Chapitre 43 - Calm Before the Storm
C'en fut trop pour Miracle qui quitta précipitamment la pièce. Sa respiration se fit courte et haletante, elle avait l'impression de suffoquer. Il lui fallait de l'air frais ou elle allait crever d'asphyxie.
Elle grimpa les escaliers en colimaçon qui menaient au toit de l'hospice. Derrière elle, des pas précipités s'étaient lancés à sa poursuite, mais elle n'en avait rien à faire. Tout ce que son esprit lui hurlait, c'était de sortir d'ici. Échapper à ce guêpier dans lequel elle avait embarqué Piaget, Raemone et tous les autres.
Quand elle déboucha enfin à l'extérieur, le ciel nocturne s'offrit à elle. Le firmament était bouché par d'épais nuages de pluie, si bien que seule une poignée d'étoiles apparaissaient par des trous minuscules dans les nuées. Même au grand air, le ciel lui parut comme le plafond noir d'une cage trop étroite. Pribam était devenu un panier de crabes dont les murs se resserraient inexorablement. Ce n'était qu'une question de temps avant que la situation ne devienne explosive, et à cet instant Nyx apparaitrait de nulle part pour donner le coup de grâce. Ce monde était condamné et tous ses habitants avec lui. Elle ne voyait pas comment faire entendre cette réalité à ces gens qui ne lui faisaient aucune confiance.
« Miracle, qu'y a-t-il ? sonna la voix inquiète de Lukas.
— C'est la preuve, balbutia-t-elle en baissant les yeux vers le symbole du Chaos dans sa main. Les engrenages sont en mouvement et nous ne pouvons plus rien empêcher. »
Lukas lui saisit les épaules et la fit se retourner pour l'enlacer dans ses bras chauds et réconfortants. Elle posa son visage sur sa large poitrine et se laissa aller à sangloter. « Je ne sauverai pas Svata Zeme. Je ne sauverai pas la Terre. Je ne sais même pas si j'ai vraiment sauvé Elysion.
— Tu n'es pas toute seule. » murmura-t-il à son oreille. Il plaça son doigt sous son menton et lui releva le visage. Leurs bouches s'approchèrent, se frôlèrent. Miracle se détourna soudain avec un sursaut et se libéra de son étreinte.
« Désolée, souffla-t-elle. Tu me rappelles trop mon père.
— Hey les tourtereaux, interrompit soudain une voix que Miracle ne connaissait que trop bien. Le commandant veut vous voir. Il paraît que vous avez du nouveau.
— Mêle-toi de tes putain d'oignons Jocelyn, jura Miracle.
— Nous arrivons, compléta Lukas.
— Prenez votre temps, ironisa le militaire. Je ne voudrais surtout pas interrompre un truc important.
— Tu pourrais pas juste nous rendre service et aller mourir ailleurs ? » lui lança Miracle en le poussant pour emprunter les escaliers.
Quelques minutes plus tard, elle était de retour dans le bureau de Marika, cette fois en compagnie de Piaget, Lukas et malheureusement de Jocelyn qui avait suivi. Elle mit de l'ordre dans son cerveau encore bouleversé et tenta de leur expliquer par des mots simples pourquoi elle était si certaine que le destin de Svata Zeme était scellé à court terme.
Ce monde était une Ombre parmi tant d'autres, un reflet déformé qui combinait les trois Réalités primordiales, les seules à réellement disposer de leur indépendance, les Cours du Chaos, le Royaume d'Ether et la Terre. Elle avait pu constater que Svata Zeme se trouvait dans la zone d'influence de ce troisième monde, car ce qui se déroulait sur Terre y avait des répercussions immédiates. Or la Terre se dirigeait vers sa fin et elle y entraînait toutes les Ombres qui l'entouraient.
Miracle constata que son discours suscitait des réactions d'incrédulité. Les yeux s'écarquillaient, les têtes se secouaient et des reniflements désapprobateurs ponctuaient ses mots. Elle continua néanmoins.
Sur Terre, huit Cavaliers avaient œuvré en secret pour mener le monde au-delà du point de bascule. L'individu que Jocelyn avait abattu n'était autre que l'équivalent Zemeien d'un de ces agents de l'Apocalypse. Ils agissaient dans l'ombre et sans avoir connaissance de l'existence des autres, toutefois leurs actions conjuguées provoqueraient à coup sûr la destruction pure et simple du monde. Pour preuve, l'objet qu'elle tenait en main attestait de la phase finale du Plan. Quel que fût l'engrenage dans lequel la population de Pribam était prise, tout culminerait avec l'invocation de Nyx elle-même pour achever de briser le tissu même de la réalité. Elle avait vu en rêve ce moment où le ciel se fracturerait et où le néant aspirerait tout ce qui subsisterait encore.
« Cette attitude défaitiste m'étonne de ta part, intervint Marika. Si tu dis vrai, il ne nous reste qu'à débusquer ces fameux Cavaliers et les éliminer.
