Part One
J'enfile mon manteau d'hiver et mon écharpe avant de mettre un pied dehors. Une nouvelle année, peut-être insignifiante à l'échelle de ma vie, mais celle qui marque la fin de mon parcours dans ce lycée. Il ne me reste que six mois avant les vacances qui déboucheront sur le début de mes études supérieures, un nouveau départ. Je suis bien motivé à faire de mon mieux, ce qui m'importe pour le moment est de profiter de chaque instant avec mes amis. Le mois de janvier est l'un des pires à passer ; il fait froid, il y a du vent, on part travailler dans l'obscurité et on revient la nuit tombée. Ce mois je le trouve particulièrement éprouvant et épuisant. Une chance pour moi que mon lycée ne se trouve qu'à quelques mètres seulement de chez moi.
Dès mon arrivée, ma bonne humeur grimpe en flèche, je retrouve mes camarades et cette ambiance qui, même pour deux semaines, m'avait manqué. J'aperçois Hyunjin un peu plus loin, ce beau grand brun au regard rieur et pétillant. Je ralentis le pas me perdant dans ma contemplation, les souvenirs du Nouvel An me reviennent. Notre doux baiser à minuit, son visage près du mien, le premier trésor que j'ai contemplé pour commencer cette année en beauté et notre promesse de passer les prochains jours heureux, ensemble. Je secoue légèrement ma tête, soupire, et me précipite dans ses bras pour y trouver un peu de chaleur malgré les températures de saison. Il me serre encore plus près de lui pour me souffler à l'oreille :
- Salut toi, tu as passé un bon week-end ?
- Hmm... J'avais qu'une hâte, c'était de revenir.
- T'es bien le seul, on va enchainer avec nos exams, personne n'est ici volontairement, dit-il en riant.
- Je voulais juste vous revoir.
Je relève la tête pour observer notre ami Jeongin, resté silencieux jusque là. Je lui fais un sourire auquel il ne répond pas, comme d'habitude, mais cette fois-ci je remarque quelque chose qui ne va pas. Lui aussi a dû faire une énorme fête et semble ne pas s'en être remis, il est un peu pâle et ses yeux sont fatigués. Je m'arrête un instant sur ce détail, malgré plus de deux années passées, ses yeux vairons me fascinent toujours autant, néanmoins je ne m'attarde pas pour ne pas le gêner, sachant qu'il n'aime pas trop qu'on le dévisage ainsi.
La conversation est menée par Hyunjin et moi, nous racontons au noiraud comment s'est déroulée notre soirée en insistant sur les anecdotes amusantes auxquelles nous avons pu assister. Celui-ci acquiesce sans un mot, ce doit être la fatigue, ou la déprime de retourner en cours pour une longue période. La sonnerie stridente arrive trop vite et nous fait soupirer, tout en sachant que notre premier cours se déroule dans une salle chauffée une fois sur trois. Il est vrai qu'être élève dans cet établissement privé catholique m'a apporté bien des avantages, mais depuis que nous, lycéens, avons été délocalisés de l'ancien bâtiment pour atterrir dans l'Abbaye du village, notre quotidien a quelque peu changé. Le temps a laissé des traces sur cette Abbaye debout depuis plusieurs siècles, et nous en faisons les frais. Si au début elle nous paraissait immense et un peu mal en point avec ses quelques vitres brisées, ses salles et couloirs inaccessibles car dangereux, ses murs ainsi que la peinture effritée et des courants d'air passant même avec les fenêtres fermées, nous nous étions habitués. Tout d'abord, de nombreux travaux avaient été effectués pour rendre le tout un peu plus agréable et sûr pour les élèves et le cadre était devenu familier à nos yeux. Finalement, c'était aussi une chance de vivre quotidiennement entre ces murs qui avaient traversés et témoignés de plusieurs époques, faisant partis du patrimoine français, j'avais appris à considérer cela comme un privilège.
Nous devons d'abord nous rassembler sur la terrasse en amont des jardins afin que le directeur nous adresse ses vœux et quelques mots pour démarrer du bon pied. Le lundi est la journée où je vois le moins mes amis puisque nous n'avons qu'un seul cours en commun, malgré tout, comme à notre habitude, nous déjeunons ensemble avant de se séparer à nouveau pour ne se retrouver qu'à la sortie. Hyunjin me raccompagne toujours chez moi, me laisse devant ma porte et me donne un rapide baiser ne pouvant pas s'attarder, puis, ensuite, court jusqu'à son arrêt de bus. Ca a toujours été notre petite routine, bien avant que l'on ne soit ensemble, il se soucie de moi et n'aime pas trop me laisser seul dans l'obscurité pendant l'hiver. Sa bienveillance a fait que, de toute façon, il ne m'a pas vraiment laissé le choix de refuser cette proposition, et je ne l'aurais pas fait dans tous les cas. Sa présence me rassure, il a une aura apaisante qui a le don de mettre n'importe qui en confiance ; c'est probablement pour ça que tout le monde l'apprécie, sans exception. Et c'est aussi probablement grâce à cela que nous avons pu nous lier à Jeongin.
