Chapitre 3
— Donc, la priorité est de trouver quelqu'un capable de nous fournir des vêtements adaptés au combat, et quelqu'un capable de nous fournir des armes.
Le lendemain, une fois réunis à cinq sur des tapisseries étalées au sol partageant le repas fait par Takumi, Kayato prit la parole pour évaluer leurs besoins les plus pressants. Animé par la détermination de renverser l'ordre établi, il était conscient que persuader des personnes de risquer leur vie n'était pas une tâche aisée. Shai, fidèle à son habitude, écoutait la discussion tout en laissant s'exprimer son talent artistique à travers un morceau de papier chiffonné déniché un peu plus tôt. Lorsqu'il acheva son dernier trait de stylo, il déclara, ennuyé :
— C'est bien beau, mais le port d'arme est interdit, donc trouver une personne qui en fournit...
— Si quelqu'un nous rejoint, il devra bien sûr accomplir des actions illégales. Comme dans les livres d'action, souligna Kayato.
— C'est vrai, mais tout d'abord, nous ne sommes pas dans un de ces fameux livres. De plus, peu de personnes ont des connaissances nécessaires en magie pour en construire, intervient la voix monotone de Mina. Dans le cas où on ne trouverait pas, on comptera une nouvelle fois sur toi, Shai, pour en invoquer.
— Tu sais bien que ce n'est pas si simple, même pour quelqu'un d'aussi admirable que moi, rétorqua le concerné, ses sourcils fins froncés. À moins que tu veuilles que je meurs d'épuisement au combat, ou alors qu'on perde toute notre maison !
Shai possédait le don de la création. Cette aptitude, exploitée grâce aux entraînements avec Mina, permettait de matérialiser des objets qu'il dessinait. Toutefois, ce pouvoir avait ses limites, et au-delà du simple épuisement, chaque acte de création entraînait la disparition d'un objet de valeur équivalente. Ainsi, pour une petite arme, il sacrifiait des objets de faible importance, mais s'il élevait le niveau, il devait se résoudre à renoncer à des possessions plus précieuses.
— Nous sommes aux alentours de 1200 habitants au sein de notre Royaume.... Il y'en a forcément un qui s'est renseigné sur les armes. Nous devons nous renseigner sur ça. Une autre priorité est la tenue, comme je l'ai dit. Une nouvelle boutique vient d'ouvrir, non ?
— Oui ! On doit convaincre le propriétaire de nous coudre des vêtements super incroyables ! s'enjailla Mélina.
— Oh, comme dans les romans, avec une cape, des bottes et tous ces trucs de héros ! continua Kayato.
— Enfin on ressemblerait à des vrais justiciers ! On sera les justiciers de l'ombre !
Emportés par la nouvelle devise, les deux amis se plongèrent dans une frénésie de slogans, rêvant déjà de devenir les souverains d'un royaume qu'ils envisageaient de fonder, avec des statues à leur effigie. À la simple mention de statues, Shai les rejoignit rapidement, s'imaginant déjà dans toute sa splendeur, réfléchissant aux poses qu'il adopterait. Seuls Mina et Takumi, imperturbables comme toujours, observaient le trio surexcité avec un calme détaché. Ainsi commença la recherche d'alliés au sein d'un royaume qui avait toujours vécu dans la peur de se révolter.
— Ce n'est pas possible.
Mina arborait une expression outrée, presque dramatique à l'entente de cette réponse. Mélina lui donna discrètement un coup d'épaule tout en la prévenant : "Tu en fais trop, il va cramer." À cela, Mina retrouva une expression totalement neutre, comme à son habitude.
Le couturier ne se laissa pas distraire par ce changement soudain, et continuait de coudre des vêtements avec un matériel plutôt mal entretenu, faisant savoir qu'il n'est pas apte à envisager plus d'une seconde la proposition des Voix de l'Ombre.
— Ce n'est pas contre vous, votre travail est admirable et je ne vous remercierai jamais assez mais... j'ai une petite amie et un enfant, alors... tenta de se justifier l'homme en face, sans pour autant donner l'impression qu'il en avait quelque chose à faire.
Mélina le rassura en lui affirmant que c'était tout à fait normal, soulignant que cela ne faisait pas de lui une mauvaise personne. Cependant, Kayato, tout en regardant cette scène, ne put s'empêcher de froncer les sourcils, bien qu'il essayait de ne pas laisser paraître cela. Même fournir des vêtements c'était trop demandé ? Alors que lui et ses amis se battaient chaque jour pour que des personnes comme lui puissent vivre ? Pour une fois, il avait l'impression d'être utilisé. Peut-être qu'il surinterprétait trop. Non, ce n'était pas digne d'un protagoniste de penser ainsi. Il devait réconforter cet homme comme le faisait si bien la rousse.
