62. Nok
NOK
Nok avait passé sa journée de repos à explorer des puces d'infos. Il s'était arrêté plusieurs fois devant celle concernant la Révolution française mais n'avait pas trouvé le courage de l'écouter. Peut-être que cette puce allait lui apprendre des choses terribles sur Charles. Peut-être que non, aussi, qui sait... Il reposa pour la septième fois le livre sur l'étagère et décida d'aller regarder un film. Avec un peu de chance, Maurice serait déjà dans la salle de jeux et lui tiendrait compagnie !
En passant par le salon, il croisa Philémon. Le gentleman semblait terriblement fatigué.
« Mal dormi ? lui demanda Nok.
— J'ai fait quelques cauchemars... Je retourne me coucher. Allez-vous dans la salle de jeux ? Maurice est en train de se battre avec un jeu vidéo. »
Nok confirma qu'il s'y rendait et salua Philémon. Des cauchemars, des visions... Ça me rappelle de mauvais souvenirs, ça. C'est comme quand on venait d'arriver. Il poussa la porte de la salle de jeux et vit qu'effectivement, Maurice était plongé dans un univers virtuel.
« Tu joues à la guerre, Maurice ?
— Même pas, c'est juste de la gestion de zoo, mais je suis ruiné ! »
Nok et Maurice passèrent des heures à rendre le zoo prospère. Lorsqu'ils furent lassés de regarder des animaux miniatures s'ébattre dans des cages, ils allèrent déjeuner. Nok songea que Maurice n'avait pas l'air aussi en forme qu'il ne voulait le montrer. À leur grande surprise, il n'y avait presque personne dans la salle à manger, à l'exception d'Agnès et d'Eric qui buvaient tranquillement du vin. Stanislas s'affairait comme toujours devant ses fourneaux.
« Où sont les autres ? leur demanda Nok. Encore en cours de français ?
— Pas de cours, répondit Agnès. Anna a très mal dormi et est retournée se coucher.
— C'est bizarre, Philémon m'a dit exactement la même chose ce matin.
— Tu crois qu'ils sont ensemble ? »
L'idée parut si incongrue à Nok qu'il éclata de rire.
« Oh non, dit-il. Philémon ne faisait pas semblant d'être épuisé pour passer du temps avec elle, je peux vous le dire. Il avait l'air complètement mort.
— C'est peut-être la baignade qui lui a fait faire des cauchemars, proposa Eric.
— Ou le fait qu'on soit enfermés ici. » dit Agnès, la mine sombre.
Le silence retomba. Nok le brisa en parlant de quelque chose de plus sympathique à ses yeux.
« Au fait ! Demain, c'est mon jour de tourisme. Je n'ai pas envie de vous faire porter des haillons comme ce que tout le monde avait à mon époque. Habillez-vous comme vous voulez.
— C'est une bonne nouvelle, avoua Eric. Je n'ai pas un goût vestimentaire très élaboré. Il me semble que je suis mal vêtu à chaque session de tourisme.
— Franchement non, intervint Agnès. Tu t'habilles comme il faut, pas de quoi te prendre le chou. Bon, reprit-elle avec humeur, qu'est-ce qu'ils fichent ? J'ai la dalle, à force ! »
Nok ne pouvait pas lui en vouloir. Il annonça qu'il allait tenter de trouver Charles et sortit de table. Il alla directement dans le couloir menant à toutes les chambres et frappa à chaque porte.
« Déjeuner ! hurla-t-il à la cantonade. Déjeuner, on sort ! Allez ! Pas de chichis, même si vous êtes en pyjama on s'en fiche ! »
Nok croyait que certains d'entre eux étaient cachés dans leurs époques respectives. Il avait tort. Les uns après les autres, Anna, Philémon et tous les autres sortirent de leur chambre, sévèrement fatigués. Les yeux de Lemnos étaient encore plus cernés qu'au premier jour.
« Vous avez tous mal dormi ? demanda Nok, ébahi de voir ces zombies.
— Hmmm... » maugréa Charles avant de bâiller à s'en décrocher la mâchoire.
Nok le regarda avec inquiétude. Déjà qu'il n'était pas souvent de bonne humeur, voilà qu'il faisait d'horribles cauchemars. Qu'est-ce qu'il a bien pu voir ? Des guillotines ? Ils se traînèrent tous jusqu'à la salle à manger et se laissèrent tomber sur les chaises. Ils somnolaient à moitié.
« B se moque de nous, grogna Camille, pâle et quasi endormie. J'ai fait en boucle le même cauchemar idiot où j'arrive en retard à un examen.
— Moi aussi, admit Maurice, mais il y avait du sang partout ! J'étais content de vous faire visiter mon époque et ma semaine est gâchée avec ces bêtises. J'ai tellement mal dormi que je me suis levé pour aller jouer un peu.
— B ne peut pas contrôler les rêves, intervint Nok. Juste nous endormir, nous réveiller et gérer nos souvenirs.
— Comment tu le sais ? lui demanda Charles, sceptique.
— Je le lui ai demandé, bien sûr. » mentit Nok.
Il jeta un coup d'œil rapide à Agnès. Son regard semblait être braqué sur lui, mais il ne pouvait pas en être certain. Elle ferait peur à tout le monde sans ses lunettes noires, mais il faut avouer que ce serait plus pratique de voir ses yeux.
Ils mangèrent dans un silence étouffant. Nok n'eut même pas le courage de parler de sa session de tourisme imminente pour remonter le moral des troupes. Le regard de Charles était si vide qu'on l'aurait cru décédé. Nok en douta presque jusqu'à ce qu'il se mette à remuer machinalement sa fourchette dans ses pâtes. À la fin du repas, tous avaient quelque peu repris du poil de la bête.
