Chapitre 25 - House of Doom (1)
Miracle et Grégoire restèrent encore quelques jours à Centrale. Ils profitèrent de ce temps pour sceller leur lien fraîchement tissé. L'adolescent se montrait enjoué et ouvert à la conversation, comme si un poids avait été ôté de ses épaules depuis sa confession à Miracle avant la cérémonie officielle. Mais il attendait en retour la même honnêteté de sa nouvelle grande sœur. C'était plus que ce que Miracle était prête à offrir, pour l'instant. Non qu'elle n'aurait pas souhaité livrer toute la vérité à son frère de cœur, après tout il la méritait bien. C'était simplement au-dessus de ses forces.
« Et donc, insista un jour Grégoire, j'ai aussi un nouveau papa et une nouvelle maman?
— En théorie oui, répliqua Miracle qui sentait venir un sujet délicat. Il s'appellent Désiré et Jenovefa.
— Carrément pas courant, comme noms. J'aimerais bien les rencontrer un jour.
— Tu sais, je n'ai pas de nouvelles depuis que j'ai quitté la Terre.
— Et tu ne voudrais pas les contacter et leur faire savoir que tu vas bien, que tu refais ta vie dans ce monde ?
— C'est pas si simple, répondit-elle en tentant de cacher son émotion qui montait. Mes parents sont des personnes très spéciales qui vont et viennent comme bon leur semble.
— Oooooh je vois, fit le rouquin d'un air entendu. Eux aussi ils ont des capacités comme les tiennes. Ils t'ont appris tout ce que tu sais, question magie et tout ça ?
— Pas exactement. Disons qu'ils ont leurs propres particularités.
— Une vraie famille de phénomènes, en somme.
— Hé, fais gaffe à qui tu traites de phénomène ! s'emporta Miracle, mais elle sentait que ce faux-pas lui permettrait d'éviter le vif du sujet.
— Oh non, c'est pas du tout ce que je voulais dire. Je me sens juste un peu trop ordinaire pour un N'Kanté.
— Tu n'as rien à envier à mes parents ni à moi. Sans toi, je ne serais jamais arrivée à vaincre Nora. Tu as plus de valeur en toi que ce que tu soupçonnes. »
L'ado resta un instant silencieux, perdu dans ses pensées, puis releva la tête les yeux pleins de défi. « Tu verras, un jour j'accomplirai des trucs dont tu n'as même pas encore idée.
— J'en suis certaine. Tu feras la fierté de la famille. D'ailleurs, à ce sujet, je te propose de marquer notre lien avec un petit acte symbolique. »
Elle accompagna ses paroles d'un geste vers l'écran de Bub qui afficha un lien commercial.
« Waw ! s'écria Grégoire en lisant la pub. Tu es sûre ? Enfin, j'ai le droit de...
— Les lois d'Elysion ne sont pas celle de la Terre. En tant que ta Gardienne, je peux décider de ce qui est bon pour toi ou non. Alors, qu'est-ce que tu en dis ?
— On y va quand ? »
Le lendemain, le frère et la sœur se tenaient devant l'entrée du salon de tatouage. Grégoire montrait des signes de nervosité mais le sourire sur son visage trahissait son bonheur à l'idée de partager ce moment unique avec Miracle. Il poussa son fauteuil pour franchir l'entrée et devança Miracle pour confirmer qu'ils venaient bien pour une séance double. Oui, ils souhaitaient le même dessin. La tatoueuse aux cheveux rouges et aux bras couverts de tatouages leur rendit un regard amusé et attendri.
« Premier tatou pour tous les deux ? » Ils acquiescèrent. « Le petit a l'autorisation ?
— Je suis sa Gardienne, informa Miracle.
— Dans ce cas, qui commence ? »
Miracle se dévoua pour passer en premier. Elle choisit de positionner le dessin dans le dos, entre les omoplates et de façon à ce que l'arrondi du haut affleure la base de son cou. Le travail dura presque quatre heures, durant lesquelles Miracle serra les dents et s'appliqua à se détacher du moment présent et de la douleur. Enfin, la tatoueuse annonça qu'elle en avait fini et posa son pinceau mécanique.
