Yoongi.

Else – Paris.

Forcement ça lui avait repris. La nuit durant il s'était réveillé plusieurs fois en sursaut, se rendormant tant bien que mal à chaque fois. Tae était présent dans ses rêves et à chaque fois il mourrait : de courtes séquences de la mort de Tae, c'est ce dont il avait rêvé toute la nuit. Et quand il se réveillait, Tae était quand même mort. Tôt le matin il avait finalement abandonné l'idée de se rendormir si c'était pour revivre les derniers jours de Taehyung sans cesse.

À l'heure du petit-déjeuner son corps tremblait encore, des flashs de la voiture percutant le corps de son ami qui lui revenaient à l'esprit dès qu'il relâchait un peu la pression de sa conscience sur son subconscient. Il avait mal à la tête, il se sentait maladif  ; mais ce n'était pas le pire. Le pire c'était la douleur dans sa poitrine, le poids du chagrin, de la perte qui l'empêchait presque de respirer. Il s'était rendu au réfectoire à la fin du service mais n'avait touché à rien, malgré le regard culpabilisant du personnel et les menaces quant à la privation de certaines des libertés qui lui restaient. Il avait rendez-vous avec sa psy cette après-midi, il ne se sentait pas la force de tenir jusque-là.

Il ne se rendit pas à la réunion du groupe de parole, pas non plus aux activités du matin ; il resta couché en boule dans un coin de couloir, à même le sol froid, complètement vide, avec parfois des sursauts de larmes et des crises d'angoisses qui lui reprenaient, essayant de se taire au maximum dès que quelqu'un approchait, étouffant des gémissements dans sa manche ou se mordant le bras pour ne pas qu'on l'entende.

Totalement vidé, il n'alla pas non plus manger le midi – il n'avait même aucune idée de l'heure qu'il était. Effondré sur le sol, il changeait parfois de place, légèrement, quand celui-ci prenait trop la chaleur de son corps et migrait de quelques mètres vers un endroit plus froid : cette fraîcheur était la seule garantie qu'il était encore en vie.

Des traces de morsures ornaient son poignet droit et remontaient le long de son avant-bras. Certaines étaient marquées jusqu'au sang. Il avait encore de la bave au coin de la bouche, de la morve qui coulait sous son nez et les larmes avaient dévasté son visage. Mais pendant les quelques instants qui suivaient ses crises il se sentait non pas bien mais apaisé ; puis une angoisse reprenait le dessus, sa respiration s'accélérait et la douleur revenait. Il donnait alors à nouveau un coup de dents inutile dans sa propre chair, de plus en plus fort, de plus en plus profond, jusqu'à saigner les dernières fois, mais bientôt ça ne calmerait plus sa douleur. Puis il pleurait, retenant les sanglots quand il fallait. Il ne voyait pas de porte de sortie. Enfin si, il pensait bien à quelque chose mais aurait-il cette fois la force d'aller jusqu'au bout ?

Jimin était tranquillement installé dans sa chambre comme indiqué pour faciliter sa digestion, un peu de musique dans les oreilles. Il était vraiment reconnaissant à Hoseok de lui avoir apporté ce mp3 avec plein de vieilles musiques de quand ils étaient jeunes, il souriait quand certaines lui rappelaient des moments heureux. Il s'en voulait d'avoir boudé ainsi son ami quand il était venu la veille, mais le repas du soir était l'un des plus difficiles pour Jimin, la fin de journée faisant resurgir les angoisses du jeune homme.

Digérer, même le peu de nourriture qu'on lui imposait, n'était pas facile, sans compter la sensation d'estomac plein que Jimin détestait et la peur panique de reprendre du poids dès qu'il voyait son reflet, dès qu'il s'habillait et surtout dès qu'il pensait à la danse. Il avait presque envie de continuer à vomir tellement il avait déjà l'impression d'entendre des remarques sur son physique, de voir des regards pesants.