Quand, le jour de ma rentrée en seconde, je me suis retrouvé dans la même classe que cet adorable garçon qui partageait les mêmes options que moi, notre lien d'amitié s'est solidement formé en seulement quelques jours. Nous sommes si semblables, cela paraissait fou de trouver quelqu'un parfaitement en accord avec moi, avec qui je me sentais si à l'aise. On se complète, tous deux avons nos qualités bien spécifiques et nos défauts, mais jamais nous n'avons eu de différends. Puis, lorsque des rumeurs ont commencé à courir sur ce mystérieux élève, d'un accord commun nous nous sommes approchés de lui. Jeongin n'est pas aimé des autres, ils le trouvent trop « bizarre ». Il est vrai qu'il est un peu particulier mais pas méchant, c'est son apparence qui leur a fait peur aux premiers abords. Ses yeux vairons, si uniques, sont les yeux de démons selon les croyances en Europe de l'Est. Il est renfermé et solitaire, certaines personnes se sont amusées à faire des spéculations sur sa situation familiale, et ce n'était pas beau à entendre. Ca n'a pas été facile de nouer un contact avec lui parce que ce n'était pas par pitié mais lui l'a compris comme cela. Puis finalement du jour au lendemain la situation a changé et c'est lui qui est venu à nous. Alors nous l'avons intégré avec joie à notre petit duo, devenant un trio. En y repensant, je suis moi-même étonné par le fait que nous n'ayons jamais eu de conflits dus à nos personnalités très différentes, mais je ne peux que m'en réjouir.
Les jours se suivent et se ressemblent, l'excitation de la rentrée est passée. Nous sommes déjà définitivement retournés dans cette phase de pression avant nos examens blancs et le choix pour notre avenir qui se concrétise. Ce qui me plaît le plus quand j'observe mes camarades autour de moi, c'est que, malgré l'anxiété que peuvent ressentir certains, rien ne peut arrêter l'ambiance chaleureuse et joyeuse. En terminale nous avons la chance d'avoir plus d'autonomie que les années précédentes et parfois je me dis que les éducateurs ont peut-être fait une erreur, mais je ne le regrette pas. Quand je vois des amis se pourchasser avec des produits de ménages, d'autres brûler des feuilles pour passer le temps, ou encore ceux au fond qui regardent une série sur leur téléphone, et tout cela dans une seule et même salle, je me dis que j'ai de la chance d'assister à ce spectacle. Un sourire amusé fleurit sur mon visage et je me tourne vers Jeongin pour amorcer une discussion, mais aucun mot ne passe la barrière de mes lèvres. Celui-ci a les yeux fixés sur une feuille de brouillon avec des gribouillis dans tous les coins, il est impassible, pas le moins du monde perturbé par ce qu'il se passe autour. Je mords ma lèvre, un tic que j'ai depuis plusieurs années qui trahit souvent mon stress ou, dans ce cas-là, mon inquiétude. Mon ami semble si froid depuis ces quelques jours, encore plus que d'habitude. Je sais pertinemment qu'il n'est pas très expressif et solitaire de nature, pourtant, le voir dans cet état me donne la chair de poule. Il m'arrive de le craindre, rarement, mais de temps en temps, quand je croise ses yeux, c'est comme si un vent froid et violent me traversait. Il a beau être hypnotisant, il inspire de la crainte à première vue. Toutefois, il a un bon fond, il faut toujours voir le bon côté des gens ; parce qu'il n'y a pas d'obscurité sans lumière. Tout compte fait, je ravale mon envie de discuter et me concentre sur mon travail pour le finir le plus vite possible. Je jette un coup d'œil à l'horloge qui n'indique que vingt courtes minutes avant l'heure du déjeuner.
*
- C'est dingue ce qu'il fait froid dans ce pays !
- Exagère pas non plus, il doit faire un petit trois là.
- C'est bien ce que je dis, on se les caille, s'exclame à nouveau mon copain. En plus j'étais dans la salle sans chauffage juste avant, j'étais gelé.
- Pauvre chat, dis-je ironiquement. Maintenant mange avant que ce soit ton repas qui soit froid.