— Il est trop tard ! rétorqua la jeune métisse. Ce qu'ils ont mis en marche ne s'arrêtera plus avec leur mort. Ils ont des fidèles, des acolytes. Si seulement Raemone était là, il vous dirait que j'ai raison. »
Elle sentait bien qu'ils avaient le plus grand mal à lui accorder du crédit. Surtout Jocelyn, dont le sourire narquois trahissait son plaisir à la voir ainsi se ridiculiser. Telle la Cassandre des légendes grecques, sur ses épaules pesait la malédiction d'avoir raison et pourtant de ne pas être crue.
« S'il vous plaît, sanglota-t-elle. Vous devez m'écouter.
— Je veux bien suivre ton raisonnement, dit Piaget en posant une main réconfortante sur son épaule. Mais dans ce cas nous détenons la clé pour déjouer ce plan. Si cet objet bizarre est nécessaire au projet de cette déesse, il nous suffit de le mettre en lieu sûr.
— Il ne sera nulle part hors de portée de ces fanatiques, souffla-t-elle de dépit.
— Tu as peut-être raison, compléta Marika. On ne peut pas se prémunir d'un ennemi qui a des oreilles et des mains jusque dans nos rangs. Dans ce cas, toi seule peux emmener cette chose là où ils ne la retrouveront pas. Tu as parlé d'autres mondes. Il doit bien exister un endroit où tu pourras cacher, voire détruire cette clé.
— Je pourrais essayer, concéda la sorcière.
— En ton absence, nous nous chargerons de faire le ménage, affirma Piaget avec une détermination qui retint toute l'attention de son subalterne.
— Tu peux faire confiance aux Chasseurs pour identifier ces gens et les neutraliser, renchérit la Maîtresse de l'Ordre.
— Vous ne ferez que repousser l'inévitable.
— Nous verrons bien, rétorqua la Chasseresse avec une lueur étrange dans son œil barré de sa vieille cicatrice. Mais on ne peut pas se rendre sans combattre, tu n'es pas d'accord ?
— Tout serait tellement plus simple si les gens acceptaient de partir.
— Ils changeront peut-être d'avis. Laisse-leur une chance. »
Miracle se leva, son moral regonflé par cette mission qui venait de lui être confiée. Elle serra dans son poing l'esquisse de cuivre et regarda les quatre participants de cette réunion décisive. Jocelyn pouvait bien crever la gueule ouverte, mais les trois autres étaient chers à son cœur. Lukas se trompait sur ses sentiments à son sujet, car même s'ils avaient vécu une fugace idylle immature, ce temps était révolu. Marika avait protégé Miracle tout au long de son premier séjour en Svata Zeme, elle avait mis sa propre vie en jeu ainsi que celle de l'Ordre tout entier pour défendre Miracle. Quant à Piaget, il était un compagnon de route de Désiré et l'avait elle-même accompagnée dans un périple qui l'avait aidée à surmonter le deuil de ses parents. Elle ne devait pas échouer. Leur sort en dépendait.
« Je reviendrai, déclara-t-elle. Au dernier jour, quand tout semblera perdu, je me tiendrai à vos côtés. »
Elle sortit et se dirigea vers le véhicule de commandement pour récupérer son paquetage. Dans l'habitacle du Griffon, elle vérifia son carnet d'esquisses et la clé administrateur d'Elysion, s'équipa de ses armes et revêtit son masque et ses gants. Le casque tactique, trop lourd, resterait sur place.
Le soldat qui l'avait laissée entrer montait la garde dehors, elle put donc s'installer pour calmement étudier ses options. Les pages de son carnet d'esquisse défilèrent entre ses doigts.
Le Jardin Vermuelen n'était pas une possibilité, elle en avait besoin pour la suite si jamais ses efforts de persuasion portaient leurs fruits. Hors de question d'impliquer Grégoire, Nadia ou aucun autre de ses compagnons Elysiens. Elysion devait rester à jamais hors de portée de Nyx.
Son appartement parisien n'était plus sûr, ni aucun autre endroit sur Terre à part peut-être la Marelle, mais elle n'en avait pas d'esquisse.
Les Rivages Infinis étaient trop importants pour risquer de les compromettre. Les réfugiés terriens et sa Tante Précieuse l'y attendaient, dans l'espoir de rejoindre un monde meilleur.
Une carte laquée glissa de sous la couverture du carnet. L'esquisse de Freydjan. Elle fut tentée de contacter l'agent Etherien pour lui demander de récupérer le plaque de cuivre. Elle secoua la tête et couvrit la carte de sa main. La dernière fois qu'elle avait tenté de lui parler, il avait paru énervé contre elle. Certes, il y avait peu de chances pour que Nyx ait des espions jusque dans cette forteresse dont elle ne savait rien, mais c'était bien là le problème. Cet objet était bien trop dangereux pour le confier à Freydjan, dont les motivations n'avaient jamais été claires, ou pour le laisser aux mains d'un royaume potentiellement ennemi.