« Sacrebleu, tonna Eric, vous nous avez fichu une sacrée frousse ! Allez donc faire une sieste. Il faut que vous soyez en forme pour le tourisme de Nok, demain ! Et pas besoin de s'habiller comme à son époque !
— Eric a raison, acquiesça Nok. Mettez ce qui vous plaît. Allez dormir un peu, ça vous fera du bien.
— J'ai peur de faire rêves, gémit Lemnos. Mauvais rêves.
— Écoute de la musique douce. » lui conseilla Nok.
Agnès décrit à l'attention de B une collection de fichiers sonores qui allaient les aider à mieux dormir. Nok ne savait pas de quoi elle voulait parler, mais elle assura à qui voulait l'entendre qu'il n'y avait rien de plus efficace pour pouvoir sommeiller en paix.
« Sauf exception. » ajouta-t-elle avec un sourire triste.
Lorsqu'ils furent tous partis, Agnès, Eric, Stanislas et Nok se retrouvèrent seuls à table. Agnès annonça qu'elle voulait leur apprendre à jouer au tarot.
« Y a-t-il une raison particulière à cela ? demanda Stanislas.
— Non, c'est juste parce que j'aime bien.
— Je suis un peu fatigué, j'ai peur de ne pas réussir à tout comprendre.
— Quoi, toi aussi, Stan ? s'étonna Agnès en croisant les bras. T'as fait des cauchemars ?
— Oui, mais je n'ai pas hésité à me lever tôt pour cuisiner. »
Nok ne put s'empêcher de rire.
« C'est tellement digne de toi, Stanislas. Tu pourras aller faire une sieste avant le dîner, si tu veux, mais reste un peu ! On ne peut pas jouer au tarot à trois, si je me rappelle bien d'une puce d'infos qui parlait des jeux de société.
— Exact, confirma Agnès. B ! Allez ! Un jeu de tarot ! »
Après plusieurs parties où Eric agaça tout le monde en coupant systématique à pique, Stanislas s'excusa et partit – ou plutôt rampa – dans sa chambre. La magie du jeu quitta progressivement Agnès. Elle finit par soupirer en disant :
« C'est bizarre, ces histoires de cauchemars. J'espère qu'ils ne deviendront pas tous comme moi.
— Comme vous ? fit Eric.
— Je fais des cauchemars, dit-elle simplement. Pas besoin d'en savoir plus, sauf que moi c'est toute l'année. »
Le chevalier haussa les épaules. Il n'était pas curieux au point d'insister. Nok, quant à lui, commençait à ressentir le besoin d'en savoir plus sur ses amis. Il avait hésité quelques heures plus tôt mais savait qu'il devait le faire. C'est le bon moment pour aller écouter la puce d'infos sur Charles ! Il jeta un coup d'œil furtif à Agnès. Non, c'est trop tôt. La jeune femme le regardait avec insistance. Il n'allait pas pouvoir s'éclipser sans subir une rafale de questions.
« Bon, qu'est-ce qu'on fait ? demanda-t-il.
— On peut lire, dit Agnès en se levant. Je reviendrai ce soir. »
Nok la suivit des yeux pour voir si elle allait vers la bibliothèque ou dans sa chambre. Et mince, c'est la bibliothèque. Nok aurait pu y emmener Eric et écouter la puce d'infos avec des écouteurs. Le chevalier n'aurait pas bronché, poli comme il l'était, et aurait sans doute lu un livre pour patienter. Puisqu'il ne pouvait plus lire les puces dans sa chambre depuis leur disparition mystérieuse...
« C'est moi qui ai fait retirer les puces d'infos de votre chambre, intervint B par télépathie.
— Mais pourquoi ? pensa Nok.
— Parce que je préfère que vous assumiez tous les conséquences de votre curiosité. Pour être honnête avec vous, Philémon a découvert les puces cachées dans votre chambre et était très étonné de vous voir si... intéressé. J'ai fait disparaître les puces pour qu'il ne vous soupçonne de rien de fâcheux.
— Je suis sûr que Philémon ne m'a pas accusé une seule seconde de voyeurisme.
— Très bien. Dans ce cas, je vais être parfaitement sincère avec vous..., soupira B. Je n'aime pas vous voir fouiller le passé de Charles. N'ayant pas non plus le souhait de vous interdire de le lire, je vous permets de le faire... mais en ayant peur que quelqu'un n'entre dans la pièce.
— C'est un bon compromis. » songea Nok.
Plus curieux de connaître le passé de Charles que jamais, Nok ne se rendit pas compte de l'expression qu'il arborait devant Eric.
« Tu veux partir ? lui demanda soudain le chevalier.
— Hm ? »
Eric avait dû remarquer son air pensif. Décidément, il était attentif à tout.
« Tu peux me laisser seul, tu sais. Je vais faire une sieste dans un fauteuil, là-bas. »
Nok le remercia et se retira dans sa chambre pour préparer son plan d'attaque. Il attendit une bonne heure le claquement de la porte de la bibliothèque et vit par sa porte entrouverte qu'Agnès retournait dans sa chambre. Elle écoutait tout en marchant une puce sur les jeux vidéo des années 2250. Nok patienta jusqu'à ce qu'elle se soit enfermée chez elle et se précipita dans la bibliothèque pour ouvrir la puce sur la Révolution française.