Bien calé contre le radiateur derrière moi, je continue de grignoter mon bout de pain. Je profite du silence de mes amis pour écouter un peu ce qui se dit aux tables d'à côté, j'aime bien récupérer quelques petites rumeurs de cette manière. Mais ce que j'entends cette fois est beaucoup plus intéressant que tout ce que j'avais entendu jusque là. Mon cœur se réchauffait à l'entente des prénoms de deux personnes de ma classe qui, apparemment, se seraient mises ensemble. En y réfléchissant, c'est vrai qu'ils sont mignons. Je m'apprête à parler alors que je croise à nouveau le regard de Jeongin. Il est encore plus dur que lors de l'heure précédente et me fige sur place. Je déglutis en détournant les yeux, essayant d'oublier cette affreuse impression que cela m'a donné. Je vois ses sourcils se froncer et il se lève précipitamment avant de partir sans un mot à notre attention. Le bruit de sa chaise à attirer tous les regards sur nous et un silence envahit le petit réfectoire pendant quelques secondes avant que des chuchotements puis des voix plus hautes ne reprennent de plus belle. Je ne me questionne plus sur son comportement, ce genre de chose arrive quotidiennement. Je profite de ce moment seul à seul avec Hyunjin pour lui faire part de mes inquiétudes concernant notre ami.
- Tu sais ce qu'il a Jeongin ? Je le trouve... pire que d'habitude...
- Hmm ? Non, j'ai rien remarqué.
- Je me sens un peu mal de dire ça mais je... Je me sens moins à l'aise avec lui. J'ai cette sensation bizarre, un peu comme de l'angoisse, quand je croise son regard. Il est glaçant, imperturbable, impassible et pas super amical. Tu vas me dire que de toute façon c'est pas son genre d'être tendre ou affectueux, mais, vraiment, il m'intimide, il me fait presque peur. J'ai l'impression de ne plus le reconnaître. D'autant plus qu'il a toujours cet air fatigué, il est pâle, il a des cernes énormes, il traîne des pieds... Tu crois qu'il a quelque chose de grave ?
- Bien sûr que non, je pense simplement que tu te fais un peu trop de soucis, dit-il d'un ton rassurant. Il est surement sous pression et bien plus anxieux que nous par rapport à ce qui l'attend. On sait tous les deux que les cours c'est pas facile pour lui et on est à peine revenus de vacances qu'on nous bassine déjà avec les grands enjeux de notre avenir. Laisse-lui un peu de temps, un peu plus de repos, il ira mieux. Sans compter qu'il a été malade une majeure partie des vacances...
- J'étais pas au courant ! Le pauvre...
- J'irai discuter avec lui un peu plus tard, t'en fais pas.
Mon regard se porte sur la fenêtre qui donne sur la cour arrière mais je ne l'aperçois pas lui. Il a dû en baver, des jours de repos cloué au lit, malade. Cela pourrait expliquer son état physique, néanmoins, j'ai le sentiment qu'il m'en veut pour une raison inconnue. Je l'ai constaté plus proche de mon copain et plus distant de moi. Peut-être que je lui ai fait du tort inconsciemment. Il faut que je mette tout cela au clair, je suis déterminé à faire en sorte que les choses s'arrangent. J'attendrai que Hyunjin ait une discussion avec lui, puis je tenterai de comprendre pourquoi j'ai cette impression de haine à mon égard.
Je tente de me changer les idées en observant mon petit-ami discuter avec une fille de sa classe qui passe par-là. Ils parlent de sciences ou je ne sais quoi qui ne m'intéresse pas vraiment, ce qui capte mon regard c'est son profil. Sous tous les angles, Hyunjin est parfait. Je ne saurais dire à quel moment exactement c'est arrivé, tout s'est passé si vite. Du jour au lendemain je me suis surpris à penser et à voir mon plus proche ami d'une façon plus intime. Et je sentais la réciprocité de ce sentiment. Des contacts physiques plus insistants qui ne laissaient aucun doute sur leur signification, des mots, des phrases qui accéléraient nos battements de cœur à l'unisson. Je n'avais jamais eu d'expérience avec un autre garçon, et si pendant un court moment j'avais appréhendé la situation, l'instant d'après j'étais dans ses bras avec cette sensation de sécurité, de douceur et de plaisir. C'était si naturel d'aller l'un vers l'autre, sans aucune crainte, aucune inquiétude vis-à-vis du monde qui nous entoure et des jugements ou réflexions. Tout cela nous passait au-dessus. Et malgré cette déconcertante soudaineté, la magie des moments passés ensemble primaient sur tout le reste. Rien n'avait changé depuis cette année, peu importe les hauts, les bas, nous étions intouchables. Je ne m'étais jamais posé la question de comment ces sentiments avaient pu être réciproques et si rapides à se développer, mais il fallait croire que la magie de l'amour existait bel et bien. Un regard, un sourire, rien ne pouvait m'arracher à cette agréable réalité.
