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56. Maurice


MAURICE

C'était le grand jour ! Maurice était frais comme un gardon. Il avait lavé plusieurs fois son crâne chauve, impatient de présenter Moscou à ses nouveaux amis. Jeudi, le jour du tourisme virtuel. Le scientifique avait revêtu son plus beau costume brun. Il aplatit à nouveau ses trois cheveux et sortit de sa chambre pour prendre un petit-déjeuner bien mérité. Il s'attabla devant du pain et du beurre, à côté de Stanislas.

« Vous vous êtes levé bien tôt pour manger, aujourd'hui ! constata le cuisinier.

— Je veux être prêt pour faire visiter mon époque à tout le monde ! dit Maurice avec enthousiasme. Je sais exactement par quoi commencer.

— Des bâtisses intéressantes ? demanda Stanislas en se préparant des tartines de confiture.

— Oui, l'université, ça va être génial ! J'ai tout prévu. Je suis même allé vérifier hier soir si tout était ressemblant. Ces sessions de tourisme vont être pa-ssio-nnantes. »

Ils mangèrent en silence. Maurice finit par se demander où étaient les autres.

« Et alors ? Ils pioncent tous ?

— Peut-être qu'ils voulaient sommeiller un peu plus.

— Pas trop quand même, j'ai des trucs à leur montrer ! » s'irrita le scientifique.

Il s'attaqua furieusement à de nouvelles tartines de beurre. Soudain, la porte menant au couloir des chambres s'ouvrit. Maurice leva le nez de son assiette et fut frappé de stupeur et de joie. Tous ses nouveaux amis s'étaient habillés à la mode des années d'après-guerre, mais... à la parisienne !

« C'est moi qui ai organisé ça ! fanfaronna Camille, que sa robe marron faisait ressembler à une truffe en chocolat géante. Je suis allée voir tout le monde et j'ai choisi pour eux des tenues des années 50. Anna m'a beaucoup aidée. Ça vous plaît ?

— C'est merveilleux ! s'exclama Maurice, ébahi. Ce n'est pas vraiment comme ça que s'habillent les Moscovites, mais admettons ! Vous êtes tous très beaux ! Et je ne fais pas souvent de compliments. »

Tous se dirigèrent vers la table pour prendre un petit-déjeuner bien mérité. Maurice écarquilla les yeux devant certaines tenues. Juka était empêtrée dans une robe terriblement complexe, bien trop volumineuse pour elle. La sauvageonne se battait pour garder une contenance, mais elle avait toujours l'air d'une guerrière déguisée en dame. Personne n'avait essayé de démêler sa tignasse rousse. Pourtant, elle souriait en admirant les volants bleus qui tournoyaient autour d'elle lorsqu'elle marchait. Peut-être que la sauvage de service va devenir distinguée, va savoir...

Agnès et Anna portaient des robes presque identiques et plutôt simples. Elles n'avaient pas eu envie de s'embarrasser de tissu pendant leur tourisme. Pas bête... Maurice eut d'ailleurs du mal à reconnaître Anna, qui avait abandonné son maquillage de la Renaissance.

« C'est pas si habituel que ça de te voir au naturel, ma fille, commenta Maurice.

— Je ne sais pas comment les femmes se maquillaient dans les années 1950, répondit Anna. J'ai un peu honte. J'aurais dû m'y prendre plus tôt pour regarder des puces d'infos.

— Tu n'es pas le laideron que tu crois être ! Ne cache pas ces beaux yeux derrière ta farine et ton fard dégoûtant. »

Anna rougit et se concentra sur sa salade de fruits.

Nok et Charles portaient un costume noir simple. Pour une fois, le Desmoulins officiel n'avait pas l'air trop décalqué. Ses longs cheveux blonds étaient impeccablement coiffés et son regard pas trop éteint. Maurice se demanda quelle mouche avait bien pu le piquer.

« Alors, Charles, on s'est reposé ? le héla-t-il.

— J'ai très bien dormi, effectivement, dit Charles.

— Il est surtout très excité d'aller visiter les époques de tout le monde, ajouta Nok avec un sourire. Je pense qu'il ment, il n'a pas dû réussir à dormir.

— On ne peut rien cacher à qui que ce soit dans ce manoir... » soupira le révolutionnaire.