Il n'avait pas non plus revu le garçon aux mèches vertes – dont il avait, seulement ce matin, appris le nom lorsque l'animatrice du groupe de parole avait demandé à savoir où il se trouvait. Il était un peu inquiet après ce qu'il s'était passé la veille dans cette même chambre, mais quelqu'un avait du le retrouver et s'occuper de lui à sa place cette fois. Il irait quand même jeter un œil en radiologie dès qu'il aurait un peu moins mal au ventre, avant de se rendre au tant redouté cours de cuisine de l'après-midi. Peut-être que celui qu'il savait maintenant s'appeler Yoongi s'y trouverait.

Mais tout n'allait pas se passer comme il le pensait en cet instant. Son programme s'envola donc dès le moment où quelqu'un frappa à sa porte.

- Oui ? lança-t-il assez haut pour que la personne l'entende sans problème.

Ce n'était pas l'heure des visites de l'après-midi et les médecins ne toquaient pas vraiment avant d'entrer, cela ne pouvait être que le garçon aux cheveux verts, Yoongi, se dit Jimin.

Mais non, ce fut une femme d'un certain âge – une cinquantaine d'année, peut-être un peu plus – qui entra. Elle était vêtue d'un simple jean, d'un pull à col en V bleu marine et de bottines à petits talons dans les mêmes tons. Elle avait les cheveux grisonnant, les épaules un peu courbés vers l'avant comme une personne qui avait du passer la plupart de sa vie penchée sur un bureau.

Jimin fronça les sourcils en la voyant entrer, un peu surpris. Elle avait du se tromper de chambre. Mais quand elle vit Jimin elle ne sembla pas surprise. Est-ce qu'elle le connaissait ?

Jimin vit alors qu'elle tenait une blouse blanche dans sa main gauche. C'était donc un médecin. Un médecin qui toquait aux portes des patients.

- Tu es bien Park Jimin ? demanda-t-elle.

L'intéressé hocha la tête et articula un petit « oui ». Les médecins n'allaient donc jamais le laisser tranquille ? Que pouvait-elle bien lui vouloir celle-ci ? se demanda-t-il tout de suite sur la défensive.

- Bonjour, dit-elle alors. Je suis psychiatre.

Un psychiatre ! Il ne manquait plus que ça ! Il avait déjà vu un psychologue et n'était même pas sûr de pouvoir faire la différence entre les deux appellations. Qu'avait-il fait de mal ? Il se rendait aux activités, essayait au mieux de manger, qu'allait-il falloir qu'il raconte encore ?

Il s'attendait à ce qu'elle prenne une chaise et s'assoie, limite en lui tenant la main, mais elle n'en fit rien.

- Tu connais Yoongi je crois ? demanda-t-elle alors.

Jimin dessina un « o » avec ses lèvres. Ce n'était donc pas par rapport à lui. Mais que pouvait-elle bien lui vouloir qui ait un rapport avec Yoongi ?

- Euh..., hésita-t-il, connaître n'est peut-être pas le mot.

En effet, jusqu'à ce matin il ne connaissait même pas son prénom.

- Ah... fit-elle embêtée, portant la main à son menton. On m'a dit que tu avais passé la journée avec lui hier.

Que cherchait-elle à savoir ? S'il était à nouveau dans sa chambre ? Devait-il lui dire qu'il avait en effet squatté le lit voisin une partie de la journée d'hier ?

- Il n'est pas là, dit-il simplement.

Elle jeta un coup d'œil rapide dans la pièces comme pour s'assurer que c'était vraiment le cas, puis demanda encore :

- Tu saurais où il peut être ?

Voulait-elle qu'il le dénonce ? De toute façon il n'avait aucune idée de là où il pouvait se trouver.

- Je ne l'ai pas vu aujourd'hui, dit-il sans mentir.