Après le laïus habituel de la voix enregistrée – qu'était devenue cette femme, d'ailleurs ? –, Nok choisit de se renseigner en détail sur l'année 1794. Il ne savait pas quel était le nom de famille de Charles – lui non plus, d'ailleurs. Il avait complètement oublié celui de son meilleur ami. Louis quelque chose... Nok n'allait pas pour autant réveiller son ami pour le lui demander. Il va comprendre pourquoi je lui pose cette question... Pas la peine de l'angoisser encore plus. Il maudissait sa mémoire désastreuse...
Nok décida alors d'écouter une liste interminable de prénoms. Beaucoup de guillotinés n'étaient même pas jugés sous leur nom complet. Victor, Léon, Jules, des prénoms égrenés sans fin par la puce d'infos.
Combien pouvait-il y avoir de Charles et de Louis à Paris, en 1794 ? Beaucoup trop pour les distinguer. Il en entendit au moins cinq ou six. La guillotine prenait tout le monde. Nok soupira en continuant d'écouter. Peut-être que c'est déjà passé... Peut-être qu'ils n'ont jamais été guillotinés... Difficile à dire. Nok décida de passer à la vitesse supérieure et de demander les noms complets de chaque Louis – lorsque la puce possédait cette information.
« Louis Ambret, Louis Varin, Louis Loguend...
— Stop ! » s'exclama Nok.
Il se mordit la lèvre inférieure, fébrile. C'est forcément lui. J'ai déjà entendu ce nom quelque part ! Il demanda des informations sur ce Louis Loguend, empli d'appréhension. Il allait peut-être entendre des horreurs. Après des informations qu'il oublia aussi sec sur son enfance dans une famille plutôt pauvre des bas-fonds de Paris, la puce s'intéressa à ses idéaux politiques.
« Louis Loguend est à l'origine de plusieurs tracts extrémistes tels que Si tu ne connais pas le calendrier républicain, tu connaîtras la lame ! ou encore Surveille ton voisin !, appelant à la dénonciation pure et simple de chaque citoyen ne respectant pas à la perfection les idéaux révolutionnaires.
— Assez détestable, ce type..., commenta doucement Nok, choqué.
— Il est arrêté en mai 1794 pour trahison et guillotiné ce même mois. »
Nok écarquilla les yeux si fort qu'il réveilla une douleur lointaine dans son ancien œil gauche. Donc... Louis est mort ? Le meilleur ami de Charles est mort ! Et merde... Nok ne voyait pas comment lui annoncer cette terrible nouvelle. Il en dépérirait... C'est impossible, je dois garder ça pour moi. Nok referma la puce d'infos, non sans avoir demandé Charles, ami de Louis Loguend pour obtenir plus de détails. La puce ne comprit pas sa requête : sans nom de famille, il n'irait pas bien loin.
Nok retourna dans sa chambre et se laissa tomber sur son lit, déprimé. Comment regarder Charles dans les yeux après une telle révélation ? En plus, c'est bizarre... Ce Louis était complètement timbré avec la Révolution, il était prêt à toutes les délations pour aller au bout de ses idéaux, et on l'a arrêté pour trahison ? Il aurait trahi la Révolution, lui ? Charles lui avait bien dit que Louis était extrémiste. Il n'aurait pas pu ignorer son penchant de traître à la République, si cette information était vraie... Trop de questions, jamais de réponses. Il allait sans doute passer le restant de ses jours à chercher le courage d'en parler à Charles.
Nok se réveilla subitement en entendant son ventre gronder. Mince, j'ai dormi... Il sortit de sa chambre en se recoiffant du mieux possible. Il trouva tout le monde déjà à table pour dîner. Charles le regarda, ce qui l'embarrassa beaucoup.
« Des cauchemars, Nok ? lui demanda-t-il d'un air désinvolte.
— Non, je me suis endormi en pleine lecture... Et toi, encore des problèmes comme ce matin ?
— Pas vraiment. C'était une bonne sieste. »
Nok se sentit rassuré. Il prit place à table et constata que tous les autres avaient l'air en forme.
« Ce sera bien, demain, commenta-t-il. Vous serez reposés pour le tourisme !
— T'as l'air hyper pressé de nous emmener voir ton no man's land, dit Agnès en pourfendant un morceau de carotte de sa fourchette. Tu parles que de ça !
— Oui, je suis impatient..., avoua Nok. Je pense que ça va vous plaire de voir des villes fantômes.
— Ça a l'air effrayant ! » s'exclama Camille, très excitée.
Nok avait bel et bien l'intention de présenter son époque comme une sorte de parc d'attractions morbide. Montrer à tout le monde l'étendue du désastre que les hommes avaient fait de la planète Terre n'était pas dans ses plans. Il espérait ne pas croiser les mutants répugnants et dangereux qui pullulaient sur les plaines. Son objectif n'était pas de plonger tout le manoir dans la plus profonde des dépressions. Ils allaient s'amuser coûte que coûte !
Le repas se déroula au son de Julius expliquant avec un vocabulaire assez impressionnant pourquoi les courses de char étaient plus intéressantes en vrai que dans le film Ben Hur. Personne n'intervint à l'exception de Maurice. Le vieil homme était capable de réagir à n'importe quelle discussion, y compris la plus fade. Qui s'y connaît en courses de char, ici ? Pourquoi est-ce qu'il nous parle de tout ça ? Mais pour une fois que Julius parlait et ne faisait pas sa mauvaise tête, il n'allait pas s'en plaindre.