Philémon portait également un costume mais il y avait ajouté quelques touches personnelles, comme à son habitude de dandy. Le ruban de son haut-de-forme était multicolore, des fleurs décoraient sa veste et ses chaussures étaient rouge vif. Maurice ne commenta pas sa tenue. Il est aussi excentrique que d'habitude, donc il va bien. Pas de quoi épiloguer. Eric était méconnaissable. Rasé, enfermé dans un costume qui dévoilait presque son imposante musculature, il était bien plus beau qu'à l'accoutumée. Il suffisait de remarquer les regards furtifs que lui jetait Camille pour s'en assurer.

« Un sacré beau gaillard, dit Maurice.

— Merci, vieil homme ! lança Eric. J'ai eu du mal à fermer les boutons de cette chemise. Je n'aime pas trop ce genre de vêtements et... grands dieux ! j'espère ne jamais devoir remettre cette tenue.

— Je mettrai une cotte de mailles pour toi, l'assura Maurice en plaisantant.

— Pari tenu ! » rugit le chevalier en s'attaquant à un gigot grand comme sa tête.

Mince, je vais avoir l'air de quoi... Maurice se tourna finalement vers Julius et Lemnos. Ouh là. Il n'arrivait pas à définir leur style vestimentaire.

« Mais qu'est-ce que c'est que ces trucs ? demanda-t-il à Camille.

— Euh... J'ai pensé que ce serait marrant de les habiller comme des rockeurs, en fait... Ils ont des chemises noires et des vestes et pantalons de cuir.

— Un sacré duo de comiques, ces deux-là, Laurel et Hardy en maigres ! »

Camille pouffa tandis que Julius leur décochait un regard sévère. Oh, allez, ne me fais pas cette tête-là, tu ne sais même pas qui sont Laurel et Hardy... Les coups d'œil amusés de Nok lui indiquèrent qu'il n'était pas le seul à trouver leur tenue ridicule. Vraiment, Camille a fait un coup de maître. Du grand art. Le Jules César de service n'a pas l'air de réussir à marcher dans son pantalon en cuir qui fait très américain. C'est merveilleux ! Heureusement que les Moscovites de tout à l'heure seront virtuels, sinon c'est le scandale géopolitique assuré !

Ils terminèrent leur petit-déjeuner dans une ambiance joviale. Stanislas s'était levé trop tôt pour croiser Camille et Anna et s'habiller dans le style des années 50. Comme toujours, il portait une ample tenue rouge et une sorte de bonnet de la même couleur. Maurice ne savait pas s'il s'agissait de l'uniforme des cuisiniers du Moyen-Âge. En tout cas, ça lui va plutôt bien.

Ils se dirigèrent tous vers le couloir que B leur avait indiqué. Maurice ouvrit l'une des portes et un vent glacial les fit tous grelotter.

« B, s'exclama Maurice, est-ce que ce serait possible de retirer le froid ? J'adore Moscou, mais il faut bien avouer que le temps est souvent bien pourri. Je me promène en vêtements légers sous mon manteau mais ce serait trop désagréable pour les autres. On laisse la neige, mais tiède ? Allez !

Je m'attendais à une demande de cet acabit. » commenta leur hôte d'un ton légèrement amusé.

Eh bien, voilà qu'il se fiche de nous ! Devant l'air soulagé du groupe, Maurice se souvint que B leur avait promis qu'il ne voulait pas leur faire de mal. Bien sûr, elles attraperaient la pire des pneumonies dans ces robes légères... et les autres, avec leurs vestes de stars ! Pouvaient-ils tomber malades alors qu'ils vivaient en dehors du temps ? C'était une question à laquelle Maurice pensait pouvoir répondre, un jour. À son âge, on était souvent souffrant pour un rien.

Le scientifique prit les devants et s'engagea dans la rue à laquelle menait la porte magique : celle de son petit appartement. En se souvenant de la taille ridicule de son logement et de ses allures de taudis, il eut soudainement honte de le faire visiter aux autres.