*
Alors que les jours passent de plus en plus vite, je continue à fermement me tenir à mes bonnes résolutions de cette année. L'une d'entre elle étant de totalement m'investir dans un travail sérieux et régulier pour maximiser mes chances de réussite pour mes études, la proposition de cours supplémentaires dans ma matière faible est la bienvenue. C'est dans ce genre de situations qu'habiter à côté du lycée est un réel avantage, un cours le jeudi soir de 18h à 19h ne me posait aucun souci de transport, contrairement à la grosse majorité des autres élèves. C'est probablement pour cette raison que je me retrouve presque seul, accompagné de trois autres de mes camarades, devant notre professeur pour une petite séance d'approfondissement du sujet abordé. Travailler en petit groupe est vraiment beaucoup plus efficace qu'une classe remplie par une trentaine d'élèves, et en seulement une heure nous avons le temps de faire quelques exercices suivis d'une conversation enrichissante. L'heure venue, je range mes affaires sans me précipiter en continuant de discuter avec mon professeur. Il ferme la porte et me salue alors que je passe rapidement aux toilettes. En ressortant, tout le monde a quitté le bâtiment. Je m'avance doucement dans le couloir, les lumières automatiques s'activent. Je m'attarde un peu devant la fenêtre donnant sur la cour extérieure, je déglutis et ressens un frisson. De nuit, les hauts murs de l'Abbaye sont inquiétants. Les lumières se coupent dû à mon manque de mouvement, mais je ne réagis pas, trop pris par ma contemplation. Les rayons de la Lune se reflètent sur la pierre, lui donnant un aspect mystique. Instantanément, plusieurs évènements me viennent en tête. L'histoire de l'Abbaye est fascinante, debout depuis presque un millénaire, elle a connu de nombreuses sombres périodes. La guerre par exemple, je sais qu'une partie a été détruite à cause d'un incendie provoqué par les Allemands qui ont débarqué ici lors de la Seconde Guerre mondiale, apeurant les enfants qui y étudiaient déjà. Il y également eu des rumeurs sur une messe noire qui aurait pris place dans le manège à cheval, endroit auquel nous n'avons pas accès. Et si cela s'avérait correct, je ne serai pas surpris. Mon regard se porte d'abord sur les arbres dont les branches s'agitent lentement sous le vent, puis vers ce fameux manège, encore plus lugubre qu'en plein jour. La plupart des vitres en sont brisées, la façade délabrée et je n'ose imaginer l'intérieur surement poussiéreux, des planches de bois cassées et des morceaux de verre éparpillés, un froid glacial. Mon frisson se fait plus intense et je me dis qu'il est temps de rentrer chez moi, dans mon petit nid douillet bien plus chaleureux. Je me détourne et continue d'avancer vers les escaliers mais l'obscurité règne toujours, les ampoules ont dues griller. J'utilise le flash de mon téléphone pour me guider et ne pas trébucher. J'essaie de contrôler mes émotions et de ne pas paraître affolé, mais le fait de me retrouver dans le noir m'angoisse. C'est une peur assez courante, après tout, dans la pénombre il est facile de se dissimuler et quelque chose de bizarre peut surgir au moment où l'on s'y attend le moins. Cependant, un mouvement à ma droite me happe de ma concentration et attire mon regard. Cela est anormal et m'intrigue. Je m'approche d'une fenêtre en abaissant mon téléphone pour mieux observer. Il me semble apercevoir quelque chose de difforme dans le noir, au milieu du cloître. Quelque chose qui se fond dans les ténèbres et se déplace. Je regarde aux alentours pour voir de quel objet ce pourrait être l'ombre, mais je ne trouve rien. La chose se dirige vers le manège et semble disparaître à travers les murs. Je recule de quelques pas, mon cœur s'affole et ma respiration aussi. Je n'ai aucune idée de la provenance de ce phénomène mais je dois me faire des images. Il est vraiment temps de rentrer chez moi pour me reposer, mon esprit commence à me jouer des tours. Je reprends mon chemin en accélérant le pas, je veux partir au plus vite. Il est inévitable pour moi de passer par le cloitre, je longe les murs et trottine à petite allure. Avant de passer la porte qui mène au portail principal, je tente une nouvelle fois de m'assurer que rien d'étrange ne se passe, et, alors que je fixe le manège, je ne discerne rien qui pourrait sortir de l'ordinaire.
