Chapitre 30 - One million bullets
Les gens se mirent à hurler et à courir dans tous les sens, si bien que Miracle ne voyait pas d'où venait la menace. Des spectateurs envahirent le moindre espace du tribunal, beaucoup sautèrent par-dessus la barrière de bois qui délimitait la partie réservée aux débats, certains allèrent se cacher derrière la haute chaire de l'Arbitre ou dans le box de l'accusée. La foule se mouvait de manière si désordonnée que des courants erratiques et contraires se créèrent, emportant dans leurs flots humains de pauvres âmes terrifiées et en proie à une telle panique que seuls subsistaient les instincts de survie les plus essentiels. Chacun jouait des coudes, renversait des bancs, poussait des épaules, compressait le dos pour se dégager un peu d'espace pour respirer, piétinait sans chercher à savoir sur quoi, ou sur qui, on marchait.
Miracle aperçut fugacement un homme tout habillé de noir et armé d'un fusil qui se tenait devant l'entrée. Une épaule la percuta et elle tomba au sol. Quand elle mit la main par terre pour se rattraper, une chaussure lui écrasa les phalanges et elle comprit alors qu'elle devait immédiatement se relever, ou bien elle risquait de mourir piétinée. Elle pivota sur ses hanches et retrouva des appuis qui lui permirent de se redresser, mais elle fut à nouveau poussée par une femme en panique. Elle se raccrocha tant bien que mal à la balustrade de son box et s'y agrippa tant bien que mal de sa main valide.
Elle profita de ce court instant de répit pour parcourir la salle à la recherche de Grégoire. Il n'avait pas pu aller bien loin avec son fauteuil dans une telle pagaille. Elle hurla son nom dans le capharnaüm, mais sa voix sonna comme un soupir dans une tempête. Elle le repéra enfin, au bout de sa rangée dont les bancs avaient été renversés. Nadia se tenait accroupie à ses côtés, ils n'avaient pas l'air blessés.
Soudain de nouveaux coups de feu retentirent et la foule poussa un concert de hurlements à déchirer les tympans. En un instant, tout le monde s'immobilisa et s'accroupit. Par-dessus les cris de détresse, une voix forte et autoritaire se détacha progressivement, de plus en plus distincte à mesure que les cris s'étouffaient.
« Vos gueules ! hurla pour la cinquième fois l'homme armé. Fermez vos putains de gueules et couchez-vous par terre, sinon on vous flingue. Personne ne sortira de cette pièce, si vous essayez on vous fera subir le même sort que ceux-là qu'on a transformés en passoires. »
Des sanglots se firent entendre. De son point de vue, Miracle ne voyait pas ce que désignait le preneur d'otage, mais il pointait le sol à ses pieds. Quatre autres hommes avaient pris position devant l'issue et balayaient la foule du canon de leurs armes. Ils contrôlaient le seul accès à la salle d'audience. L'autre issue menait au quartier des détenus, c'était donc une impasse. La dernière porte donnait dans le bureau du juge, que plusieurs personnes avaient tenté de défoncer sans succès.
Un silence de mort s'installa, en contraste morbide avec le vacarme qui avait régné quelques secondes auparavant. Les gens s'allongèrent sur le ventre et mirent les main sur la tête, comme le leur ordonna le chef du commando. Son contrôle affirmé, il s'avança par l'allée centrale, tandis que deux de ses hommes couvrirent les côtés. Ils aboyèrent des insultes aux pauvres otages qui se trouvaient sur leur passage et fendirent ainsi la foule à coups de menaces et d'éclats de voix. Miracle se baissa derrière la paroi de son box et jeta un coup d'œil discret à Grégoire qui ne pouvait pas obéir comme les autres. Nadia s'était agenouillée près de lui et le dissimulait du mieux qu'elle pouvait. L'homme armé de leur côté de la salle ne les avait pas encore aperçus.
