70. Maurice
MAURICE
« Désolé de vous avoir laissés tous seuls, marmonna Charles, attablé pour le dîner.
— Ce n'est rien, le rassura Philémon, nous avons fait une visite extraordinaire ! N'est-ce pas, Eric ? Vous vous êtes amusé également, n'est-ce pas ?
— J'ai fait la meilleure sieste de ma vie, confirma le chevalier. En dehors des têtes coupées, c'était beau et intéressant. »
Charles haussa les épaules, ne sachant visiblement pas s'il s'agissait d'un mensonge ou non. Le dîner se déroula dans une ambiance morose. La soirée prit un tournant tragique lorsque Charles ne se mit plus à prononcer que quelques phrases cohérentes. Le reste de sa logorrhée était une suite ininterrompue de plaintes à propos de Louis Loguend.
« Il était tout... tout..., gémit Charles.
— Chut, le consola Nok, ça va aller.
— Je n'ai pas eu le temps de lui dire...
— Le passé est le passé. Je suis sûr que tout s'est bien passé pour lui.
— J'aurais dû lui dire... J'aurais dû faire quelque chose... »
Maurice regardait Charles s'effondrer en mangeant de la tarte aux poires, totalement impuissant. Il va finir par mourir de désespoir. Son cerveau ne pourra pas tenir indéfiniment dans un tel état de tristesse. Maurice commençait à avoir peur de l'avenir. Il avait attendu un signe de Philémon ou de Nok, ses plus fidèles alliés. Un signe pour trouver un moyen de s'enfuir... Mais rien n'était venu, et à présent ils craquaient tous les uns après les autres.
Agnès regardait droit devant elle comme si personne n'existait autour de la table. J'aimerais être aussi calme qu'elle. Enfin, aussi calme que quelqu'un qui poignarde des gens au réveil puisse être. Peut-être que je vais devoir être ami avec elle pour ne pas devenir fou, moi aussi. Agnès pouvait être un rempart infranchissable derrière lequel il se protégerait jusqu'à la fin. Parce qu'il y aura une fin. Aucun doute là-dessus.
Au milieu des plaintes de Charles, Philémon proposa de remettre en place le calendrier habituel maintenant que le tourisme était terminé.
« Je pense que nous avons tous besoin de nous plonger dans des activités variées, ajouta-t-il. Comme le disait Voltaire, le travail est important pour être heureux.
— Nous ferons des fêtes le plus souvent possible, proposa Anna. J'avais mieux dormi que d'habitude !
— J'irai faire la sieste dans l'époque de Charles, dit Julius. On y dort très bien.
— Vous êtes bien le seul, se lamenta le révolutionnaire.
— Je vais me coucher. » annonça brusquement Stanislas en quittant la table.
Ils restèrent silencieux, surpris de voir leur cuisinier si mal en point.
« Stan va finir par maigrir, commenta Agnès. On le reconnaîtra plus !
— On va mourir... » soupira Charles, le visage enfoui dans ses mains.
Ils se levèrent les uns après les autres, incapables de se forcer à rester à table. Maurice termina sa tarte en deux bouchées et alla directement se coucher. Il se sentait plus vieux que jamais.
Il se réveilla au milieu d'un cauchemar où Galina se faisait abattre par les services secrets soviétiques. Maurice se frotta les yeux pour oublier ce qu'il venait de voir et ouvrit une puce d'infos sur les moteurs du XXIème siècle pour se distraire. Seule la physique l'empêchait de pleurer et de céder au désespoir. Vers onze heures du matin, il s'aperçut qu'il avait raté le petit-déjeuner. Il vaudrait mieux que je sorte tout de suite ! Je vais rater le déjeuner aussi, sinon...
Maurice prit une douche brûlante et traversa le couloir menant à la salle à manger. Ses amis étaient déjà prêts à déjeuner, mais il manquait encore Agnès et Eric. Au moins, je ne serai pas le plus en retard ! Maurice s'installa devant le saladier de pâtes froides à la mozzarella et songea qu'il allait se régaler.
« Bonjour, Maurice, le salua Philémon avec un sourire éteint. Avez-vous croisé Eric ou Agnès, en sortant de votre chambre ?
— Non, répondit le scientifique. Pourquoi, c'est inquiétant ? Tout le monde dort super mal. Ça ne devrait pas trop te surprendre qu'ils dorment encore, mon petit.