En passant le seuil de ma petite maison je souffle un bon coup et sourit en entendant les cliquetis des ustensiles de cuisine qu'utilise ma mère. Je me suis fait une frayeur pas possible et je suis soulagé de retrouver un environnement plus serein. Je reste tout de même tourmenté par ce que j'ai vu pendant une partie de la soirée, essayant de trouver une explication rationnelle. Peut-être était-ce un animal, il a pas mal de chats dans les alentours et pour eux, l'Abbaye après les cours est une aire de jeux et il serait possible que le manège à cheval, étant abandonné, leur serve de refuge. Dans tous les cas, je vais garder cette histoire-ridicule- pour moi, il serait malheureux que les autres viennent à penser que je suis fou ou parano et qu'en plus ils se mettent à dire que c'est forcément l'influence de Jeongin. C'est sûr, je garderai la bouche cousue à ce sujet.
*
Le lendemain matin, comme à mon habitude, je me précipite à l'arrière des bâtiments pour retrouver mes amis et commencer cette journée en beauté. Je prends le temps d'observer Jeongin à distance, il a l'air d'aller un peu mieux, d'être plus « vivant ». Il a regagné de l'énergie et, même s'il est toujours blafard, c'est un signe rassurant et je ne manque pas de le lui faire remarquer. Il jette un regard en coin à Hyunjin et étire ses lèvres un court moment dans un sourire de façade vide d'émotions en répondant que c'était grâce à lui. Les yeux de ce dernier pétillent en l'observant à son tour.
- On a su me remonter le moral, dit le noiraud.
Je ressens un drôle de pincement au cœur, ça me fait bizarre de les voir aussi proche, plus que d'habitude, j'ai l'impression un court moment d'être en dehors de leur petite sphère amicale. Puis l'instant d'après, tout disparaît de mon esprit et une folle envie de jeter un coup d'œil dans le manège me prend soudainement. Je me détourne de mes amis pour m'éloigner, seul, mais ils me rejoignent bien vite. Je ne réponds pas aux questions de Hyunjin-je me suis promis de ne rien dire- et m'approche un peu plus d'une fenêtre sans vitre. Je ne ressens pas la même sensation d'anxiété qu'hier soir, le fait d'avoir la lumière du jour et plusieurs personnes autour de moi me rend serein. Avant que je ne puisse apercevoir quoique ce soit à l'intérieur, je suis brusquement stoppé par une main qui agrippe mon fermement avant bras. Je me retourne, les yeux écarquillés, pour découvrir le visage de Jeongin, crispé.
- Tu penses faire quoi là au juste ?
- Rien, je me demande juste à quoi ça ressemble là-dedans.
- Soudainement ?
- Oui. Maintenant, lâche moi, tu me fais mal.
Je suis persuadé que j'en garderai une marque temporaire. Je sens qu'il pourrait me briser les os s'il le voulait et son visage fermé ne m'inspire pas confiance sur le moment. Je soutiens son regard du mieux que je peux, toujours emprisonné, et je sens quelque chose d'étrange en moi. Quelque chose d'inhabituel, je commence à avoir un peu chaud, ma mâchoire se contracte et mes poils se hérissent. Mon ventre se tord et je ressens de la colère, une vraie colère comme je n'en n'ai jamais ressentie et qui prend petit à petit possession de tout mon être. Je ne supporte pas que Jeongin me tienne ainsi, tel un animal en laisse, et je me dégage violemment de lui avant de continuer mon chemin, et puis, qu'est-ce que ça peut bien lui faire que je regarde par la fenêtre ? Je me hisse sur la pointe de mes pieds et observe le chaos dans le vieux bâtiment inutilisé. Le sol est fait de terre, les morceaux de verres y gisent encore, signe que personne n'est entré depuis un moment, le plafond n'est pas très haut mais il fait tellement sombre que je ne parviens pas à en discerner le sommet, les poutres apparentes sont aussi en très mauvais état et menacent de s'effondrer à tout moment. Des petites plantes ont même repoussé en une forme semblable à celle d'un sablier. « BOUH ! ». Pris dans ma contemplation, j'ai un énorme sursaut et mon cœur rate un battement. Je ferme les yeux en respirant profondément, les mains sur les genoux, pour me calmer. Des rires parviennent à mes oreilles, ceux de Jeongin et Hyunjin. J'ai vraiment cette étrange impression qu'en quelques minutes tout a basculé, tout va de travers et je ne me sens pas aussi à l'aise avec eux qu'à mon habitude. Les entendre rire est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, je ne suis pas une personne irritable mais il est hors de question que je reste passif.