Après le dessert, Nok suivit Anna et Camille pour regarder une série avec elles. Ils avaient décidé que ce serait leur nouveau rendez-vous quotidien. Charles les rejoignit et passa la soirée à jeter des coups d'œil à Nok, qui ignorait soigneusement son regard. Désolé, Charles. Je ne peux pas faire autrement, sinon je vais tout avouer.
Le lendemain matin, Nok était prêt pour sa session de tourisme.
Lorsqu'il ouvrit la porte menant à son époque, peu osèrent s'avancer dans la terre battue. Des grains de sable voletaient dans l'air, emplissant leurs narines en quelques inspirations.
« S'il y a des animaux dangereux, je ne veux pas y aller ! s'exclama Anna en se cachant derrière Philémon.
— B n'a pas l'intention de nous tuer, la rassura Nok. Il n'y aura aucun ernaque. N'est-ce pas, B ?
— Absolument, répondit le maître des lieux, toujours très attentif.
— Alors... allons-y ! »
Ils s'étaient tous vêtus selon leurs époques, sans doute pour plus de confort. Juka courait partout, comme soulagée de ne pas voir d'humains à des kilomètres à la ronde. Nok avait voulu les emmener loin de la ville fantôme où son groupe s'était installé. Ainsi, il espérait qu'ils puissent ressentir une parcelle du soulagement qui avait été le sien lorsqu'il avait aperçu des bâtiments à l'horizon.
« Nous sommes dans le Sud de la France, expliqua Nok. Plus ou moins près de Marseille... Personne ne le sait vraiment. Ça fait des générations et des générations que les gens marchent sans but.
— Toutes les tribus de la planète parlent français ? demanda Charles.
— Non, bien sûr, rit Nok. Ma colonie vient de France et de Belgique. Les puces d'infos sont traduites dans toutes les langues, par contre. Elles reconnaissent la langue dans laquelle tu parles.
— Donc B aurait pu donner des puces d'infos à Juka, Lemnos et Julius ? s'étonna Philémon. Ils auraient eu toutes nos connaissances sans devoir parler français...
— Non, ils ne sont pas concernés, répondit Nok. Ce sont des langues mortes. C'est triste pour eux, mais c'est comme ça. »
Philémon acquiesça avec mélancolie.
« Je voulais vous préciser quelque chose, dit Nok. Je fais des efforts pour vous. J'ai appris le français officiel des puces d'infos comme une deuxième langue. Peut-être que vous ne comprendrez pas un mot de ce que disent les gens de ma colonie.
— Vous parlez comme des pouilleux ? demanda Agnès.
— Pas vraiment, c'est plutôt... Ça a évolué, quoi. On a un accent très appuyé, même si les mots sont quasiment les mêmes.
— J'y ferai attention, intervint B. Je traduirai. »
Ils marchèrent des heures dans la terre. Maurice lui demanda plusieurs fois pourquoi il les avait emmenés si loin de chez lui, et il répondit à chaque fois :
« C'est une surprise !
— Ce qui sera une surprise, grommela Maurice, c'est le coup de pied que je vais te mettre dans le–
— La ville ! s'exclama Camille. Regardez, ce sont des immeubles effondrés ! »
À l'air indifférent des autres en voyant les bâtiments, Nok se sentit extrêmement déçu.
« Je pensais que ça vous plairait ! Il n'y a que Camille qui trouve ça impressionnant ?
— Les paysages post-apocalyptiques sont à la mode, à mon époque, expliqua Camille. C'est peut-être pour ça que tout le monde s'en fiche sauf moi !
— J'ai vu une ville mise à sac par les Anglais, murmura Eric, et ce n'était pas excitant.
— L'URSS est un champ de ruines, ajouta Maurice. Camille peut se permettre de fantasmer sur la fin du monde, mais nous... on en a trop vu !
— Je ne fantasme pas, protesta Camille. Allez, on va voir où vivait Nok, ne faites pas la tête. »
Maurice haussa les épaules. Ils arrivèrent enfin devant un portail très sommaire, fabriqué avec des dalles de béton brisées. Deux têtes apparurent au-dessus de la barricade de fortune.
« C'est qui ? cria le plus vieux des deux. Réponsez, bande de bouffons !
— Oh ! glapit Anna, choquée. Quelle vulgarité, alors que nous ne leur avons jamais adressé la parole ! De plus, on dit répondez !
— C'est normal, dit Nok. Tout le monde est comme ça, ici.
— La ferme et on réponse ! hurla le garde. C'est qui ?
— Nok ! Les autres sont mes amis. Laisse-nous rentrer, crétin. »
Les deux gardes descendirent du portail et ouvrirent une porte camouflée par des briques. Le petit groupe entra dans la ville presque à reculons. Ils s'éloignèrent tous des gardes et Anna se mit en colère.
« Mais quel est ce comportement ? Pourquoi parlez-vous tous aussi mal ?
— Les gens sont devenus très agressifs, admit Nok, mais ils ne le pensent pas vraiment. C'est un langage presque... affectueux.
— Affectueux ? » fit Anna avec dépit.
Nok savait que personne ne comprendrait son époque. Oui, les gens semblaient se parler sans aucun respect. Pourtant, quand Nok s'était battu jusqu'à en perdre son œil gauche, il avait dû mentir et s'inventer une chute sur un morceau de métal. Les membres de son groupe n'étaient pas violents physiquement. Des termes insultants avaient fait leur entrée dans le vocabulaire courant, voilà tout.
« À droite, dit Nok en désignant des rues complètement vides, il n'y a jamais personne. Toute la colonie est regroupée dans le centre-ville, un peu plus loin à gauche.
