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Miroirs




Ce fut une chaleur brûlante au plus intime de lui-même qui réveilla brusquement Sherlock. Son bras gauche était rejeté sur l'oreiller au-dessus de sa tête, mais sa main droite était posée sur son sexe qui n'avait  plus  été si sensible depuis des mois. Dans la chambre assombrie par les rideaux qui laissaient à peine passer la lumière du jour, sans qu'il en eut vraiment conscience, encore à demi-endormi, il laissa sa main errer, presque malgré lui, dans un mouvement lent et  caressant et, tandis que la chaleur s'accentuait, émergeait progressivement à sa conscience une interrogation étonnée. Il n'avait pas eu besoin, depuis Victor, de s'empêcher de faire ce que son amant, jaloux de son plaisir,  lui interdisait ce qu'il avait d'ailleurs accepté, plus ou moins de bon gré certes, mais finalement en se soumettant à la requête. Depuis, aucune envie spontanée ne s'était manifestée. Leurs derniers moments avaient été si tourmentés que tout désir semblait l'avoir abandonné, comme si son corps avait deviné la blessure  intérieure encore à vif. 

Mais aujourd'hui, dans le silence de sa chambre, alors que le sommeil lourd du sédatif qui lui avait été donné la veille à Barts le quittait difficilement, ses doigts s'étaient enroulés d'eux-mêmes autour de son sexe dressé et lui imprimaient des mouvements de plus en plus rapides qui lui arrachèrent un gémissement fait de plaisir et d'inconfort mêlés. Ses yeux s'ouvrirent alors et il prit plus nettement conscience de la chaleur  qui irradiait entre ses cuisses largement ouvertes. L'image floue d'un visage qu'il ne reconnaissait pas  flottait en lui et accentuait l'envie de pousser ses hanches vers le haut, tandis  que sa main allait et venait sur toute la longueur et s'appesantissait à l'endroit le plus sensible et déjà humide.  Le bruit de sa respiration haletante acheva de le réveiller complètement. Avec une  soudaine grimace de déplaisir contre lui-même, Sherlock s'immobilisa complètement et se força à inhaler profondément.

Afghanistan ou Irak ?

En une vague incontrôlable, les événements des deux derniers jours revinrent le heurter de plein fouet. Les paroles de Tim le suppliant pour une photo, les sarcasmes de Moriarty pendant les répétitions,   le fiasco du concert annulé à la dernière minute, les yeux étonnés de Greg qui le regardait sans comprendre  alors qu'il plongeait dans le vide, sa tempe ensanglantée violemment éclairée par le scyalitique ... Mais au-delà de toutes ses images qui venaient tournoyant en lui sans qu'il pût y faire barrage,  c'était la sensation de la main de ce médecin sur son poignet et la chaleur de son sourire qu'il percevait encore en lui. La chute de Greg, ses blessures avaient pris le pas sur tout le reste alors qu'il était dans l'ambulance avec lui. Des vagues de panique et de culpabilité faisaient écran à son propre malaise. Il n'avait pas conscience de sa respiration heurtée, rendue laborieuse par les cachets qu'il avait avalés toute la journée avant le concert pour l'aider à tenir, ni des cernes bistrées qui soulignaient l'épuisement de son visage, ni-même du tremblement intense qui agitait ses mains.

Mais évidement ce médecin urgentiste dont il avait déduit  le passé militaire au premier regard sur sa coupe de cheveux, le teint de son visage,  et ses épaules  raides rejetées en arrière, ne s'était pas laissé avoir. Sherlock avait tout de suite compris qu'il ne l'avait absolument pas reconnu.  Sa notoriété ne semblait pas  être parvenue dans les dunes du désert afghan. Évidemment, les tabloïds londoniens de la pire espèce, ceux qui inondaient leurs unes avec des photos volées aux pires moments de sa vie ne devaient pas trouver leur chemin dans les avions qui apportaient le courrier sur les champs de bataille. Le médecin s'était juste concentré sur sa tâche. Il avait fait sortir Sally et les gardes du corps tandis qu'on emmenait Greg  à un autre étage.  Le chanteur avait eu beau tenter de s'éloigner de cette poigne  faite à la fois de fermeté et de douceur, le médecin ne l'avait pas laissé partir avant d'avoir vérifié que le trop plein de cachets ne lui faisait pas courir de danger immédiat. Il n'avait pas posé plus de questions que nécessaires, avait laissé les pourquoi de côté , avait longuement écouté son coeur, l'avait allongé au sol, lui avait demandé d'inhaler et de d'expirer régulièrement en se calquant sur son propre rythme.