- T'es vraiment un abruti, dis-je à l'attention du noiraud.
- Pardon ? Attends, tu peux répéter ?
Son petit sourire en coin a le don de m'énerver encore plus. Vexé de ne pas être pris au sérieux, je continue dans ma lancée. Je le pousse légèrement pour le faire reculer et le ton monte rapidement entre nous, chose qui n'était jamais arrivée, ni avec lui ni avec personne d'autre d'ailleurs. C'est Hyunjin qui nous sépare et nous éloigne avant que tous les yeux ne soient rivés sur nous et que l'on devienne le sujet de conversation de la journée. Je n'en crois pas mes yeux lorsque je le vois se diriger en premier vers mon ami et lui parler doucement alors que celui-ci sourit, pendant que moi je reste seul à fulminer de mon côté. Il est inutile de rester planté là, je prends rapidement la décision d'aller faire un tour pour me calmer, j'ai besoin de m'isoler
*
Devant le miroir de ma salle de bain, je me détaille des yeux ; cette journée a été particulièrement épuisante et cela se voit sur mon visage. Je me repasse les évènements en boucle, et les larmes me montent aux yeux. Pour la première fois aujourd'hui, je ne cherche pas à les retenir. Je suis incapable de mettre un mot sur ce qu'il s'est passé plus tôt, je ne me reconnais pas. J'aimerais croire que ce n'était pas moi, que ce n'était qu'un rêve et que je n'étais pas maître de mes actes. Mais je dois me rendre à l'évidence. Mes larmes s'intensifient et je sais pertinemment que je ne peux pas rejeter toute la faute sur le manque de sommeil, ce serait stupide, mais je ne me reconnais pas. Je n'ai jamais ressenti une colère aussi forte envers quelqu'un, surtout pour une raison aussi débile que celle-ci. Qu'est-ce qui a changé ? Pourquoi ai-je cette sensation qui persiste ? Celle de ne plus être au bon endroit avec les bonnes personnes. Serait-ce le début d'une crise d'adolescence ? Je ricane légèrement à cette pensée, pendant mes années de collège ne jamais avoir traversé cette période était une fierté pour moi, je ne sais pour quelle raison, mais peut-être bien qu'au final personne ne pouvait échapper à une petite modification comportementale. Je finis par me relever du carrelage frigorifiant sur lequel je m'étais laissé tomber et me dirige lentement, lourdement, dans ma chambre. Assis sur mon lit, j'observe les murs de ma chambre tapissés de tout et n'importe quoi. Des posters, des lettres de ma famille, des petits mots adorables de mes amis, et, au-dessus de mon bureau, je m'arrête sur ce bout de feuille, celui sur lequel j'ai noté tous mes objectifs personnels. Les yeux toujours vitreux, je souris faiblement en les récitant un par un et en me remémorant les moments qui y correspondent. Mes souvenirs sont si paisibles et si heureux, je ne veux jamais les perdre ni les oublier parce qu'ils me poussent à faire encore mieux. Cet élan de nostalgie a le don de me remonter un peu le moral. Je vais me reprendre, me reposer, et dès demain tout ira mieux. Après tout, qui n'a jamais eu un petit coup de mou comme ça. De la même manière, je sais que je n'ai aucune raison d'en vouloir à mon ami, c'est si bête, une amitié est précieuse, même si Jeongin est de tempérament compliqué, il est mon ami, ce qui signifie que je l'aime malgré notre différend de la matinée. Après tout, il a toujours été là, depuis que l'on se connaît, il ne s'est pas passé un seul jour sans que je ne sente sa présence, même en étant à distance. Jamais il ne nous a laissé tomber lorsque l'on avait besoin de lui, il sait tout, il fait très attention à nous, je pense pouvoir affirmer qu'il nous aime à sa manière. Le week-end va nous donner le temps de se reposer et je suis certain que, dès lundi matin, tout sera revenu à la normale.
*
Mon sourire est revenu, je me rends avec allégresse à mon cours supplémentaire de la semaine. Comme je l'avais prédit, rien n'a changé entre mes amis et moi. Nous nous sommes retrouvés hier matin, au même endroit que d'habitude, notre attitude n'est en rien différente et j'ai même pu apercevoir un rictus de Jeongin en ma direction. Je n'ai pas de soucis à me faire par rapport à vendredi dernier, et c'est bien mieux ainsi. Il doit bien y avoir des hauts et bas, et passer outre prouve bien que notre lien est fort.
