Chapitre 13 - Dead End Friends
Miracle s'approcha discrètement par l'arrière de la grande bâtisse, dont la large masse se découpait sur le crépuscule. Des lumières aux hautes fenêtres trahissaient l'animation qui y régnait.
Elle longea le rez-de-chaussée de l'aile gauche, d'un pas aussi silencieux que possible dans l'allée de gravillons. Elle dut se coller au mur pour jeter un œil furtif à l'entrée de service. Un va-et-vient ininterrompu de serveurs et de commis y prenait place. Son bref aperçu lui révéla un camion de traiteur garé devant la porte de ce qui devait servir de cuisine. Un peu plus loin, un grand nombre de voitures étaient garées sur la pelouse du manoir. Des éclats de rire lui parvenaient, mêlées à l'agitation des cuisines et des ordres aboyés par le chef traiteur depuis l'intérieur. Impossible d'entrer par ici.
Rebroussant chemin, elle suivit la façade arrière de l'édifice pour trouver une autre porte d'entrée. Vers le milieu de la distance, un lourd battant de bois restait entrouvert. Elle s'y faufila sans hésitation. La pièce sans éclairage sentait l'humus. Miracle trébucha sur une brouette et se rattrapa à un sac d'engrais. Divers ustensiles de jardinage étaient entreposés sur des étagères. À tâtons, elle finit par trouver la sortie et se retrouva dans un genre de vestiaire. Des rangées de casiers en métal encadraient une ligne de bancs. Malgré la présence de rangements en abondance, des vêtements jonchaient le sol. Miracle les reconnut sans peine. Les ensembles du Centre. Ainsi, les patients s'étaient changés avant de participer à la soirée.
Un claquement métallique la fit sursauter et la mit sur ses gardes. Les sens en alerte, prête à frapper, elle se déplaça à pas de loup vers la rangée suivante.
Un soupir lui échappa lorsqu'elle reconnut la personne qui fouillait dans l'armoire.
« Isabelle ! s'écria-t-elle. Je suis trop heureuse de t'avoir retrouvée.
- Ah ben ça quelle surprise ! s'étonna la blonde maigrichonne. Comment tu nous as rejoints ? Écoute, j'ai pas trop le temps, ça va bientôt commencer. J'espérais récupérer Starlight avant d'y aller, mais on dirait que les responsables l'ont confisquée pour de bon. Comment tu me trouves ? »
La bimbo écarta les bras et fit un tour sur elle-même pour permettre à Miracle d'admirer sa tenue. Sans chaussures, elle portait une robe sans manches rose pastel au tissu fluide et ample, dont la coupe laissait deviner par le côté l'ovale de sa poitrine, et le décolleté tombait en plis jusqu'au creux de son ventre. Le vêtement tenait simplement attaché à l'épaule par une broche dorée. Miracle eut un hoquet en reconnaissant le motif. Une étoile à huit branches.
« Pas mal hein ? continua-t-elle avec enthousiasme. On risque pas d'avoir trop chaud, c'est sûr. Tu trouves pas que je suis une bombe atomique là-dedans ?
- Euh si, balbutia Miracle, tu es une vraie Ange. Mais s'il te plaît Isabelle, écoute-moi. N'y va pas. Ces gens ne sont pas qui tu crois. Il ne te veulent aucun bien. »
Le sourire sur le visage de la blonde s'effaça instantanément pour laisser la place à un rictus de colère.
« Qu'est-ce que tu racontes ? Comment tu peux raconter des histoires pareilles ? Tu sais ce que je crois ? T'es juste jalouse. » Elle accompagna ses paroles d'un coup d'index en plein dans le thorax de Miracle. « Pour une fois, je vais avoir l'occasion de briller, que tout le monde voie qui je suis au fond de moi. C'est ma chance de montrer enfin ce que je n'ai jamais pu sur Terre. Voilà ce qui va changer dans ce nouveau monde, en Elysion. Au moins, ici, j'ai ma chance. Et toi, tu voudrais m'en priver ? Va te faire foutre, Miracle. »
Elle se retourna brusquement et s'éloigna d'un pas rageur. Arrivée au bout de la rangée de casiers, elle s'immobilisa.
« Tu ne m'empêcheras pas d'y aller, déclara-t-elle par-dessus son épaule. Mais si tu veux me rejoindre et assister au spectacle, tu n'as qu'à te changer. Au revoir. »
Désemparée face à l'inflexible volonté de son amie, Miracle demeura sans voix et incapable de la retenir. Son geste et ses mots restèrent bloqués à mi-course. « Attends. » murmura-t-elle enfin. Mais Isabelle était déjà loin. Miracle serra les dents et ferma les yeux pour retenir des larmes de frustration et de colère. Elle avait plus urgent à faire pour l'instant.