J'ai l'air si paniqué que ça ?

Et quand la respiration du chanteur sembla avoir retrouvé un rythme plus acceptable, le médecin avait de nouveau posé  avec précaution son stéthoscope sur sa poitrine, avait maintenu ses épaules  à terre alors que Sherlock tentait de se redresser.

« Pas encore, William, avait-il murmuré. Là ... donnez-vous un peu de temps. Vous êtes passé tout près, vous savez ». Il avait continué  l'examiner, ses mains assurées sur son cou, sous ses bras. Une grimace  s'était dessinée sur ses lèvres pendant qu'il palpait avec douceur son ventre trop maigre et ses côtes qui saillaient sous le souffle haché  mais il avait poursuivi  d'une voix légère  ses paroles rassurantes. « Là .. Là...doucement, respirez avec moi ... »

Les yeux de Sherlock ne quittaient pas le visage du médecin. il y avait là un charmant sourire, mais aussi tout un monde, fait à la fois de lumière et d'ombre. Et le musicien, si prompt à déduire d'habitude, une vie entière d'un seul coup d'oeil, trouva quelque chose de complètement indéchiffrable dans ces yeux  d'un bleu profond qui le regardaient avec un mélange d'inquiétude, d'étonnement et, oui, d'admiration quand il avait demandé :

« Afghanistan ou Irak ? »

Le médecin avait tressailli violemment, comme si la question l'avait ramené vers un monde et un passé  qu'il s'efforçait d'oublier,  ne lui avait  pas répondu  mais l'avait redressé doucement, avait de nouveau écouté son coeur et avait, enfin,  relâché sa poigne. D'un ton neutre où l'on décelait néanmoins une vulnérabilité contrôlée, John demanda :

« Il y a quelqu'un qui peut venir vous chercher, William ? Je préférerai que vous ne soyez pas seul cette nuit. Je vais vous donner quelque chose pour vous aider, mais je voudrais vraiment parler à l'un de vos proches. Vous pouvez joindre un ami ? De la famille ? Une soeur ? Un frère ? » John sortit son téléphone de sa poche, comme s'il voulait appeler quelqu'un, l'approcha de Sherlock   et fit un  geste vague vers la porte derrière laquelle il avait renvoyé  Sally et les deux gardes du corps. «  Je ne pense pas que vos deux ... , » il hésita sur le terme à employer, « ... vos deux accompagnateurs puissent vous être d'un grand secours ce soir, et vous avez vraiment besoin de vous reposer et d'être au calme. Votre ami, Gregory, va bien », ajouta John qui comprenait  l'interrogation muette de Sherlock.   « Il nous faut juste  le surveiller quelques heures, ce n'est pas pour lui mais pour vous que je suis inquiet. Vous devez dormir,  arrêter d'avaler tout et n'importe quoi,  prendre soin de vous, William... »

« Sherlock »

«  Je vous demande pardon ? »  interrogea John qui,  visiblement confus, ne comprenait pas

« Ce n'est pas William, c'est Sherlock », répondit le musicien, et tout en prononçant ces paroles, il avait appuyé ses deux  mains sur la poitrine du médecin pour  se dégager  de sa  poigne. D'un mouvement moins souple que d'habitude et vacillant un peu, il se mit pourtant  debout. « Merci de vos conseils, Docteur, » ajouta-t-il d'un ton que John sentit comme   ironique, « et puisqu'on parle de sommeil, John - son regard avait glissé sur le badge accroché à la blouse blanche  et vers le téléphone que John tenait dans sa main - vous devriez arrêter de prendre trop de gardes de nuit pour fuir vos cauchemars et vos souvenirs afghans  ...   et si vous voulez vous occuper de quelqu'un, je vous suggère de vous intéresser à votre frère Harry, parce que visiblement, il a des problèmes d'alcool.