« La situation est simple, reprit l'homme en noir. Que le Questeur et l'accusée s'avancent, sinon on commence à abattre des innocents. »
Miracle commença à se relever mais on lui retint la jambe. Une femme à terre lui murmura dans un sanglot :
« N'y allez pas. Ils vont tous nous tuer.
— Pas si je peux l'empêcher. »
Elle se redressa et plaça les mains derrière la tête.
« Je suis là. Qu'est-ce que vous me voulez ?
— Tu la boucles, déjà. Où est Molins ? Montre-toi ! »
L'attention fut soudain détournée vers le côté de la salle où l'autre ravisseur invectivait Nadia du canon de son fusil.
« Laissez-le, suppliait la jeune femme au voile. Il ne peut pas s'allonger. Vous voyez bien qu'il est en fauteuil !
— Tu vas la fermer ! » répondit son agresseur. D'un geste violent, il la projeta au sol, puis saisit Grégoire par le col et, sans la moindre considération pour son infirmité, le jeta à son tour par terre.
Miracle serra les dents et retint la rage qui bouillonnait en elle. Sa main gauche la faisait beaucoup souffrir, mais elle n'en avait cure. Le Fluide se canalisait avec fureur vers le bout de ses phalanges, prêt à se concentrer au moindre besoin pour déchirer l'espace. Elle pourrait régler son compte au chef en un clin d'œil, mais ses hommes demeureraient une menace. Aussi, elle se retint d'agir et continua de garder les mains croisées derrière la nuque.
« Viens te mettre là ! » aboya l'homme en noir.
Il plaça Miracle dans le champ de la caméra.
« Molins ! répéta-t-il. Sors de ta cachette et viens ici ! Sinon je la butte.
— C'est bon, sonna la voix du Questeur. Ne lui faites pas de mal. »
Molins se dressa parmi la foule. II avait l'arcade en sang et la chemise tachée. À pas précautionneux, il s'avança vers le centre de la salle. Pendant ce temps, Miracle regarda du côté de Nadia, à la recherche du soutien dont elle avait besoin. Son regard rencontra celui de son amie et elle lui lança une expression dure et déterminée qui traduisit son intention d'agir. Nadia tapa sur l'épaule de Grégoire qui se trouvait hors du champ de vision de Miracle, puis fit un discret hochement de tête. Elle articula des lèvres un compte à rebours qu'elle appuya de mouvements de tête.
« 5 , 4 , 3 , 2, 1 ... » compta Miracle pour elle-même.
Soudain, la voix éraillée d'un adolescent résonna dans toute la salle, étonnamment amplifiée par une puissance inconnue.
« INVOCATION : GOLIATH ! Mode tank ! »
Une épaisse explosion de fumigène envahit tout cet espace de la salle et des cris s'élevèrent. Miracle saisit l'occasion et agit à son tour. De ses mains croisées derrière elle, elle canalisa le Fluide dans un point précis de l'espace. Son esprit visualisa le torse du chef des ravisseurs, depuis son bras droit dont la main tenait la gachette de son fusil mitrailleur, jusqu'à son épaule gauche. Elle perfora la trame de la réalité, écarta la faille et ouvrit un portail aux bords fins comme des atomes, plus tranchants que les lames les plus acérées. L'homme s'immobilisa quand la lueur rouge émergea en travers de son poitrail. Ses jambes s'affalèrent et son corps tomba au sol, amputé de sa partie supérieure. Miracle reçut dans le dos tout le poids sanguinolent d'un thorax surmonté d'une tête cagoulée, qui chutèrent derrière ses pieds comme un paquet de viande saignante. Le bras droit tenait encore la moitié d'un fusil sectionné net au-dessus de la crosse.
En une poignée de secondes, la vague de panique déferla de nouveau sur la salle, mais cette fois Miracle tenta de maîtriser la foule.
« Restez derrière moi ! » hurla-t-elle aux otages qui commençaient à courir dans tous les sens.