— Vous êtes si peu nombreux que ça ? s'étonna Camille. Combien ?
— Peut-être une petite centaine.
— C'est tout ? Mais comment faites-vous pour éviter la consanguinité ? Vous surveillez qui fait des enfants avec qui ?
— C'est exactement ça. »
Nok préféra ne pas préciser que les colonies représentaient quelques milliers de personnes par le passé. Les naissances n'étaient alors pas contrôlées. Les enfants issus d'incestes accidentels mouraient brutalement ou n'avaient pas un bagage mental suffisant pour se reproduire à leur tour. Les colonies avaient été décimées par des maladies génétiques, génération après génération. Nous sommes en train de disparaître, Camille. Comme les tigres, comme les pandas à ton époque, mais cette fois... c'est nous.
Nok les mena au centre-ville. Dans un coin s'entassaient des puces d'infos, à peine protégées par des bâches de fortune.
« Voici la bibliothèque. Comme vous pouvez le voir, les livres sont dans un meilleur état au manoir.
— Et il y en a beaucoup plus, ajouta Charles. Mais ça va, tu connais énormément de choses alors qu'il ne restait presque plus rien des puces d'infos ! C'est impressionnant, tu as vraiment tout écouté.
— Je n'avais pas grand-chose de mieux à faire ! » se justifia modestement Nok.
Perchés sur des ruines d'immeubles, les membres de la colonie regardaient avec jalousie ce groupe hétéroclite de gens sains et bien habillés.
« Qu'est-ce que vous pensez d'eux ? demanda Nok, curieux. J'aimerais savoir si vous nous trouvez bizarres ou non.
— Vous êtes tous petits, commenta Philémon. Enfin, pas petits, ce n'est pas poli, mais...
— Si, le coupa Maurice, vous êtes clairement tous des nabots, pas la peine de se mentir. Musclés, un peu lents, mats de peau et petits. »
Nok acquiesça. Il était conscient du rapetissement de l'espèce humaine. Il en fallait bien plus pour le vexer.
« Les femmes sont moches, ajouta Maurice sans aucune gêne.
— Elles ne sont pas moches, répliqua Camille, c'est juste que vous n'avez jamais vu de femmes sans maquillage. »
Maurice plissa les yeux comme pour réfléchir, puis hocha la tête. Apparemment, ça a fait sens... À force de voir sa magnifique secrétaire tous les matins et les étudiantes coquettes d'après-guerre, le scientifique avait perdu toute notion de naturel. Juka et Eric s'approchèrent d'un feu de camp.
« Vous utilisez ce feu pour vous réchauffer ? demanda le chevalier. Il n'y a pourtant pas de quoi avoir froid. Ton époque est une fournaise, par Dieu !
— Eric, soupira Nok, il faudra un jour que tu m'expliques pourquoi tu passes ton temps à jurer comme ça. Bref, c'est juste un feu pour faire cuire les animaux qu'on garde dans un enclos.
— Drôle de cuisine, fit Stanislas, mais suffisante. On peut tout faire avec du feu. »
Nok ne parvint pas à exprimer quel réconfort lui avaient procuré les remarques de Stanislas. Lui qui pensait vivre dans un taudis à ciel ouvert sans aucun espoir d'évolution... voilà que le cuisinier du groupe trouvait son feu de camp suffisant. C'est donc vrai que l'herbe est toujours plus verte dans le champ du voisin, songea-t-il en regardant Juka s'intéresser à une statue fabriquée avec des bidons vides. Que ce soit à l'aube ou au crépuscule de l'humanité, il y avait donc de belles choses à voir.
« On peut voir les animaux ? lança soudain Agnès. Je veux voir les bêtes, moi.
— Pas de problème, suivez-moi ! »
Toujours silencieux, les membres de la colonie les regardèrent emprunter plusieurs ruelles couvertes de gravats jusqu'à un petit enclos. Cinq moutons et trois poules s'y ébattaient sans joie.
« J'avoue que j'avais imaginé ça plus... florissant ? Plus grand ? hésita Charles.
— Les poules font des œufs ! rappela Nok. Un par jour !
— Mais... vous ne nourrissez personne, avec ça. Trois œufs pour cent personnes ?
— On se relaie avec les œufs, la viande qui se conserve plutôt bien grâce aux technologies qui n'ont pas été détruites, l'eau, les bonbons... Les gens ne font pas beaucoup d'efforts physiques, ici. Ils sont juste assis sur les ruines de la ville et attendent toute la journée. Au manoir, j'ai passé mon temps à courir partout et à être surpris... ça m'a donné très faim.
— Votre digestion a ralenti. Vous êtes devenus des paresseux, conclut Camille, atterrée.
— On peut dire ça, oui. J'espère que ça ne déçoit personne, parce que ce n'est pas de notre faute. »
Camille bafouilla que ce n'était pas ce qu'elle avait voulu dire et fit semblant de s'intéresser aux nuages. Nok étendit les bras sur les côtés et déclara :
« Et... voilà, c'est à peu près tout. Beaucoup d'entre nous dorment sur les ruines sans avoir bougé de la journée. Les plus timides se cachent dans ce qui reste des bâtiments. »
Nok remarqua que ses amis semblaient déprimés. Leur montrer des squelettes de villes sans les prévenir n'avait pas été la meilleure idée de sa vie.
« Vous trouvez ça horrible, pas vrai ?
— J'ai du mal à imaginer qu'il s'agisse du même endroit que tout ce que nous avons vu..., dit Anna, tout ce que nous avons vécu... Il n'y a plus rien, ici. Le même sol ? Je n'en suis pas certaine.