« Je vais commencer par vous montrer l'université où je travaille ! Elle est un peu plus loin. Regardez bien autour de vous, il y a plein de musées ! C'est génial ! »

Derrière lui, c'était la débandade. Philémon, Stanislas et Eric ne bougeait pas d'un cheveu. Nok avait beau se vanter de tout savoir du passé de chacun, il était planté au milieu de la rue, bouche-bée. Charles n'avait pas l'air plus idiot que d'habitude mais observait avec attention les passants moscovites.

Juka faisait un boucan monstre et courait partout dans la neige, hystérique. Camille la poursuivait en piaillant « Neige, neige ! » pour lui apprendre un mot de vocabulaire. Anna et Agnès s'étaient précipitées vers un marchand de fleurs, impressionnées d'en voir en plein hiver. Anna vivait à une époque où on n'importait pas grand-chose niveau fleurs, j'imagine, mais Agnès ? Ça l'étonne vraiment que ça existe ? Après quelques instants, Maurice comprit qu'Agnès aimait simplement les orchidées. Pas la peine de trop réfléchir, finalement...

Julius et Lemnos regardaient autour d'eux en marmonnant en grec ancien. J'aurais pensé que Lemnos serait plus excité que ça. À quoi ça sert de le sortir de son trou s'il fait la tronche ? Allez, c'est l'heure de visiter un peu.

« J'ai dit qu'il y avait plein de musées ! s'exclama Maurice. Regardez un peu les trucs intéressants, nom d'un chien ! On s'en fiche des fleurs !

— NEIGE ! hurla Juka en s'écrasant une pleine poignée d'or blanc sur le visage.

— Elle est toujours aussi timbrée, c'est rassurant. On peut continuer ! »

Ils se mirent à longer la rue dans laquelle Maurice aimait le plus flâner, en direction de la rivière qui coupait le centre-ville de Moscou en deux – la Moskova.

« À droite, une église du XVIIème siècle... L'église Saint-Nicolas de Pyzhi.

— Super dôme doré ! s'exclama Camille. C'est aussi beau qu'en photo !

— Tu as vu des images de Moscou, gamine ? Ça t'intéressait, chez toi ?

— J'aime tout ce qui est beau. »

Maurice hocha la tête, satisfait. Camille était peut-être un peu gauche, mais au moins elle avait quelques notions de beauté et d'art. C'est déjà ça.

« C'est quoi, Pyzhi ? demanda Nok. Ce mot ?

— Aucune idée. » répondit Maurice.

C'est vrai, je n'en sais rien du tout ! Et je disais ce mot tous les jours dans ma tête ! Je deviens gâteux.

« Un certain Pyzhov a donné son nom à cette zone de Moscou, intervint B.

— Merci pour l'info. Plus loin, poursuivit Maurice, en prenant cette rue à gauche, on tombe sur la galerie Tretiakov. C'est très sympa, j'aime bien les tableaux. Mais pour l'instant, c'est tout droit ! »

Ils traversèrent deux parties de la Moskova sur de grands ponts et arrivèrent enfin sur la Place Rouge. Tous s'exclamèrent simultanément tandis que Maurice se pavanait, fier de lui et de sa ville.

« La Place Rouge ! déclara-t-il.

— Mais elle n'est même pas rouge ! répliqua Agnès.

— C'est sûrement rouge pour le communisme..., commença Camille.

— Pas du tout ! dit Maurice. En Russe, le même mot signifie rouge et beau. Ici, c'est la Belle Place. »

Camille hocha la tête et traduisit cette explication à Julius et Lemnos. Pour une fois que j'apprends des trucs à ces bougres ! Ils ne sont jamais intéressés par mon rotor... Il pointa du doigt la magnifique cathédrale qui se dressait un peu plus loin, face à eux.

« La cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux, du XVIème siècle ! Selon la légende, les architectes auraient eu les yeux crevés sur décision du tsar pour ne jamais reproduire un pareil chef d'œuvre !

— J'espère que ce n'est qu'une légende ! s'exclama Anna, horrifiée.

— L'un des deux architectes a participé à la construction d'un autre Kremlin en URSS quelques années plus tard, donc c'est sûrement faux. Mais avoue que c'est une belle légende ! »

Maurice leur présenta, sur leur gauche, l'immense Kremlin flanqué de dix-neuf tours. Il les nomma une à une, provoquant l'hilarité d'Agnès qui trouvait son accent très drôle.

« Je parle très bien russe ! répliqua Maurice.