Du côté de Nadia et Grégoire, le brouillard se dissipait peu à peu. La silhouette d'une sorte de grosse grosse boîte de la taille d'un frigo et couverte de lumières colorées se détachait dans la fumée. La voix de Grégoire, étrangement robotisée, retentissait parmi la foule, accompagnée d'un son de roulement mécanique.
« Excusez-moi, dégagez la place s'il vous plaît. Abritez-vous derrière moi. Merci mesdames et messieurs. »
Quand l'étrange objet émergea du fumigène, Miracle ne put contenir une exclamation d'étonnement. Un grand cube de métal, assemblé de toutes parts de plaques d'acier et de rivets, se mouvait sur des chenilles. Des diodes de couleur sans aucune fonction apparente agrémentaient le blindage, et les flancs portaient en grand une inscription en lettres majuscules. MR AWSEOME. Une tourelle était fixée sur le côté droit, armée d'une imposante mitrailleuse rotative. À peine le mini-tank eut-il rejoint l'allée centrale qui se vidait de ses otages, les canons se mirent à tourner à pleine vitesse et Grégoire déversa un déluge de feu sur les deux ravisseurs qui gardaient la porte. L'un n'eut pas le temps de réagir et se trouva criblé de balles en un instant. Il s'écroula dans une nuée écarlate, le torse déchiqueté par les dizaines de munitions qui lui traversèrent la poitrine. Le deuxième homme posté à l'entrée trouva le temps de se replier à couvert derrière l'encadrement de l'ouverture.
Il restait un autre preneur d'otages, loin de l'autre côté de la salle. Il tira plusieurs rafales en direction de Grégoire, sans parvenir à percer le blindage de Mr Awesome. Comprenant l'inutilité de sa réaction, il portait maintenant son attention sur les innocents qui se mettaient à courir devant lui et braquait son arme sur eux en hurlant des menaces. Les gens se figèrent et levèrent les mains. La ligne de mire était bien étroite, mais Miracle ne disposerait pas de mieux. Elle croisa de nouveau ses doigts ensanglantés et puisa dans le Fluide. L'individu se tenait à au moins quinze, peut-être seize mètres. Un portail en travers du buffet le calmerait direct.
L'effort s'avéra plus intense que Miracle ne l'avait escompté. C'était trop loin. Elle appuya de toute la force de son esprit sans parvenir à visualiser convenablement le point de sortie. Tant pis, il fallait agir avant que le tireur ne fasse davantage de victimes. Elle déchira la trame de l'espace.
L'homme poussa un cri de surprise, il ne semblait pourtant pas blessé. Avant que Miracle ne comprenne ce qui venait de se passer, des gens se levèrent et se ruèrent sur l'homme pour le submerger par leur nombre et le rouer de coups au sol.
Alors que les otages venaient à bout de leur ravisseur, Molins rejoignit Miracle et tendit la main pour lui poser la main sur l'épaule, avant de se raviser devant la couche de sang qui maculait ses vêtements.
« Vous avez coupé son arme en deux ! la félicita-t-il. Vous nous avez sauvé la vie.
— Mouais, rétorqua Miracle. Si j'avais su faire ça il y a un an, on n'en serait pas là. »
Elle revoyait l'image de Nyx derrière le rideau, inconsciente de sa présence dans l'ombre. Il aurait suffi d'une déchirure spatiale bien placée et tout aurait été fini. Ou peut-être pas. La déesse de la Nuit avait certainement des défenses insoupçonnées.
Les coups de feu continuaient cependant et chacun se mit à couvert. En effet, le dernier tireur, retranché à la sortie du tribunal, empêchait toujours la foule d'évacuer. Il passait sa main armée par l'encadrement et tirait des rafales au hasard, sans même se risquer à jeter un œil. Grégoire maintenait la pression en criblant le mur de béton d'une grêle de balles qui projetaient des éclats de feu et de béton, tandis que les cartouches vides pleuvaient sur le sol.