— Et pourtant, soupira Nok. c'est bien la Terre. Je ne sais pas ce qu'il y aura après, mais je ne pense pas que ce sera beaucoup mieux. »
Il remarqua que ses amis regardaient tous plus ou moins leurs pieds et enchaîna :
« Je vais vous montrer le coin où je dormais. »
Nok les emmena devant un immeuble peu abîmé. Philémon s'étonna de l'absence de porte.
« Il n'y a plus de portes, expliqua Nok. Les habitations étaient protégées par des champs de force. Il suffisait d'avoir une puce sous la peau pour annuler le champ et passer. Plus de problèmes de clés perdues... Les endroits importants restaient blindés au cas où, bien sûr. Les banques, les zones de pouvoir... Tous ceux qui nous ont abandonnés. »
Nok savait qu'il n'avait pas de véritable raison de parler des présidents ou des chefs de la guerre nucléaire. La rumeur selon laquelle ils s'étaient cachés dans des bunkers était sans doute fausse. Un groupe de rebelles désespérés avait dû créer cette histoire de toutes pièces par pure rancœur. Personne n'allait remettre le monde sur pied, que ce soit un survivant plein de volonté ou un ancien empereur courageux.
Ils entrèrent les uns après les autres dans ce qui restait de l'immeuble. Heureusement pour Nok et sa famille, le toit était toujours en bon état. Il pleuvait très rarement, pour ne pas dire jamais. La pièce sentait le béton et la poussière.
« C'est très sommaire, fit remarquer Philémon. Pas de meubles, un simple matelas...
— C'est vrai, agréa Nok. Je dormais ici quand mes grands frères revenaient de leurs missions d'exploration.
— Tu as de la famille ? s'étonna Maurice. Tu fais très loup solitaire, honnêtement.
— Je croyais en avoir parlé à table... Mes parents sont en quelque sorte les chefs de notre colonie et j'ai deux grands frères. Dans les périodes de migration, on récupère tout ce qu'on peut en chemin jusqu'à trouver une ville satisfaisante pour vivre. Une fois que tout le monde s'est installé et que la vie reprend son cours normal, la famille des chefs se charge de trouver de la nourriture et de sécuriser le périmètre.
— Et donc..., hésita Lemnos, vous séru... sécurez... euh...
— ... sécurisez le périmètre, l'aida Nok. Ça veut dire que je vérifie que les mutants sont loin de la ville et qu'ils ne vont pas nous attaquer. Pour être honnête, je sors très rarement. Il n'y a jamais rien, à l'extérieur. Les ernaques ont dû trouver mieux un peu plus loin !
— C'était avant ou après ta blessure à l'œil ? » demanda soudain Agnès.
Un silence oppressant s'installa dans l'immeuble. Agnès, Agnès, c'est toujours toi qui poses les questions qui fâchent...
« Après, bien sûr. Avant, ils s'intéressaient à nous. J'en ai tué plusieurs avec l'arme que vous pouvez voir sous les escaliers. »
Nok n'osa pas croiser le regard de Charles après tant de mensonges. Il avait réussi à détourner l'attention du reste du groupe avec son histoire d'arme. En réalité, l'espèce de tube sous l'escalier n'était qu'un filtre pour transformer l'urine en eau potable. Mais ça, personne ne pourra le vérifier. Heureusement, le filtre était incroyablement complexe.
« Le petit tube sur le côté contient les munitions. Bien sûr, il est vide car ce serait dangereux de garder une telle arme chargée au sein de la colonie. J'y mets des balles quand je traverse le mur d'enceinte.
— Bizarre, comme truc, marmonna Maurice. Je peux l'ouvrir pour voir comment c'est fait ?
— Non ! s'exclama Nok, bien trop fort à son goût. On... on n'a pas le temps, et ce n'est pas très intéressant. Je dois vous montrer le reste de la ville ! »
Nok ne put ignorer les regards suspicieux de ses amis en sortant au pas de course de son immeuble. Qu'allait-il bien pouvoir leur montrer ? Il n'y avait rien, ici. Sa vie était un gigantesque champ de ruines. Il regarda autour de lui avec angoisse et aperçut ses frères au détour d'une rue. Oh... ça, c'est B qui a décidé de m'aider. Merci, B ! Il crut entendre un « de rien » emplir ses pensées.
« Voici mes frères, euh... Mince, je crois que j'ai oublié...
— Zac et Mob, répondirent sans aucun naturel ses deux frères virtuels. Salut !
— Bonjour ! s'exclama Juka, visiblement charmée par leurs muscles et leur air confiant.
— Ça vous dirait de faire une petite marasse ?
— Une quoi ? hésita Anna. Une... marasse ?
— Une ramasse, expliqua Nok. C'est quand on va chercher de quoi se nourrir, des livres, des vêtements...
— Ah, je vois, c'est leur travail. Eh bien je ne sais pas ce que vous en pensez, mais c'est un grand oui pour moi ! »
L'information mit quelques secondes à monter au cerveau de tous les membres du groupe.
« Donc... on va aller chercher des vivres ailleurs ? demanda Camille, les yeux brillants d'excitation.
— C'est ça, on va à la marasse, quoi ! confirma Zac avec un grand sourire. Mais changez-moi ces chaussures, ça va pas être possible là. »
Des baskets confortables apparurent aux pieds de chacun d'entre eux. Juka considéra ses nouvelles chaussures comme si elles étaient de gros insectes dégoûtants.
« Pieds sans rien sur la terre, c'est beaucoup mieux. » marmonna-t-elle.