Puis, comme il se faisait quand même du soucis pour lui il ajouta :

- Il n'était pas très bien hier, j'espère qu'il n'a pas refait de crise d'angoisse.

Il s'inquiétait vraiment pour le jeune homme qu'il avait vu si torturé. Peut-être n'aurait-il pas du dire ça, mais s'il avait encore disparu c'était sûrement parce qu'il était mal, et Jimin se devait d'en faire part au personnel médical.

Il fut pris, au même moment que la psychiatre, d'un mauvais pressentiment.

Elle savait à peu près l'état dans lequel devait se trouver Yoongi et c'est pour cette raison qu'elle était venu voir Jimin, surtout qu'elle et Yoongi avaient rendez-vous et qu'il ne s'était toujours pas présenté. Ce que venait de lui dire le blond ne faisait que l'inquiéter encore plus. Il était actuellement au plus bas, sans Taehyung, sans médicaments, sans rien pour l'aider il se retrouvait en face à face avec sa conscience et ses souvenirs et elle avait peur d'où cela pourrait le mener. À part lors de la première crise où il avait déjà fait une tentative de suicide, elle avait toujours réussi à détecter les signes avant-coureurs. Qu'avait-elle manqué cette fois ? Aurait-elle du le faire venir ici avant ? Oui, sûrement, se dit-elle aux vues de ce qu'il s'était passé. Mais c'était trop tard, la priorité à présent était de retrouver son patient, avant... – elle ne voulait pas l'imaginer.

Sentant la détresse dans les yeux de la femme qui n'avait toujours pas bougé, Jimin se sentit obligé d'ajouter :

- Je sais qu'il aime bien le piano de la salle d'attente de radiologie, et il m'a aussi parlé de coins que vous connaissiez où il se cachait mais sans être plus précis.

- Je sais, je viens d'aller y faire un tour, expliqua la psychiatre. Je ne l'ai pas trouvé.

Jimin était à présent plutôt embêté de ne pas pouvoir aider plus la psychiatre. Elle avait vraiment l'air de se faire beaucoup de soucis pour son patient. Jimin imagina alors le pire et osa demander :

- Vous croyez... ?

Mais il ne parvint pas à aller au bout de sa phrase. C'était comme si, du moment qu'il prononcerait ces mots le destin de Yoongi allait être sellé. Il ne connaissait pas le jeune homme mais se refusait à croire qu'il puisse aller jusque là. S'il se mettait à penser ça lui aussi, alors qu'il ne le connaissait pas, alors qui penserait le contraire ? Sûrement pas lui, se dit Jimin.

Mais la psychiatre avait compris où il voulait en venir et hocha tristement la tête.

- Il l'a déjà fait, ajouta-t-elle au grand désespoir de Jimin.

Jimin sentit sa gorge se serrer. Qu'avait-il bien pu vivre pour en arriver là ? Il se sentait bien misérable à coté de lui à être coincé par une question d'apparence – c'est en tout cas ce qu'il pensa pendant quelques secondes.

À ces mots Jimin se leva d'un bond de son lit. Une fois les pieds par terre il sentit son estomac se soulever mais n'y prêta pas plus attention que ça.

- Je vais vous aider à le chercher ! dit-il sur le ton d'un enfant prêt à jouer à cache cache.

