5. Vision
One flesh one bone,
One true religion,
One voice one hope,
One real decision,
Wowowowo gimme one vision
Queen, One Vision
Les trois jours suivants furent consacrés à d'autres épreuves. Peut-être était-ce grâce à la mixture de Hans, ou tout simplement une évolution naturelle, quoi qu'il en soit les migraines diminuèrent en fréquence et en intensité.
Désiré ne se distingua pas franchement dans la compétition par ses connaissances en survie, que ce soit pour faire du feu ou pour préparer un repas uniquement au moyen d'ingrédients collectés en forêt. Il ramassa du bois sec, auquel il se révéla bien incapable de mettre le feu sans utiliser un briquet. Le repas qu'il prépara consista en une assiette de champignons crus qui certes n'étaient pas toxiques, mais pas franchement consommables non plus.
Fiona, la petite Irlandaise, s'était foulé la cheville pendant la course d'orientation, mais elle participa malgré tout aux épreuves suivantes, et rattrapa assez brillamment son retard au classement. Lorsqu'elle dépassa le score de Désiré, elle lui fit un clin d'œil en tirant la langue. Ils avaient beau ne pas se comprendre, une certaine complicité prit forme entre eux deux.
Les deux croates étaient sympa aussi. La troisième nuit, ils passèrent la veillée au coin du feu tous les quatre. Marko avait apporté de la bonne beuh. Ils restèrent longtemps à observer les étoiles sans rien dire.
La dernière journée arriva, et l'instructeur annonça que l'épreuve finale se déroulerait en équipe. Il s'agissait de construire un brancard et de porter un mannequin sur une distance de vingt-quatre kilomètres. Trois équipes furent constituées, par affinités. Fiona, Désiré, Marko, Filip et Steven se regroupèrent. Ils n'étaient clairement pas les favoris, entre la cheville blessée de Fiona, l'inexpérience de Désiré et le niveau plutôt moyen des trois autres.
Personne ne s'étonna de voir l'équipe de Sven gagner, malgré l'infériorité numérique. Mais le soir, quand les scores finaux furent affichés, Désiré ne put retenir un sourire de satisfaction. Sven terminait second derrière Luka. Désiré accrochait péniblement la douzième place, ce qui lui sembla déjà bien, et surtout il se réjouissait que Sven ne gagne pas et ne soit pas remboursé du coût du stage. Ce fut le sujet de plaisanteries durant toute la soirée entre le clan anti-Sven, et la mésaventure du blond platine donna lieu à de nombreux concours de pantomimes au coin du feu.
L'atmosphère du lendemain matin se révéla plus morose. Tout le monde remballait. Désiré faisait son paquetage comme les autres quand l'instructeur fit irruption dans la tente et hurla comme à son habitude. « Group meeting in five. Hurry up boys ! » Désiré suivit l'annonce du mieux qu'il put. On proposait apparemment à ceux qui le souhaitaient de rester à la fin du stage pour une séance spéciale. Désiré se tourna vers Fiona et lui dit:
« What special ?
— Beats me. But it sounds fun so I think I'll stay. You should, too. »
La réponse n'apporta pas les éclaircissements qu'il espérait, mais il ne se sentait pas pressé de reprendre le train pour la France. Il décida donc de traîner un peu la journée et de voir le moment venu. Peu à peu, les autres candidats se firent raccompagner dans la vieille jeep de Hans. Certains passèrent dire au revoir à Désiré, d'autres ne prirent pas cette peine.
Le soir arriva. Désiré alla trouver Hans dans la tente des encadrants. Il se reposait sur son lit en buvant une tasse de sa mixture. Désiré pointa la tasse. « Magic drink ? ». Hans se leva dans un soupir, se tint tout près de Désiré et lui murmura « Du brauchst etwas stärker. » en renversant la tasse par terre.
Il l'attrapa par l'épaule et le conduisit sous la bâche du briefing.
« Ok, gather round everyone. »
Il ne restait que quatre stagiaires, Fiona, Olga, Stefan et Désiré. Hans les réunit dans la tente des femmes. Les quatre matelas des filles étaient toujours installés, et devant chacun d'eux on avait déposé un seau. Hans les invita à s'installer confortablement, puis quand chacun eut pris place il sortit un instant. Les quatre stagiaires échangèrent des regards intrigués.