Ils suivirent tous Zac et Mob, qui marchaient au ralenti comme le reste de la colonie. Anna semblait épanouie, heureuse de vivre une aventure, comme elle le disait. Cette activité était vraiment bienvenue : ils allaient découvrir son monde en s'amusant. Il n'y avait rien de joyeux ni de rassurant à voir dans les villes détruites qu'ils allaient bientôt visiter, mais ils avaient maintenant une mission à accomplir.
« C'est glauque, ce qu'on va faire. Ça va être totalement démoli, pas vrai ? lui demanda soudain Maurice.
— Peut-être que oui, admit Nok. Mais ce n'est plus notre avenir. Ce n'est même plus mon présent. On va rester tous ensemble dans le manoir pour toujours... Il faut voir mon époque comme un terrain de jeu un peu bizarre, c'est tout.
— J'aimerais bien être aussi relativiste que toi, gamin. » soupira Maurice en bifurquant vers Philémon pour discuter avec lui.
Ils passent leur temps à parler de telle ou telle invention, ces deux-là. Au programme de la marche qui les séparait de la prochaine ville en ruines : le téléphone. Philémon n'avait jamais connu le téléphone, qu'il soit manuel ou automatique.
« Donc vous composez un numéro et la personne répond de l'autre côté ? l'interrogea le gentleman.
— Exactement, confirma Maurice. Je pense qu'il y a eu beaucoup plus de nouveautés à l'époque de Camille, mais c'était déjà pas mal.
— Camille possède un tout petit téléphone qui tient dans sa poche, affirma Anna, fière de pouvoir participer à la conversation.
— On appelle ça un téléphone portable, déclara la concernée. Mais internet, c'est encore mieux. Je vous montrerai tout ça plus tard. » ajouta-t-elle devant l'air confus de Maurice et Philémon.
Ils reprirent leur conversation. Plutôt que d'écouter Maurice raconter chaque appel téléphonique qu'il avait pu passer dans son existence, Nok se rapprocha de Stanislas.
« Une fois dans la ville, on pourra manger des sandwiches.
— J'ai créé de nouvelles recettes, affirma le cuisinier. J'ai même emporté dans mon sac un four de poche.
— Ah ? s'étonna Nok, qui n'avait jamais entendu parler d'un tel objet. C'est Agnès qui t'a donné ça ?
— Oui. Les sandwiches pourront être réchauffés ! »
Nok acquiesça d'un air triste. Tant d'objets avaient été perdus entre 2310 et 5032... Il n'avait jamais pu trouver de four de poche dans les nombreuses villes qu'il avait visitées. Plutôt que d'allumer un feu risquant d'attirer les pillards et les mutants, il aurait pu cuisinier en paix pour toute la colonie avec un four de poche. Sans même parler des maladies... La viande peu cuite les faisait vomir et la viande brûlée leur donnait le cancer. Quelle époque écœurante, quand on y pense. Il avait souvent écouté des puces d'infos avec une pointe de jalousie, mais avoir vécu dans le confort du manoir avait décuplé son désespoir lorsqu'il pensait à sa colonie. Il avait presque envie de donner des gifles aux enfants hébétés assis sur les blocs de béton.
« Oh, une ville abandonnée ! s'exclama soudain Anna. Il y a peut-être à manger, là-bas !
— Ce sont juste des cailloux, dit Zac avec un petit rire. Les villes sont plus en forme que ça... il ne faut pas exagérer. »
Rouge de honte, l'aristocrate fit semblant de s'intéresser au ciel et à l'horizon.
« Il fait chaud, remarqua-t-elle.
— Il ne pleut presque jamais, expliqua Nok. Heureusement, il y a des machines pour nettoyer–
— Je crois qu'on n'a pas envie de savoir d'où vient l'eau de ces machines, intervint Agnès. Enfin, on l'a déjà vu. »
Nok n'osa pas se tourner vers elle. Bien sûr qu'elle a vu le filtre... Elle ne s'est pas laissé abuser par ce que j'ai dit sur les armes...
« Bref, poursuivit-il en se raclant la gorge, oui, il fait chaud. Le soleil tape très fort, en ce moment.
— C'est pour cette raison que vous êtes tous si bronzés. » fit Anna en hochant la tête.
Camille toussa en s'étranglant.
« Non, ce n'est pas le soleil qui les a faits bronzer jusqu'à prendre cette couleur ! s'exclama-t-elle, très gênée. C'est une histoire de génétique. Il faudra qu'on vous explique tout ça...
— J'ai passé cette journée à dire des idioties, se lamenta Anna. Veuillez accepter mes excuses...
— Mais ce n'est pas grave du tout, va. » la rassura Nok en haussant les épaules.
Anna n'était sans doute pas raciste pour un sou. Elle n'avait jamais dû voir une peau métissée de sa vie... La voir aussi embarrassée lui serrait le cœur.
« Les enfants sont un mélange de leurs parents... tu comprends ?
— Oui, affirma Anna. Donc... vos parents étaient de deux couleurs de peau différentes. Opposées. Et vous êtes un mélange des deux.
— Pas mes parents. Il y a plusieurs générations... peut-être même une centaine de générations ! Et voilà le résultat.
— Vous êtes tous de la même couleur... Vous vous êtes mélangés. Vous êtes la synthèse de l'humanité. »
Nok la toisa avec étonnement de son œil valide. C'est... très poétique. Il n'avait jamais vu le monde ainsi. La synthèse de l'humanité, oui... Ils étaient tout ce qu'il restait de générations et de générations d'êtres humains. Et voilà ce qu'ils faisaient de leur vie : rester assis sur des décombres en attendant la mort. Depuis des millénaires.