— Agnès est toujours relativement ponctuelle et Julius a aidé Eric à s'endormir. Ils devraient être là. »
Maurice haussa les épaules. Non, vraiment, ça n'a rien de bizarre. Ils sont aussi à la ramasse que les autres, c'est tout. Lorsqu'ils arrivèrent au dessert, Anna exprima à son tour son inquiétude.
« Ils auraient dû être réveillés par... enfin...
— Les jérémiades de Charles ? marmonna Julius, fatigué comme les autres des pleurs du révolutionnaire.
— Je n'irai pas jusque-là, mais du bruit, oui. Ils auraient dû nous entendre et venir. »
Charles arrêta enfin de geindre pour s'intéresser à ce qu'il se passait autour de lui.
« Il faut aller les chercher, dit-il en reniflant.
— Les chambres. » ordonna Juka en se levant.
La jeune femme du Néolithique prit en main les opérations. Elle frappa à la porte d'Eric, puis à celle d'Agnès. Elle cria leurs noms sans obtenir de réponse. Juka tenta ensuite d'ouvrir la porte de chaque chambre.
« C'est fermé ! s'exclama-t-elle.
— Peut-être qu'ils ont demandé à avoir un verrou ? dit Nok. Ils ne sont pas là, il faut chercher ailleurs dans le manoir. Ils sont peut-être sortis pendant la nuit pour aller se reposer dans leur époque.
— Mais comment les trouver ? se lamenta Anna. L'univers tout entier à chaque époque... C'est impossible ! »
Julius proposa de retourner dans le parc où ils avaient dormi la veille. Eric avait beaucoup apprécié sa sieste et avait sans doute eu envie de dormir au même endroit. Charles hurla qu'il ne voulait pas revoir son époque mais y fut traîné sans ménagement. Maurice fit un effort surhumain pour se souvenir de l'emplacement du parc et finit par le retrouver.
Personne.
« B pourrait nous aider à les localiser, proposa Nok. B, dites-nous où ils sont ! »
Le maître des lieux resta silencieux.
« On va devoir se débrouiller tout seuls, soupira Camille en aidant Stanislas à reprendre son souffle après leur course effrénée à travers Paris. La salle de jeux ? La bibliothèque ?
— Nous n'avons pas le choix. » acquiesça Philémon en faisant demi-tour.
Lemnos et Julius se tinrent à l'écart sur le chemin du retour. Maurice s'approcha d'eux, intrigué.
« Vous avez une idée, les deux antiques ?
— Eric était dans un état déplorable, dit Lemnos. Peut-être que B l'a fait disparaître ou l'a renvoyé chez lui !
— Parce qu'il était fatigué ? s'étonna Maurice. Non, franchement, pense à Charles. Si quelqu'un est au bout du rouleau, c'est plutôt lui. Et il est toujours là, à ce que je sache.
— Oui, c'est vrai, dit Julius, songeur. Alors je ne vois aucune explication logique.
— Moi, j'en ai une, insista Maurice. Ils sont cachés quelque part, c'est tout. Ou bien dans leur chambre.
— Ils n'ont pas répondu à Juka ! s'exclama Lemnos. Ils ne sont pas à l'intérieur. »
L'ancien esclave grec s'arrêta soudain et écarquilla les yeux.
« Ils seraient dans leur chambre... ? Est-ce qu'ils seraient...
— Ou bien ils ne veulent pas nous ouvrir, tout simplement. Pourquoi imaginer le pire ? Ils en ont peut-être marre de nous voir, c'est tout ! »
Maurice était conscient que cette hypothèse était un peu trop optimiste, mais il voulait rassurer Lemnos. Le voir aussi inquiet lui était presque insupportable. Le scientifique avait-il fini par développer une sorte d'instinct paternel ? Je ne peux pas lui faire croire pour l'éternité qu'Eric et Agnès ont décidé de vivre dans leur chambre...
Ils jetèrent un coup d'œil infructueux dans la bibliothèque et la salle de jeux. Philémon invita chacun à s'asseoir dans les canapés de la pièce de loisirs et resta debout.
« Bien. Je crois que nous allons devoir visiter chaque époque pour les retrouver.
— C'est impossible, répéta Anna. C'est beaucoup trop vaste ! Ne pourrions-nous pas les attendre ?
— Je crains le pire et mon intuition se trompe très rarement. »
Ils restèrent silencieux, incapables de trouver une solution. Soudain, Juka sauta sur ses deux pieds et frappa dans ses mains.
« On casse la porte.
— Avons-nous le droit de le faire ? demanda Anna, indécise.
— On va le prendre, ce droit. » déclara Nok en la suivant vers le couloir.
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