Hans revint avec une gamelle fumante qui contenait ce que Désiré avait pris pour le repas du soir, et dont le fumet l'avait fermement convaincu de jeûner jusqu'au lendemain matin. Hans servit quatre écuelles et vint les déposer devant chacun. Le liquide fumant semblait poisseux et blanc comme du lait caillé. L'odeur était pire. Désiré n'en avait même pas avalé et déjà son estomac se révoltait et son crâne se mit à battre au rythme de son cœur.
Il y eut un moment de flottement où les quatre volontaires se jaugèrent sans oser faire le moindre geste. Fiona brisa le silence.
« What the hell. Slàinte. »
Et elle but sa coupe d'un trait. Elle regretta certainement sa hardiesse car elle fit une grimace de dégoût avant de s'effondrer sur le côté en position fœtale. Olga, Stefan et Désiré eurent un sourire puis portèrent simultanément le liquide à la bouche.
Désiré but lentement, par longues gorgées, tout en se retenant de recracher, sachant que s'il s'arrêtait à mi-chemin il ne parviendrait jamais à finir. Le goût était aussi horrible qu'il s'y attendait, mais la sensation le surprit, car non seulement il croyait boire un plein seau de crachat, en descendant dans son gosier la mixture traça telle une coulée de lave un chemin brûlant dans sa gorge, son œsophage puis son estomac. La douleur le plia en deux. À partir de cet instant, il devint inconscient de la situation de ses camarades, trop absorbé qu'il était par ce qui se passait en lui. Tout juste entendait-il le rythme indolent du djembé dont jouait Hans pour accompagner le voyage intérieur qui venait de commencer.
Le corps en sueur, tremblant tantôt de froid, tantôt de fièvre, Désiré convulsait sur sa couche, puis il sentait une éruption se préparer dans son ventre, et il trouvait parfois juste assez de force pour aller vomir dans le seau. Parfois, la nausée le prenait de cours.
Le temps s'étira, il en perdit la notion. L'expérience avait peut-être commencé depuis une heure, peut-être quatre. Il ouvrit les yeux et Katia se trouvait là, au-dessus de son lit. Elle le toisait de sa taille de géante. Puis elle se pencha vers lui de sorte qu'il ne vit plus que son visage, et murmura.
« Regarde dans quel état tu t'es mis. »
Alors sa voix enfla jusqu'à devenir assourdissante.
« Ça valait le coup de foutre ta vie en l'air pour terminer en bad trip dans un camp de hippies ? Tu me mérites pas, disparais ! »
Désiré fut frappé de plein fouet par ce flot de haine, et roula impuissant dans la vague qui l'emporta. Il nageait à présent. Son corps ondulait doucement et l'emmenait plus près de la rive, là où le fond rejoignait la surface. Une douleur lancinante lui traversa la poitrine, puis une autre encore. Il se débattait. En vain. On tirait sur les cordes attachées aux harpons qui traversaient sa chair, et il se voyait inexorablement tiré vers le bord, hissé vers la berge.
Gisant sur le flanc, il suffoquait lentement, une écume ensanglantée au coin des mâchoires. Soudain, une lame lui poignarda le ventre et ouvrit sa chair, par à-coups frénétiques. Non ! Ses petits. On les lui volait. Il ouvrit son œil mourant et vit à la périphérie de son champ de vision les villageois qui l'entouraient. Leur mine triomphante céda alors à la terreur lorsque les monstres qui venaient de s'échapper de son corps se jetèrent à leur gorge. Ce n'étaient plus des requins, mais des atrocités marchant et massacrant. Tandis que sa vie s'éteignait, il assista au spectacle de ces monstres tuant les hommes, massacrant femmes et enfants jusqu'au dernier, et mettant le village à feu et à sang.
Son hurlement traversa des univers.
Il se réveilla en sursaut, couvert de sueur, glacé comme jamais, le visage baigné de larmes. Hans vint s'accroupir près de lui, posant une main sur son front.
« Hast du gut geschlafen ? Jemand möchte dir treffen. »
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