73. Eric
ERIC
Azincourt, 24 octobre 1415 ap. J.C.
Il avait plu toute la nuit. Eric avait mal dormi. Il s'était réveillé plus fatigué que la veille, comme s'il avait fait un mauvais rêve. Je n'aurais pas dû accepter de me battre. J'aurais dû fuir, comme à chaque fois. Il vit le soleil briller discrètement derrière les nuages et écarquilla les yeux derrière son heaume. Non, il ne fait pas nuit... Il s'était endormi pendant les négociations avec les Anglais. Eric se leva avec difficulté et fit quelques pas dans son armure pour réveiller ses articulations douloureuses. La boue tacha immédiatement ses chausses.
« Que quelqu'un me sorte de ce cauchemar... » marmonna-t-il.
Il toucha du bout de ses doigts gantés de fer l'épée à son côté gauche. Pour pouvoir fuir plus facilement en cas de danger, il avait refusé de chevaucher l'un des canassons proposés par Charles Ier. Ses amis de Rouen, qu'il avait invités à maintes reprises dans son château de Bourgogne, se trouvaient tous derrière lui sur des montures épuisées et affamées. Eric savait que l'assaut serait impossible à mener à bien. Il allait se retrouver face aux Anglais, embourbé jusqu'à la taille... et après ? Il se ferait marcher dessus par les chevaux ! Il fallait déserter dès que possible, mais discrètement... sinon c'était l'exécution assurée.
Je ne suis pas assez concentré, morbleu. Il avait l'impression d'avoir vécu ailleurs pendant quelque temps. Une éternité, même. Il s'appuya sur sa jambe droite avec le sentiment tenace d'avoir des douleurs au niveau du cou. Je dois partir. Quand vont-ils donner l'assaut ?
Mais le son de trompette qu'il attendait avec impatience retentit bien trop tôt à son goût. Les Anglais avaient paru avancer, et Charles Ier avait décidé de lancer toute l'armée sur eux. Eric sortit son arme de son fourreau et pataugea dans la boue, de plus en plus profond, de plus en plus lentement. Il sentit le bourbier atteindre ses genoux et retint sa respiration, soulevant les bras pour éviter de perdre son épée. Les Anglais ne bougeaient pas d'un pouce, sans doute étonnés de voir l'armée française dans une telle débâcle. Eric entendait les chevaux derrière lui se débattre dans la boue. Au moins, ils ne vont pas m'écraser...
Soudain, il ne put plus avancer. Un effort surhumain le mena vers la droite du champ de bataille, où un cheval s'écrasa à quelques pieds de lui. Son cavalier se mit à vociférer, conscient de la situation désespérée dans laquelle il se trouvait. Eric le regarda avec horreur s'enfoncer dans la boue, toujours attaché à son cheval et sombrant avec lui. Je vais mourir si je ne rejoins pas la forêt... Je dois m'accrocher aux arbres et m'éloigner de la clairière !
Eric leva les bras devant son heaume pour se protéger des flèches que les Anglais décochaient dans sa direction.
« Morbleu... » jura-t-il, mais sa voix se perdit dans les hurlements de ses camarades.
Une flèche atteignit son heaume. Le son du métal frappant son armure à pleine vitesse résonna entre ses deux oreilles et il tomba à la renverse, confus. Son visage était protégé de la boue, mais il ne pouvait plus respirer. Eric se hissa très difficilement hors du bourbier, sonné, épuisé de terreur. Les chevaux ne lui avaient pas marché dessus. Un miracle ! Cependant, les battements de son cœur ne ralentirent pas. Devant lui, les Anglais empalaient les chevaliers enfoncés dans la terre. Lorsque des chevaux tombèrent près de lui et qu'un soldat lui marcha dessus, un peu de boue entra dans son heaume et il fut définitivement aveuglé.
Dans le noir, il entendit les flèches siffler au-dessus du champ de bataille, les cris étranglés de ses amis tués par des Anglais ou enfoncés jusqu'aux cheveux dans la boue. Eric eut envie de pleurer, mais il devait aller vers la droite. Toujours vers la droite. Lorsque la clairière devint si silencieuse qu'on entendait les oiseaux chanter, Eric n'osa plus bouger. Il resta les yeux fermés, le nez dans la bourbe. Un soldat s'approcha de lui. Fais le mort, Eric, fais le mort... Mais son talent de comédien était si peu développé qu'il tressaillit par réflexe.
« What shall we do of this one ? » demanda le soldat.
Eric serra les dents. Il n'avait pas la moindre notion d'anglais, mais cela ne présageait rien de bon. Est-ce la fin ? Est-ce la fin de mon existence ? Après une bataille pour laquelle je n'ai pas eu le temps de déserter ? Il ne voulait pas mourir. C'était injuste. Ses parents allaient être fiers de lui, tristes mais heureux de voir leur fils mourir au combat comme un noble. C'était un destin fabuleux qui le dégoûtait.
« Too many prisoners. Don't bother, just kill him. »
Eric se mordit la lèvre si fort qu'il sentit le goût métallique du sang emplir sa bouche. Je vais mourir. Il fut extirpé de la boue par l'Anglais, qui arracha méthodiquement les plaques de son armure. Incapable de se débattre, tétanisé par la peur, les battements violents de son cœur ne s'arrêtèrent que lorsqu'une lame le traversa.
https://youtu.be/uMYAATQDOEQ
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