— Comme une girafe allemande ! répliqua Agnès, toujours cachée derrière ses lunettes de soleil.

— C'est comme une vache espagnole, s'interposa Camille. Mais une girafe allemande, c'est plutôt marrant !

— Je suis bilingue ! insista Maurice en croisant les bras. Mes collègues scientifiques me comprennent très bien !

— Si tu le dis. » pouffa Agnès.

Vexé, le scientifique ne les laissa pas faire les touristes plus longtemps sur la Place Rouge et les emmena vers l'ouest de la ville.

« Juste à gauche, le Mausolée de Lénine.

— C'est beau, commenta Philémon.

— Tiens, ça faisait longtemps qu'on ne t'avait pas entendu, le dandy !

— Je visite. »

Maurice trouva son ton un peu trop sobre et se tourna vers lui. Philémon souriait béatement en regardant partout autour de lui. J'ai cru qu'il déprimait... mais non, il est juste dans les vapes ! Le scientifique était ravi de voir ce grand gaillard tout maigre s'amuser un peu. Je l'imagine bien dans son appart de bourgeois, tout comateux dans son coin, malheureux pour rien, juste parce que ça lui donne un style. Maurice songea qu'il en aurait le cœur net lorsqu'il visiterait le Paris de 1852. Peut-être même qu'il vit dans la débauche et qu'on croisera dix prostituées chez lui... tout est possible !

Ils tournèrent à nouveau à gauche et parvinrent à l'université. La grande tour centrale impressionnait encore Maurice, même après toutes ces années. Il y avait six autres bâtiments assez semblables dans Moscou – les Sept Sœurs, construites par Staline. Maurice ne pouvait pas dire qu'il appréciait beaucoup ces édifices, mais ils étaient très impressionnants. C'est le but, en même temps...

« Voilà où je travaillais chaque jour ! dit le scientifique.

— Attends, je vais voir le panneau. » fit Agnès en s'éloignant du groupe.

Lorsqu'elle se trouva face à l'écriteau annonçant « Московский государственный университет им. М. В. Ломоносова », Agnès soupira. Ce n'est que le nom de l'université : université d'État M.V. Lomonossov de Moscou, d'après le nom de son fondateur.

« J'avais oublié que c'était du russe, marmonna Agnès. Bon, tu bossais vers où ?

— Je travaillais entre le département de Mécanique et Mathématiques et celui de Sciences et Matériaux ! Faire un rotor pour bateau, c'est interdisciplinaire.

— On ne peut pas dire que ce soit une très jolie université, commenta Philémon. Tout ce béton n'est pas du meilleur goût, mais ce n'est que mon avis.

— L'ancien bâtiment est un peu plus loin et beaucoup plus traditionnel, dit Maurice. Mais je suis d'accord, c'est pas super folichon ! C'était pour impressionner les Amerloques, c'est tout. »

Autour d'eux, des étudiants en uniforme discutaient de leurs cours, debout dans la neige ou se dirigeant vers les bâtiments annexes de l'université. Maurice ne s'attarda pas à l'extérieur, même s'il ne faisait pas réellement froid.

« Suivez-moi ! Je vais vous montrer où je travaillais.

— Mais c'est immense, on est où là ? demanda Agnès, un peu fébrile. Je ne vois que des arbres et la tour flippante !

— C'est de l'autre côté, suivez-moi je vous dis ! »

Il les emmena devant le Square Lomonosov, qui honorait la mémoire du fondateur de l'université. Malgré la rigueur de l'hiver, les nombreux sapins entourant le square étaient en pleine forme. Deux bâtiments encadraient le petit parc : à droite la Physique, à gauche la Chimie. Maurice avait d'ailleurs cru qu'il travaillerait dans le département de Physique. Au final non, c'est plutôt considéré comme de la mécanique et de la science des matériaux. Ils continuèrent d'avancer en ligne droite vers la plus haute tour.

« Où est le bâtiment pour festoyer ? réagit Stanislas, toujours à l'affût de nourriture.

