81. Maurice
MAURICE
Après la mauvaise ambiance créée par le comportement maniaque de Julius, Maurice se désigna pour continuer la cérémonie glauque de la clairière. Stanislas n'avait pas l'air connecté au monde réel, alors le forcer à se regarder mourir... non. Agnès était trop bizarre pour lever la main spontanément, Lemnos semblait terrorisé et Charles sentait le traumatisme à vingt kilomètres. Il ne restait que Maurice, pour le moment. Allez, B, balance donc ton truc. Le maître des lieux indiqua que les paroles en russe seraient traduites.
Lorsque l'écran s'alluma, le scientifique repensa aux objets qu'il avait reçus quelques semaines plus tôt, après la partie de cache-cache la plus courte de l'Histoire. Eric avait gagné un souvenir d'entraînement au combat et était mort à Azincourt. Puisque Camille avait eu quelque chose en rapport avec Nostradamus, le cadeau de Maurice devait avoir un rapport avec sa mort, lui aussi. Un revolver soviétique ? Et merde.
Moscou, 3 septembre 1949 ap. J.C.
Maurice essuya longuement ses horribles sandales devant les portes de l'université. Il pleuvait des cordes et il préférait ne pas glisser et se briser les os devant tout le monde. Il n'avait plus vingt-cinq ans ! La moindre fracture risquait de le laisser cloué au lit pour toujours. Il aurait bien du mal à venir au laboratoire dans ces conditions...
Son cœur fit des sauts périlleux lorsque ses yeux croisèrent ceux de Galina. La secrétaire était simplement assise sur sa chaise à trier des papiers. Ses cheveux étaient à peine coiffés et elle avait oublié de se maquiller – elle s'était sans doute réveillée trop tard – mais Galina resplendissait. Comme toujours.
« Tout va bien, Monsieur Lalie ? lui demanda-t-elle en prononçant mal son nom de famille.
— Euh... oui, bien sûr ! »
Il avait dû la regarder avec un air étrange, comme tous les matins. Maurice n'était pas un dieu de la séduction. Son chapeau cachait à peine sa calvitie de vieillard, bien qu'il n'ait que la cinquantaine. Il faisait plus que son âge, c'était certain ! Mais bon, de toute façon, je n'ai rien à faire avec Galina. Elle est si jeune et pleine de vie !
Maurice entra dans son laboratoire inhabituellement vide. Des erlenmeyers étaient posés un peu partout, certains contenant de l'eau ou de la potasse, rien de plus. Tiens ? Il n'y a personne... Voilà qu'ils tirent au flanc, les Soviétiques ! Maurice n'appréciait pas ses collègues de travail. Ils ne servaient à rien et tournaient autour de Galina à longueur de journée.
Maurice s'installa devant son rotor miniature, soucieux. Ses supérieurs lui avaient demandé de rendre son installation moins lourde. Il avait passé des jours, dimanche compris, à établir une liste de matériaux plus légers pour chaque pièce de l'appareil. Il essayait encore de trouver quelque chose de plus pertinent pour la coque de protection de certains éléments lorsqu'il entendit un grand bruit dans l'entrée.
Maurice se redressa vivement et tendit l'oreille.
« ... ne pouvez pas entrer comme ça !
— Silence ! »
Une gifle sonore retentit jusque dans le laboratoire. Qui OSE frapper Galina ?! Maurice se leva, fou de rage. Il allait renvoyer les intrus chez eux et offrir un linge humide à la secrétaire pour soulager sa joue. Sans blague ! Pour qui se prenait ce malotru ? Blesser une femme !
Lorsque Maurice atteignit la porte, il fut reçu par un revolver braqué sur lui. Le scientifique leva les mains par réflexe.
« Oh ! s'exclama-t-il avec inquiétude, q-qu'est-ce que vous fichez ? »
Les deux hommes étaient vêtus d'uniformes beiges. Leur regard était aussi glacial que Moscou. Rassemble tout ce que tu sais dire en russe...
« Vous êtes du MVD ? s'enquit Maurice en tentant de garder son calme.