Grégoire avait patienté tout ce temps et s'extasia devant le résultat. Il n'en fut que plus pressé de passer sur la table à son tour. L'artiste avait grand besoin d'une pause, elle refusa d'enchaîner si rapidement. L'adolescent dut accepter à contrecœur de lui laisser le temps de récupérer. Miracle offrit à la professionnelle de prendre un plat avec eux à la cantine du coin. La femme eut un sourire en coin, hésita une seconde puis accepta. Au cours du repas, Grégoire et Miracle expliquèrent, en omettant les détails de leur pacte secret, comment ils en étaient arrivés à se choisir mutuellement comme frère et sœur, et pourquoi ils avaient besoin de ce symbole de leur lien. La tatoueuse, nommée Bethany, les complimenta sur la qualité du dessin. Miracle révéla en être l'auteure. De composition circulaire, l'image d'inspiration celtique figurait un grand chêne aux racines enchevêtrées surmontées d'un tronc évoquant une figure anthropomorphique, coiffé d'un large éventail de branches ornées d'une multitude de délicates feuilles. Ce souci du détail avait donné bien du fil à retordre à Bethany, mais le résultat en valait la peine. Elle promit de renouveler l'exploit sur Grégoire.
Le rouquin choisit de positionner son tatouage sur le biceps, ce qui contraignit Bethany à réduire la taille du dessin et à en retravailler les plus petits éléments. Au final, la décision s'avéra judicieuse car Grégoire supporta mal la douleur de la séance. Miracle s'invita et l'encouragea à serrer les dents et se tenir tranquille pour laisser Bethany travailler proprement. Au bout de presque trois heures qui parurent une éternité, la tatoueuse passa un dernier coup de compresse, appliqua une pommade et enveloppa le bras de Grégoire dans un film transparent. L'ado paraissait épuisé mais ravi.
En sortant du salon, il se laissa pousser par Miracle et sa tête roula sur son épaule. Miracle sourit de le voir si comblé.
« Tu sais qu'après ça mes finances sont à zéro. J'ai plus qu'à te faire bosser comme cobaye dans un labo.
— Ou bien tu pourrais faire le tapin.
— J'y ai pensé mais ça manque de perspectives d'avenir.
— Alors comment on va gagner notre vie ?
— T'en fais pas, j'ai mon idée. »
Le lendemain matin, Miracle passait en revue ses notifications. Après avoir filtré une centaine de questions philosophiques ou juridiques — Est-il acceptable de se promener nu devant ses fenêtres à la vue de ses voisins directs ? Un commerçant a-t-il le droit de refuser de servir un client sur la base de ses opinions politiques ? Faut-il interner contre sa volonté un individu qui a tenté de se faire du mal ? — , elle trouva un message de Black Nadia. Quand Bub lui en lut le contenu, elle eut un grand sourire et courut en pyjama dans la chambre de Grégoire pour lui communiquer la bonne nouvelle.
« Hey debout feignant ! Écoute ça. Nadia vient de signer la réception du chantier de notre maison. On emménage dès demain !
— Quoi ? bredouilla l'ado encore éméché de sa nuit visiblement trop courte à son goût.
— On dormira chez nous demain soir ! s'écria Miracle en le serrant contre elle.
— Mais on a pas de meubles !
— Bien sûr que si, ça faisait partie de notre budget. Nadia et moi on a pris plein de commandes et elle a fait le nécessaire pour que tout soit prêt dans les délais les plus courts. Alors, qu'est-ce que tu penses de la surprise ? »
Grégoire avait du mal à intégrer l'information et gardait un air ébahi, comme s'il s'attendait d'un instant à l'autre à émerger d'un rêve. Peu à peu, il réalisa les conséquences de la nouvelle et son visage s'éclaira.
« On va vraiment avoir notre chez-nous ?
— Carrément, et ça va être incroyable.
— Il faut qu'on profite à fond de notre dernière journée à Centrale, alors.
— Comme tu veux. Mais je te signale qu'il ne me reste que 15 214 crédits. »
L'ado prit un air sérieux et réfléchit.
« Et si on allait visiter le musée des pionniers, pour en apprendre plus sur l'origine de la colonie ?
— Tu es sûr ? objecta Miracle. Ça va pas être chiant pour toi ?
— Hey, je suis pas une espèce de geek qui vit dans ma bulle. Je veux connaître l'histoire d'Elysion. »
Miracle fit la moue mais s'aperçut qu'elle ne parviendrait pas à faire changer d'avis son petit frère. Elle finit par accepter à contrecœur. Non que l'idée de Grégoire lui parût mauvaise. Au contraire, le récit de la fondation d'Elysion lui apporterait sans nul doute des éléments essentiels dans sa lutte contre le Chaos. Elle avait simplement un mauvais pressentiment au sujet de ce qu'elle craignait de découvrir. Mais au final, il lui faudrait bien tôt ou tard se confronter à la réalité.
Après un simple repas à la cantine de Margot, Grégoire et Miracle remontèrent l'avenue principale et débouchèrent sur la place des Colons où se dressait la statue du Premier Guide, Outh'anè. À l'extrémité du square se trouvait une large bâtisse en bois dont la structure composite témoignait de travaux d'extension successifs. Devant l'entrée, un panneau invitait les curieux à synchroniser leurs assistants personnels avec l'archive de la visite. Miracle et Grégoire démarrèrent une session conjointe. Bub et Goliath entamèrent le script d'introduction.
Il y a 116 ans, des hommes et des femmes décidèrent que leur vie sur Terre n'avait plus de sens. Chacun et chacune d'entre eux fit appel à la société Elysion, basée en Suisse, pour mettre un terme à leur existence. L'histoire aurait dû s'arrêter là. Mais ils furent choisis, chacun pour ses qualités propres, et on leur offrit de renaître dans un monde nouveau où tout était à faire. C'est ainsi qu'ils arrivèrent par le chemin de la Montagne du Prélude et descendirent jusqu'à ce lieu qu'ils choisirent pour s'y établir. Ils étaient au nombre de vingt, nous les connaissons aujourd'hui comme les Fondateurs.
Souhaitez-vous en savoir davantage sur les Fondateurs ?
Souhaitez-vous des détails sur la construction de la Maison des Fondateurs ?
Souhaitez-vous plus d'informations sur l'arrivée des Fondateurs ?
« Oui, ça ! s'écria Grégoire. Comment est-ce qu'ils ont été choisis, et par qui ? »
Avant que Miracle n'ait eu le temps de protester, l'archive correspondante s'ouvrit.
La chance incroyable de démarrer une colonie sur Elysion n'a été offerte qu'à une poignée d'élus soigneusement sélectionnés pour leur expertise et les compétences inestimables qu'ils pourraient apporter à la communauté. La cartographie, la menuiserie, la botanique et la zoologie figuraient au nombre de ces atouts essentiels pour la survie et le développement du groupe. Le chemin d'Elysion est resté le même depuis lors, mais les épreuves n'étaient pas encore en place. Les élus étaient simplement guidés dans leur passage vers l'au-delà par une entité surnaturelle et bienveillante qui se faisait appeler la Messagère de la Mort. Elle avait l'apparence d'une magnifique femme et répondait au nom de Jenovefa.
Grégoire manqua de s'étrangler en entendant ce nom. Il se tourna vers Miracle, le visage empourpré de surprise. Miracle ne le laissa pas articuler sa question et secoua la tête de résignation.
« Oui, c'est ma mère. Je t'expliquerai.
— Tu es la fille de la mort ! s'écria-t-il à voix basse en pointant un doigt vers sa sœur.
— Mais non, sois pas débile. Allez, c'est toi qui as voulu venir ici, donc écoute jusqu'au bout. »
L'enregistrement poursuivit. Quand les Fondateurs mirent le pied en Elysion, ils furent rassemblés par un guide. Cet être ressemblait en tout point à n'importe quel terrien. Il avait la peau noire et son bras gauche était amputé. Cependant, personne ne sut jamais d'où il venait. Il se nommait Désiré.
« Et allez ! s'exclama Grégoire. J'aurais pu le parier.
— Tu écoutes ou tu veux tout commenter ? »
Désiré offrit ce monde en cadeau aux Fondateurs, avec la mission de créer un groupe, puis une colonie et enfin une société où tout individu pourrait s'épanouir. Il leur confia la tâche de croître dans le respect de ce nouveau monde, sans répéter les erreurs de la Terre. Et c'est ainsi que naquit Elysion telle que nous la connaissons.
« Ben ça alors ! Tes parents ont fondé Elysion et tu n'as pas jugé utile de m'informer.
— Tu m'aurais crue si je t'avais balancé l'info comme ça ?
— Peut-être pas, concéda le rouquin.
— C'est bon, tu as eu ta dose de révélations ?
— Sûrement pas ! On se tape la visite du début à la fin. J'ai jamais autant kiffé l'histoire.
— Est-ce que c'est vraiment nécess... »
Mais Grégoire avançait déjà son fauteuil vers la grande double porte de la Maison des Fondateurs. Quand il s'engagea sur la rampe d'accès, les battants s'ouvrirent automatiquement pour le laisser entrer. Miracle avait un peu espéré qu'un manque d'accessibilité la sauverait de ce calvaire, la chance jouait malheureusement contre elle.
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