— Aucune idée, j'amenais toujours mes salades ! répondit Maurice en éclatant de rire. Tu n'auras qu'à demander à B de te filer un livre de recettes traditionnelles russes. Ça va t'occuper un moment et ça me fera très plaisir. »

Le cuisiner rosit de bonheur. Il aimait qu'on lui réclame à manger, le bougre. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi fusionnel avec son métier. Je pensais être le type le plus motivé du monde, mais même moi j'aimais prendre des pauses au cinéma... Ce gras-double ne vit pas en dehors de sa cuisine. Lorsque Maurice se souvint de la corpulence de Stanislas, il frémit en pensant à la suite de la visite. Il va tomber dans les pommes quand il verra où se trouve mon labo...

« Voici le bâtiment principal de l'université ! annonça-t-il. Mon laboratoire se situe à l'étage 15. C'est parti pour–

— ... pour l'ascenseur, compléta Agnès, il y a plutôt intérêt !

— Euh non, désolé, il n'y en a pas encore... enfin je n'en sais rien, à vrai dire. Ça me faisait les mollets.

— B, s'exclama Camille, pouvez-vous nous envoyer directement au quinzième étage, s'il vous plaît ?

Absolument. »

Quelle bande de feignasses ! songea Maurice alors que le paysage devenait de plus en plus flou autour d'eux. Lorsque tout redevint à la normale, le scientifique reconnut sans trop de peine le hall d'entrée du département de Mécanique et Mathématiques. Il avait honte de se l'avouer, mais sa mémoire flanchait un peu. Il avait marché jusqu'à l'université par pur instinct, les souvenirs refaisant surface au fur et à mesure qu'il s'en rapprochait. Sa vie était-elle si insipide pour qu'il ne s'en rappelle qu'au dernier moment ? Tout le monde est dans le même état, Maurice. Reste calme. Tu n'as pas à te croire sénile.

« Здра́вствуйте ! dit jovialement une personne qu'il aurait reconnue entre mille blondes.

— Galina ! s'écria-t-il, extatique. Voici Galina qui nous dit bonjour ! »

Maurice se fichait qu'elle ne soit pas réellement devant lui. Son sourire poli et ses cheveux de blé impeccablement coupés au carré étaient suffisants pour qu'il se sente chez lui. Maurice prépara son plus bel accent russe pour présenter ses amis à Galina.

B est capable de reconstituer ma vie dans ses moindres détails... Galina est absolument parfaite. Elle était comme ça ! Le scientifique s'imagina un instant profiter de cette reconstitution pour vivre une histoire d'amour avec sa secrétaire. Non ! Ce n'est même pas que ce serait mal ou quoi, mais ce serait faux. Je préfère qu'elle ne me regarde pas plutôt que de me mentir !

« Cette dame amour Maurice ? demanda Lemnos en regardant l'inventeur.

— Euh..., hésita-t-il. Je crois bien que j'ai parlé à ce môme de Galina quand on était dans le labyrinthe, mais oubliez tout ça.

— Elle est magnifique, vous aviez bien raison d'en pincer pour elle ! s'exclama Anna. Elle semble un peu jeune pour vous, cependant.

— Je sais bien, merci, fit-il sèchement. Je n'ai jamais eu l'intention de la séduire ou de tenter quoi que ce soit. Galina est une princesse qu'un vieillard comme moi n'a pas le droit de libérer de sa tour. Elle rencontrera son prince charmant. »

Maurice n'avait pas voulu avoir l'air si triste devant ses amis. Il croisa le regard de Charles et crut un instant se voir dans un miroir. Le révolutionnaire l'observait avec douleur. Avait-il vécu une histoire semblable ? Maurice invita les touristes à passer devant pour visiter son laboratoire et resta en arrière pour parler à Charles.

« Dis-moi, gamin, t'as l'air autant dans ton assiette que moi.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez..., nia Charles en se détournant.

— Tu sens l'amoureux transi à plein nez ! Ne mens pas, ça ne sert à rien, je connais cette tête ! »

Charles baissa les yeux. Ils entendirent des éclats de voix – visiblement, Philémon était extatique à la vue des machines alignées sur les paillasses de travail. Un mécène comme lui allait s'en donner à cœur joie ! C'était sans doute plus impressionnant de faire décoller un dirigeable, mais son laboratoire n'était pas si mal.

« Tu sais, Charles, on va passer un sacré bon bout de temps coincés ensemble, donc autant qu'on sache tout de chacun. Non ?