C'est d'ailleurs ce à quoi il ressemblait, se dit la psy : à un enfant qui n'était pas prêt à ce qui l'attendait en s'approchant de Yoongi. Avec son visage d'ange fragile, sa douce voix aiguë, son petit gabarit, elle ne lui donnait pas l'âge qu'il avait en réalité ; comment allait-il réagir à la détresse de Yoongi ? Mais après tout il avait déjà réussi à gérer une de ses crises hier. Et pour la première fois Yoongi s'était rapproché de quelqu'un ici, peut-être était-ce une bonne chose ? Ou peut-être allait-il entraîner ce jeune homme, déjà faible, ayant déjà ses propres problèmes, vers le fond avec lui. Elle ne savait pas comment réagir face à la proposition du blond. En même temps c'est elle qui était désespérément venue lui demander son aide... Elle avait toujours voulu que Yoongi se fasse de nouveaux amis, se rapproche de nouvelles personnes, mais ce jeune homme là était-il prêt ? Elle n'avait eu aucun souci en voyant Jin par exemple, les deux pieds bien sur terre, la tête bien vissée sur les épaules, prêt à remettre Yoongi en place quand il le fallait. Ce garçon là saurait-il résister au lourd passé de Yoongi ? Elle ne voulait pas impliquer trop un autre patient... mais trop tard, Jimin avait de lui-même pris l'initiative, et elle ne pouvait pas interdire tous les résidents de s'approcher de Yoongi... ce genre de chose n'était pas vraiment de son ressort.

Aussitôt dit aussitôt fait. Il enfila ses gros chaussons de danse bien chauds qu'il avait pris avec lui avant de s'élancer dans le couloir promettant à la psychologue de l'appeler s'il le trouvait.

Ce n'était pas une partie de cache-cache pourtant. Et Jimin en avait bien conscience. Il lui suffisait de se rappeler comment le jeune homme aux cheveux verts avait réagi hier à son réveil pour savoir que quelque chose de sérieux se jouait ici.

Finalement Jimin ne mit pas longtemps à le trouver. Mais ce qu'il vit à ce moment là, il ne l'oublierait jamais.

Yoongi était recroquevillé dans un angle, sous une des cages d'escaliers. Il murmurait – c'est grâce à ça que Jimin l'avait trouvé – répétant le nom de Tae inlassablement. Jimin ne put s'empêcher de penser à son Tae à lui, l'ami d'Hoseok qui était aussi devenu le sien. Le gars perché avec qui il était allé au collège un an avant de partir en école de danse et qu'il avait à nouveau rencontré quelques années plus tard par l'intermédiaire d'Hoseok. Ce même gars si doux, si gentil, comme si tout le monde avait pour lui le droit d'être sauvé qu'importe la raison qui faisait qu'il n'en aurait pas le droit. Celui qui avait une fois sauvé un enfant qui avait glissé de la promenade au bord de la berge sans même se soucier du fait qu'il ne savait pas nager. Celui-même qui était mort dans cet hôpital, il y a quatre ans, d'un accident de la route, celui dont la disparition avait plongé Hoseok dans un état dans lequel Jimin ne voulait jamais plus le revoir. Celui pour qui Jimin dansait avant tout à chaque fois car il le lui avait demandé, plus d'une fois, de danser pour lui.

Mais ce que vit aussi Jimin et qui prit le dessus sur le souvenir de Tae, ce fut la main ensanglantée du garçon aux cheveux verts. Il se figea, n'osant plus faire un pas vers lui, trop abasourdit pour faire quoi que ce soit il n'arrivait qu'à le regarder délirer, cette main sanglante posée au sol qu'il fixait sans ciller.

Alors, une fois ses esprits un peu retrouvés, sans plus s'approcher, les yeux écarquillés qui n'avaient toujours pas clignés, Jimin appela la psychiatre de son portable.

*

...

Je crois qu'on arrive à un des moments les plus violent de ma fanfic... Disons qu'on a touché le fond avec Yoongi ici. Après le prochain chapitre, l'histoire (bien qu'encore tragique pour quelques chapitres) ne s'aventurera plus aussi profond dans le désespoir. D'ailleurs la 2e partie (bien plus courte que la première) sera plus joyeuse, je suis plutôt adepte des happy ends même si j'avoue qu'on peut en douter à de nombreuses reprises...

Il se peut que je rompe un peu avec ma volonté de coller à la réalité dans le chapitre suivant pour passer à quelque chose de beaucoup plus subjectif, je vous prie d'avance de m'en excuser.

A bientôt,

Tacha'