourd, imprégné d'une odeur de renfermé et de métal, comme si la pièce elle-même retenait son souffle. La lumière tamisée vacillait, projetant des ombres vacillantes sur les murs gris. Il était assis là, frêle silhouette dissimulée sous des vêtements trop amples, les doigts crispés sur ses genoux.

      — Dis, est-ce que tu as faim ?

      La question lui fit l'effet d'une lame glacée contre sa peau.  Oui, il avait faim. Une faim dévorante, insatiable, qui rongeait son estomac comme un feu secret. Il s'était surpris, plus tôt, à gratter des miettes imaginaires sur une table, à mâchonner des coins de papier. Même le goût amer du cuivre avait trouvé sa place sur sa langue désespérée.

      — Non.

     Le visage de l'homme s'assombrit un instant, comme si cette réponse ne le satisfaisait pas. Il se pencha légèrement en avant, un coude appuyé sur la table, et répéta, cette fois plus doucement :

      — Es-tu sûr ? Je peux te donner à manger.

       Le mot "manger" fit vibrer quelque chose en lui. Il sentit sa gorge se serrer et la salive envahir sa bouche à cette simple idée. La tentation le brûlait, insupportable. Sa langue trouva refuge entre ses dents, et il mordit. Fort. La douleur éclata en une flamme vive, tranchante, mais il s'y accrocha comme à une bouée, une manière de se rappeler pourquoi il se refusait ce plaisir.

      "Tu ne dois pas," se répéta-t-il en boucle dans sa tête. "Tu ne dois pas."

       — Non merci, murmura-t-il, sa voix étranglée, à peine audible.

       Eysul acquiesça, le regard lourd d'une certitude silencieuse. Il croyait sans doute que l'enfant finirait par céder, que cette lutte intérieure finirait par avoir raison de lui. Mais il se trompait. L'enfant restait immobile, enfermé dans une carapace de volonté, même si ses mains tremblaient légèrement sur ses genoux.

       D'un pas mesuré, Eysul quitta la pièce, refermant doucement la porte derrière lui. Le grincement du bois sembla s'étirer dans le silence. Maintenant seul, le jeune être sentit un vide s'étendre dans l'air, une solitude pesante mais familière.

      L'ennui s'insinua dans son esprit, sournois, comme une ombre rampante. Ses yeux se posèrent sur un coin de la table où un morceau de papier traînait, ses bords légèrement froissés. Sans réfléchir, il tendit la main, le saisit, et attrapa un crayon émoussé.

      Le bout du crayon caressa la surface rugueuse du papier, traçant des lignes hésitantes qui prirent bientôt forme. Il dessinait des soleils, ronds et rayonnants, des éclats lumineux qui semblaient chasser un peu l'obscurité de la pièce. Puis vinrent des silhouettes humaines, petites et naïves, se tenant par la main. Ces figures semblaient flotter dans un décor qui n'existait que dans son esprit : un monde irréel, empli de merveilles, de vallées chatoyantes et de cieux infinis.

     Chaque trait ajoutait une dimension à ce rêve qu'il portait en lui. Il dessinait avec ferveur, comme si chaque coup de crayon le rapprochait un peu plus de cet ailleurs inaccessible. Il aurait aimé, lui aussi, pouvoir explorer un jour ce monde qu'il imaginait. Voyager au-delà des murs, découvrir des horizons que ses yeux n'avaient jamais vus.

        Mais une part de lui savait. Cette vie, ce rêve, restait hors de portée. Alors il dessinait, parce que c'était tout ce qu'il pouvait faire. Et sur le papier, dans ces formes et ces rayons de soleil, il trouvait un semblant de liberté.

       Soudain, un bruit sec fit vibrer l'air. La poignée de la porte tourna légèrement, suivie du cliquetis distinct d'un verrou qu'on actionnait. Le son résonna dans la pièce, brisant le fragile silence qui s'était installé. Klade s'arrêta net, son crayon suspendu au-dessus du papier.

      Il inspira profondément, le cœur battant un peu plus vite. Était-ce Eysul, revenant pour insister encore ? Il avait pourtant dit non. Ses mains se crispèrent sur les bords de la feuille, les froissant légèrement.

      La porte s'entrouvrit lentement, mais à sa grande surprise, ce n'était pas la silhouette imposante qu'il redoutait qui apparut. Une frimousse familière, bien plus petite, passa la tête dans l'entrebâillement.

      — Agathe ! s'exclama-t-il, la surprise le faisant parler plus fort qu'il ne l'aurait voulu.

     La jeune fille entra rapidement, refermant la porte derrière elle avec précaution. Elle posa un doigt sur ses lèvres, son expression à la fois espiègle et sérieuse.

       — Moins fort, Klade ! chuchota-t-elle en le fusillant du regard. Tu veux qu'on m'entende ?

      Elle avançait à pas feutrés, ses cheveux mi-longs dansant autour de son visage lumineux, et une lueur malicieuse brillait dans ses yeux. Klade sentit son cœur se calmer un peu. Avec elle, tout semblait toujours plus léger, moins étouffant.

    Les yeux bruns d'Agathe parcouraient la pièce, curieux, analysant chaque détail, chaque recoin. Ils s'arrêtèrent bientôt sur la feuille de papier posée devant Klade. Elle s'approcha, pencha légèrement la tête et laissa échapper une exclamation.

      — Oh ! Tu as encore dessiné ce personnage sans nom !

      Klade leva les yeux vers elle, un sourire discret aux lèvres.

      — Je sais que tu l'aimes bien, répondit-il simplement, comme une évidence.

      Agathe se redressa, plaçant une main sur son menton, l'air songeuse.

       — C'est vrai, admit-elle avec un sourire malicieux. Il serai temps de lui donner un nom. Je l'imaginerais bien s'appeler...

      Elle laissa planer un instant de suspense, ses yeux brillant d'une excitation enfantine. Klade, toujours silencieux, observait, attendant son verdict. Elle finit par se redresser et annonça d'une voix claire, presque solennelle, un nom qu'elle semblait avoir choisi sur un coup de tête.

       Klade hocha la tête, sans discuter, enregistrant le nom comme si c'était une évidence. Ce personnage aurait le nom qu'Agathe venait de décider. Il n'aurait pas pu en être autrement, car tout ce qu'elle disait ou faisait avait un poids particulier dans son monde.

      Il l'aimait. Pas de la manière romantique que les histoires racontent, mais d'un amour brut et inconditionnel, celui qu'on réserve aux rares personnes qui rendent l'existence plus douce. Certes, Agathe pouvait être agaçante. Son énergie débordante et ses idées farfelues lui donnaient parfois envie de rouler des yeux. Mais elle était là, toujours là, comme un phare dans l'obscurité étouffante de ses journées.

      Elle était sa seule amie.

     Agathe s'assit sur le lit de Klade, ses jambes se balançant doucement dans le vide. Le matelas grinça légèrement sous son poids, mais elle semblait ne pas y prêter attention. Ses yeux sombres, toujours empreints d'une curiosité discrète, se posèrent sur lui avec une douceur inhabituelle.

       — Papa est revenu te voir ? demanda-t-elle d'une voix presque hésitante.

       — J'aime pas ton père, lâcha-t-il après un long moment, sa voix tremblant légèrement. Il ne veut plus me nourrir tant que je ne joue pas avec lui. Mais son jeu... son jeu me fait peur.

       Sa gorge se serra, et il dut inspirer profondément pour continuer.

      — Il m'a dit que si je ne joue pas, il me vendra. Comme les autres enfants.

     Le silence qui suivit fut glacé, pesant. Agathe baissa les yeux, ses mains s'accrochant nerveusement aux draps du lit. Elle hocha la tête, lentement, comme si elle portait sur ses épaules le poids des mots de Klade.

       — Je sais... murmura-t-elle. Personne n'aime son jeu.

      Elle avait raison. Ce "jeu", comme son père l'appelait, n'avait rien de ludique. C'était un cauchemar déguisé, une épreuve humiliante et terrifiante. À chaque partie, il ne restait qu'un vide, une sensation de saleté qui semblait s'incruster sous leur peau. Et Klade ne pouvait s'empêcher de pleurer après. Chaque nuit suivant ce jeu, il sanglotait en silence, recroquevillé sur lui-même, comme s'il essayait de disparaître.

       Mais cette fois, il avait décidé. Il ne jouerait pas. Il ne mangerait pas.

      Agathe leva les yeux vers lui, son expression partagée entre tristesse et admiration. Elle comprenait. Peut-être mieux que quiconque.

      — Tu es courageux, dit-elle enfin, presque dans un souffle.

      — De quoi tu parles ? Je suis très peureux.

      — Justement. Et tu continues d'avancer. 

      Ils restèrent silencieux un long moment, chacun perdu dans ses pensées. La seule perturbation dans ce calme pesant était le léger mouvement d'Agathe qui se balançait d'avant en arrière sur le lit, ses pieds frôlant le sol à chaque bascule. Elle chantonnait doucement une mélodie étrange, un air que Klade n'avait jamais entendu auparavant. La mélodie flottait dans l'air, légère mais teintée d'une mélancolie inexplicable.

       Klade l'observa du coin de l'œil. Elle avait cette insouciance apparente, cette façon de transformer l'atmosphère la plus sombre en quelque chose de plus supportable. Pourtant, il savait que derrière son sourire et ses gestes légers, elle portait un poids bien trop lourd pour une fille de son âge.

       Agathe était différente des autres enfants ici. Elle était la seule à pouvoir aller et venir librement dans cette organisation sinistre, protégée par son lien de sang avec le patron. Cela lui donnait une sorte de pouvoir, une liberté que Klade enviait parfois autant qu'il la redoutait.

      Brisant le silence, elle tourna la tête vers lui, un éclat déterminé dans ses yeux bruns.

       — Dis, Klade, tu ne voudrais pas t'enfuir ? demanda-t-elle, sa voix douce mais sérieuse.

       — C'est impossible. 

        Agathe cessa de se balancer. Elle planta ses yeux dans les siens, comme pour chercher une faille dans cette résignation.

        — J'ai découvert un passage, déclara-t-elle avec une conviction presque triomphante. Un tunnel secret. Si on le prend, on pourrait sortir d'ici. Et tu sais quoi ? On se retrouverait même dans le Royaume de la Lumière !

      Ses mots résonnèrent comme une promesse irréelle, presque trop belle pour être vraie. Le Royaume de la Lumière... Klade avait entendu des histoires à ce sujet, des récits qui parlaient d'un endroit où les ombres n'avaient pas de prise, où les chaînes se brisaient et où les âmes trouvaient enfin la paix. Mais pouvait-il vraiment y croire ?

        Il fixa Agathe, partagé entre l'espoir fragile qu'elle faisait naître en lui et la peur écrasante de l'échec.

      — Tu en es sûre ? demanda-t-il finalement, sa voix à peine audible.

       Agathe sourit, un sourire audacieux, presque défiant.

    — Aussi sûre que je suis ici, répondit-elle.

     Klade ouvrit grand les yeux, un mélange d'émerveillement et de terreur brillant dans son regard. L'idée de fuir, de quitter cet endroit oppressant, éveillait en lui un désir qu'il n'avait jamais osé nommer. Il voulait y aller. Oh, combien il voulait y aller. Mais la peur le rattrapait, froide et paralysante, s'enroulant autour de lui comme des chaînes invisibles.

       Il baissa les yeux, ses doigts jouant nerveusement avec le bord froissé de son dessin. Que se passerait-il s'ils échouaient ? Si le passage n'était qu'un piège, une illusion ? Si le patron les attrapait ? Ces pensées tourbillonnaient dans sa tête, suffocantes.

      Mais alors, ses yeux se posèrent sur Agathe.

     Elle se tenait droite, son expression pleine d'une détermination, comme si rien ni personne ne pouvait l'arrêter. Elle était forte. Elle l'avait toujours été, même dans les pires moments. Et, d'une manière qu'il ne comprenait pas entièrement, sa présence à ses côtés le rendait plus courageux. Quand elle était là, il se sentait invincible, comme si les murs qui l'enfermaient devenaient soudain moins menaçants.

    — D'accord, dit-il enfin, sa voix tremblant légèrement. Je te suis.

     Agathe esquissa un sourire, un sourire qui semblait contenir mille promesses et mille aventures.

       — Bien, répondit-elle en hochant la tête. Prépare-toi, alors. On partira dès que la nuit tombera.

       Klade sentit son cœur s'emballer, mais cette fois, ce n'était pas uniquement la peur qui en était la cause. C'était autre chose. Une excitation timide, un frisson d'espoir. Pour la première fois depuis longtemps, il entrevit une lueur d'évasion, une chance d'échapper à cet enfer.

     Désormais, il regrettait.

      Onze ans étaient passé, mais cette nuit restait gravée dans sa mémoire avec une netteté douloureuse. Les souvenirs s'invitaient souvent dans ses pensées, insistant, inoubliables. Il se rappelait chaque détail : le bruit de ses pas hésitants sur le sol froid, l'odeur de poussière et d'humidité qui imprégnait l'air, et surtout, la petite main d'Agathe, chaude et ferme, serrée dans la sienne.

      Elle était venue comme convenu, glissant dans l'ombre comme un fantôme. La nuit était si noire qu'il avait à peine distingué les contours de son visage, mais il n'y avait aucun doute, c'était elle. Elle lui avait fait signe, un geste rapide et silencieux, et ils s'étaient mis en route.

       Le bâtiment était un labyrinthe de couloirs sombres et oppressants, chaque recoin chargé de secrets et de menaces invisibles. Les murs semblaient se refermer sur eux, suintant une froideur qui glissait jusque dans ses os. Mais il n'avait pas lâché sa main.

       Agathe avançait avec une assurance qui le surprenait. Elle connaissait ces lieux comme sa poche, chaque détour, chaque porte qui grinçait, chaque marche qui craquait. Elle le guidait, sa petite main serrant la sienne comme une ancre. À chaque pas, elle lui soufflait un peu de son courage, le convainquant qu'ils allaient réussir à trouver la sortie.

       Le passage se trouvait au fond d'un couloir oublié, presque dissimulé par les ténèbres. La porte, minuscule et discrète, semblait scellée depuis des années. Une serrure complexe la protégeait, mais Agathe, déterminée, avait pris soin de dérober la clé au bon moment, sans éveiller le moindre soupçon.

       Elle s'arrêta devant la porte, sortant la clé de sa petite sacoche. Elle la fit tourner entre ses doigts avec une confiance presque insolente, un sourire victorieux flottant sur ses lèvres. 

      — Voilà, murmura-t-elle, un éclat malicieux dans le regard.

       Elle introduisit la clé dans la serrure avec lenteur, savourant l'instant, comme si elle savait que ce moment serait gravé dans leurs souvenirs. Un léger clic retentit, presque inaudible dans le silence oppressant, et la porte s'ouvrit doucement.

       Agathe tourna légèrement la tête vers Klade, son sourire se faisant plus large, une lueur d'excitation dans ses yeux.

        — Quand tu seras célèbre, j'aimerais plein de dessins de ton personnage, dit-elle, comme si sa future popularité c'était une évidence.

       Klade, resté en retrait, fixait la scène avec une appréhension mêlée de curiosité. Il s'attendait à tout : des pièges, des alarmes, peut-être même à voir surgir une silhouette menaçante prête à les rattraper. Mais rien de tout cela n'arriva.

      La porte grinça légèrement en s'ouvrant, révélant une lumière douce et froide. Ce n'était pas une lumière artificielle, ni celle des néons cruels auxquels ils étaient habitués. C'était le clair de lune, pur et éclatant, qui baignait un espace extérieur inconnu.

      Le vent frais s'engouffra dans le passage, caressant doucement leurs visages. Klade resta figé, incrédule. C'était réel. Pour la première fois, il voyait une sortie.

      — Il te ressemble beaucoup, ce personnage, d'ailleurs, dit Agathe en jetant un regard malicieux à Klade, tout en verrouillant soigneusement la porte derrière eux.

     — Ah oui ? répondit-il, sa voix traînante, presque méfiante.

      Agathe hocha la tête, un léger sourire éclairant son visage.

        — C'est peut-être pour ça que je l'aime beaucoup, ajouta-t-elle avec une simplicité désarmante.

       — Et moi, c'est peut-être pour ça que je le déteste, murmura-t-il.

       Les mots tombèrent entre eux comme une pierre dans l'eau, brisant la légèreté de l'instant. Agathe s'arrêta un moment, son sourire s'effaçant. Elle fronça légèrement les sourcils, comme si elle essayait de comprendre ce qui se cachait derrière cette déclaration.

      Puis, sans un mot, elle se rapprocha de lui. Lentement, elle saisit ses bras, ses doigts petits mais fermes s'enroulant autour des siens. Son regard chercha le sien, insistant, doux mais inébranlable.

      — Ne dis pas ça, dit-elle enfin, sa voix basse mais empreinte d'une intensité qui ne lui était pas habituelle.

      — Je me sens sale, murmura Klade, la voix tremblante, comme une confession qu'il n'avait jamais osé faire. Les mots, pourtant si simples, semblaient lui brûler la gorge, remplis de la honte qu'il avait longtemps portée en silence.

      Agathe s'approcha de lui, une douceur infinie dans ses gestes. Elle prit doucement son visage entre ses mains, comme si elle pouvait effacer tout le poids de la culpabilité qu'il portait.

      — Tu ne l'es pas. C'est fini, dit-elle d'une voix calme, presque maternelle.

     Mais Klade secoua la tête, comme si ses mots n'arrivaient pas à effacer les images qui tournaient dans son esprit. Il baissa les yeux, incapacité à accepter ce qu'elle lui disait.

     — Mais je n'arrive pas.

     — J'aimerai que tu le vois comme je le vois. Que tu te vois comme je te vois. Tu es très beau.

      Et c'était pour ça que le père l'aimait particulièrement. 

      Les mots d'Agathe frappèrent le cœur de Klade comme une onde. Il rougit un peu, gêné par la sincérité qu'elle mettait dans sa voix. Il avait du mal à l'accepter, mais il se laissa porter par la douceur de ses paroles.

      — Et j'espère que tu vanteras ta beauté, plus tard, dit-elle en souriant. Les matins, te réveiller en te contemplant dans le miroir.

       — J'essayerai, répondit-il doucement.

       Agathe le regarda un instant, puis hocha la tête, satisfaite de ses mots. Elle savait que ce chemin serait long, que la guérison ne viendrait pas du jour au lendemain, mais elle croyait en lui. Et, d'une manière qu'il ne comprenait pas entièrement, elle savait que, peu à peu, il finirait par se voir comme elle le voyait.

      — Tu me le promets ?

      — Je te le promets. 

       Sans un mot, ils s'enfoncèrent plus profondément dans la forêt. La nuit semblait les engloutir, chaque pas effleurant le sol humide et silencieux. Klade se sentait libre, une sensation rare qui envahissait ses sens comme une brise légère après un long hiver. Le vent de la Période d'Umbrafall soufflait doucement contre sa peau, frais et vivifiant, emportant avec lui les souvenirs lourds de l'enfermement. Il aimait cela. Il aimait cette liberté brute, cette sensation de ne plus être contraint par les murs, les règles, les regards.

      Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait léger. L'obscurité de la forêt ne l'effrayait pas ; au contraire, elle semblait l'envelopper dans un calme étrange, rassurant. 

      Puis, cette même obscurité l'avait anéanti. Cette même liberté l'avait enchaîné. Cette joie l'avait abbattu.

       Il avait cru qu'échapper à l'organisation, échapper à son passé, serait un acte de rédemption.

      Il se rappelait. 

       De là où il était, il fixait l'organisation où il avait envoyé les plus jeunes Voix de l'Ombre abattre le fils de l'ancien père qu'il avait dû avoir. Le père de cette fille qu'il oublierai jamais.

      Son regard dériva dans la forêt. Il y entendait encore ses pleurs, tenant le corps inerte de celle qui l'avait tant aider, celle qui l'avait réconforter, donner espoir, rendu libre. Pour qu'au final, tout ne soit qu'une illusion.

      Agathe pensait être libre. Elle pensait que la fuite, le vent dans ses cheveux et la forêt tout autour d'eux, suffiraient à les affranchir de leur passé. Mais elle se trompait. Elle n'était pas libre. Pas plus que lui.

       Elle était prisonnière de son père. Le souffle d'une détonation s'était propagé dans l'air, faisant vibrer le sol sous leurs pieds, et la terreur avait éclaté, aussi vive que la lumière de l'explosion.

       Le bruit était toujours dans ses oreilles, comme un cri muet, un avertissement qu'il ne pouvait effacer. Ce n'était pas juste une explosion. C'était la fin de leur liberté. La fin de tout ce qu'ils avaient imaginé, tout ce qu'ils avaient cru pouvoir être.

       Il se rappelait.

      La chaleur de l'explosion, le souffle qui l'avait propulsé au sol, la terreur qui avait envahi ses entrailles. Il se rappelait Agathe, allongée à côté de lui, le corps inerte, la poussière tourbillonnant autour d'elle, comme une danse macabre. Il se souvenait de son visage figé, d'un éclat de vie soudainement éteint, et du vide dans son cœur, du vide qu'il ne pouvait plus combler.

      Il se rappelait.

      Le corps d'Agathe, brisé en morceaux, qui était là, étendu sur le sol, une vision qu'il ne pourrait jamais effacer. Klade, les mains tremblantes, les yeux aveuglés par des larmes qu'il ne pouvait retenir, s'efforçait de rassembler ce qui était déjà trop tard. Les morceaux de son amie, les bouts d'organes éparpillés, d'intestins éclatés, les membres détachés, tout se confondait dans une marée de douleur et d'impuissance. Il tentait de remettre les choses en place, mais c'était un rêve brisé. Un rêve qui ne se réparerait jamais.

     Il avait perdu. Il avait perdu Agathe. Et avec elle, une partie de lui-même, une partie de son âme qu'il n'avait même pas su préserver.

      Klade avait senti sa propre existence se dissoudre dans cette scène d'horreur. Agathe était morte, et ce jour-là, quelque chose en lui était aussi mort. Le Klade qui avait espéré, qui avait cru, qui avait aimé, s'était éteint sous le poids du désespoir. Sous ses mains, il avait perdu tout ce qui avait un sens.

      Peut-être qu'un jour, il s'aimerait autant qu'Agathe aimait son personnage. Peut-être qu'il apprendrait à se voir autrement, à se donner la liberté qu'elle lui avait souhaitée. Mais elle ne serait plus là pour voir cela. Elle ne serait plus là pour le voir tenir sa promesse, pour le voir devenir ce qu'il aurait dû être. Mais il se battrait jusqu'au bout, pour sa liberté et pour sa confiance.

     C'était pour ça qu'il avait rejoint Kayato.

      Il se souvenait de ses mots, de cette lueur dans ses yeux quand elle avait fixé le dessin, comme si elle avait vu quelque chose qu'il n'avait jamais osé imaginer pour lui-même.

       Un nom. Un nom qu'elle avait donné à son rêve. À un rêve qu'il porterait désormais seul, sans elle.

       C'est vrai, avait t-elle admit en fixant le dessin. Je l'imaginerais bien s'appeler... Shai !


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