— Oui. »
Le scientifique se demanda si c'était une bonne nouvelle que le ministère de l'Intérieur s'intéresse à lui. Après tout, il était censé travailler pour la marine civile ! Je crois que j'ai été terriblement naïf...
« Maurice Lalie ? fit l'homme tenant le revolver avec un accent répugnant, contrairement à celui très charmant de Galina. Vous avez travaillé sur ce rotor ?
— Oui. Pourquoi ? »
Et l'agent tira.
֍
Maurice était abasourdi. Il se tourna vers B.
« Je n'ai rien compris ! s'écria-t-il. Pourquoi ?
— C'est ce que je te disais, soupira Nok. Les Soviétiques t'ont fait construire ce rotor pour un navire de guer–
— Non, le coupa Maurice malgré l'évidence, un navire civil !
— Un navire de guerre, répéta Nok. Quand tu l'as terminé, ils se sont débarrassés de toi.
— Mais pourquoi ? Je n'étais pas un danger !
— Tu aurais pu en construire un autre pour les Américains, je suppose, ou tout simplement pour les Français. Ils te trouvaient trop intelligent pour être laissé dans la nature. Ils avaient peur ! »
Maurice se gratta le menton, songeur.
« C'est flatteur mais... c'est vraiment idiot. Je suis mort comme un crétin naïf ! Et Galina ?
— Galina a été très peinée par votre mort, répondit B. Les agents du MVD l'ont laissée tranquille, mais elle n'a plus jamais vécu sereinement. Elle est morte à 63 ans d'une pneumonie.
— Ce n'est pas assez tard à mon goût. Et son mari, était-il quelqu'un de bien ?
— Elle ne s'est jamais mariée. »
Maurice haussa les sourcils. Non, c'était impossible.
« Mais pourquoi ? s'exclama-t-il à nouveau. Elle était si belle, si douce...
— Pour être honnête avec vous, Maurice, je n'en sais rien, admit B en grimaçant. J'aurais aimé lui poser la question, mais Galina ne fait pas partie de la lignée que j'étudie. Puisque personne ne peut être appelé deux fois, si jamais quelqu'un d'autre avait l'intention de lui parler... je me ferais renvoyer sur-le-champ. Je n'ai pas voulu désobéir à ce point, j'ai fait assez de mal comme cela !
— Peut-être qu'elle voulait faire sa vie avec vous. » proposa Anna.
L'aristocrate faisait souvent sa gourde, mais elle s'y connaissait en amour courtois et autres choses du même genre. Elle arrivait même à montrer à tout le monde qu'elle aimait Philémon sans aborder le sujet, un talent rare.
« Tu penses qu'elle avait des sentiments pour un vieillard comme moi ?
— Pourquoi aurait-elle refusé de se marier, sinon en votre souvenir ?
— Pour beaucoup de raisons, intervint Camille. Il y a des gens qui ne veulent pas être en couple, c'est tout.
— C'est moins romantique, siffla Anna en la faisant taire d'un regard. Je suis certaine qu'elle vous appréciait beaucoup et que votre mort a changé sa vie, Maurice. »
Le scientifique la remercia d'un sourire. Elle faisait de son mieux pour le consoler. J'aurais dû vivre beaucoup plus longtemps et découvrir si elle m'aimait ou non... Il bouillonnait de rage, à présent.
« Ces salauds ! Ils se sont servis de moi !
— Je l'avais dit, marmonna Nok.
— Je le sais bien ! répliqua Maurice, vaincu. C'est juste... insupportable. »
Il resta silencieux quelques secondes. Personne n'osa lui parler, même pas Anna. Je ne sais pas quoi faire... Il n'y a rien à faire, finalement. Je n'ai pas envie de rentrer chez moi si c'est pour me faire tirer dessus ! Il n'avait pas eu si mal que ça, mais quand même ! B finit par interrompre le fil des pensées de Maurice en proposant de passer à l'histoire de quelqu'un d'autre.
« Pause. » réclama Juka, qui n'avait pas parlé depuis le visionnage de sa propre mort.