« Miracle ! appela la voix robotisée de Mr Awesome. J'ai besoin d'un coup de main. Messieurs dames, merci de rester à couvert. La situation n'est pas encore sous contrôle.
— Veuillez m'excuser, lança Miracle à Molins. Le devoir m'appelle. »
Entre deux tirs du forcené, elle courut s'accroupir derrière la carcasse métallique du mini-tank dont la mitrailleuse tournait à plein régime, dans un vacarme absolu.
« Je suis là, hurla-t-elle à pleine voix pour se faire entendre. Il te faut quoi ?
— Je ne sais pas qui va tomber en rade de munitions en premier et je n'ai pas le bon calibre pour traverser ce mur. Pour combler le tableau, je suis à court de Fluide. Tu pourrais... enfin tu vois.
— Il suffit de demander. »
Elle appliqua sa main valide contre les plaques d'acier riveté et laissa couler le pouvoir. Le déluge de feu que crachaient les tubes rotatifs vira du jaune éclatant au rouge rubis, et soudain les impacts des balles contre le mur redoublèrent de fréquence et d'intensité, si bien que le fracas destructeur se mua en un son quasi continu, accompagné par le cri de rage guerrière que poussa Grégoire au travers de son haut-parleur. Enfin, la dernière cartouche heurta le carrelage et les canons tournèrent à vide. Il ne resta plus que le vrombissement du moteur électrique de la mitrailleuse, et Grégoire qui continuait de hurler.
Miracle se releva et toqua contre le blindage.
« C'est bon, Grégoire. Je crois qu'on l'a eu. »
L'encadrement de la porte s'était élargi de plus d'un mètre. La paroi de béton armé de plus de trente centimètres d'épaisseur avait été déchiquetée comme une feuille de papier. Le corps du tireur avait subi le même sort. Les canons cessèrent de tourner, la voix de Grégoire s'éteignit.
« Allez, tout le monde dehors ! » ordonna Miracle.
La foule ne se fit pas prier et les gens se pressèrent pour sortir de l'enfer auquel ils venaient d'assister. La pression retombait doucement et les gens marchaient dans le calme, soutenaient les blessés ou pleuraient dans les bras les uns des autres. Certains lançaient des remerciements à Miracle et Mr Awesome.
« Ouais, on a carrément géré ! se félicita Grégoire. J'en ai eu trois et Miracle deux !
— Ah non ! s'indigna Nadia qui venait de les rejoindre. C'est moi qui ai assommé le premier avec une chaise pendant que tu faisais diversion. Et sans Miracle tu n'aurais jamais touché le dernier.
— On dit qu'il y a égalité, alors.
— Pour te faire plaisir, rit Miracle. Mais ne prends pas la grosse tête, gamin. »
Molins les rejoignit et adressa un regard entendu à l'accusée.
« Je me doutais bien que vous n'agissiez pas seule. Vous avez dit "Nous ne sommes pas comme ces gens-là."
— N'exagérons pas. Les trois quarts du temps, c'est moi qui me tape tout le boulot. Je vous promets de tout vous raconter. »
L'explication fut interrompue par un coup violent et soudain qui ébranla tout le bâtiment. Le mur du fond, où se trouvait la chaire de l'Arbitre, se fissura sur toute sa hauteur.
« Tout le monde dehors, vite ! ordonna Miracle. Nadia et Grégoire, vous évacuez les gens.
— Pas question ! protestèrent-ils de concert.
— On reste avec toi cette fois. » renchérit Nadia.
Un nouveau choc secoua le tribunal et tandis que le mur s'effondrait, un hurlement bestial résonna dans toute la salle. Le nuage de poussière et de gravats s'embrasa et une vague de chaleur frappa le visage de Miracle.
« Qu'est-ce que c'est ? balbutia Molins.
— Le Saint Arbitre Guérin vient rendre sa sentence. »
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