Cette fois-ci, je suis ressorti de la salle le cerveau en compote. Ce cours était beaucoup plus technique que celui de la semaine dernière et je vais, encore une fois, devoir rentrer chez moi à pied dans le noir et le froid. Pour raccourcir mon trajet, je décide de sortir directement par le portail arrière alors que tous les autres vont dans la direction opposée. Les lumières ont été réparées depuis la dernière fois, mais les images de cette chose étrange que j'ai cru voir au dehors ne veulent pas quitter mon esprit. Inconsciemment mon pas s'accélère, je crains de revivre la même chose. Je ralentis légèrement en arrivant aux marches et j'ai le temps de voir du coin de l'œil quelque chose de sale par terre. On aurait dit de la terre et quelque chose de bleu gluant, je n'ai aucune idée de ce que c'est mais je trouve cela un peu indécent. Les élèves pourraient quand même faire un minimum attention à la propreté de l'établissement, surtout que ce n'est pas eux qui nettoient derrière. Je souffle en continuant mon chemin et pousse la lourde porte qui mène à l'extérieur. Soudainement, j'entends quelqu'un souffler, un souffle rauque, mais il n'y a personne autour de moi. Il fait très froid mais il n'y a pas non plus de vent, étrange. Je n'y prête pas plus attention et ne perds pas trop de temps en passant dans le cloître. Au fond de moi, j'ai toujours cette peur, je ressens toujours ce petit vertige et mon ventre qui se tord lorsque j'y passe seul. L'appréhension de me retrouver à nouveau face à quelque chose d'inhabituel m'envahit, mais je ne céderai pas à la panique. Sauf qu'en quelques secondes, je me retrouve incapable de penser correctement. J'entends toujours ce souffle qui semble se rapprocher, mes oreilles se mettent à siffler vivement et c'est extrêmement désagréable comme sensation. Déstabilisé, je m'immobilise un instant en fermant les yeux, espérant que cela passe rapidement. L'effet s'atténue un peu, je prends une grande respiration qui se bloque instantanément en constatant que, cette fois-ci je suis sûr de ne pas rêver, une lueur rouge m'observe à travers une fenêtre de l'étage du manège à cheval. C'est étrange d'avoir le sentiment qu'une lueur vous observe, parce c'est techniquement impossible, mais là, c'est comme si elle me transperçait. Je ne peux plus bouger, paralysé par la peur, mes membres sont tout engourdis. Horrifié par cette vision et ce ressenti, les larmes me montent aux yeux, je me sens impuissant, je suis impuissant. Je ne peux pas me détacher de ce carreau brisé, dans mon esprit j'essaie de me convaincre que c'est une lumière mise en place exprès pour éclairer un peu, en vain, car ce serait la raison la plus ridicule. J'ai bien constaté que personne n'était entré dans cet endroit depuis des lustres et la lumière n'avait jamais été là, pas durant les deux précédentes années. Un bruit aigüe retentit et je recule instinctivement jusqu'à me cogner dans le mur de pierre dans mon dos. Alors que la lueur n'a toujours pas bougé, le choc me fait reprendre un peu mes esprits et je me précipite vers la sortir, courant le plus vite possible pour échapper à ce cauchemar. J'en viens même à me demander si les rumeurs à propos de messes noires qui auraient eu lieu avant notre transfert ici n'étaient pas réelles, et si tout ce que je voyais depuis une semaine n'en n'était pas le fruit. Une fois arrivé dans ma rue, je tourne la tête. Depuis ma position je peux apercevoir le haut du toit de la chapelle et du bâtiment principal, l'Abbaye ne m'a jamais autant effrayé qu'en cet instant. Un frisson me traverse le corps, de peur et de froid, me poussant à rentrer à la maison aussi vite que possible.
*
Le jour suivant, pour la première fois de ma vie, je me rends en cours avec la boule au ventre. L'enceinte du lycée m'intimide et les secrets qui y sont enfermés m'inquiètent plus que jamais. Même le visage rayonnant de Hyunjin ne m'aide pas à surmonter cela. Celui-ci en voyant mon état ne me lâche plus depuis ce matin, faisant tout son possible pour me faire sourire et me rassurer, bien qu'il ne connaisse la cause de tout cela. C'est sans aucun doute pour cela qu'il est apprécié de tout le monde, non seulement il est sublime, mais il est d'une extraordinaire bonté. Il ne lui faut aucune raison pour aider les autres, il est toujours le premier à se porter volontaire, c'est dans sa nature, et pourtant Dieu sait le nombre de chutes qu'il a aussi fait mais ne partage pas pour n'inquiéter personne. Il est bienveillant et charitable. Et c'est pour cette raison que je suis bien chanceux de l'avoir à mes côtés, il me porte plus d'attention qu'à n'importe qui.