Tandis que B faisait apparaître de la nourriture pour leur changer les idées, Maurice en profita pour aller voir Agnès.
« Excuse-moi de te déranger, mais je dois te demander quelque chose.
— Ah ah, comme si tu t'intéressais à mon bien-être ! ironisa Agnès. Je vois que ça t'a rendu poli de te voir mourir, l'ancien.
— C'est possible. Je voulais juste proposer à B de rendre les autres morts un peu plus... privées. Je sens que ça va être gênant pour tout le monde, sinon.
— Hein ? Tu sais quelque chose ? »
Maurice l'éloigna des autres.
« Écoute. Il reste Stanislas... bon, lui, je n'ai rien à dire. Il est un peu paumé mais je n'ai pas trop peur. Lemnos, je l'ai entendu crier comme un possédé quand on était perdus dans le labyrinthe et qu'on voyait des fantômes du passé. Je suis sûr qu'il a dû vivre des choses horribles...
— Comme nous tous, répliqua Agnès. On a vu Juka se faire arracher la tête, je te rappelle !
— Admettons, dit Maurice avec agacement. Il reste Charles, qui va nous faire l'apocalypse absolue.
— Je vais pas te contredire sur ce coup-là. Il faut le garder pour la fin !
— Je désire que tout le monde soit au courant du destin des autres. » s'interposa B, posté derrière le scientifique.
Maurice et Agnès sursautèrent. Ils ne l'avaient même pas entendu arriver. Le jeune homme les regardait avec sévérité. Ah, ne me fais pas cette tête, toi ! Je ne vais pas me faire provoquer par un gamin !
« Quel intérêt ? s'énerva Maurice. C'est tellement morbide ! Je n'ai pas envie de voir Agnès mourir, par exemple ! Elle a assez souffert comme ça ! »
Sans prévenir, la jeune femme se jeta sur lui et le serra contre elle.
« C'est trop gentil, Riri.
— Euh..., balbutia-t-il, surpris. Tu peux faire ça, mais ne m'appelle plus jamais Riri. Compris ?
— Compris. » acquiesça-t-elle en le serrant encore plus fort.
Elle va me briser les os ! Lorsqu'elle le lâcha enfin, il vit qu'elle était aussi rouge que le drapeau de l'URSS. Allons bon. Agnès montrait peu d'émotions, en règle générale, en dehors de la colère. Elle était allée un peu trop loin dans l'affection et devenait de plus en plus cramoisie. B lui apporta un peu d'aide pour faire diversion.
« Comme je l'ai dit, vous devez tous vous connaître du mieux possible.
— Il faut encore qu'on s'entende bien alors qu'on va passer l'éternité ici à perdre la raison et à disparaître ? s'étonna Maurice.
— Je vous expliquerai. » répondit B d'un ton énigmatique.
Agnès passa sa main devant ses lèvres en le regardant s'éloigner vers Philémon et Julius. Sa démarche était peu assurée, peut-être parce qu'il était mal proportionné. Son dos terminait un peu plus bas que la moyenne. Le futur réserve des surprises... Nok était trapu et musclé, contrairement à B qui le dépassait d'une dizaine de centimètres et ressemblait à Maurice en terme de maigreur. Ses bras avaient une longueur normale, ce qui éloignait logiquement ses mains de ses genoux. Bizarre, franchement. Maurice remarqua alors qu'Agnès lui parlait toujours.
« Hm..., réfléchit-elle. Tu penses qu'il va nous proposer de retourner chez nous et de sauver notre peau ?
— Mais comment ? Je ne peux pas éviter un coup de feu en pleine tête...
— Et moi donc... Tu verras que je ne peux rien faire.
— Tu t'en souviens ? s'étonna Maurice. Tu as retrouvé la mémoire ?
— Non, mais quel que soit mon destin, je suis enfermée dans un hôpital psychiatrique pour patients violents. Je ne peux pas en sortir, j'ai signé un contrat leur demandant de ne jamais m'écouter. »
Maurice hocha la tête avec tristesse. Ça n'allait pas être facile, sauf peut-être pour Philémon qui n'aurait qu'à changer de ruelle.
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