Retrouver Grégoire.
Elle délaissa les vestiaires, se détourna de la volée de marches qui menaient à l'étage, vraisemblablement au hall de réception, et s'intéressa à l'aile du manoir qu'elle n'avait pas encore explorée. Dans sa brève vision, Grégoire était détenu dans un lieu sombre et froid, il devait certainement s'agir du sous-sol. L'aile gauche abritait les cuisines, la partie opposée du niveau inférieur serait certainement plus calme, un lieu idéal pour garder un prisonnier. Elle s'engagea donc par l'autre porte d'accès.
Il s'avéra que l'endroit était également beaucoup moins éclairé. Miracle se résolut à allumer la lampe de son terminal, quitte à sacrifier la discrétion. Heureusement, il n'y avait personne. Elle venait de pénétrer dans une longue et large galerie occupée par d'imposants tonneaux. L'odeur qui s'en dégageait ne laissait aucun doute sur leur contenance. Du vin vieillissait ici en silence. À intervalles réguliers, des étagères de bouteilles formaient un mur d'arrondis luisants. Soudain, dans un recoin, Miracle découvrit un fauteuil roulant abandonné là, à prendre la poussière. « Bingo ! » s'exclama-t-elle. Grégoire ne pouvait pas être bien loin.
La piste se réchauffa davantage lorsque Miracle aperçut quatre salles adjacentes, vraisemblablement dédiées à la dégustation de vins, chacune barrée d'une grille cadenassée.
Au milieu de la dernière, vidée de tout ameublement, un corps gisait assis sur une chaise. Aucun garde à la ronde, l'occasion était trop belle. Elle trouva un interrupteur sur le mur et alluma l'ampoule dans la pièce.
Il releva subitement la tête et son état glaça d'horreur sa libératrice. Grégoire avait des ecchymoses sur tout le visage. Ses beaux cheveux roux collaient à sa peau en mèches grasses. Il avait les joues creuses et le teint cadavérique.
« Miracle ? C'est toi ? lança-t-il d'un mince filet de voix.
- Oui. T'inquiète pas, je vais te sortir de là. »
La serrure de la grille en métal paraissait solide. Cependant, aucun verrou n'avait jamais arrêté la sorcière dimensionnelle qu'elle était devenue. Elle recula d'un pas et visionna sa cible. Synchroniser son énergie avec le rayonnement de la Gemme du Chaos dans son cœur. Pincer la courbe de l'espace de part et d'autre du mécanisme de fermeture. Serrer cet espace jusqu'à ce que tout se confonde et que le tissu de la réalité se déchire. Ouvrir le même espace entre ses mains. Tout refermer d'un coup. Avec un claquement métallique, le verrou tomba dans la paume de Miracle. Sectionné net. À la place qu'il occupait autrefois, un trou béant et des barreaux coupés sans bavure. Elle relâcha sa respiration et laissa tomber la serrure au sol. La magie de portail avait bien des applications pratiques, dont celle, paradoxale, d'ouvrir les portes.
Les grilles s'ouvrirent en grand et Miracle se précipita vers son ami. Il avait la respiration haletante et sifflante. Ses yeux entrouverts peinaient à se fixer et ses pupilles étaient anormalement dilatées. Elle prit son pouls, qui s'avéra dangereusement lent.
« Qu'est-ce qu'ils t'ont fait, ces bâtards ? s'alarma-t-elle.
- Elle m'a... elle m'a fait des prises de sang, bafouilla-t-il dans un souffle. J'ai vu des choses. Ce monstre. J'en suis sûr maintenant.
- Quoi donc ?
- On est dans un MMORPG. C'est impossible autrement. »
La détresse de Miracle vira à la colère. Elle dut se faire violence pour s'abstenir de le secouer comme une poupée de chiffon.
« Mais carrément pas. On est pas dans un putain de jeu vidéo à la con. Les gens meurent et toi aussi tu aurais bien pu y passer. Grégoire ? Grégoire, tu m'entends ? »
L'ado avait perdu connaissance. Par chance, il respirait encore. Miracle fonça jusqu'au fauteuil et le ramena à son propriétaire. À grande difficulté, elle parvint à transférer le petit rouquin sur son siège, puis elle le poussa le long de l'allée de tonneaux et le mena aux vestiaires. Là, elle chercha un point d'eau qu'elle finit par trouver dans la réserve du jardinier. Elle apporta un grand pot d'eau fraîche à son ami inconscient. Elle lui mit de petites claques sur les joues pour le réveiller et parvint finalement à lui faire reprendre conscience. À peine ouvrit-il les yeux qu'il se jeta sur le récipient et but à grandes gorgées, si bien que l'eau lui ruisselait sur le torse.
« Hé, vas-y molo. Je t'ai pas sauvé pour que tu te noies. »
Il continua néanmoins à ingurgiter sa boisson, comme un marcheur après une traversée du désert, et ne s'arrêta qu'après avoir vidé le contenant.
« Oh ça fait du bien ! s'exclama-t-il. Ça fait des jours qu'ils ne m'ont rien donné, ni à boire ni à manger.
- Je sais exactement où trouver ce qu'il te faut, répondit Miracle en pensant au camion du traiteur garé quelques dizaines de mètres plus loin. Mais il faut en priorité te barrer d'ici.
- J'irai nulle part le ventre vide, protesta le rouquin. Je vais caner dans cinq minutes si je bouffe rien. »
Miracle soupira mais dut se rendre à l'évidence.
« Bon, écoute. Je dois m'incruster dans cette soirée pour récupérer un truc que le Cavalier m'a volé. Je peux te faire confiance pour ne pas te faire pincer en attendant ? » Il acquiesça. « Okay. Bon, pour plus de discrétion, tu devrais te changer ici et enfiler des vêtements d'invité. Il reste le fauteuil, mais au moins tu pourras peut-être te faire passer pour un convive. Ne viens pas à la fête, contente-toi d'aller piquer à manger dans les cuisines ou dans le camion du traiteur. C'est bien compris ?
- T'inquiète. J'ai pas l'intention de revivre l'expérience de ces derniers jours. »
Miracle rendit son terminal à son compagnon et consulta sa montre. L'affichage à travers la peau de son poignet indiquait 22h53. Elle confia à Grégoire son bloc de données qui donnait accès à Athéna, avec instruction de le cacher ou de le détruire s'il devait tomber entre d'autres mains.
« Pigé, répondit l'adolescent. Tu sais, fit-il avec une moue contrite. je suis désolé de ne pas pouvoir t'aider davantage. J'ai été nul.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Tu m'as vraiment beaucoup aidée. Je n'ai jamais été aussi proche de découvrir l'identité du Cavalier.
- Justement, à ce sujet...
- Oui ?
- J'ai honte de le dire, mais la personne qui m'a enlevé, c'est Angara.
- La vieille Sainte toute frêle ? s'amusa Miracle.
- Oh ça va, hein, te moque pas. Je suis handicapé, je te signale. Je lui ai demandé qui organisait les sorties auxquelles Nikolaï a participé avant de virer cinglé. Bref, avant que j'aie eu le temps de dire ouf, elle m'a mis un coup de tazer et je me suis réveillé ici.
- Merde, je suis déçue qu'elle soit dans le coup. Je l'aimais bien.
- C'est pas ça le plus important, interrompit-il. Elle était présente quand le monstre prenait mon sang. C'est elle qui me mettait l'aiguille. Donc ce n'est pas elle, le Cavalier. Je n'ai pas pu voir son visage avant qu'il ne se change en cette... »
Miracle posa la main sur son épaule en signe d'apaisement.
« C'est pas grave. Tu m'as donné une info précieuse. Je pense savoir à qui j'ai affaire, maintenant. J'aurai certainement l'occasion de le vérifier, et quand ce sera fait... »
Elle laissa le silence terminer sa phrase.
« Bien, laisse-moi une heure pour accomplir ce que j'ai à faire. Si d'ici minuit tu n'as pas de nouvelles de moi, connecte ton terminal à ce bloc de données que je t'ai confié. Là, tu demanderas à Athéna de nous envoyer des secours.
- Athéna... répéta-t-il avec une expression rêveuse.
- T'excite pas, c'est juste une IA. Tu as compris ?
- Pas de souci, tu peux compter sur moi. »
Chacun se changea dans un coin et Miracle endossa la tenue des convives. Le vêtement, déjà ample pour Isabelle, s'avéra bien trop large pour le buste moins opulent de la métisse maigrichonne, si bien qu'elle décida d'emprunter dans un casier un large foulard, ce qui lui permettrait également de dissimuler le bandage à son avant-bras droit. Pour plus de discrétion, elle y ajouta le masque de bois qu'elle avait découvert dans la cachette de Thomas. Si elle avait deviné juste, une majorité d'invités devaient porter le même genre d'accessoire pour dissimuler leur visage.
Ainsi vêtue, elle vérifia que Grégoire s'était correctement habillé. Il avait réussi à enfiler le genre de tunique prévue pour les hommes, là aussi d'une taille trop grande pour lui, mais qui ferait l'affaire s'il devait justifier de sa présence vers les cuisines. À la seconde où il vit Miracle, ses joues virèrent au pourpre. Elle leva un doigt en guise d'avertissement.
« Et souviens-toi...
- Je vais pas à la fête. C'est bon, j'ai compris. »
Légèrement rassurée, elle se tourna vers les escaliers et prit une grande inspiration. La fête allait commencer.
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