— Oui, concéda-t-il, mais ça va me passer. Je n'y penserai plus, alors autant ne pas en parler.

— D'accord, mais bon. Tu ne pourras pas le cacher très longtemps quand on fera du tourisme chez toi, tu sais ? À moins que tu ne croises jamais ta douce ou que tu sois amoureux de Marie-Antoinette ? On ne peut pas aimer une femme sans tête. »

Maurice fit une grimace à cette idée et Charles ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Il reprit un air sérieux en demandant :

« Si je vous dis la vérité, vous ne serez pas méchant ? Pas de commentaire blessant ?

— Est-ce que j'ai été blessant un jour ? Je suis réaliste, c'est tout. Balance, Danton, je suis tout ouïe.

— Et vous ne direz rien ?

— T'es parano ou quoi ? Ça va, ça va, je ne dirai rien de sarcastique, vas-y.

— J'étais... enfin je suis... amoureux de mon meilleur ami. »

Maurice resta interdit. Il ne s'attendait pas à ça. Je pensais qu'il allait me sortir le nom de je ne sais quelle gueuse qui se prostitue à Paris, mais là c'est... inattendu. Le scientifique se demandait comment formuler sa question sans avoir l'air d'un mufle. Charles avait l'air trop désespéré pour supporter une répartie cinglante.

« Mais tu n'es pas en prison ?

— Je savais que vous trouveriez ça sale, soupira Charles en lui tournant presque le dos. Je me moque de votre avis, je sais très bien que c'est mal mais je m'en fiche.

— Ah non mais je ne voulais pas te traiter de dégoûtant ou de je ne sais quoi encore. Ce que tu fais dans ton lit ne m'intéresse pas des masses, tu sais. Mais il faut que tu saches que chez moi, on va au goulag ou au peloton d'exécution quand on est accusé d'homosexualité ! Je me demandais juste comment tu avais pu échapper aux embrouilles avec la justice à ton époque. C'était sûrement encore moins bien vu que chez moi... »

Charles l'observa quelques secondes en silence.

« Eh bien, je ne l'ai dit à personne. C'est tout.

— C'est sûr que vu comme ça..., s'amusa Maurice. Ce n'est pas écrit sur ton front. Tu n'as pas de manières.

— De manières ?

— Ben, des manières, quoi !

— Je ne connais que moi dans cette situation, Maurice, dit Charles en fronçant les sourcils. Je ne sais pas ce que font les autres. Je n'ai personne à qui en parler à part... »

Il regarda dans le vide et un sourire se dessina lentement sur son visage.

« À part vous tous. Nok et Anna sont déjà au courant et m'ont dit que ce n'était pas grave.

— C'est sûr que ce n'est pas très grave, gamin, on a mieux à envoyer en Sibérie que des gens comme toi. Du moment que tu ne me racontes pas les détails de ta vie personnelle, ça me va très bien et je m'en moque.

— Je n'ai jamais rien fait ! se défendit Charles. J'avais juste des sentiments.

— J'ai dit que je ne voulais pas savoir ! » s'exclama Maurice avec un sourire complice.

Décidément, Charles lui réservait de sacrées surprises. Maurice ne pouvait pas dire que son éducation lui avait appris que l'homosexualité était quelque chose de fantastique. Non, en fait, je n'ai pas tellement d'opinion là-dessus. Ce qui est intéressant, c'est de savoir si la personne qu'il aime en vaut la peine. S'il s'est entiché d'un crétin, ça ne me plaira pas.

« Parle-moi un peu de ton Jules, dans ce cas. Pas de détails du style Il est magnifique et je l'aime par contre, je suis sympa mais pas intéressé à ce point par ta petite vie.

— Il s'appelle Louis Loguend, je crois l'avoir dit à table. Il a mon âge et son plus grand rêve est de massacrer tous les nobles du monde.

— On va dire que c'est un idéal comme un autre, ironisa Maurice. Est-ce qu'il est intelligent, au moins ?

— Je pense que oui.

— Bon. Si tu le penses, c'est le principal. Tu as trouvé quelqu'un d'intéressant à aimer et ce n'est pas donné à tout le monde. Tant de gens s'amourachent d'idiots ou d'idiotes !

— C'est drôle, parce que c'est ce qu'Anna m'a dit. Que l'amour était un cadeau, que ce soit réciproque ou non.

— Anna est une rêveuse paumée, mais elle dit des choses vraies. » acquiesça Maurice.

La tête chapeautée de Philémon apparut dans l'encadrement de la porte.

« Avez-vous fini de discuter ? demanda-t-il poliment. Nous souhaiterions quelques explications sur vos rotors !

— On arrive tout de suite ! »

Maurice adressa un dernier regard compréhensif à Charles avant d'entrer dans le laboratoire. Il se sentit alors immédiatement à la maison. Son rotor reconstitué au demi trônait au centre de la pièce. Rien n'avait bougé depuis son dernier jour ici – d'ailleurs, qu'avait-il fait, le dernier jour ? B refusait de lui rendre la mémoire pour ce détail précis. Pas tant un détail que ça, si on voulait son avis. Ça se trouve, il ne s'est rien passé de spécial. Non, attends, s'il ne s'était rien passé, tu ne serais pas ici comme un imbécile ! Ces réflexions étant sans fin, il reporta son attention sur le rotor.

« Sous vos yeux ébahis, voici le rotor Lalie, deux fois plus petit que l'original !

— Où se trouve le vrai ? demanda Anna, qui faisait assez mal semblant de s'intéresser à l'aspect technologique du laboratoire.

— Il n'a pas encore été construit. Le rotor Lalie sera bien plus volumineux que les rotors actuels utilisés dans les moteurs de bateau, et ce n'est pas très pratique d'avoir ça dans une université. »

Eric se promenait autour du laboratoire en se gardant de toucher quoi que ce soit, suivi de près par Juka. La sauvageonne semblait mal à l'aise. Elle ne doit pas se sentir à sa place, ici, et je la comprends. Philémon tournait autour du rotor avec curiosité. Il triturait sa moustache sans détacher les yeux des différentes pièces de l'engin.

« Le dirigeable d'Henri Giffard fonctionne à la vapeur, mais ceci ? Je ne comprends pas.

— C'est une partie d'un moteur électrique. Il y a le rotor et le stator, et moi je m'occupe seulement du rotor. Une autre équipe fait un stator que je trouve assez sympa... même si c'est Petrov qui s'en charge. Une vraie tête de mule de nouille soviétique !

— Est-ce que c'est le monsieur assis là-bas ? demanda Camille en désignant une paillasse plus éloignée.

— Absolument ! confirma Maurice en croisant les bras, agacé de voir la tête d'endive de Petrov se tourner vers eux avec un air stupide. Heureusement qu'il a un peu de talent pour la mécanique, parce que mon Dieu... qu'il est bête !

— C'est vrai qu'il n'a pas l'air très éveillé, commenta Camille. Mais bon, je n'ai pas spécialement l'air intelligente non plus.

— Beaucoup plus que ce boulet, je t'assure. »

Camille lui adressa un sourire reconnaissant. Eh, je ne suis pas toujours un salaud ! Philémon, quant à lui, ne s'intéressait pas à Petrov.

« Mais je ne comprends pas... sans machine à vapeur, comment cela peut-il fonctionner ?

— Je vais t'expliquer sommairement, jeune homme, mais il va falloir suivre. Ce n'est pas simple. Alors tu vois, le rotor reçoit de l'énergie mécanique. Parce qu'il tourne, le rotor. Il convertit cette énergie en énergie électrique à courant alternatif. Tu suis bien, là ?

— Oui, mentit le gentleman.

— Le stator est une partie qui ne bouge pas. C'est fixe. Mais comme le rotor bouge contre le stator, toute l'énergie électrique va se concentrer dedans. Il y a des enroulements dedans, et le courant alternatif se trouve là. C'est clair ?

— Merci beaucoup, dit simplement Philémon. Vous êtes très intelligent, Maurice, vous savez créer des choses extraordinaires. »

Agnès émit un petit rire et faillit trébucher dans sa robe.

« Quelque chose de marrant, Lunettes Noires ? lui lança Maurice.

— Non mais c'est fun, ce pauvre Phiphi n'a rien pigé et il est trop poli pour te dire que c'était incompréhensible ! s'exclama-t-elle, hilare.