Il restait Raemone. Lui saurait peut-être quoi faire. Elle se concentra sur l'image du saurien, infusa même du Fluide dans les lignes de son visage écailleux, au point de carboniser les courbes sur la page. Rien. L'image resta désespérément inanimée. Le sentiment d'inquiétude qui avait grandi dans la poitrine de Miracle depuis quelques jours remplit à présent toute son âme. Si Raemone se trouvait hors de portée d'esquisse, cela ne signifiait rien de bon. Il n'aurait jamais pu résister de lui-même aux efforts qu'elle venait de déployer pour le trouver. Il était donc soit mort, soit... Elle se mordit la lèvre pour avoir été une si mauvaise amie. Elle qui lui avait promis qu'elle veillerait sur lui et le protègerait de Nyx, elle lui avait fait faux bond au pire moment. Si Nyx avait mis la main sur son petit frère, elle avait dû le punir pour sa trahison. Dans ce cas, Miracle connaissait le sort qu'elle lui avait réservé, le même que celui qu'elle avait infligé à ses parents.
Dans son esprit germa l'idée d'une mission folle, quasi suicidaire, dont elle n'aurait voulu pour rien au monde endosser la responsabilité, et qui de surcroît entrait en contradiction totale avec celle qu'elle venait d'accepter. Voler au secours de Raemone revenait à offrir à Nyx sur un plateau d'argent la clé vers la destruction de Svata Zeme.
Il restait une dernière esquisse. Celle-ci était la plus importante, celle pour qui elle était venue en Svata Zeme. Le cœur plein à la fois d'espoir et de regrets, elle caressa le dessin et laissa son regard plonger sous la surface de papier.
Tout s'obscurcit. Le ciel déversait des torrents de flocons. Au loin, la nuit noyait dans un noir d'encre la moindre forme. De l'autre côté, un pâle crépuscule dessinait le contour d'épaisses nuées. Entre les deux, au bord d'une falaise surplombant la plaine obscure, la louve se tenait assise. Miracle tendit la main. L'animal reçut le contact de ses doigts avec un frisson de l'échine, mais ne broncha pas davantage. La sorcière se matérialisa à ses côtés et s'assit sans un bruit.
Des éclairs noirs déchiraient par intermittence le rideau blanc qui se déversait des nuages. Le tonnerre grondait, accompagné de cris d'animaux perdus dans le lointain.
L'air glacial mordait à travers les vêtements de Miracle. Elle souffla dans ses gants pour tenter de réchauffer ses doigts déjà transis de froid. Des larmes coulèrent de ses yeux assaillis par la bise. Elle renifla et s'éclaircit la gorge. Elle ne savait pas par où commencer.
« Je sais pourquoi tu m'en veux, hésita-t-elle. Je suis désolée de t'emmener loin de ce monde où tu es née et où tu as grandi. Mais tu vois bien qu'il ne reste plus longtemps avant que ce monde ne cesse d'exister. »
La louve ne bougea pas d'un centimètre. Son regard était tourné vers la plaine d'où parvenaient les hurlements des bêtes de la horde.
« Tu t'inquiètes de ce qu'ils deviendront, hein ? Je ne peux pas les sauver, malheureusement, et tu le sais. Tes semblables ont déjà basculé de l'autre côté et ils seront détruits avec la nuit qui arrive. Tu n'es pas obligée de les suivre. Je t'en supplie, reste avec moi ! »
Miracle enlaça l'encolure de sa compagne et laissa ses larmes mouiller sa fourrure déjà trempée. Le museau de Moniyah se posa sur son épaule. « Je suis désolée. » ne cessait de répéter Miracle entre deux sanglots. Elle remarqua que Moniyah fixait à présent le ciel.
« Il n'y a pas de lune sur Elysion, s'excusa-t-elle encore davantage. Mais pour toi, reprit-elle avec fougue, je trouverai une Ombre où il y en a mille. Je parcourrai l'univers de long en large pour te donner le foyer que tu désires. Je te le promets. »
L'animal baissa la tête et nicha son museau dans le giron de Miracle. Elle demeurèrent un long moment ainsi enlacées, si bien que l'humaine se mit à greloter de froid. Moniyah se leva alors, ses muscles se contractèrent, son poil se hérissa et son corps se mit à enfler. En quelques secondes, elle avait doublé de volume et grandit encore jusqu'à atteindre la taille d'un ours. Miracle grimpa sur son dos et s'accrocha à sa fourrure.
« Merci ma belle. J'espère que tu as le plein d'énergie parce qu'une longue route nous attend. Il y a un bon moment que je n'ai pas marché en Ombre. »
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Voilà pour ce chapitre. J'espère que vous suivez ce qui se met en place. En bonus, voici l'engrenage de l'apocalypse dont parle Miracle sans en avoir les détails. Piaget et Marika auront pas mal de boulot pour empêcher tout ça, d'autant qu'eux-mêmes en font partie.
À bientôt pour la suite.
Le Plan de l'Apocalypse:
- le Grand Froid et l'obscurité se répandent
- les djabels tuent ceux qui chercheraient à sortir de Pribam
- les Chasseurs maintiennent un périmètre de sureté.
- le culte des Trois encourage les gens à espérer que leur foi les sauvera.
- la brigade de Piaget attire davantage de civils dans un périmètre encore plus réduit de la ville.
- La population menace de se révolter
- les Inquisiteurs répriment la population et les détournent vers le culte de Nyx
- le culte de Nyx invoque Nyx
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