Lorsque leurs pieds devinrent trop douloureux, ils s'arrêtèrent au milieu de l'étendue de terre jaunâtre. Stanislas sortit le four de poche de son sac et réchauffa leur repas.
« Ma nouvelle recette ! Sandwiches chauds contenant du bœuf, du fromage et de la tomate, accompagnés de pommes de terre brûlantes. Bon appétit !
— Mon dieu, s'exclama Camille, j'ai cru que je ne mangerais plus jamais de hamburgers... Stanislas a inventé le fast food tout seul ! »
Agnès parut trouver sa découverte hilarante et répéta à qui voulut l'entendre qu'elle ne lui avait jamais soufflé cette idée. Après ce copieux repas, ils restèrent allongés sur le sol jusqu'à ce que la chaleur devienne insupportable. Ils poursuivirent leur route et Mob leur indiqua une ville à l'horizon.
« Voilà un bon obj' pour la marasse.
— Une bonne cible, traduisit Nok. Préparez-vous à utiliser vos yeux ! »
Le groupe pénétra dans la ville détruite, aux aguets. Julius tremblait.
« Tu vas bien ? lui demanda Nok, inquiet de le voir aussi effrayé.
— Il y a des monstres, marmonna-t-il.
— Non, aucun monstre. B a promis.
— B nous enferme, alors pourquoi pas des monstres ? »
Nok sut qu'il ne parviendrait pas à rassurer le Romain. Il lui donna une tape amicale sur l'épaule qui le fit violemment sursauter.
« Pas de monstres, Julius. Fais-moi confiance. Pas dans les villes.
— Vrai ?
— Vrai. »
Julius semblait un peu rassuré. Lemnos lui fit signe de le rejoindre tandis qu'il écartait des gravats avec ses baskets. Il ne va pas trouver grand-chose, à ce train-là ! Eric et Juka s'étaient déjà engouffrés dans un immeuble qui tenait encore debout. Ils en ressortirent bredouilles : les escaliers s'étaient effondrés et il n'y avait rien d'intéressant au rez-de-chaussée. Au détour d'une rue, Maurice remarqua un objet cylindrique brisé en deux.
« C'est peut-être utilisable, mais qu'est-ce que c'est ? se demanda-t-il en approchant les morceaux de son visage. C'est creux, on dirait, et assez lourd.
— C'est un cuisineur, dit Nok. Ou bien... une machine à sorbets. Les deux sont envisageables... Donne-le à Zac, il saura peut-être quoi en faire. »
Stanislas apparut soudain à leurs côtés pour réclamer l'appareil. Il fallut lui promettre et jurer sur tout ce qui existait qu'il aurait la même machine au manoir le soir même. B dut intervenir pour mettre fin aux jérémiades du cuisinier.
« Cette machine ne sera pas perdue si vous la confiez à Zac et Mob, Stanislas.
— Mais vous allez l'oublier ! gémit-il. Je veux faire des sorbets !
— Tu ne sais même pas ce qu'est un sorbet, Stanislas ! le réprimanda Maurice. Ne fais pas le gamin, enfin !
— Elle est cassée ! ajouta Nok. Tu en auras une qui fonctionne au manoir, c'est promis ! »
Stanislas acquiesça en silence et s'éloigna. Ses yeux brillaient de larmes.
« Morbleu, commenta Eric, qu'est-ce qu'il est capricieux ! J'ai cru voir mon petit-cousin Roderic, pendant quelques instants. La cuisine lui monte au cerveau. »
Nok écarta la polémique d'un geste de la main et invita les autres à poursuivre leurs recherches. Après des heures de marasse, ils s'assirent et firent le point sur leurs trouvailles.
« Trois paquets de bonbons acidulés, compta Mob. C'est super, ça ! Ça dure longtemps ! Ensuite... des poudres d'un peu de tout.
— Vous mangez de la poudre ? demanda Charles, dégoûté.
— Mélangée à de l'eau, la poudre fait de la sauce. C'est assez protéiné pour tenir une bonne semaine. Après, il y a ce cuisineur, ou machine à sorbets, aucune idée. Et des draps ! Qui a trouvé les draps ?
— Moi, dit Philémon. J'ai pensé que cela pourrait être utile.
— C'est super ! Eh bien, c'était une bonne marasse. »
Anna semblait un peu déçue.
« Ce n'est pas grand-chose. Ce n'est pas assez pour aider votre colonie ! Cette poudre, des sucreries...
— La vie est dure. » conclut Nok en se relevant.
Sur le chemin du retour, Eric demanda à B s'il était possible de créer une grande arène avec des ernaques pour s'entraîner au combat.
« J'ai fui la guerre toute ma vie, par Dieu, mais j'ai besoin de me battre ! Je n'aime pas le faire contre des humains, mais quelques mutants seraient un défi à la hauteur de ma force.
— C'est stupidement dangereux, intervint Charles. Tu vas te faire tuer comme un imbécile ! Ce sont des bêtes énormes, violentes !
— Tu n'en as jamais vu, jeune homme, répliqua Eric. Faites-les disparaître quand je serai en danger de mort, dans ce cas. Pour rassurer tout le monde. »
Mais B refusa d'accéder à sa demande. Nok écouta le chevalier maugréer jusqu'à ce qu'ils rentrent au manoir. Combien de temps s'écoulera avant qu'on en ait tous marre de vivre ici ? Au bout de quelques semaines, Eric s'ennuie au point de vouloir tuer...
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