Mais lorsqu'il croisa les regards mécontents de Shai, Takumi et Mina, il comprit qu'il n'était pas le seul à se sentir insulté par cet homme, qui ne les avait même pas regarder dans les yeux. Il ne connaissait pas la peur constante de se retrouver sans membres, ou de se retrouver avec un trou dans le cœur, il couds simplement des vêtements. Non, il ne saura jamais. "Lâche", ne put s'empêcher de penser Kayato en sortant de cette boutique miteuse. Il culpabilisa ensuite à cette pensée, mais pas son cœur.
En s'éloignant, Shai proposa à ses proches :
— Vous savez... on n'a qu'à les attirer avec autre chose, ça marchera forcément...
En énonçant ces paroles, il adopta une expression qui se voulait charmante (et qui, pour le coup, l'était).
— Sérieusement, je commence à croire que c'est notre seule option, soupira Mélina, visiblement abattue par ce refus.
— À ce point ?! s'exclama Takumi, sa façade neutre n'ayant pas tenu face à son étonnement.
— Eh oui... Je ne pensais pas que c'était possible que je puisse dire ça un jour mais... c'était l'échange de trop...
Pendant que ses 3 amis, rejoints par Kayato, furent toute une mise en scène pour accentuer les dires de Mélina, Mina semblait perplexe. Essayant de trouver une solution pour avoir des bénéfices pour rapides et efficace, elle proposa :
— Nous devrions demander à quelqu'un qui s'y connaît mieux que nous, tout simplement.
En constatant qu'elle avait obtenu l'attention de ses amis, elle énonça son raisonnement : ils connaissaient les habitants du Royaume, mais pas assez pour qu'ils s'engagent à leurs côtés. Il leur faudrait un facteur social afin de pouvoir convaincre et proposer des personnes aptes à renverser tout un royaume. On se laisse mieux convaincre par un ami que par un inconnu.
— Waouh ! La tâche devient surmontable ! C'est vrai que demander à autant de personnes chacune leur tour n'était pas très productif, rigola Kayato qui avait apparemment retrouvé son énergie.
— Mais la question que ça engendre est... qui sera cette personne ? Et est-ce qu'elle sera susceptible de nous rejoindre en premier temps ? Ne célébrons pas trop vite.
La remarque de Takumi remit en question la simplicité de leur première conclusion. Cependant, ils avaient décidé que s'ils trouvaient cette personne, ils mettraient tout en œuvre pour la convaincre. Il ne leur resta plus qu'à identifier qui correspondra aux critères énoncés.
— Le Panda relou ! s'exclama Mélina après avoir fouillé suffisamment dans sa mémoire. L'adolescent avec les cheveux noir et blanc, qui s'appelle Panda ! Il connaît littéralement tout le monde !
Soudainement, tout le monde ouvra la bouche, signe de compréhension. Bien que Kayato semblait excité par cette proposition, ce n'était pas le cas de son meilleur ami.
— Mais... Il n'est pas chiant lui ? Ce que je veux dire, c'est qu'il est carrément... espiègle, non ?
— Oui, mais de ce que je vois, il s'entends avec quasiment tout le monde ! On ne fera pas exception ! Il est juste très taquin, mais rien de méchant, ça va...
— Il n'est même pas encore majeur, je ne sais pas si c'est une bonne idée de l'impliquer... se méfia une nouvelle fois le démon.
— Mais si, et tu viens d'avoir 18 ans, toi, je te signale, ne fais pas le vieux ! Au pire des cas, il ne veut pas et nous recommande simplement des personnes qualifiées. Bref, tout est avantageux pour nous !
Bien que Takumi ne semblait pas convaincu, il se contenta d'hocher la tête, admettant que c'était effectivement leur meilleure option. Ayant eu peu de rencontres avec le fameux Panda, il ne pouvait s'empêcher de craindre le côté farceur de l'adolescent. L'une de leurs rares interactions avait abouti à une teinture de cheveux verts remplaçant son blond, pendant qu'il dormait à l'extérieur. Grimaçant à ce souvenir désagréable, il suivit son groupe d'amis, pour le moment peu nombreux, se dirigeant vers leur habitation afin de se reposer, après avoir passé une journée sous la chaleur de la période d'Aurumvalis.
— Enchanté, les héros. J'ai crû entendre que vous me cherchiez ?
En étant honnête, ils ne s'attendaient pas à le trouver aussi facilement. Surtout pas à ce qu'il vienne de lui-même vers eux. Il faisait sentir sa présence, attendant dans la pénombre, sur le toit en piteux état de leur maison, souriant de manière espiègle, déjà mis au courant de la requête qu'il lui sera proposé. Ses cheveux mi-longs, dominés par une noirceur profonde, étaient rompus par des mèches blanches sur le devant droit, créant un contraste identique aux étoiles dans le ciel obscur. Ses yeux d'un noir ténébreux, légèrement fermés, donnaient à son regard une dimension envoûtante, presque endormi. Une opposition frappante avec son sourire satisfait, révélant ses canines acérées, laissant transparaître une grande jouissance de la situation. Il s'amusait.
— Vous me flattez sincèrement, vous savez ? Les icônes de mon royaume, voulant échanger avec moi, un vulgaire adolescent. En quoi dois-je avoir cet honneur ?
C'est ainsi que Kayato le rencontra pour la première fois. Autrefois, ce qui les liaient n'était que des pauvres interactions, mais cette fois, il comprit que la personne en face de lui allait impacter sa vie. Mais ce qu'il ignorait, c'était que ce jeune garçon, qui n'avait pas encore atteint ses seize ans, allait l'entraîner vers la pénombre.
— Eh bien, on s'est vu quelquefois, si je me rappelle bien ! Les cheveux verts t'allaient bien mieux, si tu veux mon sincère avis.
Descendant rapidement de son lieu d'apparition pour se diriger à l'intérieur de la maison, le calvaire de Takumi débuta sans plus attendre. Panda, comme on le nommait, taquin, lui assénait des coups d'épaules incessants, son sourire s'élargissant face à l'irritation du blond. Kayato avait dès lors comprit que son impatience débordait. Lorsque Mélina prit la parole, il se tut enfin, détournant son attention vers la jeune fille, bien que son expression taquine persistait sur son visage.
— Alors, comme tu le sais sans doute, le Royaume de la Lumière nous a une nouvelle fois infligé des règles, et récemment, ils ont tué deux personnes...
— Maël et Linsey, je sais, c'étaient de bons amis.
Mélina ne dit rien. Kayato écoutait le dialogue, troublé par le regard impassible que Panda lançait, malgré le sujet de la mort d'amis. Il aurait été naturel qu'une certaine émotion transparaisse, mais sa réponse demeura aussi monotone que son visage, toujours orné d'un sourire éclatant. Malgré sa confusion, Mélina tenta de dissimuler ses émotions et poursuivit :
— Je suis désolée d'entendre ça. Ça ne doit pas être facile de perdre des amis à cet âge là... Justement, nous voudront arrêter ce genre de représailles. Mais ce n'est pas possible à cinq, c'est pourquoi nous voudrions savoir si tu connais des personnes susceptibles de nous aider.
— Vous aider ? Comment ça ?
— Je veux être considéré comme ce que je suis. S'ils veulent une guerre, ils l'auront.
Les regards convergèrent vers Kayato, dont la phrase avait résonné avec force, portant une charge palpable de haine et de vengeance. Conscient d'avoir captivé l'attention de tous, il poursuivit :
— Nous sommes voués à mourir ici. Nous sommes et serons en position de faiblesse et ce, depuis que nous sommes nés ici. Je ne veux pas me laisser faire. Je veux être fière d'être originaire de ce royaume.
Pendant l'explication du protagoniste, son locuteur ne cessa de garder son expression, souriant. Kayato essaya de déceler une émotion du visage de celui-ci, mais en vain. Pourtant, il savait très bien que ce n'était pas un cas semblable à Mina, qui ne souriait que pour jouer de la comédie et qui ne montrait aucune empathie.
— Donc, répondit Panda sans quitter des yeux Kayato, si je comprends bien, tu veux trouver des gens capables de vous faire rivaliser avec des soldats surentraînés, et qui risqueront la mort... Souhait plutôt original, pour un héros.
— Je ne suis donc pas le héros que tu penses que je suis. Je savais que tes amis allaient mourir, mais je n'ai rien fait. Pas très héroïque non plus.
Les sombres yeux de Panda affrontèrent ceux illuminés de Kayato. Personne, pas même le plus âgé, ne savaient à quoi pensait le plus jeune. Celui-ci continuait d'arborer la même expression dénuée de sens, mais Kayato remarqua qu'il se grattait légèrement le bras droit.
— Dans ce cas, emmenez-moi là-bas.
Les mots de celui-ci résonnèrent dans la pièce. Pendant quelques secondes, Kayato ne sut répondre. Après un court moment qui semblait être une éternité, il parvint à dire :
— Aller dans le royaume de la Lumière ?
— Soyons clair. Je ne suis pas votre allié. Je prends en compte l'opportunité de vous aider, en vous mettant en contact avec des proches à moi. Mais, dit-il en appuyant sur ce mot, vous devez me conduire au Royaume de la Lumière. Là où Soleil repose, directement dans le palais. Ce sera notre pacte.
— À l'Antre des âmes ? C'est du suicide, rétorqua Takumi.
— Je m'en fous de la difficulté. Je dois rencontrer l'âme de Soleil, un point c'est tout. Si vous ne pensez pas être capable de m'y emmener, autant nous arrêter là. Votre résistance est déjà qualifié comme étant du suicide.
Kayato ne répondait pas. Non, il analysait, tout en jouant avec une pièce se trouvant dans sa poche. Pourquoi Panda voulait rencontrer Soleil, l'antiquité ennemie du leur ? Quitte à prendre autant de risques ? Non, il ne comprenait pas. Il se sentait dépassé par les événements. Mais, voulait-il comprendre ? Est-ce qu'il était réellement capable de conduire ce jeune homme, avec son sourire suspect, vers le palais même qui n'attendait que leur mort ? L'Antre des âmes était protégé par des lieutenants, parfois même par des généraux, les plus grandes puissances du Royaume de la Lumière.
Takumi, toujours doué pour poser les bases, dit d'un ton sec :
— Combien d'alliés. Si ce n'est que 5 inexpérimentés, ne compte même pas sur notre aide dans ta recherche de la mort.
— Tu es rude, Takumi. Je n'irai pas chercher la mort, c'est elle qui ira sans doute me trouver. Pour le moment, je propose 11 alliés. Si on nous inclut, nous six, nous serons... 17. Ils ne sont pas inexpérimentés, ils ont les bases de la magie, certains la maîtrisent même très bien. Avec de l'entraînement, je vous promets qu'ils pourront égaler les lieutenants. Vous cinq vous occuperez des généraux, mes amis des autres menaces, n'est-ce pas parfait ?
— Tu es louche, avec ton sourire, Panda.
— Mais honnête. Ne nous voilons pas la face avec des faux espoirs, dit-il en fixant une nouvelle fois Kayato, tout en élargissant son sourire. Toi et moi, nous conduirons des personnes vers la mort. Tout ça pour nos propres visions d'un meilleur monde. Parmi ces amis, j'en connais certains depuis plus de 10 ans. Es-tu capable, sans détourner ton regard, d'assumer les entraîner vers leur dernier souffle ?
Il tremblait. C'est ce que Kayato avait remarqué. Il fut bien le seul, tous le fixait, lui, pour entendre sa réponse. Mais personne ne prêtait attention au jeune homme qui allait confier la vie de ses amis à un inconnu. Tous les yeux étaient rivés vers le héros, et personne ne remarqua la respiration de l'enfant s'accélérer. Personne ne remarqua ses doigts fins qui irritaient sa peau blanche à force d'y gratter. Personne ne remarqua son genoux qui sautait très légèrement sur place. Tout le monde y voyait un enfant insouciant. Tout le monde, sauf Kayato.
— J'assume, dans ce cas. Marché conclu.
Inconnu auprès de ces jeunes descendants de Lune, les promesses d'un confit de type nouveau se tissa dans cette maison, pourtant banale de l'extérieur. Bien que les relations entre les deux Royaumes étaient tendues depuis toujours, le groupe des 5 s'était toujours interdit de causer la mort. Cependant, cette même promesse était sur le point d'être rompue, une réalité qu'ils choisirent de ne pas trop contempler. Le point de non-retour était atteint, et l'avenir s'annonçait sans possibilité de revenir en arrière. À partir de ce moment, tout n'allait qu'être résultats de leurs choix.
Dans l'ombre de l'ignorance, la rencontre avec Panda se dessinait comme l'entrée d'un univers inexploré. Les fils du destin commencèrent d'hors et déjà à se tisser, liant 18 personnes vers un avenir commun : la guerre.
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