— J'avais bien remarqué, figure-toi. Philémon, demanda-t-il au gentleman, est-ce tu pourrais me dire ce que tu sais de l'électricité, qu'on commence par-là ?

— Euh..., hésita-t-il. Très peu de choses, à vrai dire.

— C'est quoi, ton année ? J'ai oublié.

— 1852.

— Ouh là ! dit le scientifique en se frappant le front. Mais vous faisiez quoi, à l'époque ? Même pas un allumage de lampe dans un circuit fermé ! Forcément, tu comprends rien ! Je te ferai un cours détaillé après le dîner, si tu veux. Ou plus tard, on a vraiment le temps. Il serait temps que tu profites de toute la connaissance du monde pour comprendre les inventions de l'humanité après le XIXème siècle.»

Les yeux de Philémon se mirent à briller et il le remercia chaleureusement. Ce type a besoin d'un professeur. C'est pas mon métier de base, mais ça risque d'être un élève sacrément motivé ! Peut-être même qu'il aurait des idées sympas à adapter. Même coincé ici, je peux inventer des choses. C'est juste que ce sera un peu inutile au reste de l'humanité.

Après leur avoir fait faire un tour de l'université – les jardins, l'autre département dans lequel il travaillait, la bibliothèque –, Maurice emmena ses amis marcher le long de la Moskova. Ils avaient croisé un nombre assez conséquent d'hommes armés autour de l'université, ce qui avait inquiété les autres. La guerre est à peine finie. Plus de soixante millions de morts, ça laisse des traces... Mieux valait s'éloigner un peu.

« Voilà, vous avez vu où je vivais. Il y a énormément d'autres choses à visiter, mais j'ai assez mal aux guiboles comme ça !

— C'était vraiment génial ! dit Anna en cachant mal que ses pieds saignaient dans ses chaussures. Merci d'avoir eu cette idée de génie, Philémon. »

Tous le remercièrent et demandèrent à B de les faire réapparaître dans le manoir. Lemnos bafouilla dans un français pas si mauvais que ça qu'il aurait bien aimé faire du tourisme tous les jours.

« C'est vrai que c'est beaucoup plus intéressant que de jouer aux cartes, confessa Eric, que Maurice avait très peu entendu depuis le début de la journée. J'ai trouvé cette journée absolument formidable, j'en ai presque oublié que j'avais faim !

— L'heure des ripailles est largement dépassée ! s'affola Stanislas.

— Que diriez-vous de faire du tourisme tous les jours ? proposa Camille. Ou alors un jour de tourisme, un jour de repos, puis un nouveau jour de tourisme... On pourrait mettre des cours de français pendant les jours de repos, comme ça Lemnos, Julius et Juka seront rapidement à l'aise pour nous présenter leurs époques. Est-ce que quelqu'un préfère garder l'emploi du temps précédent ? »

Même Julius accepta d'abandonner momentanément sa vigne pour visiter plus fréquemment les époques de ses comparses. Ils retournèrent dans la salle à manger avec le sourire aux lèvres, même Juka qui n'avait pas compris grand-chose à ce qu'elle avait vu.

Maurice regarda la pendule sur le mur de la salle principale et soupira. La journée était passée si vite ! Il était presque six heures du soir. Rien ne les empêchait de prendre un apéritif en attendant qu'il soit assez tard pour dîner sérieusement. C'était génial. Mais c'est vrai que j'ai faim. La prochaine fois, il faudra se faire des en-cas !

« Eh, le cuisinier ! lança-t-il à Stanislas qui était déjà aux fourneaux. Il faut qu'on te montre comment faire des sandwiches ! Tu verras, c'est juste de la nourriture dans du pain. On pourrait manger tout ça en visitant, ce serait plus sympa.

— Je commencerai dès demain, enfin... dans deux jours ! dit Stanislas. Nous irons chez moi. Je vous montrerai où je travaillais et nous mangerons dans mes cuisines ! »

Agnès fit remarquer qu'elle n'était pas très motivée pour manger entre quatre murs glauques, éclairée à la torche.

« Ce sera très... touristique. » l'encouragea Philémon.

En buvant un peu de vodka bien de chez lui pour attendre son repas, Maurice se demanda à quoi pouvait bien ressembler l'époque d'Agnès.


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