Pour autant, il a bien dû me quitter pour rejoindre sa place auprès de Jeongin pendant notre cours d'espagnol. Concentré sur mon travail, j'en oublie presque mes soucis et tracas, pour que, finalement, ils me reviennent violement au visage lorsqu'un puissant bruit de verre brisé se fait entendre. De peur que ce soit le fruit de mon imagination, je m'assure que ma voisine de classe a bien entendu comme moi. Elle hoche la tête, une main sur la poitrine, se remettant du choc pourtant pas si énorme, elle exagère bien un peu. Un des garçons se lève pour aller jeter un œil dans le couloir et nous rapporte qu'un courant d'air a fait claqué une fenêtre et, par la brutalité de la chose, a brisé la vitre fragile en mille morceaux.
- Y'avait personne en bas au moins ?
- Non c'est bon. Et une femme de ménage était au bout du couloir, elle m'a dit qu'elle allait s'en occuper.
- Quelle idée de laisser des fenêtres ouvertes avec ce froid, franchement...
En me retournant, mes deux amis apparaissent dans mon champ de vision et mes sourcils se froncent. Jeongin est à moitié affalé sur la table, je ne peux pas voir son visage, et Hyunjin est légèrement penché sur lui, en train de lui parler et de lui caresser le dos. Il a l'air assez mal en point.
C'est à peine une heure plus tard qu'en effet j'apprends que mon ami ne se sentait juste « «pas bien » et qu'il a besoin de se reposer. Nous l'accompagnons jusqu'à l'infirmerie et le laissons entre de bonnes mains.
- Il est comme ça depuis combien de temps ?
- Je sais pas... Tout allait bien, la vitre s'est explosée et trente secondes après il était tout blanc, les yeux rouges et j'ai cru qu'il allait s'évanouir, souffle mon copain.
- La fenêtre... Sehyoon a raison, faut vraiment être con pour la laisser ouverte avec ce temps.
Il s'arrête soudainement et me fait les gros yeux, surpris. Je mets ma main sur ma bouche et m'excuse, je n'ai pas pour habitude de parler de cette manière, mais c'est sorti de ma bouche si naturellement.
- Eh bien, c'est sûrement la première fois que je t'entends dire ça.
- Et la dernière.
Il remet son bras autour de mes épaules en riant et me pousse vers notre salle pour notre prochain cours.
Par la suite, à plusieurs reprises dans la journée j'ai dû me mordre la joue pour éviter de sortir toutes sortes d'âneries et méchancetés que je n'aurai jamais osé penser en temps normal. Je pense sincèrement que la soirée d'hier a eu des conséquences sur moi et mon état d'esprit, pour peu que le bâtiment en lui-même ait une mauvaise influence sur moi. Il faut avouer que depuis la première fois où j'ai cru voir cette chose bizarre, j'ai souvent dû remettre en question mon comportement.
*
Rien ne s'arrange avec le temps. Quelques jours plus tard, je continue de faire certaines remarques déplacées, et le pire est que je ne m'en rends pas forcément compte. Il y a certaines personnes au lycée que je commence sérieusement à moins apprécier pour des petits détails qui m'énervent et m'insupportent alors que, avant, j'étais conciliant avec ce genre de choses. Je me permets des réflexions, des jugements (silencieux ou non), et de plus en plus je me transforme en quelque chose que je n'aime pas trop. Malgré toute ma volonté, des pensées s'infiltrent dans mon esprit sans que je ne le veuille vraiment. J'espère sincèrement que tout cela est causé par le stress des examens arrivant à grand pas et de la mauvaise période, il est bien connu que les mois de décembre, janvier et février sont les pires pour les élèves. J'ai lu quelque part sur Internet que poser ses sentiments avec des mots pouvaient aider à se sentir apaiser, chose que j'ai exécuté dans un petit carnet qui prenait la poussière dans un de mes tiroirs.
Jeongin n'est pas revenu depuis le jour où il est tombé malade, je ne m'inquiète pas autant que cela. Il n'a jamais manqué un seul jour de cours, il fallait bien que ça arrive tôt ou tard. Ce que j'espère, c'est qu'il sera de retour en bonne santé avant le jour de mon anniversaire, car mes dix-huit ans arrivent à grand pas et bien que certains détestent ce jour, moi je l'adore et le passer avec mes deux amis m'est important.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro