Part Two
La lutte que je mène constamment contre moi-même m'épuise. Je dors moins bien la nuit, j'ai plus de mal à me concentrer en cours et à travailler, sourire pendant une journée entière est devenu une mission impossible pour moi, et cela me rend encore plus morose ; je suis pris dans un cercle vicieux. Tout le monde autour de moi se porte à merveille, je suis le seul à plonger petit à petit alors je me mets volontairement à l'écart des autres. J'ai cette impression d'être le vilain petit canard entouré de toutes ces autres personnes, je n'ai jamais vraiment aimé sortir du lot, pas dans ces conditions. De plus en plus mes professeurs me font des remarques pour me faire comprendre que mon travail est quelques fois décevant, alors j'essaie de les convaincre que ce n'est qu'une passe, tout ira mieux bientôt, il ne me manque qu'un peu de repos et de motivation. Ce ne sont que des paroles en l'air, je le sens au fond de moi, je ne pourrai pas m'en sortir aussi simplement, il va me falloir un énorme déclic. Sans compter que mes camarades me lancent des regards qui ne trompent pas. Ma transformation ne leur a pas échappés et je me retiens chaque jour de leur crier de se mêler de leurs affaires et d'arrêter de me regarder comme une bête de foire. Franchement, ce n'est pas grand-chose, j'ai aussi le droit d'avoir des moments compliqués. Je trouvais de moins en moins de gaieté dans ma vie quotidienne, alors qu'il y en a partout, mais tout le monde ne peut pas la voir. Avant moi je pouvais, c'était ma plus grande force. Mais j'étais trop épuisé, trop las, j'avais aussi laissé tomber mes cours supplémentaires. J'avais besoin de vacances.
Peut-être que je grandis et que la vision enfantine que j'avais de ce monde se dégrade, cela n'empêche que je la regrette. Parce que le monde, tel que je le vois désormais, n'est que peu plaisant. Toute tâche devient plus dure chaque fois, tout le monde n'est pas aussi bon que je ne le pensais, même Hyunjin. Alors qu'il y a quelques jours j'aurais pu tout faire pour lui, les choses changent. Je l'aime toujours autant, là n'est pas la question, mais je sens comme un fossé qui se creuse entre nous, un petit. Il a tendance à moins me poser de questions et à moins discuter de mon état. Je pense qu'il sait pertinemment que mon humeur l'affecte lui aussi, parce que mine de rien il est vulnérable, et que c'est donc mauvais pour lui, c'est dans son intérêt. D'ailleurs je ne lui en veux pas, je le comprends, et je ne désire pas non plus le voir peiné par ma faute. C'est mieux ainsi.
Cela me fait aussi grandement penser à Jeongin. Lui qui, à la rentrée, semblait porter tout le malheur du monde sur ses épaules, se porte à présent bien mieux. Il a toujours une petite mine affreuse avec un teint pâle, livide, des yeux parfois vides de vie accompagnés de gigantesques cernes. On aurait dit qu'il n'avait pas dormi depuis des jours, et pourtant, il semblait revigoré d'être resté chez lui pendant quelques jours. Il était revenu en cours avec énergie, excité comme un enfant le matin de Noël et plus les jours passent, plus il semble impatient. Quelque chose va se passer dans sa vie et il l'attend avec une étonnante agitation. Il est resté très mystérieux sur tout cela, ni Hyunjin ni moi ne savons rien. En revanche, il est beaucoup plus ouvert sur tout le reste, il parle un peu plus et ce genre de chose participe à me remonter le moral, tout le monde traverse des passes difficiles et se relève.
*
Fin janvier, plus exactement le vingt-huit. Nos examens blancs sont tous finis, heureusement pour moi, la journée de mes dix-huit est une journée paisible. C'est avec joie que je mets un pied dehors sous les rayons du soleil, le signe que les heures à suivre seront magiques. C'est une journée spéciale, je vais la partager avec mes amis pendant les cours puis au restaurant avec ma famille le soir, ce n'est pas grandiose mais cela suffit à me rendre joyeux.
C'est avec un grand sourire que je remercie les personnes qui viennent me voir, le temps d'un instant je retrouve la sensation de nager en plein bonheur. Jeongin doit nous quitter en milieu de journée pour un rendez-vous, mais juste avant de partir, mon copain et lui m'offrent un petit cadeau commun accompagné d'un cupcake rien que pour moi. Attendri, je les remercie le plus sincèrement possible en les prenant dans mes bras. Je peux ressentir leur amour à tous les deux, et même celui de tout le monde lorsqu'ils se mettent à me chanter le traditionnel « Joyeux anniversaire » en chœur, et mon cœur se réchauffe réellement face à tout cela. Les derniers jours que j'ai passé seul à me remettre sans cesse en question, à pleurer trop régulièrement, sont presque oubliés. Tout semble être résolu, là encore ce n'est peut-être que l'euphorie du moment, mais cette sensation est si agréable et m'avait tant manqué. Ce jour ne pouvait pas mieux se dérouler !
*
Alors que je me dirige paisiblement à l'autre bout du lycée pour retrouver mon copain pendant la pause de l'après-midi, une drôle de sensation me prend. Autour de moi, d'autres personnes marchent dans une certaine direction, également seules ou accompagnées, mais c'est comme si elles étaient très loin de moi, à une énorme distance. Je n'arrive pas à avoir ce sentiment que l'on a en général avec un groupe, j'ai l'impression d'être totalement seul et cela pèse sur mon cœur alors que je me rapproche du manège. J'aurais aimé me sentir en sécurité, mais quelque chose m'en empêche et impossible de mettre le doigt dessus. Une sorte de bulle m'entoure et me sépare des autres, m'emprisonne fermement et il pourrait se passer n'importe quoi, personne ne le remarquerait. C'est dérangeant mais supportable. Je tourne ma tête vers la droite lorsqu'un bruit m'interpelle, des coups et crissements. Je suis perplexe, le manège est condamné, ça ne peut pas venir de là, mais pourtant tout indique le contraire. Personne d'autre que moi ne semble remarquer ces étranges sons. Je me rapproche un peu plus de la fenêtre pour observer. Rien n'a changé depuis la dernière fois et rien ne me parait être la source de ces bruits, sauf que je suis sûr qu'ils viennent de là. Je souffle en m'écartant et en reprenant mon chemin, après tout, cela peut venir de n'importe où, à cette heure-ci tout le monde est dehors. Cependant, quelque chose de nouveau me parvient. Le même souffle que j'avais déjà entendu ce fameux soir d'il y a quelques semaines, il me parvient distinctement malgré le raffut que font les autres élèves dans le cloître. Puis, des voix suivent, des voix inquiétantes mais douces et envoutantes. J'entends mon prénom à plusieurs reprises et, au lieu de fuir comme je l'aurais normalement fait, je prends mon courage à deux mains et fait demi-tour pour tenter d'ouvrir la lourde porte en bois. Je la pousse et la tire de toute mes forces, en m'assurant que personne ne fasse attention à moi, mais il n'y a rien à faire, elle ne veut pas s'ouvrir. À quoi m'attendais-je ? Évidemment que cette porte est fermée, nous sommes interdit d'accès à cause de l'instabilité des fondations. Les voix persistent et m'oppressent, je ne sais même plus si elles sont bien réelles ou ne sont que le fruit de mon imagination. Je veux m'en éloigner mais l'attirance est trop forte, trop puissante, ce n'est plus mon cerveau qui décide de mes mouvements, mes connections neurologiques sont hors service. Une puissante force me pousse à entrer et je suis frustré par le fait que cela soit impossible. J'observe chaque recoin pour trouver un possible autre passage, mais les fenêtres sont trop hautes et je me couperais avec le verre brisé. Je veux que ces voix se taisent, elles sont de plus en plus fortes, de plus en plus graves, de plus en plus méchantes. « Ne leur fais pas confiance, ils se moquent de toi », « Hyunjin et Jeongin ont dû passer beaucoup de temps ensemble pour te trouver ton petit cadeau », « As-tu vu leur regard ? Ils te jugent, tu leur fais pitié, un petit gamin comme toi », « As-tu entendu leurs messes basses ce midi ? Aucun doute sur ce qu'ils pensent réellement de toi ». Je scrute les parages et dévisage chaque personne que je connais. Les larmes me montent aux yeux, je serre les poings jusqu'à marquer ma peau et ma mâchoire se contracte. Je sais tout ce qu'ils pensent de moi, je le vois de plus en plus dans leurs yeux. Pourquoi ont-ils tous décidé de se montrer aussi hypocrites avec moi ? Faire comme si nous étions de super camarades ? Je les déteste, c'est à cause de toutes ces personnes que je suis devenu ainsi. En découvrant petit à petit leurs réelles pensées, c'est une nouvelle vision du monde qui s'est offerte à moi et j'ai été profondément déçu. J'ai pourtant été si gentil, avec tout le monde, j'étais prêt à aider n'importe qui, il suffisait de me demander et j'accourais aussitôt. Mais les gens trop gentils sont ceux qui se font le plus avoir ; on m'avait prévenu mais je ne voulais pas écouter.
On me bouscule et je me rattrape de justesse avant de m'étaler au sol.
- Oh mon dieu, je suis désolée Félix, je faisais pas attention. Tout va bien ?
Je reconnais la voix de ma voisine de classe d'espagnol. Je passe rapidement la manche de mon pull sur mes yeux et lui fais face.
- Oui, oui, t'inquiètes pas. J'étais perdu dans mes pensées, désolé, dis-je avec un grand sourire.
Elle s'éloigne en me donnant une petite tape amicale sur l'épaule. Je ne sais de quelle manière je me suis retrouvé au milieu de cloître, à quelques mètres de là où je pensais être figé. Sans m'en rendre compte j'avais repris mon chemin. Je me sens un peu confus, mais j'aperçois Hyunjin qui sort et je me rappelle de la raison pour laquelle je me dirigeais par là en premier lieu.
*
À peine trois heures plus tard, je m'apprête à partir pour de bon pour enfin commencer les festivités avec ma famille. J'attends quelques instants au portail pour pouvoir saluer mon copain, qui ne vient pas. Pressé de rentrer, je lui envoie un message pour le prévenir, au même moment où j'en reçois un de sa part. Il me demande de le rejoindre dans les jardins en contrebas en promettant qu'il n'y en a pas pour très longtemps. Je me dirige vers l'endroit indiqué, me demandant ce qu'il a encore bien pu me réserver pour finir cette journée en beauté. Je descends les marches en trottinant et le vois un peu plus loin, derrière une rangée d'arbre, sans personne autour.
- Je voulais te voir pour te donner une dernière chose, dit-il timidement.
Il me tend un petit paquet avec un joli nœud doré. Je le remercie et avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, il arrête mes mains et me demande de ne l'ouvrir qu'une fois chez moi. Cela pique ma curiosité mais j'accepte en rangeant le petit sachet dans mon sac, en faisant attention qu'il ne soit pas écrasé. Main dans la main, nous revenons jusqu'au portail. Seuls quelques élèves sont encore présents, les autres sont déjà à l'arrêt de bus.
- Félix, Hyunjin !
Étonnés, nous nous retournons pour tomber nez à nez avec Jeongin. Mes sourcils se froncent et une moue se dessine sur mon visage ; impossible de ne pas remarquer l'état dans lequel il est, plus il se rapproche et plus il est facile de discerner son affreuse mine.
- Jeongin ? Qu'est-ce que tu fais là ? T'étais pas censé partir ce midi pour un rendez-vous ou je ne sais quoi ?
- Si, si, mais j'ai eu le temps de revenir. Je dois vous montrer un truc fantastique, vous me suivez ?
- Jeongin, dis-je doucement en me raclant la gorge. Je suis désolé mais je dois vraiment y aller, mes parents m'attendent. Tu me montreras demain, d'accord ?
- Non, ça va pas être possible. Demain ça aura disparu, c'est maintenant ou jamais.
Un sentiment de culpabilité m'envahit, je ne veux pas décevoir mon ami. Le grand brun à mes côtés me pousse à y aller, au moins pour jeter un œil rapidement à ce fameux « truc fantastique ». Je cède bien trop facilement et les suis. Ce qui me dérange c'est l'état de Jeongin. Il est encore plus pâle que d'habitude, blafard, encore un peu et il serait translucide. Ses cheveux sont tout ébouriffés et ses vêtements poussiéreux, je me demande ce qu'il a bien pu faire avant. Il se retourne pour s'assurer que nous sommes toujours derrière lui et nos yeux se croisent. Encore plus bizarre, ses yeux ne sont plus les mêmes, ils ne sont pas de la même couleur. Je suis persuadé que ce matin tout était normal et que ses yeux étaient verts et marrons, mais à cet instant, ils sont noirs et rouges. Et il ne me semble pas que les gens aux yeux vairons peuvent en changer la couleur, surtout des couleurs aussi peu naturelles, ce serait tout aussi étonnant qu'il porte des lentilles de contact, lui qui n'aime pas trop que l'on reste fixé sur ce détail.
En plein milieu du cloitre, il se stoppe et nous fait face en souriant. Pas le genre de sourire chaleureux, au contraire, un sourire qui vous fait froid dans le dos. Je remarque au sol des traits noirs tachant les cailloux, en les parcourant des yeux, j'ai l'impression qu'il forme une flèche. Une flèche pointant vers le haut. Jeongin recule petit pas par petit pas pour se retrouver sur ce qu'il me semble être le milieu de ce gigantesque dessin. Il nous observe, avec toujours ce sourire qui grandit au fil des secondes. Ses yeux pétillent, le vent se lève et je sens quelque peser sur moi. Le ciel devient obscur, à l'heure qu'il est, le soleil est parti se coucher. Mes sourcils se froncent et je regarde Hyunjin, tout aussi perdu que moi, mais qu'est-ce qu'il fabrique ?
Sans que je ne m'y attende, je suis propulsé violement au sol, mon sac vole et glisse par terre, et quand je me redresse, la scène à laquelle j'assiste m'horrifie. Le noiraud se tient à la même place, mais il tient fermement Hyunjin contre lui, une main fermement accroché à sa gorge alors qu'il cherche un peu d'air. Je veux me relever pour aller l'aider mais je ne peux pas. Mes membres sont engourdis, je ne peux plus les faire réagir, c'est la même sensation qui m'a pris un peu plus tôt dans la journée. Le sentiment d'impuissance, comme si j'étais attaché à une chaise et qu'aucun mouvement ne m'étais permis. Je n'ai d'autres choix que de rester à moitié couché au sol, les yeux rivés en face de moi ne pouvant pas se détacher du visage de mon ami qui se transforme. Il m'adresse un regard démoniaque, souriant encore plus fort, tel un fou. Je crois halluciner quand des centaines de petits faisceaux lumineux entrent dans mon champ de vision, m'éblouissant. Ils semblent jaillir des lignes de la flèche. Ma respiration se coupe le temps d'un instant, sous le choc de toutes ces visions plus anormales les unes que les autres. J'ai en face de moi, un de mes amis les plus proches avec qui j'ai passé près de trois années à essayer d'égayer notre vie au lycée, avec qui j'ai partagé mes soucis et inquiétudes, avec qui j'ai ri, avec qui j'ai pleuré mais aussi avec qui j'ai partagé des moments inoubliables. Le garçon que je vois à ce moment n'est pas le même, n'est plus le même, mon ami a disparu. Sans compter qu'il tient fermement contre lui celui que j'aime. Son expression paniquée, suffoquant presque, et les larmes qui lui ravagent le visage me brisent le cœur, je ne peux rien faire, je suis paralysé. Je crie. Je crie aussi fort que je peux, autant pour extérioser ma rage et ma peur que pour alerter le voisinage, pour appeler à l'aide.
- Crie Félix, crie plus fort. Épuise-toi. Personne ne peut t'entendre d'ici, tout comme personne ne peut te voir. Tout ce que tu feras sera vain, tu ne peux rien. Tu es devenu trop faible. Sache que j'ai été ravi de passer mes jours ici à tes côtés, je me suis tant amusé.
Ses yeux resplendissent dans la nuit, malgré la distance et une autre source de lumière, je parviens à les discerner. Ils ne me fascinent plus, ils m'effraient. Le noir profond et le rouge sang me pénètre au plus profond de mon être et je grimace, c'est une sensation étrange et déplaisante. D'un regard il pourrait tout savoir et faire de moi une marionnette. Je parviens et prononcer un mot, ma gorge me brûle et ma bouche est pâteuse.
- P-Pourquoi ?
- Parce que.
Il ricane doucement et reprend une expression neutre et glaçante.
- Tu as été un vrai challenge pour moi Félix, tu es... Comment dire ? Divertissant. Je me suis même fait quelques frayeurs à certains moments mais, dans la globalité, je me suis plutôt bien amusé. Il faut dire que tu m'as vraiment facilité la tâche en me livrant sous le nez quelqu'un d'aussi fragile que lui.
D'un coup de genou, Hyunjin tombe à terre et ne peut pas se relever. Jeongin s'accroupit près de lui, lui caressant les cheveux comme à un animal et le repoussant fortement dans la poussière la seconde d'après. Il continue de se déplacer en reprenant son sourire de façade, ce sourire que j'ai vu si peu de fois mais que je ne peux supporter plus longtemps.
- Ton « petit-copain » est si facilement manipulable, encore plus que toi. Il porte bien trop d'attention à ce que pensent les autres et c'est une énorme faille chez l'être humain, très souvent exploitée d'ailleurs. T'atteindre à travers lui a été encore plus facile que ce que je croyais, il a suffit de seulement quelques jours pour que vous vous retrouviez sous le charme l'un de l'autre. C'est fascinant.
Il s'arrête au milieu, sa tête pivotant de droite à gauche nous observant tous les deux alternativement. Je commence à ressentir de fortes douleurs dans tout mon corps et le froid de la nuit hivernale n'arrange en rien les choses.
- Tu pensais que ton cœur était pur ? Tu te trompes, déclare-t-il en hochant la tête négativement. Il ne l'est plus totalement et, plus le temps passe, plus il s'obscurcit. Ne t'en fais pas mon chaton, tout sera fini avant minuit.
Il continue de parler, de blablater pendant ce qui me paraît être une éternité. Je suis trop fatigué et épuisé pour comprendre et enregistrer toutes ses paroles, ce ne sont que des sons qui parviennent à mes oreilles. J'entends aussi mon propre souffle qui se fait de plus en plus court. Je suis perdue parmi toutes les informations qui parviennent à mon cerveau et que je ne peux pas traiter. Tout ce que je peux certifier, c'est que je ressens une profonde haine, celle qui est impossible à imaginer, celle qui n'est pas compréhensible, celle qui ne se contient pas. Je veux que ce cauchemar s'arrête, je veux que Jeongin disparaisse de la surface de cette planète. Je cherche désespérément du regard quelque chose qui pourrait m'être utile pour l'attaquer, le tuer s'il le faut. Mais je suis toujours immobile et il n'y a que des cailloux autour.
- Tu cherches un moyen de me faire du mal Félix ? S'enquit-il. Mais, voyons, tu sais bien que tu ne peux pas, je suis le mal lui-même.
Soudainement, une force surhumaine me relève et me maintient assis, me forçant à garder les yeux grands ouverts. Je ne suis plus maître de mon propre corps. J'ai si mal et en voyant l'état dans lequel Hyunjin est, mon être se déchire et ma souffrance se multiplie. Toujours bloqué, ne pouvant pas échapper à la scène devant moi, j'observe le démon tenir mon copain entre ses bras. Sa paume de main enserre son avant bras et, éclairé par les faisceaux de lumières toujours présents, je vois de la fumée s'en échapper. Son rugissement de douleur provoque en moi une poussée d'adrénaline, malheureusement insuffisante pour me pousser à me mouvoir. Sous mes yeux, je vois sa main disparaître, s'envoler en petites cendres. Il se décompose littéralement, c'est un vrai supplice. Sous le choc, je réagis à peine au bruit strident des vitres qui se brisent en mille morceaux toutes en même temps, au sourd résonnement et à l'impression de tremblement de terre que cela provoque. Je n'ai aucune idée ce qu'il se passe, je ne sais pas si mon imagination est assez développée et performante pour créer une telle scène pendant mon sommeil, mais j'espère du plus profond de mon être que c'est bien le cas. Je ne comprends pas ce qu'il se passe, je suis comme une poupée assistant à la destruction de mon monde, je perds tout ce qui m'est cher, tout autour de moi vole en poussière. Hyunjin a le visage déformé par la terreur de voir son propre corps se dissoudre dans l'air. Son bras est entièrement consumé, il n'en reste plus rien. Ses vêtements partent en lambeaux, sa chair se liquéfie, se transforme, il ne devient rien. Il se fond dans le vide. Jeongin l'observe de près, comme un feu de joie, il semble prendre tant de plaisir. Je me remets à hurler, à pleurer, je veux mourir aussi ici et maintenant. La souffrance de Hyunjin doit être indescriptible. Il ne reste que la moitié de ses jambes, son buste encore intacte, je sais dès lors que la dernière chose qu'il restera de lui sera sa tête. En quelques secondes, son embrasement s'accélère, puis ralenti, Jeongin joue avec lui, c'est ignoble. Mon copain disparaît sous mes yeux et au moment où sa tête s'apprête à disparaître, je croise son regard. Un regard plein de détresse, d'épouvante et d'effroi, je dirai même qu'il y avait de la tristesse. La tristesse que les choses se finissent ainsi alors que nous avions encore tant de choses à vivre, nous avions la vie devant nous et tellement de rêves à réaliser, mais tout cela est parti en fumée et le vent l'a emporté. Il n'est plus de ce monde, il ne reste plus aucune trace de lui, si ce n'est le souvenir que j'en ai. Tout est fini, Jeongin va également me tuer, ou me laisser repartir anéanti, ma vie ne sera plus jamais la même, elle ne durera de toute façon pas très longtemps, je le sais, la décision est prise.
Le noiraud s'approche de moi, quelque chose de gris dans la main. Il le met à la hauteur de mes yeux, c'est un caillou, un drôle de caillou. Lorsqu'il le tourne, je peux apercevoir de la chair.
- Voici le cœur de ton bien aimé, de la pierre. Tu vois le petit bout vivant qu'il reste, juste ici, il me le désigne du doigt. C'est le peu d'amour sincère qu'il lui reste.
Une larme solitaire dévale ma joue, surement la dernière que je peux verser. Jeongin murmure quelques mots et me fixe droit dans les yeux.
- Joyeux anniversaire Félix.
Et au moment où il prononce ces mots, le petit bout de vie restant se transforme aussi en pierre. J'ai à peine le temps de comprendre réellement ce qu'il se passe, ma tête tourne, tout tourne autour de moi. Cela me donne la nausée, je ne peux rien voir distinctement, je ferme les yeux très forts et j'ai l'impression qu'on m'arrache à la vie. La dernière image figée dans mon esprit, sont les yeux démoniaques de celui qui, autrefois, fut mon ami.
*
Un toucher sur mon visage me tire de ma torpeur. J'ouvre doucement les yeux, j'ai un affreux mal de tête et je suis frigorifié. Ma vision se fait plus claire et je découvre Hyunjin à mes côtés. Mon temps de réaction est long, mais je me précipite dans ses bras en pleurant. J'ai peur, je suis confus, je me recule pour l'observer, il est bien là, présent avec moi, et je le reprends dans mon bras. Je ne peux oublier l'horrible vision que j'ai eue de lui cette nuit, tout semblait si réel. Pourtant, il est bien entier et je peux sentir son cœur battre, il n'est pas en pierre. Mais je ne pourrai pas en dire autant du mien, avec ce que j'ai cru avoir vécu, j'ai l'impression d'avoir perdu une partie de moi-même, une partie que l'on m'a ôtée. Je ne dis rien, j'en suis incapable, il va me falloir du temps pour me remettre de tout cela car c'est encore pleinement actif dans mon esprit. Ma petite sœur surgit de derrière la porte, son sourire est aussi lumineux que le mien l'était. Elle s'approche de nous, elle a toujours adoré Hyunjin et je soupçonne même qu'elle le préfère à moi. Celui-ci la prend sur ses genoux et entame une simple conversation avec elle. Je me perds dans mes pensées en les observant, je pensais ne pouvoir jamais revoir ce genre de chose. Puis quelque chose me frappe de plein fouet lorsque ma sœur fait une réflexion à mon copain :
- Wow, j'aime trop tes yeux, je veux les mêmes !
Je n'avais jamais pris en compte ce détail, mais depuis quand Hyunjin a-t-il les yeux vairons ?
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