Interloqué, John avait regardé cet inconnu tellement fragile et en même temps  arrogant et si  brillant qu'il avait déduit  en un regard presque tout de sa vie.  Il l'avait vu remonter très haut le col de son manteau, comme s'il voulait dissimuler son visage. Il avait franchi la porte, la tête baissée, avait fait signe aux deux hommes qui  étaient toujours là à l'attendre et qui l'avaient  aussitôt encadré. Il avait traversé le hall en d'immenses enjambées et, dans un tourbillon,  avait disparu.

Et maintenant, quelques heures plus tard,  le musicien était là, allongé sur son lit, dans sa chambre silencieuse. Il venait de se réveiller, trempé de sueur, une  main égarée, malgré elle, sur son sexe douloureux.   En sortant de l'hôpital, il avait ignoré les messages de Molly qui le suppliait de rentrer dans son appartement de Belgravia, avait  réussi à renvoyer chez eux ses deux gardes du corps qui maugréaient que c'était contre les ordres, qu'il ne devait en aucun cas rester seul, que Greg serait furieux quand il se réveillerait et qu'il l'apprendrait. Pour s'en débarrasser, il avait marmonné qu'il serait prudent, qu'il irait tout droit à Baker Street et qu'il n'en sortirait pas.

Il repoussa brusquement le drap et se força à se redresser, alors que le plaisir inachevé battait encore dans son sexe douloureusement dressé. Se contraignant à détourner le regard de lui-même, Sherlock se leva, et chercha automatiquement des yeux  sur son chevet le blister de pilules préparées par  son staff et qui l'aidaient à tenir le coup dans le rythme insensé qu'avait pris sa vie depuis deux ans, enchaînant périodes de composition, enregistrement en studio, promotion, plateaux télé et tournées. Mais, au moment où il allait saisir un cachet, des paroles récemment entendues suspendirent  son geste.

... prendre soin de vous, William...

Sherlock grommela, mécontent contre lui-même. Depuis quand se laissait-il influencer ? Et par un inconnu, encore, quelqu'un qu'il n'avait vu qu'une heure ?  Qui plus est, un homme qui avait été le témoin d'un moment inexcusable, pensa-t-il, de faiblesse ...  ? Quelle idée il avait eu de lui révéler son nom ! Et même s'il n'y croyait  absolument pas lui-même, il se dit qu'il ne lui faudrait pas s'étonner si son passage à l'hôpital ferait, dans les jours à venir, les choux gras des mauvaises feuilles du pays. 

Les yeux bleus flottèrent encore devant lui,  et il se détourna, mal à l'aise, tendu  entre une  envie  inassouvie qui lui rongeait les nerfs et  la satisfaction de ne pas avoir cédé à un état manifeste de manque.

Soupirant,  revêtu  d'une robe de chambre qui couvrait mal son érection toujours présente, il se dirigea vers la cuisine qui s'ouvrait à l'arrière du salon et se prépara un thé. Alors qu'il sortait un mug du placard, il se figea sur lui-même. Depuis quand n'avait-il pas réalisé cette simple tâche  ? Il réalisa qu'il était  en permanence entouré, dans les meilleurs moments par ses proches, Greg - et à l'évocation de son agent , son coeur se tordit de chagrin - et  son assistante, la petite Molly, tellement dévouée.  Mais le plus souvent, c'était toute une équipe plus ou moins anonyme  qui gravitait autour de lui  et ajoutait à cette impression d'inconsistance qu'était devenue son existence  depuis que Victor ... Il s'interdit d'aller plus loin dans cette direction  et, réchauffant ses mains contre le mug brûlant, il se posa dans un fauteuil devant la cheminée, les yeux dans le vague, fixé vers les bûches à demi calcinées. Il avait encore la sensation désagréable de son sexe à moitié dégonflé maintenant, mais qui ne lui permettait pas d'oublier le visage de ce médecin inconnu et pourtant déjà si familier à cause duquel visiblement  il s'était réveillé, une chaleur brulante dévorant son intimité.

Oui, se disait-il,  son équipe  l'entourait, on le cajolait, on lui passait tout.  Les colères, les caprices, les médocs, les sarcasmes ...  Et pourquoi ?  On lui demandait juste de composer, d'aller chercher au plus profond de lui-même les mélodies qui chavireraient les coeurs, qui enflammeraient les foules, qui seraient sur toutes les lèvres des mois durant. Il avait un don, lui disait-on. S'il se montrait souvent incapable d'établir le moindre lien d'amitié, voire même de simple camaraderie, la musique  qu'il  composait et sa voix basse et vibrante compensaient tout, établissaient une osmose parfaite entre lui et son public, allaient droit au coeur des gens,  étaient capable de les faire danser, pleurer, aimer, vivre.

Composer avait toujours été son atout majeur, c'était ce qui permettait à son esprit toujours en mouvement de s'apaiser enfin. Quand l'inspiration était là, pendant des jours, il ne disait pas un mot, entièrement perdu dans sa musique intérieure. Il ne mangeait plus, ne dormait plus, au grand désespoir de Greg qui tentait  de lui faire au moins avaler de temps à autre  du thé et des toasts.  Il aimait plus que tout se tenir devant la fenêtre du salon de ce  appartement improbable et biscornu, ornés de mille objets disparates et baroques. Il glissait son  Strad,  un cadeau de son frère  Mycroft, sous son menton et des heures, des jours durant, l'archet virevoltait sur les cordes de la manière la plus exquise et faisait naître des mélodies plus vibrantes les unes que les autres. C'était là dans ce minuscule appartement de Baker Street qu'il avait composé ses plus grands succès, ceux qui l'avaient consacré sur le plan national et qui avaient fait de lui la locomotive d'Underground  Records, la Major du puissant  Charles Augustus Magnussen. 

Repoussant le plus loin possible l'image de cet homme détesté, mais qu'il était contraint de subir, posant son mug sur la table basse,  fermant les yeux, chantonnant pour lui-même, Sherlock s'autorisa à suivre la ligne mélodique qui flottait en lui depuis quelques jours déjà, avant le fiasco du concert au Palladium. Ses doigts tapotaient en rythme l'accoudoir du fauteuil, à la recherche de la tierce qui donnerait la touche finale recherchée aux mesures déjà imaginées. Durant quelques minutes, elle fut là, à sa portée, aussi brillante et lumineuse que l'avait  été la veille l'apparence de ce médecin dont le  sourire légèrement en coin ne l'avait pas vraiment quitté.

Mais l'espoir de trouver les notes salvatrices fut de courte durée. Déjà, elles s'étaient envolées, fugaces et trompeuses. Il savait que s'il avait eu le courage de prendre son violon, il aurait pu trouver plus facilement ces quelques mesures qui lui manquaient. Mais c'était désormais un geste qu'il s'interdisait depuis Victor. Il ne composait plus que sur un clavier électronique dont il savait pourtant intimement  qu'il ne correspondait pas à son mode de création. Depuis les événements, au grand désespoir de son frère et de Greg, il n'avait plus touché son instrument.

Avec un gémissement d'impuissance, Sherlock se leva brusquement. Il mourait d'envie de prendre une cigarette, un cachet, n'importe quoi pour faire passer l'anxiété  et la culpabilité qui crépitaient en lui. Il vérifia encore une fois sur son portable si Sally, comme elle lui avait promis la veille au soir, lui avait envoyé des nouvelles de Greg. Mais l'écran demeura inexorablement vierge de toute notifications.  Au comble de l'énervement, il se dirigea vers sa  salle de bains. A bout de nerfs, il fit glisser la robe de chambre de ses épaules. Le reflet de son corps nu dans le miroir le heurta douloureusement. Il se trouva laid, abimé. Il était à faire peur. D'ailleurs, c'était ce que  lui avait dit Greg dans les coulisses du Palladium; il savait que c'était pour le faire réagir. Son agent n'avait pas tort. Il devait l'admettre. Des mois de sommeil chaotiques, de repas sautés, de cachets avalés  à tort et à travers avaient creusé ses traits, son torse, son ventre, avaient amaigri ses épaules et ses cuisses. Presque malgré lui, il passa sa main sur sa gorge, puis dans sa chevelure brune.

Plus en arrière, Sherlock, c'est ça, continue

Dans un vertige, il  entendit la main de Victor claquer sur sa peau, lui murmurer des ordres à l'oreille quand il l'étreignait par derrière. Soudain, il se détesta encore plus. N'en finirait-il donc plus avec les fantômes ? Resterait-il prisonnier de ses démons du passé ? Aujourd'hui,  c'était  la vie qu'il désirait. C'était l'énergie que lui renvoyait  la foule quand il était sur scène qu'il voulait. C'était  la sensation de la musique naître et couler en lui dont il lui fallait retrouver la source. Et pour cela, il le savait, c'était l'osmose d'un corps contre le sien qu'il brûlait de ressentir à nouveau. 

Comme une vague de fond,  l'image du sourire  lumineux du docteur John Watson vint se superposer au  reflet de son visage renvoyé par le miroir. À bout de frustration et de colère contre lui-même,  rempli d'un désir qu'il ne s'expliquait pas pour cet homme qu'il n'avait vu qu'une fois, Sherlock envoya son poing dans le verre qui se brisa  net sous la force du coup.

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Sa garde s'était terminée sans encombre. La nuit avait passé dans l'habituel tournoiement de patients anonymes et de détresses familières entre enfants apeurés, mères inquiètes, regards anxieux et interrogations muettes. Et comme d'habitude, ses mains et ses paroles avaient apaisé, rassuré, soigné.  En prodiguant ces gestes toujours utiles, il trouvait d'ailleurs une forme d'apaisement. Dans ces moments-là, le docteur John Watson n'avait pas besoin de se demander pourquoi il était encore là, alors que tant d'autres n'étaient pas revenus des dunes ensanglantées du désert afghan.

Mais tandis que John, une fois sa garde terminée,   traversait à l'aube le parc embrumé qui le ramenait vers son appartement, il ne pouvait empêcher son esprit de revenir sans cesse sur cet homme qui - il n'avait pas encore compris comment - avait déduit d'un regard  aigu ses nuits empreintes de cauchemars et l'alcoolisme familial. Il ne savait pas trop si la colère devait l'emporter sur l'inquiétude et la surprise. L'état de  William -non, Sherlock, puisque le jeune homme avait de lui-même corrigé l'information - le préoccupait, bien sûr. Il était parti seul, visiblement très choqué par l'accident de son ami et sous l'emprise certaine de produits dangereux. John avait décelé, quand il l'avait examiné, des traces anciennes mais très reconnaissables d'injections. Il allait mal, c'était évident. Le médecin  entendait encore, amplifiés par son stéthoscope, les battements trop rapides du cœur de Sherlock et sa respiration affolée qu'il n'avait  réussi à  apaiser qu'en lui demandant de calquer son rythme sur la sienne.  Mais finalement, c'était une certaine forme  d'éblouissement qui dominait en John, en dépit - ou à cause ?-  de l'arrogance et  de l'acuité du personnage. Et quoiqu'il ne voulait absolument pas se l'avouer à lui-même, la beauté singulière du jeune homme l'avait frappé et le visage aux traits anguleux le poursuivait  encore de façon tenace en pensée, alors que sa vue était brouillée par les rafales qui secouaient les arbres  parc et que le vent soulevait des souffles  de sable sur les allées désertes en ce petit matin d'hiver, ramenant les souvenirs d'autres aubes et d'autres visages.

Fayaz ... Non, Seigneur, pitié, pas ça ...

Mécontent contre lui-même de céder si facilement aux images douloureuses,  épuisé par sa nuit de travail, John grimpa difficilement les marches qui menaient à son étage. Repoussant l'envie d'ouvrir le clavier de son ordinateur pour aller sur son blog, il se débarrassa de sa veste et de ses chaussures. Pieds nus, il se dirigea vers la cuisine et alluma la bouilloire. Tandis que les effluves d'un puissant Assam se répandaient dans la pièce, il s'installa dans le fauteuil qui faisait face à la fenêtre. C'était le moment le plus difficile pour lui, le moment où la fatigue et l'absence d'une tache à accomplir le laissaient seul face à lui-même. 

D'un coup d'oeil machinal, il jeta un regard vers le rituel qu'Ella lui fait demandé de garder à portée de vue, comme un talisman auquel se raccrocher quand il se sentait partir vers un ailleurs auquel il ne devait ni ne voulait céder. Ce matin-là, cette routine était plus que nécessaire. Déjà, il n'avait pas respecté  l'étape du petit-déjeuner, se contentant d'un thé brûlant. Il avait d'emblée éviter l'idée de préparer un repas complet, rendu vaguement nauséeux par l'épuisement de sa nuit blanche. Même de simples  toasts lui paraissaient inopportuns. Il savait que l'étape suivante était la douche. A l'idée de devoir se débarrasser de sa tenue d'hôpital qu'il avait gardée sur lui et de se retrouver face au miroir dans la lumière blanche de sa salle de bains qui lui renverrait l'image de son corps blessé et de ses yeux fatigués, il décida de prendre un peu plus de temps pour siroter son thé.

A moitié recroquevillé sur le fauteuil,  John prit son téléphone et se connecta à son compte twitter. Il avait gagné plus de cinquante abonnés depuis la veille. Apparemment, le nouveau texte qu'il avait mis sur son blog faisait un malheur. La disparition d'un jeune soldat à Mazâr-e-Charif  quelques jours auparavant avait secoué l'opinion publique et,  sur les réseaux sociaux, les gens s'étaient emparés de photos et de textes en hommage au jeune homme. SoldatForEver, un de ses fidèles abonné, lui avait laissé, comme d'habitude, un message poignant auquel   il  s'attacha à répondre. Et tandis qu'il pianotait une réponse, l'envie irrésistible, irriguée par la tension et l'épuisement de la nuit,  de mettre encore d'autres mots sur  le drame déferla en lui. Délaissant son portable, il ouvrit  son ordinateur,  trouva la page de son blog et commença à taper. Les mots inondèrent la page blanche sans  même qu'il en eut conscience.

Je caresse ton absence

La montagne et l'errance

Et puis l'ennui

La rivière te ressemble

Au moins en apparence

Pourtant tu fuis

Au moment où les mots s'écrivaient d'eux-mêmes, John sut tout de suite qu'ils ne s'adressaient pas à ce jeune soldat qu'il avait eu cependant l'intention d''évoquer. Pendant que, mal à l'aise, il relisait les mots, il ne put s'empêcher de revoir, dans une clarté presque choquante, la longue silhouette de Sherlock disparaître et fuir dans la nuit. Il sentit une brusque chaleur se répandre d'abord sur son visage, tandis qu'une onde fugace dont il ne savait pas exactement de quoi elle relevait naissait  au plus profond de son ventre. Il referma  sèchement le clavier de son ordinateur, tandis qu'il sentait ses mains trembler légèrement. Le visage de Sherlock  continuait à flotter en lui, ses yeux brillants le transperçant, lisant avec une facilité extrême  tout ce qu'il était.

Mal à l'aise avec lui-même, John reprit son téléphone, jetant un coup d'œil machinal sur les tendances Twitter du moment, comme pour faire écran à ces pensées diffuses qui le faisaient frissonner sans qu'il n'en perçoive les raisons. Brutalement,  le  hashtag #Sherlock inonda son écran.

#Sherlock, la star déchue

#Sherlock a encore joué les divas au Palladium

Le concert raté de #Sherlock

Merci d'avoir gâché ma soirée d'anniversaire, #Sherlock

L'agent de #Sherlock poussé au suicide par le chanteur

John, stupéfait,  fit défiler les tweets, les mains moites. Il n' en croyait pas ses yeux. Soudain, les pièces du puzzle s'assemblèrent. Il comprit en une fraction de seconde pourquoi on avait tenté de lui dissimuler l'identité du jeune homme, la présence des gardes du corps, le visage caché dans le col du manteau. De nouveaux tweets défilèrent, plus haineux les uns que les autres. Ce fut un déferlement de violence et d'insultes que John découvrit alors avec surprise. L'éloignement forcé des trois dernières années l'avait empêché  de prendre connaissance de la notoriété  et des frasques  du musicien. Le nom de Sherlock Holmes ne lui disait quasiment rien, et en tout cas, s'il avait de très vagues sensations de l'avoir  un jour entendu, il ne le mettait pas en relation avec celui d'une rock star.  Le cœur battant à tout rompre, il bascula de Twitter sur le web et tomba sur les pages Facebook   consacrées au chanteur. Là, les « Sherlock, on t'aime » remplaçaient les propos injurieux mais si ces pages  témoignaient de la passion des fans, elles révélaient aussi en creux l'immense pression qui pesaient sur l'artiste.

Pas étonnant qu'il soit si fragile

Rapidement, John tapa dans le navigateur  Sherlock Holmes et arriva sur le site du musicien, sciencedurock.com. Ce qu'il découvrit était à mille lieues  de ce qu'on pouvait trouver s'attendre à trouver. Ce n'était pas la liste convenue des dates de concert et des albums déjà publiés ou à paraître  mais des pages entières consacrées à des recherches sur les différentes tendances du rock conceptuel anglais, comme si ce site n'était pas une émanation de la promotion de l'artiste mais plutôt un contenu   tout à fait personnel. Il n'était pas étonnant, compte-tenu  de l'exigence et de la sévérité du sujet,  que le  marqueur de visites soit si faible, pensa John, de plus en plus intrigué.

Une brève recherche amena  le médecin sur Instagram. Un raz-de-marée  de clichés déferla  alors sur l'écran de son portable. Sherlock sur scène, les yeux fermés, l'air habité. Sherlock lors d'une conférence de presse, le bras de Gregory Lestrade entourant ses épaules, comme s'il voulait le protéger.  Sherlock en studio, un casque sur les oreilles souriant à un homme aussi grand que lui, en costume trois pièces appuyé sur un improbable parapluie. Sherlock, l'air crispé, aux côtés d'un homme très blond aux lunettes cerclées d'or qui avait posé sa main sur celle du musicien.  Sherlock debout, la tête un peu penchée, le menton appuyé sur  un violon bleu électrique. Sherlock, les yeux rougis, l'air épuisé,  au sortir d'une boîte. Une photo, visiblement volée, attira  alors  le regard de John. Un homme jeune se tenait derrière Sherlock,  très raide, le teint pâle; il l'enlaçait de façon possessive, ses lèvres posées au niveau de l'oreille; on avait l'impression que Sherlock cherchait à se dégager d'une étreinte qu'il ne voulait pas. Ce dernier cliché, plus que tout ce qu'il venait de découvrir, bouleversa John, sans qu'il ne comprît lui même les raisons du malaise qui grandissait en lui. 

Sur Tumblr,  là où il abritait son propre blog, il trouva, en lieu et place des photos de presse,  des fanarts évoquant Sherlock.   C'étaient, pour la plupart, des dessins qui célébraient et révélaient la beauté du corps du musicien, sa minceur, la pâleur de son teint, sa souplesse.  John se prit à rougir devant l'un d'entre eux où  l'on avait crayonné Sherlock allongé nu sur un sofa. Le médecin ferma d'un geste brusque son téléphone, se dirigea vers la salle de bains et se débarrassa  de sa tenue d'hôpital. Son coeur battait à tout rompre. Il osa enfin relever son visage et se contempla dans le glace. Son propre reflet l'étonna. Ses yeux, si fatigués depuis des mois, brillaient d' émotions qu'il ne s'expliquait pas et une rougeur s'était répandue sur son visage. Et tandis qu'il  se regardait, comme s'il voyait quelqu'un qu'il ne reconnaissait pas, une chaleur intense gagna son ventre. 

Vraiment, John ?

Ce qu'il voyait dans le miroir n'était plus le soldat blessé.  Ce qu'il contemplait dans le sourire qui se dessinait malgré lui sur son visage, c'était le désir irrésistible  de revoir Sherlock, de s'assurer qu'il allait bien, d'arrêter la spirale dans laquelle le musicien semblait s'abîmer, de le prendre dans ses bras et, enfin, de poser ses lèvres sur les siennes. 

Il lui fallait juste franchir l'abîme qui le séparait de la rock star.


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